Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta Approcher la fiction par la métaphore https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19391 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19391/Soccavo.jpg" width="100px" />Chercheur indépendant en littérature rattaché à l’Institut Charles Cros, Lorenzo Soccavo s’est intéressé aux nouvelles pratiques de lecture et au livre numérique1. Il publie avec Terres de fiction un essai atypique et audacieux dans sa forme et ses ambitions, conformément à la ligne de la maison Bozon2x. Promettant de « passer de l’autre côté du miroir2 », traversée qu’il rapproche du concept, employé en théorie de la fiction, de métalepse3, l’auteur propose des expériences de pensée philosophiques sur les seuils entre fiction et réalité. Son point d’attention est la fiction littéraire, mais le propos se positionne généralement dans l’absolu et non dans l’examen de textes spécifiques. La méthode s’appuie sur l’heuristique des métaphores et des hypothèses, partant d’un oubli volontaire des « définitions courantes », car nous serions « formatés par un élevage normatif en batteries dès l’école maternelle » (p. 28). Cette pensée anticonformiste s’affirme comme antirationaliste, ce qui entraîne certaines pétitions de principe, mais sans positionnement philosophique ou idéologique clair. Il faut donc considérer l’ouvrage comme un essai poétique de réflexion subjective sur la lecture de la fiction, qui la représente comme l’exploration d’un espace, sans véritable élément de validation scientifique. Outre l’approche quasi mystique de la fiction, il y manque d’abord une bibliographie normée4, un recul sur la méthode, une mise en perspective historique et une argumentation rigoureuse. L’essai se compose de quatorze chapitres, un prologue et un épilogue. La pensée rebondit souvent en coq-à-l’âne, et la structure globale comporte quelques redites. Quel est le mode d’être des espaces fictionnels ? Le point de départ de la démarche de Lorenzo Soccavo est un scepticisme, voire une défiance envers le langage, accusé de limiter nos perspectives5. Omettant de définir précisément ce qu’il entend par « fiction », l’auteur pose une équivalence entre deux processus difficilement superposables, au moins sans explication préalable : l’opération par laquelle le référent mondain devient signe linguistique (la sémiotisation) d’une part, la pulsion fictionnelle de l’espèce humaine d’autre part. L’auteur promeut une déconstruction de nos pratiques habituelles de lecture, qui consisteraient à simplement « envahir » (p. 8) les terres de fiction6. Nous lecteurs pourrions accéder autrement à ces espaces fictionnels. Il suffirait pour cela de nous défaire des chaînes du langage. L’hypothès Thu, 13 Mar 2025 09:48:43 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19391 acta La conjuration charlienne : tentative d’hantologie https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19408 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19408/Capture d’écran 2025-03-15 110010.jpg" width="100px" />Un spectre hante Fabula : le spectre du charlisme. En effet, depuis le début des années 2000 et à un rythme soutenu — bien qu’en nette régression ces derniers temps —, une petite conjuration de critiques publie activement dans les pages de la revue (Fabula LhT) ou dans celles des autres ressources numériques de l’association, et place les réflexions ainsi avancées dans le sillage explicite du discret directeur de Poétique — j’ai nommé : Michel Charles. Marc Escola, Sophie Rabau et Christine Noille en sont les éminents représentants même si, dans l’ombre, les armées grandissent1… Au milieu de cette conjuration, peu portée sur l’offensive dans le champ théorique et dont l’ouverture d’esprit garantit généralement une certaine bienveillance envers l’ensemble des collègues de la discipline, officie néanmoins un membre plus agonistique et moins connu des lecteurs et lectrices de Fabula (et plus généralement des chercheurs et chercheuses en littérature). Ce conspirateur charlien, qui pratique son rituel spéculatif hors des chaires de l’université et dans l’ombre de toute tentation médiatique, se nomme Andrei Minzetanu, et c’est de son troisième livre2 que j’aimerais parler aujourd’hui. Mais avant de dire quelques mots du Courage de lire publié en 2022 par les excellentes éditions Furor, puis d’en présenter les éléments qui m’ont paru fondamentaux, j’aimerais préciser rapidement cette métaphore que je file autour des fantômes et autres Geister, et dont on comprendra la portée surtout à la fin de mon analyse. Après avoir lu l’ouvrage de Minzetanu et m’être convaincu de la nécessité d’en rendre compte ici même, j’ai été confronté à une difficulté particulière : un ouvrage aussi cohérent ne peut être envisagé de l’extérieur. En effet, lorsqu’on s’attache à évaluer la pertinence, la fertilité et les limites d’un système, tout argument provenant du dehors est mal venu ; non pas que cet argument soit nécessairement faux, mais il déplace notre évaluation depuis la logique interne du système vers une opposition plus générale des valeurs, soit une axiologie. Il m’a donc semblé que la seule bonne manière d’étudier et d’évaluer Le Courage de lire était de partir de sa propre cohérence interne, de sa propre méthode. Parmi les étapes de sa « rhétorique spéculative », l’auteur réserve une place à ce qu’il nomme, à la suite de Charles, des « énoncés fantômes », c’est-à-dire « tous ces possibles abandonnés » qui « continuent de hanter la lecture » (p. 80). Il y a donc toujours, a Thu, 13 Mar 2025 10:08:46 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19408 acta Les livres prennent-ils soin de nous ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19434 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19434/Detambel.jpg" width="100px" />Succédant à la pragmatique de la lecture1, la thérapie par les livres ou bibliothérapie aborde les conséquences psychologiques et thérapeutiques de la lecture. Depuis plusieurs années émergent des ouvrages sur la bibliothérapie, plus ou moins partisans de cette pratique : Marc-Alain Ouaknin, spécialiste du Talmud et de la Bible, aborde la bibliothérapie selon une approche spiritualiste, Isabelle Blondiaux selon une perspective historique tandis que Christilla Pellé-Douël s’inscrit pleinement dans les livres de développement personnel2. Mais de quoi la « bibliothérapie » est-elle le nom ? Si l’on se réfère au livre précédent de Régine Detambel3, également publié chez Actes Sud, on apprend que la « bibliothérapie » a été inventée dans un hôpital de l’Alabama au xxe siècle par Sadie Peterson Delaney pour venir en aide aux mutilés et blessés de la Première Guerre mondiale. Cette pratique a ensuite influencé la « poetry therapy » aux États-Unis et la « poético-thérapie » en France, initiée par la psychothérapeute Lucie Guillet en 1946. La bibliothérapie est donc multiforme et multiculturelle. Dans un ouvrage collectif récent consacré à la question, Bernadette Billa nous aide à nous orienter dans cette jungle touffue : Malgré une pratique professionnelle encore disparate, nous pouvons distinguer deux grandes écoles : d’une part la bibliothérapie créative ou « biblio-créativité », un concept créé en France par Régine Detambel et qui se retrouve dans les pays anglophones sous le terme d’Interactive bibliotherapy ainsi que dans les pays germanophones, et d’autre part la bibliothérapie prescriptive, ancrée depuis longtemps dans les pays anglo-saxons. Dans cette deuxième catégorie, nous faisons le choix de distinguer la bibliothérapie informative de la bibliographie prescriptrice de « remèdes littéraires », englobant tous types de livres4. Dans son essai Lire pour relier, Régine Detambel s’inscrit dans les deux écoles à la fois : la première partie de son essai développe les bienfaits de la lecture (émotions nouvelles et vie augmentée) tout en renvoyant régulièrement son lecteur à des exercices d’écriture en fin d’ouvrage (biblio-créativité) ; la seconde partie évoque davantage la lecture pour autrui (une « bibliothérapie prescriptive » donc) et la mise en place d’un collectif de lecture à voix haute, « Lire & Relier », qui a œuvré lors du confinement auprès de pensionnaires d’hôpitaux ou d’EHPAD. Au moment de présenter ce collectif et son action, la bibliothérapeute Thu, 13 Mar 2025 17:07:55 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19434 acta Reflets d’une lecture https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19462 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19462/bénévent.jpg" width="100px" />Miroirs d’encre est une très belle lecture, stimulante et éclairante sur la place du livre dans les sciences humaines depuis la fin du xxe siècle. Plusieurs comptes rendus ont déjà été rédigés sur cet ouvrage paru en 20221, et si je juge utile d’en proposer un nouveau, c’est d’une part pour rendre hommage à ce texte, en multipliant des traces de lectures sinon bien volatiles2, d’autre part car il me semble particulièrement nécessaire de faire écho à cet ouvrage dans un dossier critique sur la lecture. Christine Bénévent est historienne du livre et spécialiste de la littérature de la Renaissance ; elle enseigne depuis 2015 à l’école nationale des Chartes. Son ouvrage, tiré de son autobiographie intellectuelle pour son habilitation à diriger des recherches, est publié aux Éditions de l’EHESS dans la collection « Apartés »3, collection dans laquelle on trouve d’autres belles lectures sur les enjeux de la transmission, avec toujours la proposition d’une approche résolument personnelle d’historien.ne. Très bien édité et vendu à un tarif raisonnable (autour des 14 euros), l’ouvrage est agréable à lire — remarque qui peut sembler triviale, mais qui, dans des perspectives d’histoire du livre, nourrit la pensée selon laquelle fond et forme gagnent à être harmonieusement reliés4. Afin de rendre compte de ma lecture, j’ai d’abord rassemblé quelques informations contextuelles sur l’entreprise d’écriture qui a présidé à cet ouvrage et qui explique l’intrication entre introspection et compendium scientifique. J’ai ensuite concentré mon attention sur le thème de la lecture qui, sans être le seul traité, occupe une part importante des réflexions de l’autrice. Un autoportrait de chercheuse ? Miroir d’encre présente l’itinéraire d’une chercheuse, aussi bien sur le plan professionnel que personnel. De ce point de vue, l’objet-livre est un artefact propice à servir de passerelle. Christine Bénévent partage donc aussi bien des lectures savantes que des lectures de plaisir, occasion de montrer leur réversibilité : les lectures savantes peuvent susciter du plaisir (ou, au contraire, parfois l’atrophier) et les lectures de plaisir peuvent faire émerger des réflexions savantes, soit un miroir d’encre parmi d’autres. Si dans ce compte rendu, je m’attache surtout à synthétiser la pensée de Christine Bénévent sur le livre et la lecture, et non à traquer et relever toutes les informations personnelles dévoilées dans le texte (rassurons d’entrée l’autrice), je tiens néanmoins à soulign Fri, 14 Mar 2025 10:32:02 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19462 acta Voyage au centre du codex https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19347 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19347/Capture d’écran 2025-03-13 085406.jpg" width="100px" />Le livre de Sylvie Lefèvre fait partie de ces beaux livres à la couverture cartonnée, aux feuilles épaisses et aux images que l’on ne se lasse pas de regarder. Il s’ouvre sur une introduction intitulée « Tourner la page » et un schéma de l’anatomie du codex emprunté au Vocabulaire codicologique de Denis Muzerelle, bien connu des médiévistes dont fait partie l’autrice1 ; on y voit la tête du codex, son dos, sa queue… autant de précisions sur l’objet-livre qui placent résolument la réflexion dans la tradition du material turn où il s’agit, depuis les années 1990, de reconsidérer les objets d’étude des sciences humaines — et notamment le livre — dans leur matérialité. Mais plutôt qu’une « étude trop sérieuse » qui suivrait un plan historique, il est proposé une « promenade dans les livres » (p. 12) guidée par l’espace même du codex, « de son ouverture à son centre, des lieux périphériques jusqu’à son cœur » (p. 13) ; comme l’indique le titre, il s’agit de montrer la « magie » de ce corps physique avec lequel le lecteur interagit au quotidien, en oubliant le charme qui opère. Car loin d’être une évidence, le livre est un émerveillement, une chose étonnante, que l’autrice nous fait redécouvrir au fil de ses propres pages. La démarche s’inscrit dans la continuité des travaux sur les manuscrits médiévaux de Sylvie Lefèvre, éditrice de textes et spécialiste de littérature française du Moyen Âge intéressée par les questions de matérialité2. De l’histoire du livre : volumen, tabulae, codex, écran Si La Magie du codex se présente comme une promenade, Sylvie Lefèvre en fait une déambulation savante. Discrètes en fin d’ouvrage, les notes font référence aux classiques de la médiévistique française — Mise en page et mise en texte du livre manuscrit (1990), La Couleur de la mélancolie : la fréquentation des livres au xive siècle, 1300-1415 (1993) de Jacqueline Cerquiglini-Toulet, La naissance du livre moderne : xive – xviie siècles (2000), ainsi qu’aux travaux du chercheur américain Jeffrey Hamburger et aux catalogues de manuscrits à peintures français, flamands et italiens3. Cette bibliographie met en avant une histoire du livre connue où le volumen laisse peu à peu place au codex, lequel conserve encore longtemps les colonnes (appelées paginae) qui organisaient le rouleau (p. 38-39). Cette transition douce fait écho à une autre cohabitation, celle du codex et des tablettes sur lesquelles pouvaient s’entraîner les écoliers, et les écrivains jeter leurs versions primitive Thu, 13 Mar 2025 08:48:21 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19347 acta On the road again https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19378 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19378/Image7.jpg" width="100px" />« Nous sommes en 1924 » : les premiers mots de Sur les lieux, dont le titre promettait plutôt une invitation au(x) voyage(s), suggèrent un déplacement dans le temps, en nous ramenant un siècle en arrière. Le paradoxe n’est qu’apparent, puisqu’il y sera principalement question de pèlerinages littéraires, mêlant inextricablement les lieux aux souvenirs qui continuent à les habiter, parfois longtemps après qu’ils ont été vécus (quand ils ont été authentiquement vécus). En l’occurrence, l’année 1924 correspond à la conférence donnée par Albert Thibaudet sur « le liseur de romans ». Christophe Pradeau montre que le critique attribue le triomphe du genre romanesque à la réconciliation tardive de deux imaginaires médiévaux : le monde masculin des auberges, étapes sur les chemins de pèlerins, et le monde féminin, clos sur lui-même, de la chambre. Or, tandis que la poésie classique, pratiquant une infinité de variations sur les lieux communs, contribuait à entretenir une culture commune, le roman, plus récent et sans noblesse, ne multiplie les récits que pour en abandonner la plupart à l’oubli. Quelques décennies après Thibaudet, Auerbach, dans son célèbre article sur la littérature mondiale (1952)1, prolonge ces remarques en se demandant ce qui, en une époque de bouleversements historiques, pourra être préservé de la culture littéraire occidentale, et par quelles voies. À cette question, l’ouvrage de Christophe Pradeau répond (implicitement) de deux façons. D’une part, comme Auerbach le théorisait, il adopte un Ansatzpunkt, un point de vue qui forme, en même temps, un angle d’attaque : les pèlerinages littéraires fournissent ainsi une perspective pour circuler dans les littératures essentiellement européennes du xixe au xxie siècle. D’autre part, le sujet des pèlerinages illustre intrinsèquement le travail de la mémoire dans les textes, dans la mesure où ils racontent et inventent eux-mêmes des itinéraires de pèlerinage. Ruines et pèlerinages : périégèse de Christophe Pradeau L’ouvrage est organisé en huit chapitres, qui relatent des épisodes et des anecdotes liés à des pèlerinages littéraires et, progressivement, en font apparaître diverses modalités, diverses significations. La promenade débute à l’orée de l’époque moderne, aux confins des xviiie et xixe siècles, avec deux visites sur les ruines de Troie. L’une, rapportée très fugitivement par Saint-Simon, réunit Villiers et Mlle de Guilleragues, bientôt mariés sous le nom d’O, et sensibles au romanesque du site Thu, 13 Mar 2025 09:23:11 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19378 acta Lire autour du texte : comprendre et analyser les médiations de la lecture https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19353 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19353/Capture d’écran 2025-03-18 172606.jpg" width="100px" />À rebours d’une représentation de la lecture qualifiée dans l’ouvrage de « littéraire », qui consiste à penser la lecture comme un rapport immédiat, qu’un sujet sans corps et sans histoire ni situation sociale, entretient avec le texte, la monographie de Cécile Barth-Rabot se présente comme un ouvrage essentiel pour approcher la lecture comme une pratique, c’est-à-dire « un ensemble d’actions et de discours, eux-mêmes pris dans une temporalité, dans des contextes sociaux et des interactions » (p. 12). Le travail de Cécile Barth-Rabot vient donc nettement enrichir la recherche sociologique française d’affiliation bourdieusienne sur les pratiques de lecture, ouverte notamment par les travaux de Gérard Mauger, Claude Poliak, Bernard Lahire ou encore Christian Baudelot et Christine Détrez, et leurs émules. L’ensemble de ces travaux entend en effet se distancier d’une définition normative et institutionnelle de la lecture, qui est marquée par un rapport esthète au texte, centrée sur l’objet livre et sur une hiérarchie de légitimité entre les auteurs et les genres (p. 19-20). Il s’agit alors de mettre en exergue et d’interroger les normes et impensés « qui imprègnent les pratiques et les discours en matière de lecture » (p. 19), que Cécile Barth-Rabot attribue à l’institution scolaire et plus largement au champ littéraire. Il s’agit en particulier pour la chercheuse de tenter de « comprendre les logiques de cette pratique » (ibid.) qu’est la lecture à travers l’étude de ses « médiations », souvent oubliées dans la conception de la lecture littéraire, qui constituent « tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, s’intercale entre l’auteur (ou son geste créateur) et le lecteur (et sa réception des textes) » (p. 14). Les manifestations de ces médiations correspondent à « l’ensemble des mécanismes et processus qui, au-delà des acteurs et de leurs intentions, participent de facto à déterminer les perceptions (et donc les “consommations” et les “réceptions”) » (p. 15). Le travail de Cécile Barth-Rabot est donc ambitieux, puisqu’il entend souligner et explorer la diversité des médiations de la lecture, qu’elles soient symboliques, matérielles ou institutionnelles. L’ouvrage se présente en quatre parties. Il s’agit dans un premier temps d’observer les valeurs entourant la lecture en France, et en particulier l’objet-livre, à travers l’analyse des discours et des politiques publiques qui ont contribué à faire de la lecture une « grande cause nationale ». Il s’agit ensuite Thu, 13 Mar 2025 09:05:21 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19353 acta Le « rayon spécial » du roman : la beauté romanesque comme souvenir https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19440 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19440/Capture d’écran 2025-03-18 195952.jpg" width="100px" />Isabelle Daunais affronte avec panache une question à la fois massive et soigneusement éludée par la théorie et la critique littéraires : ce qui fait la beauté du roman. Sa réponse nous emmène sur bien d’autres chemins que ceux d’un traité d’esthétique. Faisant remarquer que le roman n’est jamais appréhendé d’un coup d’œil, mais sur une longue durée, et qu’il est saisi de manière individuelle et non collective, Isabelle Daunais insiste sur la temporalité entrecoupée, le temps distendu de la découverte de l’œuvre romanesque. L’oubli peut s’y engouffrer d’emblée. La beauté du roman diffère de celle des œuvres qu’il est possible d’appréhender en totalité « in a single sitting », comme disait Poe1 : Isabelle Daunais l’appelle une « beauté de hiatus » (p. 42). Le roman a besoin que lectrices et lecteurs lui prêtent leur temps et leur mémoire, et c’est pourquoi sa beauté ne peut être envisagée qu’à travers la lecture. Telle est donc la perspective centrale de cet essai. Or la lecture du roman est tellement individuelle, voire intime, qu’elle ne saurait permettre d’établir un ensemble de critères systématiques (p. 12). Isabelle Daunais procède donc de manière inductive, en faisant émerger quelques points communs à l’expérience de la lecture, et qui réapparaissent chaque fois que nous avons le sentiment d’être face à la beauté romanesque. J’utilise le terme de « sentiment », que l’on peut juger vague, à dessein : le choix d’Isabelle Daunais, qui fait porter l’accent sur l’effet produit par le roman, est de définir la beauté comme « une force que nous éprouvons » (p. 8). Cette force, cependant, passe le plus souvent inaperçue, tant nos habitudes critiques nous conduisent à guetter et valoriser d’autres éléments. On pourrait ainsi supposer que la beauté du roman se ramène à la valeur de ses leçons, à la manière dont le sens se dégage d’un récit, ou encore tiendrait à telle ou telle scène — « ces arrêts sur image, ces cristallisations » ou encore ces « scintillements » (p. 9), propose Isabelle Daunais, qui se détacheraient sur l’ensemble par l’opération sélective de la mémoire. Mais impossible de réduire la beauté du roman à ces moments de grâce, pas plus qu’on ne peut la réduire au style. Comme le fait remarquer Isabelle Daunais : « Un roman peut être beau comme roman même s’il est écrit dans une prose classique ou sobre, qu’on ne remarque pas particulièrement. » (p. 11) La question de l’écriture n’entre a priori pas en ligne de compte. Cela peut paraître d’autant p Thu, 13 Mar 2025 17:46:23 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19440 acta Penser et encadrer le « tournant éthique » https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19328 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19328/Image2.jpg" width="100px" />Au fondement de la démarche de Paolo Tortonese se trouve la volonté d’étudier le tournant épistémologique de la fin du xxe siècle, identifié par la théorie littéraire récente1, et qui consisterait en une modification de la démarche critique littéraire et des pratiques de lecture. D’un paradigme formaliste qui prend pour objet le texte et ses réseaux de signes, on aurait basculé dans les années 1980 à un paradigme plus subjectiviste que d’aucuns ont appelé l’ethical turn (ou « tournant éthique »)2, et qui correspond en fait à une prise en considération, dans la démarche critique, de la composante affective et morale de la lecture. L’herméneutique à prétention objective des critiques adeptes d’une séparation nette du jugement esthétique par rapport aux autres catégories du jugement (moral et cognitif, notamment) aurait cédé la place, assez brusquement, à une herméneutique qui s’appuie au contraire sur l’interpénétration des différents types de jugement dans l’expérience du lecteur. Or, tout en donnant du crédit à ce constat qui recoupe ses propres expériences d’enseignement ainsi que la réalité des publications et des débats et polémiques littéraires récents3, Paolo Tortonese se donne pour tâche de mettre en perspective ce tournant éthique, dans la mesure où il méconnaîtrait doublement la réalité des pratiques de lecture à toutes les époques (« les lecteurs n’ont jamais cessé de s’émouvoir sur les vicissitudes des personnages […] ni d’en juger les actes » p. 250), et la variété des démarches critiques au xxe siècle, y compris à l’époque du structuralisme et de la condamnation des lectures impliquées comme lectures naïves. Il se propose, à partir de là, d’explorer les principes de ce qu’on a appelé le « tournant éthique », tout en relativisant le statut de rupture épistémologique qu’on lui attribue par la prise en compte de certains antécédents théoriques. Dans une deuxième partie, il fait une étude comparée de l’Ethique à Nicomaque, de l’Ethique à Eudème, et de la Poétique d’Aristote, pour montrer qu’on trouve déjà dans les textes fondateurs de la philosophie et de la théorie littéraire occidentales « un cadre d’interprétation des récits par les données morales » (p. 238). Il met enfin en application, sur des textes empruntés à son corpus de prédilection (le xixe siècle), la méthode médiane qui consiste à prendre en compte le jugement moral dans la démarche critique, mais en le relativisant « pour en faire l’objet d’une connaissance la plus rigoureuse possib Wed, 12 Mar 2025 16:33:31 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19328 acta Portrait de l’autrice en lecteur https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19385 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19385/zeniter.jpg" width="100px" />Alice Zeniter a été un homme pendant une bonne part de sa vie. Comme toutes les petites filles puis les adolescentes qui s’adonnent à la passion de lire. Telle est la découverte que l’autrice de L’Art de perdre (Prix Goncourt des Lycéens 2017) a été amenée à faire au terme du « premier confinement », où, comme tant d’autres, elle a voulu méditer sur son rapport aux livres et à la lecture1. L’état de confinement a d’abord ramené la romancière, comme tout un chacun, au statut de mineur — comment nommer autrement ceux et celles dont les sorties étaient soumises à autorisation, dûment minutées, et les journées suspendues « à des lèvres qui annonçaient ce qui viendrait ensuite » ? La période l’a rappelée aussi bien à ces états d’enfance où elle « cherch[ait] avec avidité dans la fiction des histoires qui seraient l’antithèse de son expérience » et de son quotidien. Au printemps 2020, la quête n’était pourtant plus la même qu’au temps de l’enfance : la lectrice ne demandait plus au pays de la fiction d’être « radicalement étranger à la réalité et que, dans ce pays-là, on sache quel est l’avenir des choses ou des êtres » ; elle espérait a contrario « trouver des fictions qui répondent à [s]on état impuissant et suspendu, à l’incompréhension de l’événement, au morcellement des causes et des temporalités, à [s]on/notre impossibilité de prévoir les conséquences » (p. 12). Les neuf essais rassemblés dans Toute une moitié du monde, qui prolongent chacun à leur façon Je suis une fille sans histoires (L’Arche, 2021) — un monologue qu’Alice Zeniter joue seule en scène depuis 2020 et dans lequel elle interroge la place des femmes dans la littérature —, viennent méditer ce qu’a de paradoxal la demande que tout lecteur adresse aux fictions : « Je veux à la fois que la fiction m’arrache au monde et qu’elle m’éduque sur lui » (p. 13). Si Montaigne n’y est jamais cité, chacun d’eux retient quelque chose de la leçon des Essais, en livrant un autoportrait de l’autrice en lecteur. « Toute une littérature à laquelle il manque une moitié du monde » L’essai qui donne son titre au volume emprunte à Tristan Garcia une formule avancée dans un entretien avec Richard Gaitet pour Bookmakers sur Arte Radio2 : « c’est toute une littérature à laquelle il manque une moitié du monde ». Cette moitié qui manque, c’est celle qui ferait aux femmes la place qui leur est refusée par le canon littéraire — toute une moitié, « ça fait quand même beaucoup », souligne Alice Zeniter. En revenant sur deux Thu, 13 Mar 2025 09:39:05 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19385 acta Essai de francophonie translingue https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19305 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19305/Couv_Balsi_Cosker.jpg" width="100px" />Au début, il n’y avait qu’une seule langue. Les objets, les choses, les sentiments, les couleurs, les rêves, les lettres, les livres, les journaux étaient dans cette langue. Je ne pouvais pas imaginer qu’une autre langue puisse exister, qu’un être humain puisse prononcer un mot que je ne comprendrais pas1. Sara De Balsi est agrégée d’italien et chercheuse associée à l’UMR « Héritages : Cultures/s, Patrimoine/s, Création/s » de l’Université de Cergy. Docteure en littérature française et comparée, elle est l’autrice d’une thèse de doctorat entreprise sous la direction de Violaine Houdart-Merot et soutenue en 2017 sous le titre « La Francophonie translingue à l’épreuve d’Agosta Kristof ». Le cœur de son travail de recherche consiste donc à affiner le concept de francophonie translingue et de le mettre à l’épreuve de différents corpora. Commençons par voir comment l’essayiste définit le concept complexe qui est, pour elle, central : Je propose d’appeler francophonie translingue l’ensemble des œuvres d’écrivains pour lesquels le français est une langue seconde appris tardivement et par une démarche individuelle, en l’absence d’une communauté linguistique d’origine partiellement ou totalement francophone. (p. 13) Cette première définition se comprend comme une approche minimale qui s’enrichit au fur et à mesure du raisonnement. Le concept permet la définition d’un corpus d’écrivains autodidactes dans leur acquisition du français à l’écart de toute communauté francophone. Le translinguisme se comprend également comme l’acquisition dite tardive du français comme langue seconde. Ce concept ouvre des perspectives qui intéressent la francophonie. Du point de vue du genre, l’auteur remarque que ce passage d’une langue à une autre est souvent thématisé dans des œuvres à caractère autobiographique dans lesquelles l’auteur revient sur sa trajectoire erratique. D’un point de vue théorique, les œuvres translingues s’opposent aux concepts de monologuisme et de nationalisme. Elles sont souvent traversées par les tensions suivantes : complicité versus rupture, proximité versus étranger et respect versus défiance. Comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique « Éléments pour une poétique », Sara De Balsi formule une proposition conceptuelle à éprouver, un nouveau concept permettant, à la façon du rapport entre texte et contexte en analyse du discours, de dépasser l’opposition entre lecture interne et lecture externe. Pour rendre compte de cet essai, nous proposons d’abord de préc Mon, 10 Mar 2025 16:53:41 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19305 acta Mourir de rire https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19294 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19294/couv_Danan.jpg" width="100px" />Disons-le d’emblée, le livre de Jean-Marc Lanteri, Le Rire des mortels, qui paraît en deux volumes aux Éditions Complicités, est un livre qui devrait faire date pour quiconque s’intéresse à la question du rire et du comique. Jean-Marc Lanteri est enseignant chercheur en Études théâtrales, auteur d’un essai important sur Koltès. Le Rire des mortels, n’est cependant pas un livre sur le théâtre, même s’il concerne aussi le théâtre. S’il fallait en définir brièvement le projet, on pourrait dire qu’il s’agit d’une tentative de généalogie du rire — le « propre de l’homme » en ce qu’il se sait mortel, comme on va le voir — dans une dimension anthropologique. Le retour à Bergson Le point d’origine de la réflexion de Jean-Marc Lanteri se situe dans le célèbre essai de Bergson, Le Rire, qui reste une référence, si ce n’est la référence majeure, pour lui comme pour la plupart des penseurs du rire. L’auteur pointe cependant un manque chez Bergson, qui constitue l’ouverture dans laquelle sa réflexion s’immisce et se développe. Ce manque, ou cet impensé, c’est la mort. Jean-Marc Lanteri montre, à travers une analyse approfondie de l’essai de Bergson, que celui-ci, en même temps qu’il l’entrevoit comme élément fondateur de la généalogie du rire, la refoule. C’est ce que signale la fameuse formule, « du mécanique plaqué sur le vivant », dont les six cents pages de l’essai constituent, d’une certaine manière, une glose. De cette formule, il montre à la fois les limites et, plus encore, les perspectives inouïes qu’elle ouvre dès lors qu’on en révèle ce qui secrètement la travaille : la mort à l’œuvre. Cet essai constitue ainsi un hommage à Bergson en même temps qu’un dépassement de son interprétation. Comme Jean-Marc Lanteri l’écrit : « tous les anti-bergsoniens sont bergsoniens, les uns le sachant quelque peu, les autres l’ignorant totalement, et ils œuvrent tous à ce vaste refoulement de la mort que l’on retrouve jusque chez Bergson, alors que tout est dit dans Le Rire, fût-ce entre les lignes, de la théorie fest-thanataire » (t. 1, p. 77). La « théorie fest-thanataire » La « théorie fest-thanataire » proposée par Jean-Marc Lanteri — « fest » pour festif, pour la joie socialisée et socialisante du rire —, c’est le dépassement de Thanatos et de « l’archéo-rire », ce rire primitif qui n’en est pas encore tout à fait un et qui surgit du spectacle incompréhensible de l’agonie et de ce qui en découle : la révélation théâtralisée, ou plutôt pré-théâtralisée, de notre finitude Mon, 10 Mar 2025 16:44:46 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19294 acta Alain Rox : s’écrire homosexuel dans le premier xxe siècle. Entretien avec Jean-Marc Barféty https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19308 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19308/Couv_Corrado_Barféty.jpg" width="100px" />Jean-Christophe Corrado — Jean-Marc Barféty, vous avez récemment édité aux éditions GKC — Question de genre Tu seras seul d’Alain Rox, un ouvrage paru pour la première fois en 1936 aux éditions Flammarion, qui se présente comme le récit de vie d’un homosexuel parisien dans le premier xxe siècle. Pour commencer, pourriez-vous nous resituer l’auteur, Alain Rox, de son vrai nom Marcel Rottembourg ? Jean-Marc Barféty — Marcel Rottembourg est né en 1889, il est originaire d’une famille juive qui venait de Lorraine. Son père était fabricant de bijoux, créateur d’une marque relativement connue qui s’appelait Mantoux et Rottembourg. Marcel était fils unique. Il a passé son enfance à Paris où il a été élève au collège Rollin (aujourd’hui lycée Jacques Decour), puis au lycée Condorcet. Il n’a pas poursuivi ses études au-delà, et n’a pas pris la suite de son père. Il a mené, entre 1919 et 1940, une vie où se sont succédées des professions diverses et variées, jusqu’à ce qu’en 1935 il se consacre au journalisme. C’est le métier qu’il a exercé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Sa fin de vie est assez triste : réfugié à Lyon, il a été arrêté quelques mois avant la libération de la ville, en avril 1944, et a été déporté à Auschwitz où il est probablement mort, mais il n’y a jamais eu d’officialisation de son décès. J.-C. C. — Tu seras seul était un livre perdu, jamais réédité jusque-là et ignoré des histoires littéraires. Comment l’avez-vous retrouvé parmi les milliers d’ouvrages des bibliothèques ? J.-M. B. — Précédemment, j’avais travaillé à la réédition d’un livre de Maurice Duplay, Adonis-Bar1, qui s’inspire de La Petite Chaumière, le premier cabaret de travestis de Paris, et j’ai fait une bibliographie de tous les auteurs qui dans les années 1920-1930 auraient pu parler de La Petite Chaumière. Je me suis appuyé sur différentes sources et il se trouve que dans le livre de Florence Tamagne — Histoire de l’homosexualité en Europe, Berlin, Londres, Paris, 1919-1939 (2000) — il y a une ligne sur Tu seras seul. C’est ainsi que j’ai découvert le livre de Rox, à la Bibliothèque Nationale, où je l’ai lu sur des microfiches. Je l’ai relu ensuite dans la deuxième bibliothèque en France qui le possède : la bibliothèque de la province dominicaine de France, qui est la bibliothèque du Saulchoir à Paris. J’ai pensé que le livre méritait d’être redécouvert. J’ai eu l’intuition que ce n’était pas un roman mais que les quelques détails glanés au cours de la lecture donneraient des Mon, 10 Mar 2025 16:57:03 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19308 acta Le dissensus, moteur de la création poétique ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19300 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19300/couv_Heiata.jpg" width="100px" />Dirigé conjointement par Lénaïg Cariou et Stéphane Cunescu, le volume collectif Contre la poésie, la poésie, sous-titré Du dissensus en poésie moderne et contemporaine, rassemble les actes du colloque du même nom, qui s’est tenu à Paris en juin 2021. Le volume est dédié à Martine Créac’h, directrice de thèse des deux organisateurs, dont on trouve, à la fin de l’ouvrage, une bibliographie. Il réunit des articles universitaires et des textes poétiques et essayistiques de Pierre Vinclair, de Jacques Demarcq, de Lisette Lombé, de Michèle Métail et de Laure Gauthier, invité·es à s’exprimer à la Maison de la poésie de Paris, dans la continuité du colloque1. Leurs contributions sont placées à la fin de chacune des cinq sections qui composent le volume, comme autant d’échos, de propositions alternatives ou de pas de côté par rapport aux textes académiques. Mises en perspective du cas français : fructueuses lignes de fuite On peut se réjouir qu’un ouvrage collectif paraisse sur l’épineuse question des contestations poétiques — ou du poétique — au sein même de la poésie, et qu’il intègre la parole des principaux concernés, celles et ceux qui produisent aujourd’hui de la poésie. Comment refuser, sinon la poésie, du moins une certaine image communément admise de celle-ci, tout en continuant à faire poésie ? Le problème a occupé bon nombre d’auteur·ices, surtout pendant la seconde partie du xxe siècle en France, et ira jusqu’à donner forme à un champ en apparence bipartite à la fin du siècle. Plutôt que de reconduire les typologies déjà établies depuis l’intérieur du champ littéraire français ces dernières décennies (post-poésie, repoésie, néopoésie…), ce qui reviendrait à prendre parti, Lénaïg Cariou et Stéphane Cunescu choisissent le concept englobant de dissensus. On peut regretter qu’il ne fasse pas l’objet d’une définition plus systématique, mais on comprendra que les codirecteur·ices aient renoncé à imposer un concept stable et clos, étant donné la diversité des propositions. Il et elle font en outre un effort louable pour enrichir la problématique française de perspectives internationales. La troisième section, « Agir contre. Critiques politiques du fait poétique », aborde l’ambiguïté de la légitimation institutionnelle du fait poétique dans des contextes politiques, économiques et culturels variables : régime autoritaire soviétique, populations marginalisées par la ségrégation ou le contexte post-colonial aux États-Unis et au Chili. La « poéthique du contre » ( Mon, 10 Mar 2025 16:51:55 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19300 acta « Traduire, c’est avancer sans jamais quitter la chaussée » Entretien avec Ottavio Fatica, par Eleonora Bellentani https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19258 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19258/Fatica.jpg" width="100px" />Traduit par Eleonora Bellentani Ottavio Fatica est traducteur du français et de l’anglais et il collabore avec d’importantes maisons d’édition italiennes. Découvrir Louis-Ferdinand Céline lorsqu’il était jeune a été pour lui une véritable fulguration. Il écrit dans Lost in Translation (2023) : « Je voulais écrire comme lui. Enfin non, je voulais beaucoup plus : je voulais être lui1 ». Adelphi, pour qui Fatica avait traduit Il dottor Semmelweis2(1975), a acquis les droits de quatre des textes inédits retrouvés : Guerre a été publié en 2023, Londres est en cours de publication ; les deux, traduits par Fatica. La volonté du roi Krogold et une version mise à jour de Casse-pipe seront les derniers à être traduits. Fatica, voix italienne de Céline, a pour ainsi dire réalisé son rêve de jeunesse. Eleonora Bellentani — Dans Lost in Translation, vous écrivez que, lorsque vous vous êtes proposé comme traducteur auprès d’Adelphi, vous avez présenté des échantillons tirés de The Marriage of Heaven and Hell de William Blake et les Ballets sans musique, sans personne, sans rien de Céline : c’est grâce à cela que verra le jour, quelques années plus tard, la traduction de Il dottor Semmelweis. Peut-on dire que la lecture de l’œuvre célinienne, et donc la fulguration produite par cet auteur, a été décisive pour votre carrière de traducteur ? Ottavio Fatica — Lui et Antonin Artaud, les garçons du Grand Jeu, Daumal et Gilbert-Lecomte, peut-être Gottfried Benn aussi et peu d’autres du même acabit ; bref, ce climat, cette écriture, et ce qu’elle risquait, tout ça a fait démarrer ma carrière dans le monde des lettres, a décidé de celle-ci, un chemin impraticable. Traduire, c’est avancer sans jamais quitter la chaussée. À un certain moment, la charrette à tirer est devenue une coquille d’escargot que j’avais sécrétée sans le savoir. À ce moment, j’étais soit pris au piège soit sauvé. C’est une question de point de vue. Eleonora Bellentani — Depuis Semmelweis jusqu’à Guerre, comment votre regard sur Céline a-t-il changé ? Ottavio Fatica — Découvrir et se mesurer à un écrivain à vingt ans, et le redécouvrir et se mesurer à lui à nouveau cinquante ans après sont deux choses très différentes. Dans les dix ans qui ont suivi ma découverte, j’ai lu tout ce que Céline avait écrit et tout ce qu’on avait écrit sur lui ; à l’époque on pouvait encore faire ça. C’était presque de l’abus de sa part : il avait enlevé et réduit en esclavage un garçon, qui était, comme tous les jeunes le sont d Thu, 27 Feb 2025 12:08:35 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19258