Enquêter sur la subjectivation politique : théories, méthodes, matériaux
Paris, 17-18 mars 2022
Comité organisateur :
Déborah Cohen, Vincent Gay, Isabelle Matamoros et Federico Tarragoni.
Comité scientifique :
Sam Bourcier ; Boris Gobille ; Riccardo Ciavolella ; Magali della Sudda ;
Claire Judde de la Rivière ; Julie Pagis ; Julien Vincent.
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Réception des propositions de communication : 15 septembre
+/- 8000 signes à envoyer à subjectivationspolitiques@mailo.com
Réponses le 5 novembre.
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Ce colloque souhaite mettre le concept de subjectivation politique à l’épreuve de la réalité historique et sociale, en réunissant les enquêtes de terrain, les recherches historiques, les observations ethnographiques qui s’en sont emparées : il vise donc à réunir les recherches et, en particulier, les recherches les plus récentes qui, familières de ce concept, l’ont reformulé pour en faire une hypothèse d’analyse des processus concrets. Il s’adresse aux politistes, sociologues, anthropologues, ethnologues et historien.ne.s, ainsi qu'à toutes celles et ceux qui travaillent à partir d'un matériau où s'est inscrite l'expérience subjective et vécue du politique.
Le concept de subjectivation politique, élaboré au sein de la philosophie politique critique, trouve sa raison d’être dans une interrogation plus générale sur les modes de constitution du sujet politique. Dans le prolongement du marxisme, il s’est souvent agi d’ouvrir la « boîte noire » du sujet révolutionnaire ou démocratique, pour montrer qu’il se constitue en tant que tel dans l’action politique, le soulèvement, la revendication, et qu’il n’est pas une simple « conséquence mécanique » de la structure des rapports de production capitalistes. Cette interrogation au sein du marxisme n’a pas été réservée à la philosophie politique : elle a été menée en parallèle (et parfois d’abord) par les historien.ne.s de la politique subalterne (comme E. P. Thompson) et, à leur suite, par les anthropologues des rapports de domination, comme J. Scott ou P. Chatterjee : tous ont montré combien la subjectivation politique se produit au cœur même des luttes sociales, en articulant l'individuel et le collectif. C'est en s'appuyant sur la notion d'expérience que ces recherches empiriques ont permis de déplacer l'ancien questionnement. Mais la notion de subjectivation a également connu des élaborations significatives hors des sphères académiques, notamment dans les milieux des militantismes féministe, lesbien ou gay et queer - avant souvent de faire retour dans le champ universitaire.
Malgré la vitalité de ces réflexions, les interrogations se sont souvent déployées dans un cadre trop abstrait pour les sciences sociales. Ce colloque entend contribuer à l'effort collectif visant à rapatrier ce concept dans les sciences historiques et sociales, en se posant la question de ce qu’il permet d’observer concrètement, en s'interrogeant sur les méthodes les plus adaptées pour l’appréhender, à partir de l’ensemble des travaux empiriques qui s’en saisissent dans une diversité de perspectives (pragmatistes, phénoménologiques, féministes, décoloniales ou post-coloniales, intersectionnelles, psychanalytiques etc.).
La subjectivation politique sera comprise comme désignant l’ensemble des processus de déterritorialisation, de désancrage, de désappartenance, et de reconstruction d’un rapport à soi et au groupe qui mettent en question la naturalité supposée du sujet (social, politique, racial, sexuel) tel qu’il se donne dans l’évidence des affirmations dominantes. La subjectivation est ainsi l’expérience d’une désidentification sociale dont les issues sont diverses mais qui ouvre un accès au politique, que cet accès se manifeste sous la forme d’une construction identitaire collective ou non, d’une action collective organisée ou non. Le concept de subjectivation vise, en ce sens, à décrire un processus plutôt que la constitution d’un état ou d’une identité figée. C'est à ce mouvement que l'on s'intéressera avant tout, non pas tant au sujet qu'au devenir sujet.
Sans entendre limiter les formes du questionnement, ce colloque aura vocation à susciter des contributions empiriques principalement au sein de quatre axes.
Les communications pourront documenter empiriquement les différentes pratiques sociales à travers lesquelles voient le jour des processus de subjectivation. Le champ de ces pratiques à étudier n'est pas limité a priori, il peut aller des dynamiques de subjectivation politiques au sein du militantisme, du travail, des pratiques éducatives et culturelles, ou même intimes et sexuelles ou morales et religieuses.
On pourra d'autre part s’intéresser aux temporalités du processus de subjectivation., au rôle des socialisations primaires comme aux éventuels éléments déclencheurs (individuels ou collectifs) qui amorcent un mouvement de désancrage.
On pourra se demander quels sont les moyens concrets qu’utilise la subjectivation pour s’activer. Quelles sont les formes d’énonciation mises en jeu, à travers la parole, qu’elle soit publique - prise de parole en assemblée, rédaction de tracts, coming out, échanges militants ou amicaux - ou non, ou à travers des supports écrits (journaux intimes, autobiographies) ? Enfin, quelle est la part de la performance publique de cette subjectivité politique, et comment se raccroche-t-elle à un collectif par tout un ensemble de pratiques qui ne sont pas seulement discursives mais touchent aussi le corps, le vêtement, la performance ou la mise en scène de soi ? Il arrive souvent que la subjectivation ait besoin de "facilitateurs" : des individus ou des collectifs, des objets, dont la rencontre va jouer comme un déclencheur, ils pourront également faire l’objet des communications.
La question de la subjectivation politique peut également être une porte d'entrée pour essayer de saisir la manière dont s'imbriquent différents types d'identités. Plusieurs recherches menées dans une perspective intersectionnelle permettent en effet de mettre en avant le fait que bien souvent ce sont plusieurs types d'identités distinctes et combinées qui, affrontées à la même minoration ou répression, entrainent l’amorce d’un mouvement de désancrage et de distanciation qui va initier la constitution d'un nouveau sujet politique.
En abordant ces différents aspects, ce colloque pluri-disciplinaire entend faire contribuer des disciplines et des objets différents à la saisie empirique du phénomène de subjectivation politique dans sa dimension processuelle.
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Une version plus détaillée de cet appel est consultable sur le site de Calenda : https://calenda.org/862149.