Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta « Si le choix n’est pas artificiel et que le texte est bon, il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas de canonisation » : Entretien avec Astrid Chauvineau sur « Les Œuvres du Matrimoine » https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20383 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20383/Couv_itw_Flammarion_Matrimoine.jpg" width="100px" />La collection « Les Œuvres du Matrimoine », inaugurée chez Flammarion en janvier 2022 par la publication de Mademoiselle de Clermont de Félicité de Genlis, et dont le dernier titre a été les Lettres choisies de Madame de Sévigné, en février 2023, comprend dix rééditions de livres d’autrices allant du xviie au xxe siècle, avant de s’interrompre. Dans le cadre de notre réflexion sur la réédition de texte d’autrices, il nous semblait important de donner la parole aux éditeurs et éditrices. Nous avons ainsi contacté Astrid Chauvineau, agrégée de Lettres, ancienne enseignante, et actuellement éditrice indépendante, qui a travaillé chez Flammarion et participé au lancement de cette collection. S’exprimant ici en son nom propre, elle nous présente ce projet pensé d’emblée comme féministe, visant à « donner une nouvelle visibilité aux textes d’autrices » structurellement oubliées dans l’histoire littéraire malgré leur notoriété au moment de l’écriture. Les livres publiés sont des textes courts, à petit prix (3€). Un soin tout particulier est accordé aux couvertures, qui représentent les autrices illustrées par Marie Boiseau pour la première salve de textes (2022) et par Catell, grande autrice de bande-dessinée, pour la deuxième salve (2023). * Valentine Bovey — Quelles ont été les origines du projet, que ce soit du point de vue d’un parcours personnel et professionnel, l’accueil du projet par la maison d’édition et les raisons de son interruption ? Astrid Chauvineau — C’est un projet qui a été porté collectivement, depuis l’édito où l’idée est née : tout le monde a été rapidement enthousiaste, tant les services marketing que le studio graphique, qui a longuement travaillé sur les couvertures. Il y a eu ensuite eu un immense travail de la part de la presse et des réseaux sociaux, ce qu’on peut voir sur le compte Instagram Librio, avec de nombreux événements organisés au moment du lancement. Il y a donc eu une dynamique collective au sein de la maison d’édition. Cela résonne avec des convictions personnelles : j’ai été très fière de porter ce projet au sein d’une illustre maison d’édition, et d’avoir redonné ses lettres de noblesses au mot « matrimoine ». Le terme s’est imposé assez vite, appuyé par le directeur artistique et son idée de tampon qui cristallise cette question de la légitimité. « Matrimoine », c’est un beau mot, mais on s’est un peu arraché les cheveux car sur les traitements de texte car il est sans cesse corrigé en patrimoine... J’ai l’impression qu Tue, 02 Dec 2025 11:37:29 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20383 acta Paroles d’une éternelle militante : le féminisme de Nelly Roussel https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20425 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20425/Couv_Roussel_Pastor.jpg" width="100px" />Nelly Roussel naît le 5 janvier 1878, soit sept ans après la signature de la célèbre Affiche rouge sur laquelle on pouvait lire : « Place au peuple ! Place à la Commune ! ». En mars 1871, la Commune de Paris éclate. Certaines femmes, qui partagent avec les prolétaires un désir d’égalité et d’émancipation, vont profiter de cet événement historique « où le statu quo patriarcal se voit brièvement renversé1 » pour s’immiscer dans la lutte et esquisser leurs idées. Tout au long de sa vie, Nelly Roussel poursuivra et renforcera ce premier élan militant. « Féministe d’instinct, féministe intégrale » (p. 8), libre penseuse et néomalthusienne, elle fut une « conférencière d’élite, chez qui se trouvent réunis les dons oratoires les plus rares2 ». Forte de son éducation, celle qui se voulait au départ actrice devint en outre une autrice « de valeur3 ». Dramaturge, elle propose des pièces militantes qui, tout en reflétant son esprit parfois idéaliste — Nelly Roussel se différencie en cela de Madeleine Pelletier (1874-1939), l’autre militante radicale du début du xxe siècle (p. 20) —, lui permettent de représenter ses idées et d’inciter les femmes à se libérer. Poétesse, elle fit par ailleurs paraître en 1921, alors que la tuberculose la ronge, un recueil de poèmes intitulé Ma Forêt. Elle exprime alors « la tristesse que les choses lui inspiraient, ainsi que la lassitude qui l’envahissait à laquelle la maladie qui l’épuisait ne devait pas être étrangère4 ». À côté de cette production, Nelly Roussel écrira « plus de deux cents articles » (p. 8). Trois ans après son décès, en 1925, le journal L’École de la vie se souvenait encore de l’« article très net5 » qu’elle fit paraître en 1906 dans le Petit Almanach Féministe. Intitulé « Qu’est-ce que le féminisme ? », cet écrit porte le même titre qu’un ouvrage publié un an auparavant par Odette Laguerre (1860-1956), une féministe qui préfacera en 1930 un recueil de trois conférences de Nelly Roussel. En 1932, c’est au tour de l’anarchiste individualiste Han Ryner (1861-1938) de préfacer Derniers combats, un recueil d’articles et de discours signés Nelly Roussel. En 1979, L’Éternelle Sacrifiée (1906) paraît dans la collection « Mémoire des femmes » des éditions Syros. En 2001, Jonny Ebstein a quant à lui mis à l’honneur l’œuvre théâtrale de Nelly Roussel dans Au temps de l’anarchie : un théâtre de combat (1880-1914). On peut encore relever la parution, en 2006, de Blessed Motherhood, Bitter Fruit. Nelly Roussel and the Politics Tue, 02 Dec 2025 11:52:39 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20425 acta « S’enrôler serait s’effacer » : Rachilde face à la première vague féministe https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20429 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20429/Couv_Rachilde_Bovey.jpg" width="100px" />La réédition de Pourquoi je ne suis pas féministe, aux éditions La Part Commune, se fait peut-être un pavé dans la mare. En effet, l’intérêt pour l’œuvre de Rachilde s’est accru depuis l’approche de son passage dans le domaine public en 2023, comme en témoignent les rééditions de plusieurs textes importants : Monsieur Vénus [1884] en 20221 ; Madame Adonis [1886]2 et La Tour d’amour [1899]3 en 2024, et plusieurs œuvres chez Bouquins en 20254. Ces éditions doivent beaucoup aux procédés féministes en recherche littéraire et à l’introduction, encore « lente, peu systématique et peu lisible5 » de la notion de genre dans le champ académique francophone — résiste encore au développement des perspectives épistémologiques complexes entre « genre » et « fait littéraire »6. Dans le cas de Rachilde, ces gestes critiques et éditoriaux7 sont hantés par son antiféminisme — refus de soutenir le mouvement des suffragistes, dévalorisation du féminin en art, et refus de politiser ses pratiques —, que cet opuscule commis en 1927, peut-être en réaction à une nouvelle résolution visant à hâter les débats sur le suffrage féminin8, matérialise. Cet ouvrage de commande tardif — Rachilde a 68 ans — est publié en 1928 dans l’éphémère collection « Leurs raisons » d’André Billy aux éditions de France (j’y reviendrai.) Si une partie de la production littéraire de Rachilde a fourni un terrain d’enquête fructueux pour des recherches sur la sexualité et le genre à la fin du xixe siècle, et ce dès ses premières rééditions9, son antiféminisme qui accompagne toute sa carrière met la recherche face à la difficulté de penser la construction de nouvelles figures de femmes-auteurs, notamment en regard du « désir [féministe] de créer des héroïnes10 » de l’histoire afin d’élargir le canon, comme l’avait déjà vu Griselda Pollock. À cet égard, il semble crucial de brosser rapidement le contexte historique et politique qui préside à l’écriture du texte en 1928, contrairement à la préface de l’ouvrage qui affirme, un peu trop rapidement que le « féminisme de l’époque est difficile à définir » (p. 12). Sur cette fausse prémisse, la compréhension de la revue de presse en préface manque d’une articulation avec les luttes et idées féministes, pourtant très concrètes, qui se développent au fil de la carrière de Rachilde. Ce brouillage définitionnel existe bel et bien, mais « sous la plume de Rachilde en particulier » (p. 12, je souligne) : je désire l’interroger ici dans ses causes et ses effets, qui perme Tue, 02 Dec 2025 11:59:07 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20429 acta Un roman impertinent : Madame Adonis s’amuse https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20345 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20345/Capture d’écran 2025-12-02 à 10.49.04.png" width="100px" />« Je présente aux lecteurs ce nouveau livre, Madame Adonis, et je souhaite que le silence le plus complet accompagne ses dix éditions jusqu’à leur dernière demeure » (p. 465). Ce vœu provocateur de l’autrice Rachilde, qui conclut ainsi sa préface de la première édition1, publiée en 1888, a été exaucé. La critique s’est relativement peu intéressée à ce roman, que ce soit au moment de sa parution ou, plus tard, lorsque des réévaluations de l’œuvre de Rachilde ont vu le jour à la fin des années 1970. L’histoire de cette « Madame Bovary de Tours2 », selon la formule de Claude Dauphiné, n’est mentionnée qu’en passant dans un article d’Ernest Gaubert3, lequel visait en 1906 à faire un point d’étape sur la carrière de l’autrice, entre son recueil d’histoires pour enfants Le Tiroir de Mimi-Corail (1887) et L’Homme roux (paru la même année que Madame Adonis). L’ouvrage semble détonner pour qui ne connaît de Rachilde que son côté le plus décadent : l’action se déroule en province, dans la petite ville de Tours, et met en scène un jeune couple marié, Louise et Louis, aux débuts de leur vie conjugale, c’est-à-dire romantique et sexuelle. Le déroulement paisible — et horrifiant — de celle-ci est troublé par la mère de Louis, Caroline Bartau, qui n’attend de sa belle-fille que sa progéniture, et le mystérieux personnage de Marcel·le, alternativement présenté en homme (Marcel Carini) séduisant Louise puis en femme (Marcelle Désambres) séduisant Louis. Incarnation d’une bisexualité androgyne, il/elle est une figure pivotale de l’intrigue. La réédition de Madame Adonis dans ce double-volume « Folio classique »4, accompagné de son terrible grand frère Monsieur Vénus, fait parvenir au public un texte relativement peu commenté de l’autrice. Ce volume conjoint vise explicitement, comme l’explique l’éditrice Martine Reid, à limiter la réduction de l’œuvre de Rachilde aux romans mettant en scène des situations bizarres, des rapports « pervers », des morts sanglantes hantées par des désirs inavouables, et à Monsieur Vénus moins encore, mais à y reconnaître, outre la marque du décadentisme, des accents symbolistes et fantastiques, des inflexions généralement cruelles, parfois (relativement) bienveillantes, réalistes dans leur attention au détail (p. 22). Cette intention témoigne d’une étape importante dans le processus de classicisation de Rachilde, pour parler comme Alain Viala5 : l’édition de ces deux volumes, avec un appareil de note, dans une collection prestigieuse et utilisé Tue, 02 Dec 2025 11:05:19 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20345 acta Redécouvrir Colette Andris (1900-1936) : comment lever des tabous sans faire scandale ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20391 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20391/Capture d’écran 2025-12-02 à 11.35.33.png" width="100px" />Une destinée-éclair : du music-hall à l’écriture romanesque Pauline Marie Louise Toutey (1901-1936), dite Colette Andris, fut danseuse, artiste de music-hall, actrice et écrivaine. On ne connaît que peu d’éléments de sa brève existence1 : Vosgienne née avec le siècle, cette licenciée ès lettres, « issue d’une vieille famille universitaire », renonce rapidement aux « carrières administratives et au professorat [qui] s’ouvr[ai]ent devant elle » pour se faire danseuse nue et se produire, à l’instar de son héroïne Miss Nocturne, dans les music-halls parisiens2. Le refus d’une voie toute tracée pour une licenciée est également celui de la protagoniste d’Une danseuse nue : Madeleine Durand, avant qu’elle ne devienne Miss Nocturne, confesse son peu d’appétence pour une carrière dans « l’enseignement, dans l’étroit fonctionnarisme et la vie nomade des lycées de province3 ». Rien n’interdit de penser que Colette Andris a prêté des traits et expériences personnels à son personnage… Avant qu’elle ne se décide à faire carrière sur la scène, elle semble avoir fréquenté, après la Faculté de Nancy4, l’École pratique des hautes études : elle compte parmi la liste des élèves et auditeurs réguliers pendant l’année scolaire 1923-1924, comme l’indique l’annuaire de l’établissement. Selon Patrick Bergeron, c’est vers la scène de théâtre qu’elle se tourne d’abord. La presse de l’époque a gardé la trace de Mon petit, « pièce créée le 29 février 1928 au théâtre Albert-Ier », qu’elle a écrite et « dans laquelle elle joue et danse »5. L’année suivante, elle est comédienne, toujours dans le même théâtre ; une critique d’Emma Cabire dans La Semaine à Paris nous apprend qu’elle interprète Eugénie Grandet dans une adaptation du roman de Balzac : « Eugénie (Mme Colette Andris) est charmante — trop — mais froide, au lieu d’être ce cœur qui s’ignore, qui anime seul du génie de l’amour, le visage sans éclat qu’on imagine6. » À la fin des années 1920 et au début des années 1930, la presse de l’époque ne manque pas de mentionner ses performances au Concert Mayol, au Casino de Paris, aux Folies-Bergères — où elle fut, entre autres, engagée dans la revue dont Mistinguett était la vedette — ou dans les cabarets de Montparnasse. En 1929, Les Nouvelles littéraires rendent compte d’un spectacle du Casino de Paris : « Mlle Colette Andris a le torse d’une femme de Prud’hon. Elle danse, si on peut dire ; elle joue plutôt à cache-cache avec la salle, derrière un voile qu’elle manie7. » Dans un article Tue, 02 Dec 2025 11:42:36 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20391 acta L’Inconstante de Marie de Régnier, faux roman sentimental ou vraie transgression ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20359 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20359/9782841007776.jpg" width="100px" />Marie de Régnier (1875-1963), née Marie de Heredia et signant ses œuvres sous le nom de Gérard d’Houville, est une poète, romancière et critique littéraire qui pourrait occuper une place de choix dans ce que Marc Angenot appelle la « conquête libératrice du “vrai”1 » selon une perspective féminine : en prenant la plume, elle acquiert une voix, met en scène son propre Moi et élargit la représentation d’un monde dont l’interprétation était majoritairement masculine. Mais son rôle subversif ne saurait se limiter à l’illustration de la volonté effrontée d’une jeune femme bourgeoise qui, poussée par une sorte d’ingénuité, se laisserait porter par l’amour et prendrait des amants sans éprouver de culpabilité. Sa subversion réside davantage dans sa position de femme écrivaine, dont le témoignage opère un déplacement du domaine du privé vers l’espace public, conférant à l’intime une portée collective, voire extime. Marie de Régnier publie en 1903 son premier roman, L’Inconstante, qui lui vaut la reconnaissance de la critique et du monde de l’édition. Considérée alors comme une écrivaine moderne, elle voit son roman réédité en 1925 chez Fayard, avec des gravures sur bois de Gérard Cochet, dans la collection « Le livre de demain » qui révolutionne l’édition typographique de l’entre-deux-guerres par la qualité du papier, la richesse de l’illustration et l’accessibilité des prix2. Après plusieurs décennies d’oubli, elle attire à nouveau l’attention de la critique littéraire en 2004, à l’occasion d’une exposition organisée par la Bibliothèque nationale de France à l’Arsenal, où ont été présentés des manuscrits et des objets issus de sa famille. Or cette manifestation fait d’elle plutôt un prétexte qu’un véritable sujet, car l’exposition et son catalogue visent surtout à explorer les cercles littéraires de la Belle Époque3. C’est en 2024, avec la réédition de L’Inconstante par Marie de Laubier, que son œuvre revient vraiment sur le devant de la scène, mettant en lumière non plus la figure marginale de cette muse de la Belle Époque, mais le rôle central d’écrivaine qu’elle a occupé aux côtés de ses contemporaines, telles que Colette ou Anna de Noailles. Près d’un siècle après sa dernière réédition, le choix de republier L’Inconstante n’est pas anodin : la date de sa parution constitue un moment de transgression littéraire qui, selon Marie de Laubier, se serait épanoui à la manière d’« une orchidée dans [une] serre bourgeoise surchauffée » (p. 11). Cette lecture rejoint le Tue, 02 Dec 2025 11:25:27 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20359 acta « Un livre est un objet politique ». Entretien avec les éditions la variation (Justine Rabat et Manuel Esposito) https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20398 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20398/Couv_Pelletier_émancipation.jpg" width="100px" />La variation est une jeune maison d’édition : créée en 2021 à Paris, elle présente trois collections. La première, « (dis)continuités », s’annonce dans un rapport directe à l’héritage, en voulant montrer des ruptures et des continuités dans les évolutions artistiques et littéraires ; la collection « regard(s) » se veut interdisciplinaire et présente une rencontre entre diverses formes artistiques et une rencontre des différents types de savoirs ; enfin, la collection « ritournelle », référence deleuzienne, fait place belle — et c’est inhabituel — à la musique populaire dans son croisement avec les sciences humaines. Cette maison annonce aussi d’emblée l’importance de sa ligne éditoriale qui prend position en « accordant une attention particulière aux autrices et aux auteurs féministes et anticonformistes ». Entretien avec sa fondatrice et son fondateur, Justine Rabat et Manuel Esposito (tous les deux docteurs en Littérature Générale et Comparée, traducteur et traductrice, auteur et autrices), en particulier sur l’ouvrage de Madeleine Pelletier. * Valentine Bovey — Vous avez fait un important travail d’édition sur les histoires du féminisme en donnant à lire notamment Nelly Roussel et Madeleine Pelletier, moins connues en France que leur consœur anglaise Virginia Woolf, que vous avez également traduite. Dans un entretien sur Diacritik, vous considérez que ce qui fait votre ligne éditoriale, ce sont « les corps en lutte et [...] les différentes formes d’écriture (ou représentations, ou mises en sons) de ces corps » (Diacritik, 16 novembre 2023). Quel est la place du corps chez Madeleine Pelletier ? Et dans le cadre de cette histoire du corps en lutte, quelle est la place de l’histoire du féminisme et des rééditions de textes féministes, souvent considérés comme mineurs, dans votre processus d’édition ? Qu’est-ce qui vous a amené à ça, dans votre parcours personnel et professionnel ? Manuel Esposito & Justine Rabat — Je trouve que cette idée d’un « corps en lutte » définit parfaitement Madeleine Pelletier qui, par son militantisme, son abnégation, son écriture prolifique, s’est battue toute sa vie pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps. Nous avons d’ailleurs consacré quelques pages de la préface de notre édition de L’Émancipation sexuelle de la femme à sa manière de s’imposer en tant que corps subversif afin de combattre le pouvoir masculin en imposant une radicalité absolue, elle entendait ainsi refuser le destin imposé aux femmes, ce des Tue, 02 Dec 2025 11:47:47 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20398 acta Genre, artifice et transgression : lire Monsieur Vénus aujourd’hui https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20337 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20337/Capture d’écran 2025-12-02 à 10.49.04.png" width="100px" />Lire Rachilde aujourd’hui ? En 2023, l’œuvre de Rachilde est tombée dans le domaine public, soixante-dix ans après sa mort. La parution de plusieurs titres dont Monsieur Vénus et Madame Adonis chez Gallimard dans des collections à grande diffusion témoigne sans doute d’un regain d’intérêt. Certes, ses romans ont été réédités au fil des ans, notamment au Mercure de France, mais c’est surtout la critique universitaire qui a étudié son œuvre, dont Jean de Palacio, grand spécialiste de la littérature fin-de-siècle, décédé en novembre dernier1. Le corpus rachildien remis à la mode sous l’effet du développement des gender studies et de la queer theory en a largement profité. Mais il faut aussi rappeler que le désintérêt du public remonte à loin. Tous les biographes s’accordent sur le fait que vers la fin de sa carrière, Rachilde a été frappée de solitude et d’oubli2. Ce long purgatoire littéraire était-il justifié ou résulte-t-il d’un rejet injuste ? Rachilde et son œuvre, pour survivre au temps, étaient-elles trop ancrées dans l’esthétique fin-de-siècle, ou bien, au contraire, en avance sur leur époque3 ? Avec la redécouverte de son œuvre à l’heure actuelle, la question se pose : qui lira Rachilde ? Et comment la lire ? Que nous dit Monsieur Vénus, qui à sa parution en 1884 fit scandale et assura la célébrité de sa jeune autrice4 ? Ce roman clé de la Décadence a choqué, en son temps, par son audace érotique et son renversement des rôles de genre. Un roman qui met en scène le gender trouble bien avant que Judith Butler ne le définisse dans son célèbre ouvrage5, anticipant les questionnements contemporains sur la non-binarité et la fluidité des identités. Au-delà de la subversion, ce qui nous frappe aujourd’hui, c’est la violence des rapports de domination et l’objectivation du corps, jusqu’à l’abolition du vivant. Monsieur Vénus se présente comme une œuvre transgressive par excellence. Dans ce récit où la transgression ne mène pas à la libération mais à la perte, Jacques Silvert devient un être androgyne vidé de toute substance, annonçant un monde où le simulacre l’emporte sur le réel. Notre analyse s’attachera à décrypter ce processus. La première partie mettra en lumière la confusion du genre et les jeux de pouvoir au sein du couple Raoule-Jacques : ici le travestissement ne sert pas à dissimuler mais à révéler, mettant en cause les catégories binaires du genre et de la sexualité. La deuxième partie suivra la dynamique de transformation et de dépossession de J Tue, 02 Dec 2025 10:41:51 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20337 acta Clotis sans Malraux https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20409 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20409/118552_d00f6b39fd4663ea9724bf0f4895e003.jpg" width="100px" />Josette Clotis a publié deux romans de son vivant : elle se fait connaître en 1932 avec Le Temps vert, roman rural d’une jeune fille pauvre qui cherche à sortir de sa condition par le travail, puis publie en 1934 Une mesure pour rien, roman de formation qui suit une collégienne désespérée d’amour. C’est ce dernier titre que rééditent les éditions de l’Arbre vengeur dans leur collection « Inconnues », laquelle compte déjà deux autres titres du premier xxe siècle : Madame 60bis (1934), par Henriette Valet, et Les Séquestrés (1945), par Yanette Delétang-Tardif. Le choix est audacieux, car si Clotis n’est pas tout à fait une inconnue pour celles et ceux qui s’intéressent à la période, son second roman a reçu, à sa publication, un accueil plus confidentiel que le premier, disparaissant ensuite totalement de l’histoire et de la mémoire littéraires. Le Temps vert aurait été plus attendu, et n’est pas davantage disponible. Ainsi que le fait l’éditeur, il faut alors remercier François Ouellet « pour son invitation à faire redécouvrir ce roman oublié » (p. 6), et pour sa préface qui brosse un portrait éclairant de la romancière et de son œuvre. Clotis a été une romancière précoce, ayant écrit ses deux premiers romans sur les bancs du lycée ; elle a contribué à différents titres de presse : Marianne, Ève, La Femme de France, La Revue politique et littéraire, Paravent, Cinémonde ; mais, surtout, elle a été la compagne de Malraux. Comme plusieurs autres écrivaines de la même époque en effet, le nom de Clotis n’est resté qu’accompagné de celui de son amant. Deux livres ont été consacrés au couple, aucun sur Clotis sans Malraux1. Pourtant, en 1934, Clotis intéresse pour son roman et, quand elle est associée à un homme, ce n’est qu’à Henri Pourrat, célèbre auteur régionaliste qui, au sommet de sa gloire2, a préfacé Le Temps vert. Il était certainement nécessaire de rappeler cette liaison avec Malraux qui a occupé Clotis les dix dernières années de sa courte vie — l’écrivaine meurt accidentellement en 1944, à seulement 34 ans. Deux enfants sont nés de cette union et, surtout, Malraux relit les romans de sa compagne, laissant entrevoir une forme de collaboration littéraire. François Ouellet regrette lui-même cette destinée subordonnée qui fait survivre le nom de la romancière sans lui offrir la reconnaissance méritée. Il dénonce notamment la « malhonnêteté sidérante » (p. 22) de Françoise Theillou qui juge Une mesure pour rien, « ce roman de collégienne » (cité p. 22), avec Tue, 02 Dec 2025 11:50:24 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20409 acta La nouvelle réception de Rachilde ? Éditer La Tour d’amour https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20368 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20368/9782070747498_1_75.jpg" width="100px" />Tous les travaux récents qui portent sur Rachilde, figure majeure de la fin-de-siècle, s’accordent sur les « aléas de [s]a postérité1 » et travaillent à livrer des pistes de réflexion sur l’origine d’une errance qui, si elle concerne nombre des autrices de la fin du xixe siècle, demande dans ce cas précis de démêler de complexes écheveaux. Vicky Gauthier revient, parmi d’autres interrogations, sur ses positionnements sociopolitiques et artistiques : antidreyfusarde à la fin du siècle, « vindicative à l’égard des surréalistes2 » et défenseuse de Maurice Barrès dans les années 1920, antiféministe à l’heure de l’éveil de la première vague de lutte contre la domination masculine, Rachilde serait logiquement devenue infréquentable après la Seconde Guerre mondiale. Pour vraie qu’elle est, cette proposition postule implicitement que le public de Rachilde aurait été nécessairement progressiste (et féminin ?), rebuté dès lors par ces choix politiques et esthétiques, ce qui n’est peut-être pas si évident. Certains auteurs des plus réactionnaires ont, par ailleurs, été très loin de connaître un tel désamour. Le genre de l’autrice, ici, comme le rappelle plus loin Vicky Gauthier, constitue un élément déterminant. Dans le récent numéro de la série Minores xixe-xxe qui lui est consacré, Thierry Poyet propose de s’attarder par ailleurs sur le parfum de scandale qui entoure les œuvres de Rachilde à leur parution, et sur la manière dont la critique « a desservi Rachilde en arguant toujours de l’esprit de subversion de Rachilde3 », c’est-à-dire en réduisant son œuvre à un coup porté à la morale étriquée de son temps : « la critique a infligé la condamnation la plus lourde qui soit aux romans rachildiens : elle a fait le pari du scandale comme clé unique de leur succès, et les a condamnés à l’oubli4 », conclut-il. Marc Angenot faisait ainsi un constat sans appel dans son analyse du discours social de la Belle Époque : Rachilde, comme Catulle Mendès, « tout audacieux qu’ils fussent, ne sont pas moins “illisibles” aujourd’hui », puisqu’ils « ne permettent plus qu’une lecture “archéologique”5 » au prisme de la transgression du discours hégémonique de leur époque. Pour attester de la justesse de ces analyses, il n’y a qu’à regarder en effet les anecdotes qui constituent la mémoire résiduelle de Rachilde dans la plupart des portraits qui lui sont voués, très fréquemment piochées parmi le « scandale » Monsieur Vénus, roman publié à l’aube d’une carrière qui dure un demi-siècle. De Tue, 02 Dec 2025 11:32:12 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20368 acta La Tour d’amour, ou la tentation du male gaze https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20355 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20355/9782070747498_1_75.jpg" width="100px" /> En 1899, Rachilde (née Marguerite Eymery), écrivaine décadente qui s’était fait remarquer en 1884 avec Monsieur Vénus, publie La Tour d’amour. Dans ce récit maritime aux allures de roman noir, Jean Maleux est employé au phare d’Ar-men aux côtés du vieux gardien Mathurin Barnabas. Le temps passe, la mer noie des navires et, peu à peu, le comportement de Barnabas se fait inquiétant. Un soir, Jean découvre que Barnabas souille les corps des noyées que la mer lui amène. Puis, dans un dernier aveu avant d’expirer, le gardien confesse à Jean qu’est enfermée dans une pièce du phare la tête de feu sa femme : Jean se débarrasse en même temps de cette tête et du corps de Barnabas et prend sa place de gardien en chef du phare d’Ar-men, prêt à sombrer à son tour dans la folie. Dès sa prémisse, La Tour d’amour semble avoir été écrit pour un lectorat masculin amateur de contes noirs et de femmes fatales ; et Rachilde elle-même d’expliquer : « Je ne me rappelle pas avoir jamais écrit pour les jeunes filles1. » Pétri d’influences masculines, La Tour d’amour est aussi un exemple du goût de la Décadence pour l’intertextualité. Camille Islert rappelle ainsi que la notion d’influence au xixe siècle est une notion genrée, les auteurs seuls ayant le pouvoir d’influencer et les autrices ne pouvant être qu’involontairement influencées2. Malgré cet attachement de La Tour d’amour aux codes d’une littérature masculine, sa récente publication chez Gallimard s’inscrit dans toute une relecture genrée de l’œuvre de Rachilde, autrice perçue comme résolument féministe dans ses thèmes. Dans le cadre de cette relecture, La Tour d’amour est présenté comme un roman où les stéréotypes misogynes sont subvertis, alors même que les lecteurs du xixe siècle n’y voyaient qu’une histoire d’amour impossible entre l’homme-phare et la femme-mer. Comment allier, alors, « poétique de l’influence3 » et subversion féministe ? Il semblerait, en réalité, que le mouvement à chercher chez Rachilde ne soit pas celui du renversement mais de l’amplification : le male gaze est ingéré plutôt que rejeté. « Les agresseurs de la mer » : Hypertrophie du regard masculin Victor Hugo, que Rachilde surnommait « [s]on dieu4 », ouvre le sixième livre des Travailleurs de la mer (1866) par une description des rochers Douvres, « lieu funeste5 » situé au sud de Guernesey : Un des plus étranges rochers du groupe Douvres s’appelle l’Homme. Celui-là subsiste encore aujourd’hui. Au siècle dernier, des pêcheurs, fourvoyés sur ces Tue, 02 Dec 2025 11:09:14 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20355 acta Criquet (1913), « féministe » ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20364 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20364/Capture d’écran 2025-12-02 à 11.31.55.png" width="100px" />Petit bijou, vieux de cent ans, dont l’éclat n’a pas terni, malgré « les couches de sable androcentrées » (préface, p. 17) de l’histoire littéraire, Criquet est de nouveau lisible, visible, pour le lecteur d’aujourd’hui. Passée au tamis d’une réévaluation du matrimoine, cette œuvre dont on a loué l’« art limpide » et « la pureté de la forme »1, jusqu’à la cacher aux yeux des jeunes filles, a de quoi dessiller le regard d’une époque. La double préface signée par Constance Debré et Clémence Allezard prend ses précautions : « On pourrait dire, et on n’aurait pas tort, que Criquet est un livre féministe » (p. 11). Féministe, Criquet ? Féministe de 1913 et/ou de 2025 ? Féministe par l’introspection douloureuse d’une jeune fille devant quitter le monde libre et non genré de l’enfance ? Féministe par la dénonciation juvénile de l’inégalité des sexes ? Féministe par la révolte contre le mariage et la maternité imposés ? Criquet détone à la veille de la Première Guerre. Ardente, emportée, exaltée, la lamentation de Camille, dit Criquet, n’est pas sans gravité, et le cri de colère contre les normes de genre d’une Belle Époque où la femme est assignée au foyer parvient aux oreilles masculines dès sa publication en 1913 : Derrière le caprice d’une gamine fantasque, il y a l’intuition précoce de tout le problème féminin. Par là, si j’ose employer un mot qui n’est pas trop fort, l’œuvre de Mme Andrée Viollis, d’allure psychologique et descriptive, et parfois si amusante, évoque de brûlantes idées de liberté sociale. La fillette espiègle et triste, qui a si peur de changer, pressent d’instinct que notre civilisation masculiniste contrarie les énergies féminines et que le désaccord est grand entre la femme et la vie. Ne voit-elle pas l’existence étroite des femmes qui l’entourent ? Aux hommes seuls, les batailles de la vie. Ils ont toutes les conquêtes et toutes les gloires. Exaltation enfantine ? Sans doute. Mais il n’y a qu’une différence de degré entre la tristesse d’une fillette frénétique, qui trouve que les garçons ont toutes les chances, et le tourment des femmes portées vers une vie plus haute et condamnées aux existences mineures2. Criquet en butte à la « civilisation masculiniste » ? Hubert Lagardelle, proche des milieux syndicalistes révolutionnaires, pèse ses mots. Les « brûlantes idées de liberté sociale » sont plus que d’actualité en 1913. Pas de caprice. Criquet est à prendre au sérieux. De la lamentation de la jeune fille à la revendication de la femme. Qu Tue, 02 Dec 2025 11:30:30 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20364 acta Inventer des communs queers https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20263 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20263/9782492642104-Niedergang.jpg" width="100px" />Réhabiliter la normativité Paru en 2023, l’ouvrage de Pierre Niedergang intrigue dès son titre. L’expression « normativité queer » étonne, et même tend à l’oxymore : les discours queers sont plutôt perçus comme méfiants, si ce n’est opposés, voire allergiques aux normes et à tous ses dérivés linguistiques. Le sentiment de curiosité que suscite le titre est accru par la préposition qui l’ouvre, elle aussi peu habituelle : ni « pour », ni « contre », mais « vers ». Ce « vers » semble promettre une éclosion tranquille et nécessaire dont l’auteur prend le parti. Il inscrit l’essai dans un horizon utopique, héritier revendiqué de José Esteban Muñoz, qui, le rappelle Pierre Niedergang, déclarait dans Cruiser l’utopie : « [N]ous ne sommes pas encore queers1. » Vers la normativité queer propose une thèse originale et stimulante à l’image de son titre à rebours de nos attentes : partant de cette notion centrale de « normativité », l’essai peut être envisagé comme une longue justification et revendication de son emploi. En axant sa réflexion sur les concepts de norme, de normalisation et de normativité, Niedergang ravive d’importants et animés échanges critiques entre penseureuses queers et féministes, au sujet des stratégies politiques et critiques à adopter entre transgression individuelle et militantisme communautaire, utopisme et matérialisme, survie concrète et subversion citationnelle des normes dominantes. Il explique ainsi que la rédaction de l’ouvrage a été motivée par des débats récents dans le milieu queer au sujet du traitement des violences sexuelles, en particulier à l’aune du mouvement #MeToo. Dès l’introduction, l’auteur annonce son intention de « clarifier les choses » (p. 21) en commençant par une distinction fondamentale entre « normalisation » et « normativité ». La confusion des deux termes est en effet le point de départ d’un dissensus qu’il est nécessaire d’identifier, sans le minimiser en le ramenant à un malentendu ni tenter de l’escamoter. En prônant une normativité critique, qui ne fige pas ses normes, l’auteur défend la nécessité d’inventer des règles, des cadres, pour orienter les vies queers, dont la caractéristique principale serait la disponibilité à la critique et à la redéfinition. Alors que la normalisation renvoie à la dynamique de préservation de normes définies en amont, en particulier par des dispositifs de contrainte et de punition des écarts, la normativité désigne le travail de création des normes, travail donc réflexif et e Mon, 10 Nov 2025 15:07:29 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20263 acta Au-delà des frontières : l’extraterritorialité et le métissage linguistique chez Gloria Anzaldúa https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20235 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20235/9782366249217-475x500-1_Anzaldua.jpg" width="100px" />Concevoir l’écriture comme une arme puissante pour déconstruire les barrières géographiques, linguistiques et culturelles afin d’établir de nouvelles interprétations des frontières est, sans aucun doute, un combat constant de l’écrivaine et poétesse chicanx Gloria Anzaldúa (1942-2004). Au sein de l’œuvre Terres frontalières. LA FRONTERA. La nouvelle mestiza, initialement parue en 1987 et traduite de l’anglais et de l’espagnol en 2022, il existe une réflexion qui s’appuie sur les expériences personnelles de l’auteure en tant que féministe, Chicanx1, métisse et lesbienne. Selon elle, c’est précisément la destruction des canons bien établis dans la société qui permet la construction d’un nouvel espace frontalier. Cette vaste et dangereuse zone géographique, séparant le Mexique des États-Unis, représente un non-lieu. De cette ligne de démarcation naît une nouvelle identité pour les femmes métisses, qui commence par l’utilisation d’une langue hybride mêlant l’espagnol, l’anglais et la langue indigène nahuatl, symbole de la résistance féministe née au cœur de cette zone en transition2. Nous observons ainsi que la frontière est un élément en constante transformation pour Anzaldúa. Il s’agit de prendre la décision de demeurer dans un espace où convergent diverses identités et où tout peut sembler transitoire, à l’exception de la lutte féministe contre le système patriarcal dominant, où s’amorce dans ce texte un processus de transmutation vers la nouvelle mestiza. C’est pourquoi un certain nombre de chercheureuses la considèrent comme l’une des auteures influentes de la troisième vague féministe aux États-Unis dans les années 1980. Anzaldúa, après avoir subi un processus d’invisibilisation dans le développement des queer studies aux États-Unis, est en outre de plus en plus reconnue comme l’une des figures pionnières de la théorie queer3. En effet, l’écriture de Anzaldúa présente une hybridité qui cherche à revendiquer un féminisme hétérogène, où la dimension métisse occupe une place importante. Il existe une volonté de repolitiser l’idée de métissage, de femmes lesbiennes et de femmes de couleur, ce afin de mettre en lumière les différentes identités au sein du féminisme. À cet égard, Karine Bergès et. al. affirme que cette troisième vague du féminisme est précisément une lutte contre les discriminations multifactorielles (classe, race, genre, sexualité), où se croisent également les luttes féministes4. Par conséquent, le franchissement des frontières représenté pa Fri, 07 Nov 2025 17:00:04 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20235 acta Sortie au club Utopie https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20243 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20243/9782956870029-Munoz.jpg" width="100px" />Un professeur sort de son appartement new yorkais autour de l’an 2000. « C’est une belle journée… “La criminalité est en baisse” », dit un autocollant sur un mur. Cela lui rappelle le maire Giuliani et ses promesses de « nettoyer la ville ». Il avance sur quelques blocs vers l’ouest. « Hétéronormativité. Tombez dans le piège. » Ils y sont déjà, pense-t-il, tous ces homos pour qui le futur consiste désormais à faire des enfants et à accumuler du capital. « Les violences policières sont en hausse… Qu’est-ce que tu fais dehors ? » Trop tard. Il est déjà vers Broadway et il sent tomber sur lui toute la noire mélancolie d’être arrivé trop tard : belle journée pour venir après la Third World Gay Revolution, après Warhol, dans une période d’« érosion de l’imagination politique gay et lesbienne » (p. 51). Il y a ça d’un côté, puis il y a l’autocollant : « Peut-on se permettre d’être normaux ? » Et à ce moment-là, José Esteban Muñoz choisit peut-être l’autocollant en se disant : voici l’utopie. Puis il écrit un livre. Son titre fait référence au cruising, la pratique de rapports sexuels anonymes et improvisés entre hommes dans des lieux publics, même si l’usage du mot par Muñoz est métaphorique (p. 46), car il est moins question de rapports sexuels que de rapports entre art, queerness et avenir. « La queerness n’est pas encore là, commence le livre solennellement. La queerness est une idéalité. Autrement dit, nous ne sommes pas encore queer. Il se peut que nous n’atteignions jamais la queerness […] » (p. 19). Afin de développer cette proposition, chaque chapitre propose une analyse comparative de diverses productions esthétiques contemporaines, textuelles, visuelles, chorégraphiques, regroupées par thème ou par auteur. Le but est de détecter dans ces œuvres les traces d’un « pas encore conscient » utopique queer. L’effet de la traduction française est légèrement moins solennel : c’est l’inconvénient de venir douze ans plus tard, quand les choses ont changé. Mais avant d’embarquer sur cette terre d’utopie, où un Coca rivalise avec Michel-Ange et un vieux philosophe allemand nous sauve d’une attaque d’oiseaux anthropophages, il faut traverser certaines turbulences méthodologiques. Interpréter par sauts Cruiser l’utopie émerge du champ disciplinaire anglo-américain des cultural studies qui se concrétise après 1968 autour d’un mélange d’admiration et de désenchantement vis-à-vis des métathéories (marxisme et structuralisme notamment) et d’une volonté de rupture avec le Fri, 07 Nov 2025 17:25:19 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20243