Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta Subversion du style, théorie linguistique, jeux poétiques, histoire de la traduction : transformations et héritages de la langue latine entre Antiquité et première modernité https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20065 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20065/couv Laurens.jpg" width="100px" />L’ouvrage de Pierre Laurens explore les différentes conceptions et réappropriations de la langue latine par les auteurs du début de l’époque moderne. Au travers de vingt chapitres regroupés en parties thématiques, cette collection d’essais propose de multiples réflexions sur les ressources de la langue latine, à une époque où celle-ci s’impose comme langue de communication savante et fait alors l’objet de vifs débats sur les adaptations et torsions qu’elle peut ou non subir. À quinze contributions plus anciennes, augmentées ou remaniées, l’ouvrage associe cinq chapitres inédits qui viennent illustrer les innovations linguistiques que connaît la langue latine sous la plume des auteurs de la première modernité. Épigrammes : du grec au latin, de l’Antique au Moderne La première partie se focalise sur les « Différences » entre grec et latin mais aussi entre antique et moderne. Le premier chapitre propose une étude de la performance descriptive dans les épigrammes du livre VI de l’Anthologie Grecque et dans les livres XIII et XIV des Épigrammes de Martial. Le second chapitre poursuit l’analyse des divergences entre les épigrammes grecques et latines pour s’intéresser par la suite aux efforts des premiers modernes pour proposer une classification théorique des épigrammes antiques. Le chapitre offre ensuite une étude de la vaste production épigrammatique de la Renaissance pour montrer que la « rhétorisation » des épigrammes antiques (p. 45) à l’œuvre dans les épigrammes à la Renaissance transforme toutes les catégories d’épigrammes traditionnelles. L’étude comparative des influences grecques et latines sur le genre épigrammatique aboutit à la conclusion que « l’épigramme de la Renaissance c’est, pour une grande part, toute la palette, encore enrichie, de l’épigramme grecque, mais revue et corrigée par l’esthétique de Martial » (p. 47). Le troisième chapitre étudie les allusions mythologiques chez Properce et propose une interprétation de deux de ses élégies (I, 3 et II, 12) ainsi que de leurs différentes résonances aux époques ultérieures. Le quatrième chapitre parcourt l’élégie latine pour mener une réflexion sur la nature de l’« élégiaque » : alors que traditionnellement, la tonalité élégiaque dérive de la forme littéraire, l’élégie, l’auteur s’interroge sur les traits qui permettent d’identifier l’élégiaque, une fois dissociée de la forme poétique. Il identifie donc quatre types de répétitions imposant un rythme à travers lequel « la souffrance se fait pure mu Mon, 06 Oct 2025 17:33:11 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20065 acta Dramaturgie et duplicité : relire Euripide au prisme de la ruse https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19983 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19983/couv Latifses.jpg" width="100px" />Depuis le ve siècle av. J.-C., l’œuvre d’Euripide fascine par son goût du paradoxe, ses figures ambivalentes et ses situations aux contours incertains. Dans La Muse trompeuse. Dramaturgie de la ruse dans les tragédies d’Euripide, un ouvrage issu de sa thèse de doctorat, publié aux Belles Lettres en 2021 et récompensé par le prix Alfred Croiset en 2022, Ajda Latifses s’attache à démontrer que la ruse n’est pas simplement un motif récurrent, mais une véritable matrice dramaturgique du spectacle euripidéen. Sa démarche s’inscrit dans la continuité d’études récentes sur le théâtre antique, initiées, entre autres, par Oliver Taplin, Christine Mauduit, Vincenzo di Benedetto et Enrico Medda1. Au prisme de la duplicité, du déguisement, de l’artifice, l’ouvrage propose ainsi une relecture ambitieuse et bien menée de onze pièces du corpus euripidéen (Médée, Hippolyte, Andromaque, Hécube, Ion, Iphigénie en Tauride, Électre, Hélène, Oreste, Iphigénie à Aulis, Les Bacchantes), intégralement conservées, qui permettent à Ajda Latifses d’élaborer une typologie cohérente de la ruse euripidéenne. En effet, dans chacune de ces tragédies, la mise en scène de la ruse s’inscrit dans la forme du scénario rusé et de scène types. Au ve siècle av. J.-C, Aristophane mettait déjà en lumière la récurrence et l’importance du thème de la ruse dans les tragédies euripidéennes, comme le rappelle l’introduction (p. 9-12). Les Grenouilles et les Thesmophories, qui parodient le style et l’intrigue des pièces d’Euripide, prennent une dimension souvent métatragique et présentent le poète comme un maître des raisonnements subtils, de la controverse et des artifices. Remarquée et détournée par le poète comique, la ruse euripidéenne a été quelque peu oubliée par les analyses dramaturgiques. Il fallut attendre la définition que Friedrich Solmsen proposa du mèchanèma comme « le choix et l’utilisation calculateurs, rusés, de moyens appropriés à des fins égoïstement poursuivies2 » puis l’intégration de la ruse parmi les formes caractéristiques de la dramaturgie euripidéenne qu’initia Hans Strohm3, pour qu’elle devienne centrale. Rompant avec l’approche morale de Friedrich Solmsen, Ajda Latifses cherche à combler les lacunes de l’étude de Hans Strohm, qui raisonne en termes de moments de l’intrigue et non de paradigmes dramaturgiques ou de dispositifs discursifs et spectaculaires. Son étude thématique permet également de croiser des réflexions jusque-là dispersées dans des études portant spécifiquemen Thu, 18 Sep 2025 11:24:16 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19983 acta Contre la norme, la tragédie. Pour une lecture queer et décoloniale de la tragédie grecque, de Judith Butler à Mario Telò https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20004 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20004/couverture Telo.jpg" width="100px" />Dernier ouvrage en date de Mario Telò, professeur de littérature comparée et d’études grecques et latines à l’Université de Californie, Reading Greek Tragedy with Judith Butler est une discussion entre les deux penseur-se-s, qui invite à relire les tragédies grecques à l’aune du présent. Le chercheur interroge leur réception située et les fait dialoguer avec des philosophies, modes de pensées et théories critiques contemporaines, comme c’était le cas dans ses précédents ouvrages. Dans Greek Tragedy in a Global Crisis: Reading Through Pandemic Times1 écrit en 2020 et publié en 2023, il interroge le sens que peuvent prendre les tragédies grecques pendant une période aussi déstabilisante et « tragique2 », selon ses propres mots, que celle du confinement. À travers l’ouvrage Archive Feelings: A Theory of Greek Tragedy3, le chercheur repense les tragédies antiques à l’aune d’enjeux contemporains, en mobilisant la psychanalyse, la philosophie, les queer studies et les études décoloniales. Dans le sillage de ces deux essais, Reading Greek Tragedy with Judith Butler fait entrer en résonance les théories de l’auteur avec celles de Judith Butler sur la tragédie grecque. Mario Telò s’appuie sur Antigone’s Claims4, une étude politique et queer de l’Antigone de Sophocle, et des articles et conférences sur les Bacchantes d’Euripide5 et les Euménides d’Eschyle6. Judith Butler, philosophe et pionnier-ère des études de genre, s’appuie régulièrement sur ces trois tragédies pour développer ses théories sur les relations familiales et sociales et sur la violence systémique, et pour réfléchir aux questions de genre, de sexualité et de reconnaissance, notamment dans les luttes LGBTQIA+. Son travail sur les tragédies est philosophique et politique : la tragédie grecque lui donne un cadre discursif pour remettre en question des structures du pouvoir relationnel et politique, voire psychique, perçues comme naturelles, tout en lui permettant d’imaginer les nouvelles formes que peut prendre le lien social. L’approche philosophique se double d’une approche dramaturgique : Judith Butler lit les tragédies en praticien-ne du théâtre et a par ailleurs interprété Créon dans la réécriture d’Anne Carson, Antigonick, en 2012. À partir de ce qu’il nomme la « trilogie butlerienne », Mario Telò invite à déplacer notre regard sur les tragédies grecques en les lisant à partir d’un horizon contemporain. Sa lecture interroge la manière dont ces textes permettent de penser l’altérité — entendue ici Fri, 19 Sep 2025 08:59:18 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20004 acta Diomède à la croisée des chemins : réappropriations d’un mythe https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19965 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19965/couv Barbara.jpg" width="100px" />Issu du remaniement d’une thèse de doctorat soutenue vingt ans plus tôt1, l’ouvrage Diomède outre-mer de Sébastien Barbara, actuellement Maître de conférences en « Langue et littérature latines » à l’Université de Lille, comble un manque dans les études de réception des grands héros grecs de la « génération troyenne », en sortant de l’ombre l’un des chefs de guerre achéens resté largement méconnu en Occident à l’inverse d’Achille, d’Ulysse ou d’Agamemnon avec lesquels il assiégeait la cité de Troie. Ce ne sont cependant pas les exploits du fils de Tydée aux chants V et VI de l’Iliade qui intéressent Sébastien Barbara, mais son destin italien. Conformément à un schéma récurrent dans la littérature grecque, les poètes ont élaboré une suite aux épopées d’Homère et du cycle, construisant le devenir occidental du personnage parallèlement aux phénomènes de diasporas historiques qui s’enchaînent à partir du viiie siècle avant notre ère. Depuis la poésie de Mimnerme, l’histoire la plus répandue rapporte que Diomède, une fois de retour dans sa cité d’Argos, aurait échappé de peu à une tentative de meurtre fomentée par son épouse Aigialé. Son exil le mène sur les côtes italiennes, plus précisément en Apulie, correspondant à l’actuelle région des Pouilles, où il aurait fondé plusieurs cités qui lui auraient ensuite dédié un culte. Contrairement à ce que laisserait paraître ce rapide résumé des aventures posthomériques du héros épique, le but de cette monographie n’est pas de « construire une sorte d’“odyssée” de Diomède » (p. 126), qui mettrait bout à bout les différents épisodes connus pour constituer une œuvre linéaire et cohérente. C’est dans toute sa complexité qu’est envisagé ce mythe, à travers une enquête minutieuse qui confronte la tradition littéraire aux données historiques, archéologiques et iconographiques2. Les deux premières parties de l’analyse sont consacrées à l’étude diachronique des textes grecs (« Entre Troie et l’Hespérie », p. 43 sq.) et latins (« Légendes et fondations de Diomède en Italie », p. 131 sq.), qui ont contribué à forger le mythe du héros achéen en Occident. Sébastien Barbara expose ensuite les différents cultes rendus à Diomède en Italie (p. 423 sq.) avant de s’interroger sur les rapports entre « Rome et la légende de Diomède en Italie » (p. 559) en s’appuyant sur les éléments offerts par les différents contextes historiques. Il serait impossible de rendre compte de façon exhaustive de la richesse de cette monographie qui retrace su Thu, 18 Sep 2025 11:12:52 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19965 acta Quand une prophétesse païenne annonce la révélation biblique en hexamètres : analyse poétologique des Oracles Sibyllins https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20028 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20028/couv Lafontaine.jpg" width="100px" />La monographie de Xavier Lafontaine, issue de sa thèse de doctorat, est le couronnement de plusieurs années de recherche combinant sciences religieuses et philologie classique1. Son but est, comme le titre l’indique, de décrire l’articulation entre la culture grecque et une collection de prophéties d’inspiration biblique, placées sous « l’autorité2 » de la Sibylle3. Pour ce faire, il propose, en partant de ce qu’il identifie comme un « phénomène littéraire, celui de la réécriture des matériaux narratifs liés aux traditions bibliques » (p. 6), une analyse littéraire des modalités linguistiques et poétiques de l’élaboration de ces λόγοι oraculaires. Face à la variété des sibyllistes ayant vécu à des époques différentes et dont les discours reflètent, dans leur « dialogue conscient avec les formes littéraires grecques » (p. 115), « les goûts et les attentes des communautés où les Oracles Sibyllins ont vu le jour et circulé » (p. 113), il identifie des « marqueurs textuels qui permettent de construire les parentés génériques, à travers l’ensemble du « corpus » qui nous est parvenu, en soulignant les continuités formelles qui traversent ces textes sans trop en niveler la diversité » (p. 12). S’inscrivant explicitement dans la lignée de Jane Lightfoot4 qui avait déjà noté que le contenu des Oracles Sibyllins était plus étudié que la manière dont les sibyllistes s’expriment, Xavier Lafontaine « éclaire les stratégies littéraires de mobilisation du matériau biblique » (p. 6) en utilisant la théorisation genettienne de l’intertextualité basée sur les notions d’hypertexte et d’hypotexte5 ainsi que les travaux sur la tradition scolaire (paideia) des progymnasmata rhétoriques, la théorie ancienne de la paraphrase, et leur importance dans la formation des élites cultivées6 et par conséquent dans celle des sibyllistes. L’utilisation de Genette s’articule par ailleurs avec un rejet explicite de l’approche de la Quellenforschung : l’Auteur insiste en effet sur la notion de « dialogue conscient avec le texte d’origine » (p. 117) que sous-entendrait le terme d’hypotexte, dialogue qu’il oppose à la Quellenforschung « qui identifie les sources sans poser de manière aussi explicite la question des enjeux littéraires de la reformulation ». Dans son organisation globale, l’ouvrage de Xavier Lafontaine est constitué de deux parties. Dans une première, définitoire et au titre explicite (« Inscription générique des Oracles Sibyllins »), l’Auteur s’attache « à mettre en valeur les c Sun, 21 Sep 2025 19:24:05 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20028 acta La tragédie grecque à demi-mot ? Présences et influences des modèles grecs sur la formation de la tragédie française https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19996 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19996/origines-grecques-tragedie-francaise-560x844.jpg" width="100px" />La dimension polémique de l’ouvrage de Tristan Alonge apparaît dans le titre, programmatique : Les Origines grecques de la tragédie française : une occasion manquée. L’auteur annonce d’emblée prendre le contre-pied de la doxa consistant à faire de la tragédie à la française un genre littéraire inspiré par le latin Sénèque. L’auteur compte explorer les différentes manifestations d’influence de la tragédie grecque sur la tragédie française, tout en prenant acte de l’échec, ou du moins de tentatives inabouties, pour imposer le corpus grec sur la scène française. Pour ce faire, il embrasse un corpus couvrant les xvie et xviie siècles, identifiant dans la traduction française de l’Électre de Sophocle en 1529 le point de départ d’un contact des dramaturges français avec la tragédie grecque, et dans la représentation de la Phèdre de Racine en 1677 le point d’aboutissement de ce mouvement de récupération. Cette ampleur chronologique a pour ambition de sortir la tragédie racinienne d’un certain isolement pour la resituer dans un parcours plus large de réappropriation ou de rejet des textes grecs. Dans un livre à l’organisation principalement chronologique, Tristan Alonge a donc le mérite d’attirer l’attention sur un phénomène largement sous-estimé qui l’inscrit parfaitement dans l’effervescence des études sur la réception de la tragédie grecque dans l’Europe de la première modernité1. Plutôt qu’un résumé de l’ouvrage, nous proposons ici d’en reparcourir des aspects thématiques, en partant du contexte historique pour aborder ensuite les interprétations de l’auteur afin d’expliquer l’absence de la tragédie grecque, avant de suggérer des pistes, moins explorées dans l’ouvrage, qui permettent de compléter ce panorama des rapports entre la tragédie grecque et la tragédie française. L’hellénisme, un mouvement culturel au piège des querelles religieuses Pour comprendre le bouillonnement des écrits directement inspirés par la tragédie grecque dans les années 1530-1550 puis leur évanouissement soudain, Tristan Alonge s’appuie en grande partie sur le contexte historique, et surtout religieux, de ces deux siècles. L’attention portée au cadre historique, auquel sont dédiés des chapitres entiers (en particulier le chapitre trois sur les cercles hellénistes des années 1530, et le chapitre cinq sur la place du grec dans l’enseignement jésuite au xviie siècle), vise à rendre compte d’un certain nombre de phénomènes d’un point de vue extra-littéraire. Ces analyses se révèlent surto Fri, 19 Sep 2025 08:56:53 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19996 acta Défense et illustration de la littérature latine médiévale https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20058 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20058/Tilliette.jpg" width="100px" />La Littérature latine du Moyen Âge. Les jeux d’une langue poétique est l’œuvre d’une carrière. L’ouvrage réunit près de seize contributions présentées comme des essais1 qui ont jalonné le parcours de Jean-Yves Tilliette, professeur de langue et littérature latines médiévales à l’Université de Genève, de 1990 à 2019. Le titre, en apparence simple, annonce en réalité la dimension polémique du projet : défendre l’idée d’une littérature latine médiévale face à la réticence encore observable de nos jours à inclure les écrits latins de l’époque dans le champ du littéraire. Si, comme Jean-Yves Tilliette le note, « nul ne dénie aux œuvres en langues vernaculaires composées entre le xe (Beowulf) et le xve siècles (François Villon) l’appartenance de plein droit à la Littérature, avec ou sans majuscule » (p. 9) depuis le xixe siècle, il semble encore difficile d’en dire de même des œuvres latines qui leur sont contemporaines. C’est donc la défense de la validité du syntagme « littérature latine médiévale » que l’auteur entend mener au travers des contributions qu’il a sélectionnées et réunies en trois parties : « Questions de méthode », « Dialogues avec l’Antiquité » et « Dialogues avec la littérature en langue vulgaire ». Ces trois parties sont encadrées par un avant-propos intitulé « Qu’est-ce que la littérature (latine médiévale) ? », dont l’usage des parenthèses dévoile les contours de la question, et par la dernière contribution, formant à elle seule une section intitulée « Finale », qui n’est autre que la leçon d’adieu prononcée par Jean-Yves Tilliette à l’Université de Genève en 2019. On notera également la présence d’une courte bibliographie, destinée à lister les principaux textes cités (p. 341-343), et deux index : l’un pour les auteurs anciens et œuvres anonymes (p. 345 sq), le second pour les auteurs modernes (p. 349 sq). Existe-t-il une littérature latine médiévale ? Dans son avant-propos, Jean-Yves Tilliette affronte les objections à parler de littérature au sujet des écrits latins du Moyen Âge. Il rappelle notamment « l’inadéquation aux productions anciennes du terme de littérature dans ses acceptions modernes […] » (p. 9) et l’image d’un Moyen Âge « réfractaire au jugement esthétique » (p. 10) du point de vue de l’histoire littéraire scolaire. C’est que la littérature latine du Moyen Âge pâtit d’une lecture qui « brouille [s]a visibilité » (p. 11). Jusqu’au début du xxe siècle, le regard porté sur ces textes n’est pas littéraire2. Son « triple handica Mon, 06 Oct 2025 17:29:48 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20058 acta Achille et Patrocle : itinéraire et cartographie d’un couple devenu mythique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20067 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20067/Achille et Patrocle_C Gendry.png" width="100px" />I knew I’d stumbled on something too private to be witnessed. There were always those, then and later, who believed Achilles and Patroclus were lovers. Theirs was a relationship that invited speculation […]. And perhaps they were lovers, or had been at some stage, but what I saw on the beach that night went beyond sex, and perhaps even beyond love. I didn’t understand it then — and I’m not sure I do now — but I recognized its power1. Dans son article précurseur consacré aux liens entre « mythes, littérature et gender », Véronique Gély pose la question de l’existence de « mythes masculins2 », regrettant le manque d’études sur les masculinités en comparaison de celles menées sur les « mythes féminins », plus particulièrement sur « l’âge d’homme », défini comme « la maturité active, de celui qui est censé [...] exercer charges, responsabilités, pouvoir3 ». Semblant répondre à cet appel, l’ouvrage de Cyril Gendry vient retracer la réception d’un couple supra-célèbre qui restait en attente d’une « étude d’importance » (p. 25) d’ordre diachronique s’intéressant à la nature de leur relation, de même qu’il apporte un éclairage bienvenu au domaine de l’étude des mythes, alimenté par les études de genre et les études gays. L’auteur met à profit sa formation en lettres classiques dans cette publication qui reprend sa thèse de littérature comparée, dirigée par Véronique Gély et soutenue en 2020 à Sorbonne Université : l’ouvrage prend en effet à bras-le-corps cette vision « anachronique » (p. 19) faisant d’Achille et de Patrocle un couple homosexuel, qui circule dans les productions culturelles contemporaines (notamment de l’aire anglophone4) et fonde l’hypothèse de recherche à l’origine de l’étude (p. 29), dont le lecteur est invité à observer les évolutions au fil des introductions et conclusions partielles. Les réflexions de Cyril Gendry s’inscrivent en ce sens dans l’héritage des débats historiographiques ayant eu cours dans les années 1980 et 1990 à partir des travaux de John Winkler et de David Halperin, lesquels postulent que l’Antiquité grecque se situe « before sexuality5 », c’est-à-dire qu’il s’agit d’une « société où les catégories d’homo– et d’hétérosexualité n’existent pas mais aussi [d’]une société dans laquelle le sexe n’est pas un critère identitaire6 ». Si, depuis ces débats, l’Antiquité a cristallisé de nombreuses réflexions sur les identités de genre et les sexualités7, l’ouvrage éclaire avec précision cette période tout en considérant sur le temps l Mon, 06 Oct 2025 17:34:57 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20067 acta La philosophie antique était-elle une quête de savoir ou une manière de vivre ? Une discussion de la conception de Pierre Hadot par Sylvain Roux https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20015 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20015/Roux image couv.jpg" width="100px" />Un nécessaire changement de paradigme en histoire de la philosophie antique ? Il y a plus d’un demi-siècle, Pierre Hadot commençait d’élaborer une conception originale de la philosophie antique selon laquelle celle-ci ne consiste pas — ou pas seulement — dans une réflexion théorique, mais avant tout dans la pratique d’exercices spirituels visant à transformer l’existence même du sujet. Le modèle de la philosophie comme manière de vivre est peu à peu devenu incontournable pour les historiens de la philosophie antique. Il a aussi largement contribué à populariser cette dernière auprès du grand public, en lui prêtant une dimension pratique contrastant avec le caractère spéculatif que l’on associe plus volontiers à la philosophie aujourd’hui. C’est précisément ce modèle que Sylvain Roux se propose de soumettre à un examen critique dans le présent ouvrage. Comme peut le laisser deviner le sous-titre, Sylvain Roux interprète la situation actuelle de l’histoire de la philosophie antique à l’aide de la théorie des révolutions scientifiques proposée par Thomas Kuhn : selon celle-ci, la science connaît des moments de crise lors desquels « le paradigme dominant se trouve mis en difficulté par des problèmes qu’il ne peut et ne sait résoudre » (p. 10), et laisse progressivement la place à un nouveau paradigme. Si le rapprochement est intéressant, dans la mesure où la théorie de Pierre Hadot a effectivement pu jouer un rôle structurant pour la discipline pendant plusieurs décennies, il ne nous semble pas devoir être poursuivi jusqu’à son terme : en histoire de la philosophie, il n’est sans doute pas nécessaire qu’un ancien paradigme laisse place à un nouveau — ce que Sylvain Roux soutient lui-même (p. 17). Comme nous le suggérerons en conclusion, une situation de controverse entre plusieurs théories concurrentes peut même sembler plus propice à l’interprétation des textes. Dans l’introduction, l’auteur met en évidence les deux présupposés que recèlerait la conception de Pierre Hadot et qui justifieraient qu’on la discute. Un présupposé de nature biographique d’abord : c’est poussé par son insatisfaction à l’endroit de la philosophie contemporaine que Pierre Hadot aurait cherché dans l’Antiquité une forme antagoniste d’activité philosophique, qui se serait perdue au fil des siècles (p. 14-15). Il ne nous paraît pas, toutefois, que les raisons biographiques de la constitution d’une théorie suffisent à discréditer cette dernière, même si elles peuvent éventuellement faire Fri, 19 Sep 2025 09:03:29 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20015 acta « Traire de rommans en français » : une première traduction du premier livre de l’Ovide moralisé https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20036 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20036/couv deleville Possamai.png" width="100px" />Jalon capital de la réception de l’Antiquité au Moyen Âge et au-delà, l’Ovide moralisé est une vaste réécriture des Métamorphoses en quelque 72 000 octosyllabes, composée par un auteur anonyme au début du xive siècle. Réécriture et non simple traduction, comme le titre « moralisé » l’indique, ce long poème constitue une fascinante acculturation de la fable au Moyen Âge chrétien, où la glose et l’allégorie s’entrelacent aux mythes antiques. Son influence culturelle a été considérable pendant plusieurs siècles, à en juger par le nombre d’auteurs et d’autrices qui en ont disposé sur leur table de travail, comme Guillaume de Machaut, Jean Froissart ou Christine de Pizan1. Ce très long texte avait connu une première édition critique intégrale en cinq tomes par Cornelis de Boer (1915-1938)2. Celle-ci est aujourd’hui en cours de remplacement par le travail de l’équipe internationale « Ovide en français », qui a fait paraître à la Société des anciens textes français, en 2018, les premiers fruits de son labeur collectif3. Seul le premier des quinze livres est pour l’instant publié, assorti d’un volume d’introduction générale. Une traduction en français moderne vient d’en paraître dans la collection « Moyen Âge en traduction » des Classiques Garnier, par les soins de Prunelle Deleville et Marylène Possamai-Pérez. L’auteur médiéval de l’Ovide moralisé suit très précisément le déroulé diégétique des Métamorphoses (pour le premier livre ici publié, donc, de la création du monde à Phaéton) et assortit chaque épisode d’une moralisation « où tous puissent trouver des exemples pour faire le bien et mépriser le mal » (p. 47), comme il l’écrit dans son prologue. Pour donner un exemple, l’épisode d’Apollon et Daphné est d’abord traduit plutôt librement, non sans rappeler les romans médiévaux et leurs portraits topiques de jeunes filles (teint d’aubépine, bras potelés, cheveux blonds), avant de faire l’objet d’une explication de plusieurs niveaux : naturaliste (la chaleur du soleil fait pousser les lauriers), historique (Daphné, noble demoiselle, fut violée par Phébus puis enterrée sous un laurier), morale (la froide Daphné est un modèle de chasteté : le laurier est caduc comme une vierge sans descendance), religieuse (Daphné est la Vierge ; le soleil est Jésus qui voulut s’unir à elle), théologique enfin (Cupidon est Dieu qui nous guide vers l’amour loyal, les deux flèches du mythe antique sont allégorisées en Charité et Envie). On mesure par ce seul exemple l’originalité et Sun, 21 Sep 2025 19:27:54 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20036 acta La « flamme verte » des textes antiques https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20072 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20072/couv Laure de Chantal.jpg" width="100px" />D’Homère aux Alchimistes, la Bibliothèque idéale des pierres, plantes et paysages de Laure de Chantal présente une sélection de textes anciens visant à donner un aperçu de l’évolution du regard sur la nature et sur les liens qui existent entre l’être humain et son environnement au fil de l’Antiquité, afin de nous replacer au cœur d’un monde perdu de vue. Pour ce faire, le livre n’hésite pas à jouer la carte de l’anachronisme en présentant les textes en termes actuels et en filant la métaphore d’une nature verte. En invitant à (re)découvrir les textes à la lumière de la crise environnementale que nous traversons, ce recueil n’est pas sans rappeler celui de Patrick Voisin paru chez le même éditeur1, et dont il reprend certains extraits et titres, en proposant une forme affranchie de guillemets et de tout traitement notionnel. L’anthologie comprend une courte introduction (5 pages) ; des présentations (1 à 2 pages) situent chaque auteur ou groupe d’auteurs dans leur contexte littéraire et esquissent la raison de leur présence dans la sélection. Ces quelques repères permettent une lecture non linéaire, malgré une disposition chronologique. Les textes sont présentés selon les traductions françaises déjà disponibles par ailleurs dans la CUF et les notes de bas de page sont très rares, ce qui facilite une lecture immédiate. Cette note de lecture propose de présenter le projet de ce recueil s’adressant à « nous qui cherchons désormais à nous reconnecter avec la nature2 » à travers une composition variée et parfois inattendue. Un titre en triptyque « Pourquoi réunir en un même ouvrage les textes antiques traitant des pierres, plantes et paysages ? C’est que pour les Grecs et les Romains les trois forment un tout cohérent avec l’homme qui en est une émanation, un rejeton. » (p. 9) S’il s’agit des pierres, plantes et paysages, c’est d’abord du fait des trois mythes de l’origine des êtres humains qui expriment le lien qui les unit à la nature. Que ceux-ci viennent des pierres jetées par Deucalion et Pyrrha, des frênes et des Méliades, ou encore du sol terrestre même, ces récits mythiques nous disent que « non seulement un individu est une émanation de son milieu naturel mais [qu’] il lui est originellement lié » (p. 10). La diversité des mythes est citée pour rappeler que l’homme est « né fruit de la nature, un vivant parmi d’autres » (p. 10). Ainsi, le terme « nature » est employé au sens d’un principe de diversité et de cohérence des êtres auquel l’auteure, dans le Mon, 06 Oct 2025 18:23:33 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20072 acta Hermès et Ulysse, partout, tout le temps https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19974 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19974/Ropars couverture.png" width="100px" />Dans Ulysse dans le monde d’Hermès, Jean-Michel Ropars reprend deux objets déjà étudiés dans de précédents travaux. Dans son article « Le dieu Hermès et l’union des contraires1 », fondé sur une analyse de l’Hymne homérique à Hermès, il démontre que cette figure complexe peut trouver une unité dans sa capacité à rassembler des éléments opposés, ce qui la rend insaisissable. Dans un autre article, « Ulysse et son double2 », l’auteur suggère que, dans les poèmes homériques, Ulysse affronte des figures qui constituent ses propres doubles, avec qui il partage plusieurs caractéristiques sombres témoignant de sa complexité, telles que la perfidie, la lâcheté ou la grossièreté. Ces deux approches sont réunies dans le présent ouvrage, où l’auteur se propose de démontrer que les aèdes à l’origine de l’Iliade et de l’Odyssée ont façonné Ulysse sur le modèle divin d’Hermès, de sorte que le héros peut être compris comme une version humanisée du dieu. Pour ce faire, Jean-Michel Ropars développe un plan clair, mais qui nous semble par moments manquer de cohésion. La première partie (« L’épopée et le mythe, les relations entre Ulysse et Hermès ») débute par une section introductive sur les liens entre mythe et épopée (« L’épopée et son rapport au mythe »), qui aurait pu trouver sa place dans la brève introduction générale. La suite de cette première partie fait alterner une section portant sur la proximité entre Hermès et Ulysse (« Hermès et Ulysse : une grande proximité ») ; une section au sujet de personnages secondaires qui partageraient des traits communs avec le dieu et le héros (« L’élimination d’un double contradictoire ») ; une section concernant divers traits communs aux deux figures (« Hermès et Ulysse : autres attributions communes ») ; deux autres sections portant sur des personnages tiers reliés à et reliant Hermès et Ulysse (« La médiation d’une figure “hermaïque” : Ulysse averti par Tirésias » et « Ulysse, Épéios et Hermès »). Peut-être aurait-il été possible de regrouper d’une part les points communs directs, d’autre part les points communs par personnage interposé. La seconde partie associe dans son titre deux aspects qui sont articulés de manière assez distendue (« Ulysse comme figure souffrante et lunaire »). Cinq sections visent à montrer qu’Ulysse comme Hermès sont des incarnations de la douleur, de la mutilation, voire de l’automutilation — thèse qui s’appuie de nouveau sur des rapprochements avec d’autres personnages (« Ulysse “bourreau de lui-même” Thu, 18 Sep 2025 11:21:12 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19974 acta Raison graphique et raison numérique. Du dépassement du codex comme ressort de l’élan créatif en littérature https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20100 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20100/couv-imaginaire-de-la-fin-du-livre.jpg" width="100px" />Les recherches portant sur l’histoire du livre et l’édition ont débuté en France il y a trois quarts de siècle, notamment avec les sommes érudites de Lucien Febvre (1878-1956) puis de Robert Escarpit (1918-2000) et Henri-Jean Martin (1924-2007), qui suscitèrent des travaux d’une ampleur inégalée à partir des années soixante. Ces travaux se sont poursuivis dans la sphère universitaire grâce à la persévérance d’éminents chartistes, tels le lyonnais Roger Chartier (1945-) et le parisien Frédéric Barbier (1952-2023), tous deux contemporains ayant utilisé une approche interdisciplinaire mêlant l’histoire, la sociologie, la littérature et la linguistique permettant de mieux comprendre les itinéraires du livre et de la lecture. L’ouvrage de Bertrand Gervais1, Un imaginaire de la fin du livre, vient s’inscrire dans la lignée de ces réflexions sur les multiples facettes de l’évolution du livre. Cette continuité apparente peut néanmoins être interrogée lorsque l’on tient compte de la singularité de perspectives proposées par l’auteur. Car, si le livre occupe toujours une place prépondérante dans le dispositif d’analyse des évolutions de supports matériels vers des versions numériques, cet examen s’est enrichi de deux lignes directrices permettant de poser de nouveaux enjeux et de rendre la définition du livre plus complexe. La première consiste à dépasser la position du codex comme seul support éditorial légitime et à inscrire le livre dans un contexte plus large, qui est celui de projets artistiques permettant de mettre en quelque sorte en échec l’imaginaire de la fin du livre. La seconde s’attache à rendre visibles les liens étroits existants entre textes et écrans, tout en interrogeant la place privilégiée octroyée traditionnellement aux auteurs dans la hiérarchie de l’acte créatif. La succession de ces deux nouvelles approches nous invite à penser que le paradigme de la fin du livre a résolument évolué. Il convient de noter d’emblée que cet ouvrage résulte d’un cheminement dans la pensée de l’auteur. Celui-ci fait au demeurant régulièrement référence à ses propres articles au fil de ce nouvel essai — notamment, lorsqu’il propose en guise de repère bibliographique l’article paru dans Fabula-LhT qui est à la source de cette publication2. Cette écriture palimpseste n’est pas sans rappeler l’organisation de la pensée archéologique — à moins qu’elle ne témoigne d’un malaise plus profond de la recherche universitaire, qui concerne la crainte du plagiat. Dans tous les Tue, 07 Oct 2025 12:23:18 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20100 acta La littérature en éveil https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20079 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20079/Couv_Ruffel_Adam.jpg" width="100px" /> À la suite de Trompe-la-mort, paru en 20191, livre déjà centré autour de trois objets politiques et artistiques (la figure de Shéhérazade, l’affaire Tarnac et le Décaméron), Lionel Ruffel poursuit dans un essai sous forme de triade sa réflexion sur les liens entre le politique et les formes artistiques, cette fois-ci à partir de situations, à la fois personnelles et universelles : celles de l’endormissement et du réveil, celles du songe et de la veille. Assez libre formellement — écriture à la première personne, absence de notes de bas de page, références bibliographiques à la fin de l’ouvrage2 —, Trois éveils est composé de trois chapitres de taille inégale (une vingtaine de page pour le premier, « Une nuit blanche » ; une petite centaine pour le deuxième, « En campagne » ; une dizaine pour le troisième, « Programme de grève »). Si ces chapitres ont chacun des objets distincts, ils sont liés par le je de l’auteur qui construit ainsi une trame narrative autour de ses endormissements et de ses réveils. Non seulement le discours tenu par l’auteur est-il explicitement situé, mais il est aussi fortement personnel et autobiographique. Portrait du littéraire en insomniaque Que lire pour s’endormir ? La question, qui peut paraître a priori étonnante, est pourtant celle que se pose Lionel Ruffel à l’orée du livre. En partant de son propre rapport difficile à l’endormissement, l’auteur propose une répartition de la littérature en deux blocs : d’un côté les textes lus de jour, de l’autre ceux lus de nuit. Par-là, il s’agit alors de déconstruire des gestes habituels d’appréhension des textes, comme celui, consubstantiel de l’histoire littéraire, qui consiste à regrouper des textes en fonction de leur époque. Au contraire, les textes de Nathalie Quintane sont ici associés à ceux de Rabelais et de Sterne et sont rendus inéligibles à toute lecture nocturne, car « trop amusant[s] » ou « trop stimulant[s] » (p. 11). La question générique est, elle aussi, convoquée en fonction de cet impératif matériel. Ainsi, les essais ne pourraient être lus de nuit, car ils font « trop penser » (p. 11). Le genre est indissociable du rythme de vie du chercheur, ce que résume, par exemple, ce parallélisme asséné plus loin dans l’ouvrage : « la nuit du roman, le jour du journal » (p. 39). La relation au corpus littéraire ne relève pas d’une simple idiosyncrasie, dans la mesure où le rapport au sommeil est intrinsèquement dépendant d’une condition historique. En effet, en s’appuyant sur d Tue, 07 Oct 2025 12:03:32 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20079 acta Une histoire des avant-gardes en poésie https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20091 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20091/Les-Javelots-de-l-avant-garde.jpg" width="100px" />« Ce fut une grande époque pour la poésie » (p. 395) conclut Michel Murat à la fin de son étude Les Javelots de l’avant-garde. Poésie en France 1960-1980. Et pourtant, si peu d’études jusqu’à celle-ci en font le récit — alors même qu’un demi-siècle s’est écoulé : il y a la belle l’anthologie d’Yves di Manno et Isabelle Garron parue aux éditions Flammarion en 2017, Un nouveau monde. Poésie en France 1960-2010, qui la traverse, des études centrées sur la réception contemporaine de tel ou tel poète antérieur — comme la thèse de Julia Pont sur les « postérités de Reverdy »1, ou les travaux de référence de Thierry Roger sur la réception du « Coup de dés »2 —, et bien sûr de nombreuses études monographiques. Mais les études qui tentent d’embrasser la période pour elle-même restent rares, ou datées. De fait, le dernier livre de Michel Murat prend la suite d’une histoire de la poésie de l’après-guerre qu’il avait amorcée dans le volume La Poésie de l’Après-guerre, 1945-19603, paru deux ans plus tôt. Tout en dessinant les lignes de continuités entre les deux périodes, il cherche néanmoins à mettre en lumière leurs singularités et leurs différences. Ainsi, autant la période d’après-guerre était décrite comme un « moment anxieux, instable et perturbé4 », autant les décennies qui suivent, sur lesquelles se concentre ce second volume, semblent un sursaut dans l’histoire de la poésie, et tout particulièrement, un moment de renouvellement formel. La poésie des années 1945-1960 semblait « fortement “en situation”5 », marquée par l’ombre directe de la Seconde Guerre mondiale et des fractures nationales qu’elle avait impliquées ; la poésie des années 1960-1980 semble quant à elle délivrée — en partie du moins — de l’injonction à l’engagement, et davantage ouverte à l’expérimentation. Si la date initiale de 1945 allait de soi dans le volume précédent, le découpage chronologique 1960-1980 appelle à être historiquement justifié : la fin des années 1950 correspond ainsi à la foi aux débuts de la Cinquième République et de la présidence de De Gaulle — héros de la Résistance —, sur fond de révolution algérienne et de décolonisation ; sur le plan littéraire, 1960 correspond au Nobel de Saint-John Perse (auteur auquel Michel Murat consacre un développement dans le livre précédent), à la création de l’Oulipo et à la naissance de la revue Tel Quel. 1980 est plus approximative : si les grandes revues d’avant-garde, Tel quel et Change, notamment, disparaissent au début des années 80, c Tue, 07 Oct 2025 12:09:15 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20091