Le corps pop
23 & 24 mars 2018
Université de Haute-Alsace, Mulhouse
En partenariat avec l’Université de Reims-Champagne-Ardenne
« Le plus bel objet de consommation : le corps » écrivait Jean Baudrillard en 1970 dans un article qui, devenu célèbre, examinait de près les mythes et structures de la société de consommation. Le corps est même, en quelque sorte, en passe de devenir un objet de consommation intellectuelle. En effet, depuis, une dizaine d’années, les nouvelles humanités (ces fameuses Greater Humanities dont James Clifford a tracé les grandes lignes à Stanford au printemps 2010) se restructurent autour des études culturelles et de leurs diverses déclinaisons : performance studies, ethnic studies, gender studies, critical studies, voire body studies, pour reprendre l’expression forgée par Margo DeMello1. Pour toutes ces disciplines à la fois anti-disciplinaires et trans-disciplinaires2, le corps constitue un objet d’étude privilégié, un observatoire idéal de nos fictions et de nos sociétés, en termes d’identités et de relations. Nul étonnement à cela : les travaux de Michel Foucault mettaient déjà en évidence la façon dont les discours idéologiques et politiques modernes ne sont jamais qu’une technique institutionnelle d’assujettissement du corps – ce corps qui joue un rôle essentiel dans la transmission des normes et des valeurs institutionnelles.
Les Méditations pascaliennes de Bourdieu cette fois le montraient également : « l’ordre social s’inscrit dans les corps ». C’est la raison pour laquelle il apparaît passionnant, dans la perspective d’une anthropologie culturelle, de s’intéresser aux représentations de cette corporéité qui s’inscrit à la croisée des identités individuelle et collective. Lors des deux journées d’étude qui auront lieu au mois de mars 2018 à l’université de Mulhouse-Haute-Alsace, on s’attachera ainsi, par exemple, à l’étude des rapports du corps aux institutions, aux conséquences des différentes vagues féministes dans la conception du corps comme haut lieu de la différence des rôles sexuels. Mais on pourra aussi, bien sûr, examiner la manière dont les représentations du corps sont aujourd’hui nourries d’une nouvelle éthique de la relation à soi. Aussi est-ce l’ensemble des figurations de la corporéité qui pourront être abordées : corps biologique, corps pratique du jeu social, corps métaphorique. Il sera loisible, de ce point de vue, de s’attacher à la composition des conceptions sexuées de la beauté et de la laideur, à la représentation de la douleur, de la satisfaction, du vieillissement, de la mort ou de la sexualité, mais également aux façons de vêtir le corps, aux manières de le tenir et de l’entretenir, à la symbolique des gestes, aux mises en scènes de soi, et aux sentiments, émotions et sensations corporelles (aisance, gêne, fierté, anxiétés, dégoût, bien-être, mal-être...). On pourra également se demander comment les fictions traitent des rythmes de vie post- et hypermodernes.
Dans le sillage des travaux de Robert Muchembled, de Matthieu Lecoutre, de Paul Freedman, ou de John C. Burnham3, on pourra étudier la manière dont cultures populaires et culture de masse évoquent les « plaisirs du lit et de la table » (Jean-Louis Flandrin). Bien entendu, cette étude pourra être diachronique et chercher à saisir comment, d’une décennie à une autre, depuis l’émergence de la société de consommation au mitan du XIXe siècle, on apprend à dire et à lire le corps ; ce qui ne laisse pas de dépendre des conceptions morales, esthétiques et sexuelles promues par nos sociétés d’abondance. C’est à la pudeur et à l’impudeur, mais aussi à la violence qu’il conviendra alors de s’attacher pour cerner la place du corps dans l’identité individuelle – elle-même multiple : administrative, professionnelle, sexuelle, sociale... Ainsi, il s’agira peut-être moins de définir le corps de l’individu comme une unité que de restituer les flux de relations qui le composent ainsi qu’y invitait Deleuze. Enfin, on cherchera à comprendre les manières dont l’individu peut aujourd’hui mettre en scène son corps et, pour ce faire, on s’intéressera aux détours de ces langages sociaux que composent le maintien ou l’apparence esthétique (coiffure, maquillage, sveltesse), aux conformations physiques (force, grandeur, petitesse – « why is it that everything little is so cute? ») et, surtout, à leurs significations sociales de virilité, de féminité ou de charme.
Toutes ces questions, on se les posera dans l’ensemble de la pop culture, plurielle, alternative et mainstream, commerciale et engagée, standardisée et subversive : littérature de grande diffusion (bandes dessinées, romans graphiques, romans de jeunesse, young adult fictions), cinéma de divertissement ou d’exploitation, séries télévisées, variety et reality shows, photographies, jeux vidéos, pop music, arts numériques, produits de consommation courante. On pourra aussi s’intéresser au body building, aux fictions fondées sur l’ingénierie génétique (The Island), à la mode du tatouage, du piercing ou de la chirurgie esthétique. Ou encore aux expériences psychotropes, à la pornographie (teledildonics), aux représentations du monstre (du corps zombie au corps augmenté), voire aux discours néo-hygiénistes (vogue du bio ou du vegan). En définitive, il s’agira de montrer comment et pourquoi le corps est devenu un mythe, au sens où l’entendait Roland Barthes : fabriqué par les médias et la publicité, il fait passer pour naturel ce qui est en réalité culturel, changeant ainsi des signes historiquement déterminés en vérité prétendument éternelle.
Les propositions (titre, une présentation d’une dizaine de lignes ainsi qu’une courte notice biographique) sont à envoyer avant le 8 janvier 2018 à Sébastien Hubier (sebastien.hubier@univ-reims.fr) et Frédérique Toudoire-Surlapierre (frederique.toudoire@free.fr).
1 Margo DeMello, Body Studies, Londres & New York, Routledge, 2014.
2 Adriana Gorga & Jean-Philippe Leresche [éd.], Disciplines académiques en transformation. Entre innovation et résistance, Paris, Archives Contemporaines, 2015.
3 Robert Muchembled, L’Orgasme et l’Occident. Une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, 2005), Matthieu Lecoutre Le Goût de l’ivresse. Boire en France depuis le Moyen âge Ve-XXIe siècle, Paris, Belin, 2017), Paul Freedman [éd.], Food: The History of Taste, Berkeley, University of California Press, 2007) ou John C. Burnham, Bad Habits, New York, NY University Press, 1992.