éditoriaux

Dispositifs de vision (dossier Acta Fabula)

Dispositifs de vision (dossier Acta Fabula)

On imagine facilement la littérature associée à la peinture ou au cinéma, mais qu'en est-il de ses liens avec l'aquarium ? Dans le 87e dossier d'Acta Fabula, Noé Maggetti rassemble des chercheurs et chercheuses pour réfléchir à ces dispositifs qui font voir le monde et lire les textes autrement. Dans son compte rendu de Machine-aquarium (Clélia Nau), Natthan Maggetti rend compte d'un imaginaire aquatique qui apparaît au XIXe siècle, tandis que Sarah Juilland s'intéresse aux Mondes invisibles (dir. Sylvain Ledda) de l'occulte. C'est ensuite au cinéma que Noé Maggetti et Vincent Annen se consacrent, dans leur recensin d'Aux commencements du cinéma (José Moure) et de Borges et le cinéma (Vincent Jacques). Enfin, Valentine Bovey propose une lecture de Nudités féminines (Laurence Pelletier), qui interroge le regard (gaze) que les philosophes portent sur le corps des femmes nu.

Écrire les choses

Écrire les choses

Voici quelques années Marta Caraion offrait à l'Atelier de théorie littéraire une contribution à l'entrée "Choses" avec un article programmatique intitulé "Les objets littéraire comme pensée critique", et elle donnait aussi à Acta fabula le compte rendu du Petit musée d’histoire littéraire. 1900-1950, inauguré aux Impressions nouvelles par Nadja Cohen et Anne Reverseau, sous le titre "Rematérialiser la littérature". La chercheuse a dans l'intervalle largement relevé le défi, en animant au sein de l'Université de Lausanne un projet de recherches sur la littérature et la culture matérielle. Les résultats de cette vaste enquête paraissent aujourd'hui aux éditions Champ Vallon dans un fort volume supervisé avec Sophie-Valentine Borloz et Judith Lyon-Caen : Écrire les choses vient faire l'histoire de l’élaboration d’une pensée de la culture matérielle par la littérature, depuis les années 1830, lorsque l’avènement conjoint du réalisme et de la révolution industrielle fait des choses des entités littéraires à part entière, jusqu’à la période contemporaine. Plus de quarante spécialistes signent les trente-six chapitres et quatre-vingts encarts de vulgarisation de ce panorama du monde littéraire des objets. On y trouvera des objets rares et des objets de grande consommation, des objets précieux et des objets pauvres, des machines et des reliques, des bijoux et des pots de chambre, des boîtes d’archive et des porte-plumes, du parchemin et du plastique, des objets de mélancolie et des ordinateurs ; des lectures rapprochées de grands textes littéraires, des traversées de larges corpus d’écrits techniques ou industriels, de poèmes, de romans, d’utopies, d’écrits ethnographiques, de récits de soi…

Rappelons que le 70e dossier critique d'Acta fabula était consacré à la culture matérielle, à l'initiative de Joséphine Vodoz : "Les objets, mode d'emploi. Des sciences sociales aux études littéraires", ainsi que les précédents essais de Marta Caraion : Comment la littérature pense les objets. Théorie littéraire de la culture matérielle (Champ Vallon), dont on peut lire sur Fabula un extrait de l'introduction : "Pour une lecture matérialiste des objets en littérature", et un peu plus haut dans le temps le collectif Usages de l'objet. Littérature, histoire, arts et techniques, XIXe-XXe s. (Champ Vallon toujours).

Écrivains-chercheurs contemporains

Écrivains-chercheurs contemporains

En mai dernier, l'Université de Chypre accueillait le colloque international "La Plume savante. Écrivains-chercheurs contemporains". Les participants à cette manifestation scientifique s'y étaient interrogés sur la double posture des auteurs d’œuvres de fiction ou des poètes menant parallèlement une activité de chercheurs (linguistes, historiens, anthropologues, sociologues, géographes, critiques littéraires, etc.). Dans le champ littéraire contemporain, la figure l’écrivain-chercheur occupe une place qui grandit considérablement, d’où l’intérêt d’examiner les rapports qu’entretiennent aujourd’hui la littérature et la science sous l’angle de leur émanation d’une seule et même plume. Les Colloques en ligne de Fabula en accueillent aujourd'hui les actes, réunis par Iulian Bogdan Toma.

(Photo : Florence Henri)

Devenir Jocaste

Devenir Jocaste

La plupart des ouvrages théoriques ont dessiné les destinées œdipiennes en littérature et en sciences humaines, sans montrer en quoi le personnage de Jocaste, l’épouse et la mère du héros, s’inscrivait dans ces destinées, voire connaissait sa propre fortune dans ces deux domaines. Parcourant un large corpus de l’Antiquité à nos jours, le livre de Cassandre Martigny Devenir Jocaste. Naissances et renaissances du personnage, de l’Antiquité à nos jours (Classiques Garnier) retrace l’histoire du couple mythique en occident, en changeant de perspective par rapport aux études déjà faites sur le sujet. Si le mythe d’Œdipe a été interprété comme mythe de la condition humaine, celui de Jocaste peut être considéré comme un mythe de la condition féminine, par les problématiques qu’il soulève sur la place des femmes dans la société et sur les conceptions du féminin. Fabula vous propose de parcourir la Table des matières, et de lire un extrait de l'introduction

Signalons à cette occasion pour le centenaire de Jocaste et le chat maigre d'Anatole France, numérisé par la BnF et imprimable à la demande par les éditions Hachette, qui offrent d'en feuilleter quelques pages

Le livre de Cassandre Martigny s'inscrit dans un mouvement plus général de relecture des antiques à l'aune d'enjeux contemporains, dont témoigne également le travail de Cyril Gendry, Achille et Patrocle, un mythe du couple masculin, publié aux éditions Classiques Garnier, qui s'intéresse à la construction du couple Achille / Patrocle comme couple paradigmatique de la relation masculine. À travers un corpus largement diachronique, ces travaux recoupent l'histoire des représentations des corps masculin et féminin et de la sexualité, objet du livre de Sandrine Bohringer La Sexualité antique, une histoire moderne, récemment paru aux éditions EPEL, et de la journée d'études "Usages des figures mythiques dans la théorie en études de genre", organisée par Camille Islert et Cassandre Martigny à l'ENS de Lyon le 10 juin prochain.

Les mythes antiques se trouvent envisagés à travers une autre perspective, celle des personnages considérés comme mineurs ou secondaires pour appréhender autrement l'histoire littéraire et culturelle occidentale. Sur ce sujet, on pourra aussi consulter l'article d'Anne Morvan, "De Loxias à Phoibos, portait d’un Apollon en clair-obscur dans les Troyennes d’Euripide et ses traductions (latines et française) du XVIe s." ou encore celui de Cécile Neeser Hever "Caring (about) Ismene : (r)écriture et care", disponible sur Fabula / Les colloques, qui démontrent encore une fois l'actualité des antiques, qui fera l'objet d'un numéro d'Acta Fabula en novembre 2025...

(Illustr. : Harold Speed, Lillah McCarthy as Jocasta in ‘Oedipus Rex’ by Sophocles, 1913, Victoria & Albert Museum)

La faute et le remords

La faute et le remords

Après La Faute au roman : littérature et morale (Vrin), dont Eloïse Bidegorry a récemment rendu compte pour Acta fabula sous le titre : "Penser et encadrer le « tournant éthique »", Paolo Tortonese publie un essai sobrement intitulé Remords (Hermann), qui montre comment, à l’époque du darwinisme, de la sociologie naissante, de la neurologie psychiatrique et de la criminologie, le remords est au centre d’un renouveau romanesque et d’une controverse philosophique. Ce concept aussi ancien que la morale jure avec l’eudémonisme moderne et semble apporter un démenti à Sade au profit d’un retour en force de la culpabilité. Mais ce ne sont pas toujours des spiritualistes qui le relancent : dans Thérèse Raquin, Zola remet au goût du jour une expérience douloureuse de la faute et tente de l’expliquer avec des arguments matérialistes. Puis il revient sur la psychopathologie du criminel dans La Bête humaine. Dans l’intervalle entre ces deux romans, Crime et châtiment est traduit en français et soulève une controverse philosophique dans lequel les chrétiens, les darwinistes, les kantiens et les schopenhaueriens se battent, chacun voulant démontrer que le roman de Dostoïevski leur donne raison. Centré sur un moment précis du débat moderne autour du crime, le livre remonte, pour l’éclairer, à la tradition doctrinaire du remords chrétien, que les "nouveaux remords" antispiritualistes cherchent à remplacer. La longue durée de ce débat fait signe également vers les enjeux de la faute, de la responsabilité et de la réparation dans les sociétés d’aujourd’hui. Fabula donne à lire l'introduction du volume…

Une histoire théâtrale au féminin

Une histoire théâtrale au féminin

La Revue d’Histoire du Théâtre publie un dossier aux allures de manifeste : "Pour une histoire des metteuses en scène". Le sommaire coordonné par Agathe Sanjuan et Joël Huthwohl vient souligner de véritables avancées dans le combat pour l’égalité homme-femme dans le domaine du théâtre, depuis le rapport de Reine Prat de 2006, et se propose d'explore la place des femmes dans la mise en scène en France du XVIIe siècle au début du XXIe s. De nombreuses personnalités apparaissent avec des parcours et des œuvres variées. Des mouvements et des tendances se dessinent et posent les premiers jalons d’une histoire essentielle, enfin visible, première étape vers une histoire mixte au plein sens du terme. Fabula vous invite à écouter le podcast de présentation… Le numéro suivant de la même Revue d'Histoire du Théâtre, le 300e, propose à l'initiative de Florence Filippi et Florence Naugrette un dossier consacré aux "Voix d'or et petites mains", une histoire déconstruite du travail des femmes au théâtre" : comment déceler et comprendre les mécanismes d’invisibilisation et d’oubli de l’activité déjà ancienne des femmes dans la création théâtrale ? Quels partis-pris d’écriture et d’élaboration de l’histoire ont contribué à infléchir, et parfois même effacer, la mémoire des nombreuses directrices et administratrices de théâtre des siècles passés, et la contribution des femmes à la constitution du répertoire, l’émergence de la mise en scène, et les innovations techniques et scénographiques ? Par quels biais les stéréotypes genrés ont-ils façonné une hiérarchie symbolique entre ces métiers, renforçant la marginalisation de certaines fonctions ? Fabula vous invite à lire quelques pages de ce numéro anniversaire…

Signalons encore le volume Auctorialités théâtrales, supervisé aux Presses Universitaires de Rennes par Benoît Barut, Catherine Brun et Élisabeth Le Corre, dont on peut découvrir l'introduction…

Les œuvres invisibles

Les œuvres invisibles

Les œuvres d'art sont faites pour être montrées de la façon la plus large possible, mais, durant des millénaires, il n'en a pas été ainsi. Dans Cacher / montrer. Une histoire des œuvres invisibles en Occident (Seuil), Nadeije Laneyrie-Dagen prend le récit de l'art à rebours, en proposant une histoire de la dissimulation voulue des œuvres, et de la force qu'elles acquéraient en étant tenues éloignées d'une admiration constante. L'enquête part du texte de Bataille, Lascaux ou la Naissance de l'art (1955). Elle se poursuit en Égypte, puis à Byzance et en Occident au Moyen Âge. La Renaissance y tient une place majeure avec Van Eyck, Lotto, Giorgione, Titien, Raphaël (La Fornarina) et Léonard - derrière La Joconde aurait dû se trouver une version avec le modèle nu. L'essai examine les collections du XVIIᵉ siècle, où les tableaux étaient protégés par des rideaux, les « boudoirs » du XVIIIᵉ, où l'on conservait les œuvres aux sujets indiscrets de Watteau, de Boucher, de Fragonard. Il chemine par les musées, où l'on prit des précautions pour que le grand pubtic ne voie point d'œuvres qui puissent choquer, et se conclut par L'Origine du monde, de Courbet, tableau qui fut accroché, avant son arrivée au musée d'Orsay, soit dans des pièces intimes de demeures privées, soit derrière un rideau ou diverses peintures - jusqu'au "cache" d'André Masson, beau-frère du psychanalyste Lacan qui fut le dernier propriétaire de l'œuvre… Céline Delavaux avait dressé il y a quelques années le catalogue du Musée impossible. La collection des œuvres d’art qu’on ne peut plus voir (La Renaissance des Livres), dont Marc Escola et Nathalie Kremer avaient solidairement donné un compte rendu de visite : La main du temps & l’œil de l’esprit. Voir les œuvres qu’on ne peut plus voir.

Rappelons le récent essai de Nathalie Kremer, Tableaux fantômes. Quand la fiction montre les œuvres disparues, accueilli par la collection "Fictions pensantes" (Hermann), qui fait collection des tableaux piétinés, brûlés ou lapidés, statues mutilées, refondues ou enterrées… Comment comprendre que, de Balzac et Gogol jusqu’à Perec, Michon ou Reza, les écrivains aient été tentés de faire fiction de la destruction d’une œuvre d’art ? On peut lire sur Fabula l'introduction de l'ouvrage, qui est désormais intégralement accessible en ligne via Cairn… Patrick Boucheron a consacré à ce livre un épisode de son émission "Allons-y voir" (France Culture), et Lucie Garrigues en a proposé la recension au sein du dossier "Voir en peinture" d'Acta fabula : "Destructions créatrices. Écrire ce qui ne peut être vu".

Lire aussi les éditos de la rubrique Questions de société…

Et les éditos de la rubrique Web littéraire…

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