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Retour sur les théories du genre littéraire: textes hybrides, brouillages de frontière et nouvelles formes cognitives (Besançon)

Retour sur les théories du genre littéraire: textes hybrides, brouillages de frontière et nouvelles formes cognitives (Besançon)

Publié le par Marc Escola (Source : annick louis)

Retour sur les théories du genre littéraire: textes hybrides, brouillages de frontière et nouvelles formes cognitives

Organisé par Annick Louis

Université de Besançon — IUF-CRIT-ELLIAD

10-11 octobre 2024

UFR SHLS – 30-32 rue Mégevand, Besançon - Salon Préclin

Interrogé en 1933 sur le cadre d’une enquête sur le roman argentin, Jorge Luis Borges répond que le Martín Fierro, considéré comme le poème national argentin, relève de ce genre malgré le fait d’être en vers, parce que le plaisir particulier que sa lecture procure est plus proche de celui que nous avons en lisant le Quichotte que de celui apporté par Swinburne ou Verlaine. La conception de Borges met en évidence la multiplicité et le dynamisme des relations texte-genre, tout en affirmant un des principes soutenus par Jean-Marie Schaeffer dans Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? (1989) : la généricité d’une œuvre est toujours plurielle, dans la mesure où toute œuvre littéraire est pluriaspectuelle (comme tout acte verbal en général). Les œuvres étant des objets sémiotiques complexes dans lesquels interagissent des caractéristiques de différents niveaux (pragmatique, sémantique, syntaxique), les identifications génériques font référence à différents niveaux de l'œuvre littéraire, et pour cette raison la même œuvre littéraire admet toujours plus d’une identification générique. La perspective borgésienne sur le genre rappelle également la distinction établie par Schaeffer entre généricité auctoriale et généricité lectoriale, qui permet d’intégrer le niveau de la production et de la réception dans l’étude de la généricité (1989), tout en revendiquant les droits qu’octroie la nature du plaisir de la lecture. Car si tout texte possède une généricité multiple, c’est le lecteur qui active de façon privilégiée certains aspects, au moyen d’un processus cognitif complexe (Genette 1997, Schaeffer 2020). 

Ces approches permettent de considérer les identifications et classifications génériques qui surgissent au-delà des intentions de l'auteur comme des faits intégrés dans la logique pragmatique de la généricité. En conséquence, les opérations ultérieures d’attribution de la généricité ne dénaturent pas l’identité des textes mais l’enrichissent, ce que Danto appelle l’enrichissement rétroactif des créations artistiques à travers l’histoire de leur réception (1996). Si les études littéraires ont traditionnellement proposé des classifications génériques, destinés à la production ou à l’étude des œuvres, les postulats de Borges et Schaeffer permettent de considérer que ces systèmes de classement (prescriptifs, normatifs ou classificatoires) prennent pour base l’établissement de dominantes conventionnalisées qui sont soient reconnues par des institutions littéraires, soit répondent à un accord communautaire, soit proposées par les maisons d’édition et par les média, et qui sont souvent systématisées dans des manuels ou des ouvrages théoriques, faisant donc l’objet d’une transmission institutionnalisée.

Le récent développement des perspectives cognitivistes dans les sciences humaines et sociales viennent compléter ces approches théoriques. Si on prend en compte les trois niveaux d’incarnation des processus narratifs proposés par Schaeffer dans Les troubles du récit - la proto-narrativité, la narration et le récit, qui mobiliseraient le même type de compétences -, il faut situer l’art de raconter au niveau du récit, c’est-à-dire les narrations publiques dans lesquelles, au-delà du contenu du récit, l’exécution devient elle-même un enjeu central. Le récit au sens fort du terme est ainsi toujours une œuvre. Il a toujours une dimension méta-narrative ou autoréflexive, un constat validé par le fait que le domaine du récit est catégorisé en de nombreux sous-genres qui se distinguent les uns des autres précisément par des modalités constructives spécifiques cristallisées en traditions distinctes. Et ce constat est d’ailleurs autant validé par tous les récits de fiction que par la plupart des récits factuels (46-47). Néanmoins, les explorations récentes des écrivains contemporains traduisent une tendance à essayer de faire entrer dans le registre du récit, c’est-à-dire de la Littérature, ce qui relève de la proto-narrativité et de la narration, en empruntant, pour créer cet effet, des ressources et des modes narratifs venant de différents genres et traditions génériques, produisant des textes particulièrement hybrides, à propos desquels il semble difficile, voire impossible de discriminer une dominante, en termes de genre et d’appartenance à la fiction ou à la non fiction (Louis 2024). Si l’hybridité, comprise comme une généricité multiple, est une condition de toutes les œuvres littéraires, et pas seulement d’un type particulier de récits, une zone importante des littératures contemporaines repose et exploite la combinaison de différents genres, exhibant cette hybridité comme un trait spécifique ; les lecteurs sont capables de reconnaître au moins une partie des genres convoqués, alors que d’autres restent moins visibles.  

Notre colloque s’oriente à la réflexion théorique sur les genres littéraires, autant dans leur dimension historique que dans leurs manifestations présentes. On s’attachera également à l’étude des questions suivantes :

·       les degrés et les modalités que la multiplicité générique - ou l'hybridité - adopte dans chaque cas

·       la réflexion vers la mise en relation des genres considérés comme « nationaux » avec des formes issues d’autres cultures 

·       le rapprochement des genres scolaires et des genres éditoriaux

·       les initiatives taxonomiques et hybrides

·       le rapport entre prescription et description

·       l’étude de cas où la généricité lectoriale devient généricité auctoriale

·       la question du dynamisme historique des genres, qui est particulièrement pertinente pour analyser les récits hybrides contemporains

·       l’incidence de la traduction dans la constitution de l’identité générique des œuvres

Le colloque est organisé sur deux journées. Le 10 octobre 2024 auront lieu les conférences des spécialistes :

Tiphaine Samoyault, Jean-Marie Schaeffer, Laurence Dahan-Gaida, Ana Gallego Cuiñas, Marcelo Topuzian, Carolina Ramallo, Victoria García. 

Le 11 octobre sera divisé en deux parties : le matin on assistera aux interventions des écrivains Edgardo Scott, Rodrigo Rey Rosa et Mathieu Simonet ; l’après-midi, Edgardo Scott animera un atelier d’écriture en français, espagnol et anglais pour les étudiants de l’Université. Les deux journées compteront sur la présence de Matthieu Letourneux en qualité de discutant.

Voir le détail du programme…

Bibliographie

Aristote, La Poétique, Paris, Seuil, 1980. 

Bakhtine, Mikhail, Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984.

Borges, Jorge Luis, « Encuesta sobre la novela », Gaceta de Buenos Aires 1(6), 06/10/1934:1.

Dahan-Gaida, Laurence (dir.), Circulation des savoirs et reconfiguration des idées. Perspectives croisées : France-Brésil, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, coll. « Dialogue entre cultures », 2016.

Danto, Arthur, Après la fin de l’art, Paris, Seuil, 1996.

Gallego Cuiñas, Ana, Torres Salinas, Daniel, “Big Borges: What Can Big Data Show About a Classic Writer on Social Networks?, https://www.researchgate.net/publication/375470410_Big_Borges_What_Can_Big_Data_Show_About_a_Classic_Writer_on_Social_Networks#fullTextFileContent

Gallego Cuiñas, Ana, Las novelas argentinas del siglo 21: nuevos modos de producción, circulación y recepción, New York,l Peter Lang, 2019.

García, Victoria (2012). “Testimonio literario latinoamericano: una reconsideración histórica del género”. Exlibris. Revista del Departamento de Letras 1, p. 371-389.

García, Victoria, “Testimonio y ficción en la narrativa argentina”, Lexis, 42(2), 2018, p. 369-404.

Gefen, Alexandre, Territoires de la non fiction, Brill/Rodopi, collection « Chiasma », 2020.

Genette, Gérard, Fiction et diction, Paris, Éd. Du Seuil, 1991.

Genette, Gérard, L’œuvre de l’art 1. Immanence et transcendance, Paris, Seuil, 1994.

Genette, Gérard, L’œuvre de l’art 2. La relation esthétique, Paris, Seuil, 1997.

Hamburger, Käte, La logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986.

Jakobson, Roman, « La dominante », Questions de poétique, Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 145-151. 

Lavocat, Françoise, Fait et fiction, Paris, Seuil, 2016.

Letourneux, Mathieu, Fictions à la chaîne. Littérature sérielle et culture médiatique, Paris, Le Seuil, 20217.

Louis, Annick, « Les récits transfrontaliers. Entre fiction et non fiction », Poétique 195/2024, 3-19.

Louis, Annick, « Definiendo un género. La Antología de la literatura fantástica de Silvina Ocampo, Adolfo Bioy Casares y Jorge Luis Borges », Nueva Revista de Filología Hispánica, tome 49, n. 2, décembre 2001, p. 409-437.

Louis, Annick, « Du Rôle de la délimitation du corpus dans la théorie littéraire. À propos de l'Introduction à la littérature fantastique de Tzvetan Todorov et de la critique littéraire hispano-américaine », in : Carine Durand et Sandra Raguenet (dirs.), Entre critique et théorie. L’Amérique Latine : un autre regard sur la littérature, Classiques Garnier/Perspectives comparatistes, 2015, p. 113-128.

Louis, Annick, « Sin pacto previo explícito. El caso de la autoficción », in: Vera Toro, Sabine Schlickers, Ana Luengo (dirs.), La obsesión del yo: la auto(r)ficción en la literatura española y latinoamericana, Madrid/Frankfurt, Iberoamericana/Vervuert, 2010, p. 73-96.

Macé, Marielle, « Genres », Fabula, Atelier, https://www.fabula.org/ressources/atelier/?Genres

Moura, Jean-Marc, La totalité littéraire. Théories et enjeux de la littérature mondiale, Paris, PUF, 2023.

Ramallo, Carolina, “Autorrepresentación de escritores-investigadores: dos casos de crónicas periodísticas argentinas entre la ficción y la no ficción en el comienzo del siglo XXI”, Cuadernos LIRICO [Online], 26 | 2024, Online since 20 February 2024. URL: http://journals.openedition.org/lirico/15780; DOI: https://doi.org/10.4000/lirico.15780

Ramos-Izquierdo, Eduardo y Sofía Mateos Gómez (eds.) (2019). Las formas plurales de la genericidad literaria (2019). Colloquia, 7.

Samoyault, Tiphaine, Littérature et mémoire du présent, Nantes, Pleins feux, 2001.

Samoyault, Tiphaine, Traduction et violence, Paris, Seuil, 2020.

Schaeffer, Jean-Marie, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ? Paris, Seuil, 1989.

Schaeffer, Jean-Marie, « Genre », in Ducrot, Oswald/Schaeffer, Jean-Marie : Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995.

Schaeffer, Jean-Marie, Les troubles du récit. Pour une nouvelle approche des processus narratifs, Paris, Editions Thierry Marchaisse, 2020.

Steimberg, Oscar, Semióticas: las semióticas de los géneros, de los estilos, de la transposición, Buenos Aires, Eterna Cadencia, 2013.

Topuzian, Marcelo, « El fin de la literatura. Un ejercicio de literatura comparada », 

 Castilla. Estudios de Literatura, 4 (2013), p. 298-349.

Topuzian, Marcelo, Muerte y resurrección del autor (1963-2005), Santa Fe, Universidad del Litoral, 2014.

Œuvres de Rodrigo Rey Rosa:

Cárcel de árboles, Guatemala, Editorial Cultura, 1991 ; Barcelona, Seix Barral, 1992. En français : Le projet, Paris, Gallimard, 1999.

[1998].

El material humano, Barcelona, Anagrama, 2009. En français: Le matériau humain, Paris, Gallimard, 2016.

Manuscrito hallado en la calle Sócrates, Barcelona, Lumen/narrativa, 2021.

Metempsicosis, Madrid, Alfaguara, 2024.

Œuvres de Edgardo Scott:

Caminantes, Buenos Aires, Ediciones Godot, 2019. En français: Du flâneur au vagabond, Riveneuve, 2024.
El exceso [2012], Buenos Aires, Emecé, 2023.
Escritor profesional, Buenos Aires, Ediciones Godot, 2023.

Oeuvres de Matthieu Simonet:

Les carnets blancs, Paris, Seuil, 2010.
Barbe rose, Seuil, 2016.
Anne-Sarah K, Paris, Seuil, 2019.
La fin des nuages, Paris, Julliard, 2023.