Édition
Nouvelle parution
Barney Natalie Clifford, Lettre à une connue

Barney Natalie Clifford, Lettre à une connue

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne

Préface de Francesco Rapazzin

En 1899, Liane de Pougy et Natalie Barney entretiennent une relation qui engendrera du côté de Liane son célèbre roman Idylle saphique et du côté de Natalie ce texte qui jusqu'à présent dormait dans les secrets d’archives publiques et privées. La passion interroge : peut-on aimer une courtisane ? Chacune apportera sa réponse.

Dans ce roman à clefs se retrouve le monde élégant de Paris, le même qui se donnait rendez-vous l’été à Dinard – la famille Barney y louait une belle villa. On y croise le demi-monde, Liane bien évidemment, mais aussi deux autres horizontales de grande renommée, Émilienne d’Alençon et Valtesse de la Bigne… Sans fard ou fausses pudeurs, ce roman ne put être publié après sa rédaction tant il choquait les mœurs de l'époque. En outre, il annonce des thèmes qui occupent les débats contemporains : la métamorphose des sexes, la construction d'une identité spécifique, l'autonomie féminine, l'absence souhaitée des hommes… Son actualité est saisissante.

Natalie Clifford Barney (1876-1972) est une femme de lettres américaine connue pour ses poésies, ses mémoires et ses essais écrits presque tous directement en français. Les Éditions Bartillat ont déjà publié en 2022, L’Adultère ingénue, un roman qui était resté inédit.

Auteur de romans et d’essais, Francesco Rapazzini a publié plusieurs livres consacrés à la célèbre Amazone.

On peut lire sur en attendant-nadeau un billet sur cette édition :

"L’Américaine Natalie Clifford Barney est entrée dans l’histoire littéraire sous le surnom de « l’Amazone ». C’était encore la réduire à un archétype fantasmatique forgé par le regard masculin. Si elle est redécouverte aujourd’hui comme d’autres autrices lesbiennes, c’est surtout en tant qu’épistolière – ses liaisons amoureuses avec Renée Vivien ou Élisabeth de Gramont ont donné lieu à la publication d’importantes correspondances. Elle fut également une salonnière de premier plan, accueillant chez elle les plus grands auteurs et autrices de son temps : Max Jacob, Jean Cassou, Colette, James Joyce, O. V. de Lubicz-Milosz, Rainer Maria Rilke ou encore Adrienne Monnier, Sylvia Beach et Gertrude Stein. Toutefois, son œuvre littéraire ne jouit pas encore du même lustre que celle d’autres écrivaines lesbiennes.

Éclectique, elle est faite de brillants recueils d’aphorismes mais également de romans autobiographiques. Lettres à une connue, qui dormait jusqu’à aujourd’hui dans le fonds de la bibliothèque Jacques Doucet, est inspiré par sa liaison avec Liane de Pougy. Il fait ainsi pendant au roman Idylle saphique que la célèbre courtisane donna au lendemain de leur rupture. Roman à clefs, roman de mœurs, et roman (demi-)mondain : il est tout cela à la fois, et davantage encore. Car c’est aussi un bel exemple de roman moderniste mêlant la prose et le vers. Tantôt elliptique, tantôt disert, le lyrisme amoureux s’y déploie en évocations sensuelles (voire sexuelles) d’une liberté de ton remarquable. 

Comment expliquer alors la méconnaissance dans laquelle l’œuvre de Natalie Barney est tenue, sinon par son caractère lesbien ? Car elle appartient bien à cette littérature écrite « à l’encre violette », longtemps occultée et à laquelle un collectif de jeunes chercheuses et chercheurs a récemment consacré un ouvrage important (Écrire à l’encre violette. Littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours, Le Cavalier bleu, 2022). Si on ne saurait réduire son œuvre au lesbianisme, c’est par lui et grâce à lui que Natalie Barney bouleverse les cadres narratifs normatifs. En cela, elle appartient pleinement à la littérature et contribue à en élargir le cadre, à en redéfinir les frontières. 

Jouant de la métamorphose des sexes, revendiquant ouvertement une identité lesbienne affranchie de la domination des hommes, elle ne cesse de remettre en cause les représentations romanesques dominantes – masculines et hétérosexuelles : « Sir Jugh est parti hier. Il est venu me faire ses adieux avant le bal et m’a demandé de l’épouser. Comment pouvais-je articuler autre chose qu’un : « Cela me fait horreur ! » devant son regard avide et charnel me disant : « Je te veux, je te veux tout à moi afin de te briser, afin de te faire ma chose, ma femme. Tu porteras mon anneau, mon empreinte, mon nom. Tu seras mon esclave, la mère de mes enfants. Je serai ton mari, ton maître. » Voilà le résumé de leurs genoux fléchis et de leurs « Je t’aime ». C’est ainsi que mon père a dû séduire ma mère. » Un roman lesbien sensible, politique et volontiers polémique" — Alexis Buffet