Revue
Nouvelle parution
Présence d'Albert Camus, n° 16, 2024

Présence d'Albert Camus, n° 16, 2024

Publié le par Marc Escola (Source : Société des Études camusiennes)

Sommaire

Texte :
Une lettre d’Albert Camus adressée à Pierre-Marie Borel en 1947

Contributions :
David H. Walker, « Camus et la création »

Bernard Franco, « Absurde et pensée du tragique chez Camus »

Enzo Loï, « Meursault, phénoménologue de l’absurde »

Christian Phéline, « D’Arrast, « brutalement, sans savoir pourquoi » »

Stéphane Chaudier, « Remarques sur un mauvais procès en cours. Oublier Camus, d’Olivier Gloag »

Travaux universitaires :
Pauline Martos, « Dialogues transatlantiques : traduire et retraduire Albert Camus aux États-Unis

Document :
Georges Blin,« Albert Camus et l’idée de révolte » (Fontaine, n°53, 1946)

Comptes-rendus :

André Abbou, Relire La Peste (Guy Basset) ; Christiane Chaulet Achour, Albert Camus, le poids de la colonie. Une œuvre, des contemporains, des lecteurs (Pierre- Louis Rey) ; Fr. Adrián Mauricio Garcí Peñaranda, Albert Camus et les différents sens du sacré (Carole Auroy); Aurélie Palud, L’Enfance d’Albert Camus (Guy Basset); Jean Sénac, Un cri que le soleil dévore. 1942-1973. Carnets, notes et réflexions, édition préfacée et établie par Guy Dugas (Pierre-Louis Rey) 

Bibliographie

Vie de la Société des Études Camusiennes

Disparitions : 

Fernande Bartfeld et Pierre Le Baut

Résumés

David H. Walker, « Camus et la Création »

Pour Camus la création n’est pas qu’une affaire d’artiste. L’activité constitue un pilier de sa pensée aussi bien que de ses écrits. Dans Le Mythe de Sisyphe la création fournit la clé d’une attitude authentique face à l’absurde : elle enseigne la patience et la lucidité. Avec L’Homme révolté, la création devient une école de la mesure pour freiner les excès de la révolte, et elle s’affirme comme la source des nouvelles valeurs qu’il s’agit de créer afin de dépasser le nihilisme. Au cœur des controverses idéologiques et philosophiques qui déchirent le monde, Camus évoque la création comme le modèle pour une pensée politique efficace. Au fond, la création est l’apanage de tout être humain, et une réponse valable face à la condition humaine. D’autre part, pour l’homme qui se veut un vrai artiste, la création impose des exigences qui le poussent sans cesse vers la grande œuvre dont il rêve. 

Bernard Franco, « Absurde et pensée du tragique chez Camus »

L’absurde, qui est l’objet d’une réflexion conduite dans le « cycle de l’absurde » de Camus (L’Étranger, Caligula, Le Malentendu et Le Mythe de Sisyphe), semble incompatible avec une vision tragique du monde, qui suppose de lui prêter un sens. Cette contradiction semble s’estomper par la distinction que Camus opère entre une « philosophie de l’absurde » et une « sensibilité absurde », illustrée en particulier par la figure de l’« étranger ». Celle-ci est liée à une posture à l’égard du monde dominée par la tentation du suicide, objet de représentations différentes dans le cycle de l’absurde. Le lien plus explicite à la pensée du tragique est souligné par la place accordée à l’anagnoris dans les trois fictions, ainsi que par la réflexion sur la nécessité et la relation des personnages à un destin. Or le destin, lié à une vision essentialiste et non existentialiste du monde, se trouve chez Camus réinscrit dans la sphère humaine et dépourvu de toute transcendance. Il prend en particulier la forme d’une mort à venir du personnage et se manifeste par ce que Lacan avait appelé « l’entre-deux morts ». La figure d’Œdipe, incarnation du destin, semble une ombre qui traverse le cycle de l’absurde et qui côtoie, dans l’essai philosophique de Camus, celle de Sisyphe. Le lien entre absurde et pensée du tragique est illustré, dans Le Mythe de Sisyphe, par l’analogie qu’établit Camus entre ces deux figures.

Enzo Loï, « Meursault phénoménologue de l’absurde »

Le personnage-narrateur de L’Étranger est un sujet constant de débats et autres interprétations. Cet article tente de développer une interprétation qui rapprocherait l’œuvre camusienne de la phénoménologie, philosophie qui accorde une place importante à l’observation, la représentation, ainsi qu’à la critique de celle-ci. En liant la phénoménologie et le roman camusien, l’idée est ici de défendre une participation constante de Meursault à ce qui se passe, aux différents événements qui traversent le cours de son existence. Il apparaît dès lors comme un personnage qui, loin de l’indifférence qu’on lui attribue parfois, décrit, observe, n’est jamais en dehors de ce qui lui arrive, préférant toujours, quand il lui arrive quelque chose, « être là », selon sa propre formule. Cette tentative pour penser Meursault comme un phénoménologue permet aussi de penser une phénoménologie de l’absurde en lien avec une phénoménologie littéraire. La première permet d’envisager l’absurde à travers la question de l’interprétation phénoménologique du monde, de notre rapport à lui en tant que rapport conscient. La deuxième se veut à même de penser les enjeux phénoménologiques au cœur des ouvrages littéraires, notamment ceux de Camus.

Christian Phéline : « D’Arrast, « brutalement, sans savoir pourquoi » »

La nouvelle « La Pierre qui pousse » (1957) suit d’Arrast, un ingénieur en mission au Brésil, dans ses tentatives de participer aux danses et aux rites des habitants des quartiers pauvres. L’invite « Assieds-toi avec nous. » sur laquelle se clôt ce dernier récit de L’Exil et le Royaume est souvent lue comme ouvrant à une fraternité humaine où cet Européen solitaire se retrouverait lui-même en rejoignant l’Autre. Au vu d’un rapprochement avec cet autre voyage initiatique que narre « La Femme adultère », de diverses sources anthropologiques encore peu explorées du récit, et de ce que son héros manifeste de ses fragilités intérieures, l’article reconnaît à cet épilogue une signification restant plus ambiguë.

Stéphane Chaudier, « Remarques sur un mauvais procès en cours »

Olivier Gloag est l’auteur d’un livre cherchant à réévaluer l’œuvre de Camus à l’aune de la question difficile de la colonisation. Mû par un grand sens de l’enjeu et de l’actualité, cet essai au titre provoquant (Oublier Camus, Paris, La Fabrique, 2023) multiplie les contresens et les confusions, au risque d’égarer durablement les lecteurs de Camus. Il importait de réagir sereinement ; cet article vise à s’approprier la problématique d’Olivier Gloag en en montrant la fécondité, pour peu que l’analyse soit conduite sans préjugés idéologiques ou militants. L’étude s’intéresse particulièrement à L’Étranger ; elle souligne le caractère réaliste du récit dans sa peinture de la société algéroise au temps de la colonisation des années 30, même si le texte de Camus voulait d’abord et avant tout être lu comme une œuvre universelle, une enquête sur la « condition humaine ».