Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta « Passer par la parole des autres pour connaître le monde » : la littérature des écrivains de l’oreille https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20321 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20321/Couv_Klein_Lecacheur_écoute.jpg" width="100px" />Si le xixe est volontiers décrit comme une époque traversée par une « fièvre enquêtrice1 », la publication, en 2019, d’Un nouvel âge de l’enquête par Laurent Demanze atteste d’une inflexion dans l’histoire littéraire contemporaine : celle d’un retour de l’enquête comme forme, méthode et horizon critique. L’ouvrage ne se contente pas d’en dresser la généalogie ou d’en repérer les résurgences ; il en assume aussi la double posture, à la fois symptôme d’une époque et outil pour en penser les lignes de force. Car après s’être dilué dans les formes médiatiques au début xxe siècle, le paradigme de l’investigation réapparaît avec vigueur à l’orée du xxie siècle, selon une dynamique qui « infléchit en profondeur les formes et les imaginaires de la littérature contemporaine2 ». D’Éric Chauvier à Ivan Jablonka, d’Emmanuel Carrère à Philippe Artières ou Florence Aubenas, les auteurs investissent l’enquête, leurs récits articulant dispositifs et méthodologies autant empruntés à la littérature qu’aux épistémologies des sciences sociales. Ce qui se joue alors n’est pas tant le retour d’un genre que l’émergence d’une posture — celle d’un écrivain-enquêteur qui interroge sa place, son mode d’adresse, sa manière de faire récit avec le réel. Dans ce contexte, l’enquête orale, de laquelle affleure la pratique de l’entretien, devient un geste central. Aussi, en quête de « voix humaines solitaires » et de « romans qui disparaissent sans laisser de traces3 », Svetlana Alexievitch s’inscrit-elle à la lisière du journalisme et de la littérature. Elle restitue dans une œuvre chorale la mémoire des silences et des marges, se décrivant elle-même, dans son discours de Stockholm, comme une « femme-oreille » qu’elle oppose à l’« homme-plume » de Flaubert. Elle y « esquisse le paradigme d’une littérature de l’écoute » (p. 11) dont Maud Lecacheur a cherché à systématiser les échos dans la littérature française contemporaine. Son récent ouvrage Une littérature de l’écoute. Collectes de voix de Georges Perec à Olivia Rosenthal, issu du remaniement de sa thèse de doctorat dirigée par Laurent Demanze et paru aux Presses Universitaires de Saint-Étienne en 2024, se donne pour ambition de brosser le portrait de ceux qu’elle rassemble sous la bannière des « écrivains de l’oreille » : des années 1980 au seuil des années 2020, « de nombreux auteurs français qui ont pratiqué l’entretien, se sont essayé à recueillir témoignages et récits de vie » (p. 13). Une nouvelle reconnaissance des écritures «  Fri, 21 Nov 2025 10:18:57 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20321 acta Au-delà du nom, la poésie de Pessoa https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20301 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20301/Couv_Juncker_Massonet_Pessoa.jpg" width="100px" />L’énigme du nom de personne L’énigme de l’œuvre se trouve dans la vie du poète, selon une équation qu’Octavio Paz voudrait ramener au nom, puisque Pessoa en portugais signifie « personne » : « Masque, personnage de fiction, personne1 ». Ce manque est le passage de l’irréalité de sa personne vers la réalité de ses fictions, c’est-à-dire le jeu des masques qui fait apparaître tous les noms de poètes qui peuplent cette « malle pleine de gens », selon le titre du livre d’Antonio Tabucchi2. En effet, de son vivant, Pessoa était un poète et essayiste fort peu connu en dehors d’un petit cercle d’initiés. Après sa mort, il laissa derrière lui quelques rares plaquettes poétiques et sa célèbre malle (deux en fait) où fut découvert une œuvre immense à la fois inachevée et pour une grande partie inédite, composée de près de 27543 documents, dont 18816 manuscrits. Au centre de cette œuvre dispersée se trouve le grand Livre qui forme son aboutissement, dont le centre est articulé autour du mystère des hétéronymes, un lieu où l’auteur peut devenir autre. Fernando Pessoa s’explique sur la genèse des hétéronymes dans une lettre à Adolfo Casais Monteiro datée du 13 janvier 1935. Il évoque comment il aurait voulu commencer son œuvre par « la publication d’un grand ouvrage en vers — un volume de trois cent cinquante pages environ — qui aurait englobé les diverses sous-personnalités de Fernando Pessoa lui-même3 ». D’emblée, le poète reconnaît une dimension organique et psychiatrique au processus de la dépersonnalisation des hétéronymes. Pessoa ajoute qu’il s’agit de la « tendance profondément hystérique4 » qui existe chez lui, qui le mène vers une forme intérieure de simulation. La genèse historique remonte à son enfance où le poète s’entoure d’un monde fictif où il dessine des personnages irréels mais qui sont pour lui tout aussi visibles que des objets réels. Le premier fut le Chevalier des Pas qui écrivit une correspondance fictive au jeune Fernando. La création d’un univers peuplé d’êtres imaginaires se poursuit, mais quelques années plus tard, il commence à entendre, voir et sentir ces êtres fictifs. Vers 1912, le poète écrit une suite de poèmes païens, qu’il mettra de côté. Il sentait pourtant se préciser les traits de l’auteur des dits poèmes, qui allait devenir Ricardo Reis. Deux ans plus tard, le 8 mars 1914, il s’approche d’une commode assez haute, prend une feuille de papier et se met à écrire debout, plus de trente poèmes dans une espèce d’extase qu’il ne parvient Tue, 18 Nov 2025 12:47:06 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20301 acta « Miroir, miroir joli ! Qui est le meilleur des princes ? » https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20310 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20310/couv_gendre_angard_prince.jpg" width="100px" />De la métaphore spéculaire à la théorie politique de la représentation Dans Le Prince aux xvie et xviie siècles. Du prince miroir au prince souverain, paru en 2024 aux éditions Classiques Garnier, Xavier Gendre, historien et philosophe politique, entreprend une vaste enquête sur la fortune et la transformation de la métaphore du « miroir des princes » dans la pensée politique européenne. Il s’appuie notamment sur les analyses de Diane H. Bodart qui fut, nous dit-il, à l’origine de son travail doctoral (p. 15-16). Cette dernière, historienne de l’art, éclaire la manière dont la métaphore du miroir, d’abord conçue comme l’attente d’un modèle vertueux, s’est progressivement inversée pour désigner le prince comme reflet, pour le meilleur ou pour le pire, du peuple qu’il gouverne1. Xavier Gendre, relayant cette réflexion, souligne que la métaphore du miroir, érigée en théorie de la représentation politique, connaît une inflexion décisive à l’époque moderne, où l’on cesse d’attendre du dirigeant une capacité à tendre vers un idéal moral pour n’en faire qu’un reflet, aussi fidèle que possible, de la nation. Cette évolution, perceptible dans le débat public contemporain, témoigne d’une résignation de l’homme moderne à l’égard de l’idéalisation du pouvoir, et d’un déplacement de la question de la vertu vers celle de l’adéquation entre le prince et ses sujets. L’ouvrage, qui comporte six parties, s’ouvre sur une généalogie minutieuse de la métaphore spéculaire, dont les origines antiques sont réactivées par les auteurs chrétiens du Moyen Âge, qui en font un instrument à la fois moral et politique. Le miroir, dans cette perspective, sert d’idéal au prince, tout en reflétant, pour ses sujets, l’image d’un bon gouvernement, garant de l’obéissance et de la stabilité du royaume. Ce modèle du « miroir des princes » s’impose ainsi comme une référence majeure dans les théories politiques du haut Moyen Âge jusqu’au xve siècle, avant d’être radicalement remis en cause par la pensée machiavélienne. Machiavel, en effet, substitue à l’idéal spéculaire la « vérité effective de la chose politique », fondée sur la force, la ruse et la capacité à conserver le pouvoir, même par des moyens immoraux. Par ce geste, il brise le miroir traditionnel, sans pour autant faire disparaître totalement le genre, qui connaît des adaptations chez des auteurs comme Érasme ou Budé, où il se mue en traité d’éducation du prince chrétien. Ruptures et mutations à l’époque moderne : de Machiavel à la rais Tue, 18 Nov 2025 12:49:41 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20310 acta La légende et les simulacres : les mémoires et les films de Josef von Sternberg https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20212 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20212/Couv_Pavans.jpg" width="100px" /> Certains cinéastes de l’âge classique ont, par-delà leurs œuvres, par-delà les studios qui produisaient leurs films, travaillé à bâtir leur propre légende. Ils ont cultivé une image, une posture d’auteur, parfois écrit pour indiquer ce qu’il fallait retenir de leur vie — ce qu’il fallait y lire, dans le sens premier de « légende ». Erich von Stroheim et Orson Welles en sont sans doute les meilleurs exemples hollywoodiens. Josef von Sternberg, qui va jusqu’à emprunter la particule du premier pour l’ajouter à son nom de naissance, a marché dans leurs pas, notamment à travers ses mémoires, élément à part entière de son œuvre — Fun in a Chinese Laundry paru en 1965, et en 1966 en français, sous le titre Souvenirs d’un montreur d’ombres —, et à travers ses entretiens ou ses cours à l’Université de Californie, de 1959 à 1963. Le cinéaste américain s’est en effet forgé une image de « cinéaste maudit », de « poète de la caméra »1, comme un complément à sa filmographie, elle-même marquée par les indices autobiographiques mêlés aux motifs — la femme fatale, l’« underworld », l’eau, etc. — et aux tropes — les jeux expressionnistes d’ombre et de lumière — qui fondent l’unité de son œuvre. Et c’est précisément l’ambition du récent essai de Jean Pavans, Les Démons et les rêves de Josef von Sternberg de 2024, que de prendre à la fois au sérieux et avec distance cette posture, en la plaçant systématiquement face aux détails des films. Jean Pavans, traducteur de profession, entre autres de Henry James, sans prétention scientifique objective, en amateur et au fil d’une « entreprise […] subjective » assumée (p. 33), propose ainsi une lecture suivie des mémoires de Sternberg, un commentaire de son œuvre au fil de sa filmographie et de sa biographie, s’autorisant les digressions, les anecdotes et les hypothèses personnelles pour explorer les thèmes de l’imaginaire sternbergien, « les démons et les rêves », leur « contexte » de création et de réception. « L’essai, plus que tout autre genre, impose une démarche tortueuse, qui s’adapte à son objet »2 écrivent Pierre Glaudes et Jean-François Louette : en ce sens, Jean Pavans, auteur déjà d’une biographie de Marlene Dietrich3, actrice fétiche de Sternberg, s’adapte au réalisateur de l’Ange bleu, 1930, cinéaste du mystère et de la ligne courbe. Les indices autobiographiques L’essai de Jean Pavans s’efforce de concentrer la biographie de Sternberg, et pour cela de résumer les biographies déjà existantes4 et de les recouper avec Mon, 03 Nov 2025 12:23:03 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20212 acta Répondre au désastre avec Moby-Dick https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20227 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20227/Couv_Bonord_Moby dick.jpg" width="100px" />Un flou générique Il est des livres singuliers que l’on peine à classer dans un genre ou une catégorie. Celui de Myriam Watthee-Delmotte, Indemne, Où va Moby-Dick ?, intrigue dès son titre. Les remerciements à Yannick Haenel renvoient à une signification spirituelle du titre. L’indemne est ce qui a échappé à la damnation. Le titre oriente donc vers la défense d’une valeur spirituelle du livre dans un monde au bord du naufrage. Tandis que le sous-titre, à la forme interrogative, laisse planer le doute : s’agit-il d’un essai sur le roman de Melville ? d’une réécriture ? d’une suite ? L’autrice, directrice de recherche du Fonds national de la recherche scientifique belge, professeur émérite de l’université catholique de Louvain, est bien connue pour ses travaux de recherche sur Henry Bauchau, sur les rapports entre littérature et spiritualité, sur littérature et arts de la fin du xixe siècle à nos jours. Elle publie ici une fiction à la structure originale qui a obtenu le prix Malesherbes, le Libraire du roi 2025. Le narrateur n’est autre que celui de Moby-Dick, le roman célèbre d’Herman Melville paru en 1851. Ishmaël raconte d’abord la vie de son auteur, ses échecs, ses espoirs, ses doutes. Puis la destinée du livre auquel il appartient à travers la circulation de celui-ci de mains en mains. Chaque chapitre porte alors le prénom du lecteur que nous allons suivre jusqu’à ce que le livre devienne la possession d’un(e) autre. Ces lecteurs et lectrices sont eux-mêmes soit des personnages de fiction, soit des personnalités réelles, tels Jean Giono ou Yannick Haenel. Le lecteur suit donc la vie d’un exemplaire original du roman de Melville de sa parution à nos jours dans différents pays, essentiellement en France et en Belgique, incluant un passage à Saint-Pétersbourg. La fiction donne à lire des tranches de vie à différentes époques. Si bien que le lecteur suit à la fois l’histoire éditoriale du livre, l’histoire de sa réception dans son pays d’origine et en France, l’Histoire des États-Unis et de l’Europe, dans sa variété et ses vicissitudes. La « grande » Histoire et la « petite » histoire du quotidien des personnages de fiction se mêlent à des moments de la biographie des auteurs réels évoqués, Melville, Giono dans la délicate période de l’Occupation — moment où il décide de se lancer, avec d’autres, dans la traduction et l’édition de Moby-Dick en français —, Yannick Haenel au moment de la naissance de sa vocation d’écrivain au Prytanée militaire de La Flèch Mon, 03 Nov 2025 13:04:44 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20227 acta Les couleurs des Lumières https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20220 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20220/Couv_Raulier_Gaillard.jpg" width="100px" />Face à la monotonie des beiges, gris, bruns et greiges qui envahissent les médias sociaux, l’on se demande si ce n’est pas une triste aspiration à l’uniformisation qui nous amène à vouloir nous immerger dans ce monde monochrome. Cependant l’ouvrage d’Aurélia Gaillard, L’Invention de la couleur par les Lumières. De Newton à Goethe, qui envisage l’explosion des couleurs au xviiie siècle, offre une vive échappatoire à cette tendance qui n’a de toute évidence pas encore rassasié l’opinion publique puisque c’est « Mocha Mousse » qui a été élue « couleur de l’année » en 2025. Le parti-pris de l’auteure est singulier. Encouragée par son expérience personnelle de la synesthésie, Aurélia Gaillard envisage son objet coloré avec une grande sensibilité. D’abord visuelle, celle-ci se répercute dans sa capacité à faire dialoguer son étude d’œuvres littéraires avec l’histoire de l’art et des techniques, résultant en un essai riche en couleurs, puisqu’abondamment illustré d’œuvres d’art, de figures et de schémas. Ensuite, elle montre une grande sensibilité matérielle, dont témoigne son désir de réaliser une étude de la couleur en tant que phénomène. Elle considère ainsi avec attention les traces d’une culture matérielle. Tant du point de vue de sa méthode que celui de sa réalisation, l’histoire de la perception des couleurs au siècle des Lumières d’Aurélia Gaillard fournit un exemple d’étude interdisciplinaire réalisée sur un vaste corpus mêlant différents genres de textes : techniques, médicaux, philosophiques, scientifiques, romans et contes. Les Lumières : inventeurs des couleurs, fabricateurs des teintes Si le terme d’« invention » qu’Aurélia Gaillard mobilise dans le titre de son ouvrage intrigue au départ, ce dernier est précisé dès l’introduction et mis en lien avec les ambitions matérielles de l’ouvrage. Ce n’est pas au sens latin de « trouver » qu’inventer est ici entendu, mais bien au sens de « fabriquer » (p. 8-9). Une seconde précision permet à l’auteure de définir l’objet de cette invention en distinguant clarté et teinte des couleurs. Tandis que l’Antiquité latine considérait principalement les couleurs en fonction de leur clarté, c’est-à-dire leur brillance et leur rapport à la lumière, le xviiie siècle quant à lui voit s’opérer une démultiplication des teintes — les coloris et leurs nuances —, ainsi qu’un renouvellement paradigmatique de la couleur : s’y renouvellent et s’y réunissent pour la première fois des discours, des savoirs, des pratiques et des te Mon, 03 Nov 2025 12:27:24 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20220 acta Métamorphoses et reconfigurations de Blanche-Neige https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20208 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20208/Couv_Imbaud_.jpg" width="100px" />Dans un ouvrage paru en 2006, Jack Zipes se demandait pourquoi certains contes merveilleux réussissaient à s’ancrer dans l’imaginaire collectif et à perdurer en se transformant pour s’adapter à leur nouveau contexte d’énonciation, tandis que d’autres sombraient dans l’oubli1. Selon lui, le succès non démenti de Blanche-Neige tient ainsi de ce que le conte met en scène un conflit entre femmes — Blanche-Neige et sa [belle-]mère —, issu d’une rivalité instaurée par la société patriarcale : dans le contexte actuel d’exacerbation de cette mise en compétition des femmes, le conte gagnerait en actualité. Dans la lignée des travaux du chercheur américain, Pascale Auraix-Jonchière propose dans Le Cas Blanche-Neige une étude approfondie des métamorphoses et reconfigurations de ce conte qui « cristallise de manière exemplaire les préoccupations sociales concernant le statut des femmes » (p. 12) : Victime d’un infanticide symbolique, qui est en réalité une forme de féminicide [« il s’agit d’empêcher la part féminine du personnage de se développer » précise l’autrice en note], [Blanche-Neige] cristallise une réflexion sur les représentations sociales du vieillir et sur les relations intergénérationnelles, qui se traduit par un ensemble de reconfigurations du conte qui en bouleversent le schéma initial et redéfinissent les contours des différents acteurs de la cellule familiale. (p. 11) C’est en ce sens que Blanche-Neige constitue un « cas », non au seul sens clinique et psychologique — quoique cette dimension soit présente dans bon nombre de réécritures, à commencer par la pièce de théâtre d’Howard Barker dont Pascale Auraix-Jonchière reprend le titre, Le Cas Blanche-Neige (2002) — mais également « au sens narratif du terme, parce que le canevas de cette histoire se noue autour de points sensibles, qui suspendent l’action et l’ouvrent sur des questionnements sociaux et éthiques » (p. 292), comme l’ont montré les récents débats autour du remake live action de Disney. L’autrice propose ainsi une lecture sociopoétique d’un certain nombre de (re)configurations — textuelles, scéniques, icono- et cinématographiques — du conte, issues principalement des aires germano- , franco- , anglo- et hispanophones, mais aussi plus occasionnellement italo-, luso- et japanophones, du xixe siècle à nos jours, auxquelles elle avait déjà consacré un nombre important d’articles depuis 2012. Il s’agit, dans cette optique « sociopoétique », d’« analyser l’émergence, dans les réécritures, de lec Mon, 03 Nov 2025 12:17:48 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20208 acta Chronique d’un voyage entre plume et pinceau au XIXe siècle https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20180 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20180/Couv_Lucioni.jpg" width="100px" />« Nous dessinâmes ; mais que peuvent les vains efforts d’un crayon devant tant de merveilles ! » Auguste de Forbin, Souvenirs de la Sicile « Comment faire sentir par des mots la différence de forme et de couleur de ces pics […] ? » Théophile Gautier, Les Vacances du lundi. Tableaux de montagne La relation des peintres aux écrits viatiques au xixe siècle est un sujet d’un intérêt certain. On connaît l’importance de l’art pictural tout au long du siècle, les tournants et les détours que certains tableaux ont contribué à établir dans l’histoire de la sensibilité artistique — il suffit de penser à La Mort de Sardanapale — ainsi que les riches échanges et influences réciproques entre plume et pinceau au fil des décennies. Les points de croisement entre ces deux arts apparaissent ainsi comme un lieu privilégié pour interroger les imaginaires changeants des pratiques littéraires et picturales, les différences et les continuités quant aux enjeux, aux techniques, aux préoccupations esthétiques et aux points de vue. Cela nous semble d’autant plus vrai dans le cas du récit de voyage, un genre hybride à la croisée des formes, qui, par sa nature même, a « partie liée avec les images », comme le rappelle Roxana Monah dans son ouvrage sur Écrire le voyage au xixe siècle. Les peintres et la tentation de la littérature (p. 256). Peintre ou littérateur, au xixe siècle on part de plus en plus pour « chercher des images1 » : à compter du début du siècle, et progressivement, « le caillou peut avoir plus d’importance que la cathédrale » comme le dit Philippe Antoine2, et l’on voyage pour écrire, pour peindre, ou parfois pour tenter les deux. Tour d’horizon : les voyages des peintres au xixe siècle Dans ce contexte dynamique, l’ouvrage de Roxana Monah s’annonce comme une enquête sur les écrits viatiques des peintres au cours du xixe siècle. Divisé en trois grandes parties, le volume présente d’abord les enjeux liés au fait d’« écrire en peintre » dans l’imaginaire de l’époque ; il aborde ensuite les expériences viatiques des artistes et leurs traces écrites (« Voyager en peintre, écrire le voyage »), pour parvenir, dans la dernière section, aux contours de la figure du peintre-voyageur et aux thèmes récurrents de sa relation avec l’« ailleurs » (« Le peintre aux prises avec le monde »). Si la remise en contexte historique sur l’« indétermination vocationnelle » (p. 87) des peintres et leurs revendications d’une prise de parole à l’écrit, remontant au xviiie siècle, aurait pu êt Sat, 25 Oct 2025 16:46:58 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20180 acta Camus relu aujourd’hui. Questions de méthode https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20199 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20199/Couv_Spiquel.jpg" width="100px" />À l’automne 2023, un Associate Professor à l’université de Caroline du Nord (États-Unis), persuadé qu’il fallait aider les Français à s’affranchir de leurs idoles intellectuelles, nous enjoignait d’« oublier Camus ». Publié à la Fabrique, le livre d’Olivier Gloag a d’abord semblé avoir partie gagnée, tant il a été porté par une intense campagne, toute idéologique, de promotion. Et pourtant, Camus a continué à être joué dans de nombreux théâtres, lu en public, expliqué dans des classes et des amphis, vendu en librairie… La démarche du polémiste a été d’emblée contestée par ceux que lui et ses soutiens récusent a priori comme « thuriféraires » de Camus parce qu’ils connaissent son œuvre et sa pensée, qu’ils s’en nourrissent et les placent au rang des plus grandes du siècle dernier, et que, sans naïveté hagiographique, ils en tirent de quoi être au monde autrement. Acceptant mal que l’on détourne les textes pour mieux accabler l’auteur par des jugements aussi abrupts qu’anachroniques, ces « camusiens » sont montés au créneau à intervalles réguliers et par des canaux divers : rappel en est fait à la fin de Retrouver Camus (p. 101-145), l’ouvrage plus exhaustif que les éditions Le Bord de l’eau publient en janvier 2025, sous la double signature de Faris Lounis et Christian Phéline. Le fin débatteur et bon historien de l’Algérie coloniale qu’est ce dernier avait déjà mis à mal en 2020 la méthode du pamphlétaire dans le portrait à charge que celui-ci venait de proposer de Camus pour la collection A Very Short Introduction (qui, avec tout le crédit des éditions d’Oxford, s’adresse au grand public anglo-saxon). Après avoir souligné les simplifications et torsions opérées dans cet ouvrage, il a été relayé dans sa veille critique par d’autres « camusiens » et par de bons connaisseurs des débats qui traversent en ce moment la sphère intellectuelle française, dont le jeune Algérien, Faris Lounis, journaliste indépendant et formateur. Débusquer une tentative d’éradication intellectuelle Unissant leurs talents respectifs, ces deux auteurs ont voulu « retrouver Camus ». Certes, le discours d’accompagnement d’Oublier Camus soutenait qu’il s’agissait seulement de libérer « des manipulations de l’establishment politique […] une œuvre historique menacée par une propagande apolitique mise au service d’une tentation antipolitique plus inacceptable encore » (Préface de Fredric Jameson, p. 9-10). Retrouver Camus qualifie tout au contraire de « tristes tropismes » la conjonction d Mon, 03 Nov 2025 08:43:33 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20199 acta Entre diffraction et constellation. Mallarmé entre les arts https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20187 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20187/Couv_Cabral_Illouz_Mallarmé.jpg" width="100px" />Lauréat 2025 du Prix Henri Mondor de l’Académie française pour son ouvrage, Jean-Nicolas Illouz, professeur à l’université Paris 8 (Vincennes à Saint-Denis) et spécialiste de Nerval, de Mallarmé, du symbolisme et des rapports entre la poésie et les arts, propose dans Mallarmé entre les arts (Presses universitaires de Rennes), un travail critique inédit sur les interactions entre le poète de la Rue de Rome et les artistes de son temps – peintres, musiciens, photographes – ainsi que de ses relectures contemporaines. Le livre s’inscrit dans une tradition de recherche sur les relations entre les arts, mais il en renouvelle les termes par son refus de toute synthèse illustrative : loin de l’idée d’une œuvre d’art totale, Mallarmé devient chez Illouz l’opérateur d’un dispositif de diffraction formelle. Mallarmé entre les arts n’est pas un livre que l’on parcoure d’un trait : il se déplie, pli selon pli, à la manière d’une partition où chaque chapitre, autonome et résonant, module un rapport singulier entre les formes. Ce livre interroge une question centrale : comment une œuvre poétique agit-elle sur la lisibilité des autres arts ? Et plus largement : comment Mallarmé permet-il de penser un autre régime de coexistence entre le texte, l’image, le son et le silence ? Il faut saluer dans Mallarmé entre les arts une entreprise d’une rare exigence, qui ne se contente pas de revisiter une œuvre, mais en interroge les conditions mêmes d’apparition et de lisibilité. Jean-Nicolas Illouz ne suppose pas entre les arts une continuité de principe ni une transparence des langages : il interroge, avec finesse, les points de friction, les seuils de forme, les écarts de temporalité et de support. Il fait œuvre d’analyse dans le geste même de la dissémination, en se tenant au plus près des textes, des images, des sons, des silences qui constituent la constellation mallarméenne de la modernité. Le titre du livre est programmatique : Mallarmé entre les arts : ni au-dessus, ni à la croisée, mais dans cet intervalle agissant, ce suspens fertile que Derrida, Blanchot, Valéry ou Boulez auront lu comme un champ critique. Le projet critique ne vise pas une cartographie des influences, mais une relecture serrée des formes de coexistence, de diffraction, de seuil. C’est en cela que le livre d’Illouz ne suit pas la logique du commentaire linéaire : il module, déplace, replie les gestes du poète au contact d’autres arts. Lire ce livre, c’est entrer dans une composition de tensions et de repr Tue, 28 Oct 2025 11:58:35 +0100 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20187 acta Plasticités de l’écopoétique : régler ses contes au monde https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20115 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20115/126067_062722b0b19db78170a169f2c62f872f.jpg" width="100px" />Dans son ouvrage aux airs de manuel d’écopoétique, Christine Marcandier nous offre une carte des diverses sentes à arpenter dans cette « (in)discipline » (p. 5) encore jeune. Le livre part sur la piste d’une définition de l’écopoétique — définition nécessairement temporaire, en constante reformulation, à la fois du fait qu’il s’agit d’une discipline très récente aux croisements de nombreuses disciplines, mais aussi dans la mesure où l’écopoétique est elle-même attentive aux métamorphoses, aux reconfigurations, ainsi qu’aux dimensions protéennes parallèles du vivant et de la littérature. À cet égard, l’autrice s’inspire de Derrida ainsi que d’Anne Simon pour figurer l’écopoétique comme plasticité : C’est là sa difficulté comme sa richesse : sa plasticité permet de s’approprier ses méthodes et de les modeler (c’est le sens étymologique du terme plassein, façonner, modeler puis imaginer et créer), avant qu’il ne renvoie à un polymère saturé d’additifs et colorants, à cette matière dont les microbilles colonisent terres, eaux et corps. (p. 74) Cette plasticité faite méthode est le sens de la démarche de l’autrice. La forme même de l’ouvrage, lequel est composé de huit chapitres, d’une introduction et d’un propos conclusif, consiste en une navigation entre références théoriques et littéraires, faisant également la part belle aux pratiques écopoétiques. Il s’agit proprement de mettre en œuvre ce que les textes font et défont : déployer des imaginaires, mobiliser des affects, avancer des idées, proposer d’autres narratifs. Empruntant à de nombreux champs disciplinaires, à de nombreux auteurs et autrices, Christine Marcandier nous propose un parcours balisé de l’écopoétique, qui n’hésite pas parfois à se laisser volontairement dériver. Au carrefour des dénominations Tout le livre se fonde sur l’idée que l’écopoétique « n’est pas seulement une manière de lier littérature et écologie » (p. 6), mais une façon de faire de la littérature, revenant par là sur le poïein spécifique de l’écopoétique. Plus précisément, cette dernière est « une méthode critique qui porte un discours à la fois formel et éthique et se situe dans un espace de convergence entre arts et sciences » (p. 73), susceptible par exemple de « réactive[r] et met[tre] en mouvement des mots en retrouvant leurs étymons » (p. 188). Il s’agit ainsi d’une entreprise de décentrement diversifiée, pluridisciplinaire, transversale, laquelle à cet égard ne peut pas per definitionem être considérée comme neutre. Elle Tue, 14 Oct 2025 12:12:20 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20115 acta Approcher l’art avec André du Bouchet : la poésie comme geste de création critique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20170 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20170/Capture d’écran 2025-10-25 à 11.50.26.png" width="100px" />À l’automne 2024, alors que l’on fêtait le centenaire de la naissance du poète André du Bouchet (1924-2001), Martine Créac’h a fait paraître, en un ouvrage concis, une étude extrêmement fouillée de la relation singulière que l’écrivain a entretenue durant toute sa vie avec les arts plastiques, et en particulier la peinture. Grand amateur d’art, André du Bouchet a en effet consacré de nombreux textes aux œuvres de ses contemporains – dont Alberto Giacometti, Jean Hélion, Nicolas de Staël et Pierre Tal Coat – mais aussi aux œuvres de siècles antérieurs – notamment à celles d’Hercules Seghers, Nicolas Poussin, Théodore Géricault et Gustave Courbet. Une part importante de ces textes avait été rassemblée par Thomas Augais dans un livre paru en 2017 aux éditions Le Bruit du temps, sous le titre La peinture n’a jamais existé. Écrits sur l’art 1949-19991. Dans Sortir de l’art. André du Bouchet, M. Créac’h offre une analyse fine et renouvelée de ce corpus très riche qu’elle fait dialoguer non seulement avec d’autres textes de l’écrivain – y compris tous ceux qu’il a pu écrire sur la poésie elle-même – mais aussi avec ceux de ses aînés – Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, Ossip Mandelstam – et ceux des poètes de son temps – Yves Bonnefoy, Pierre Reverdy, René Char, Paul Celan et bien d’autres encore. À travers cet essai éminemment polyphonique, elle poursuit ainsi son travail d’exploration des discours littéraires sur l’art et plus précisément des liens profonds qui unissent la peinture à la création poétique. Un paradoxe inaugural Le titre de l’ouvrage – Sortir de l’art – est intrigant car a priori paradoxal : il suggère une volonté de la part d’André du Bouchet de prendre ses distances vis-à-vis de ce qui, justement, constitue l’objet de son attention la plus vive. Il confère même à cette volonté un caractère d’urgence qui donnerait presque l’impression que l’art étouffe celles et ceux qui le côtoient. M. Créac’h introduit son propos en nous éclairant sur ce point. Ce titre renvoie directement à celui d’un texte publié par André du Bouchet en 1969, en réaction à la rétrospective Giacometti qu’il vient de découvrir au musée de l’Orangerie à Paris : « ...tournant au plus vite le dos au fatras de l’art2 ». Ce qui s’opère à travers ce texte, c’est la distinction qu’établit le poète entre l’art – terme abstrait désignant un cadre figé par une longue tradition critique et par une institution muséale dont se méfie André du Bouchet – et, d’autre part, Sat, 25 Oct 2025 11:57:00 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20170 acta Contemporanéités du Parnasse contemporain. Contextualisation historique et réactualisation critique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20119 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20119/Capture d’écran 2025-10-14 à 12.24.33.png" width="100px" />Au cours de l’automne 1865, la préfecture de Paris refuse le projet de lectures poétiques proposé par Catulle Mendès, qui devait réunir Leconte de Lisle, Baudelaire, Banville, Ménard, Boyer, Villiers et Dierx, cosignataires de la demande, et se proposant de faire entendre des vers inédits et des traductions poétiques. Ainsi naît l’idée du Parnasse contemporain. Recueil de vers nouveaux, appelé à remplacer ces lectures : sur une idée de Mendès, grâce à l’éditeur Alphonse Lemerre et aux fonds de Louis-Xavier Ricard, les poètes de la nouvelle école du siècle sont publiés en une anthologie de dix-huit livraisons hebdomadaires, le samedi, du 3 mars au 30 juin 1866. Moins de cent soixante ans après, Henri Scepi et Seth Whidden, professeurs de littérature française respectivement à l’Université Sorbonne Nouvelle et au Queen’s Collège à Oxford, décident de publier la première édition critique de ce recueil en feuilleton. Ils réunissent les dix-huit livraisons en volume et font appel à plusieurs nouvelles voix de la critique dix-neuvièmiste pour analyser les poèmes et en recontextualiser la publication. Bien plus qu’une anthologie Après la préface des deux éditeurs scientifiques, l’introduction de Yann Mortelette invite le lecteur à se plonger dans les dynamiques relationnelles et professionnelles reliant entre eux ces poètes qui, à la moitié des années 1860, décident d’agir en groupe pour que leurs vues poétiques se diffusent davantage et soient perçues comme un véritable mouvement. Ainsi, le Parnasse contemporain est introduit du point de vue historique en amont et en aval de sa publication – de l’origine du projet à sa réception controversée –, mais aussi dans une perspective poétique : une vision d’ensemble des choix thématiques, métriques et stylistiques des poètes est esquissée, rendant compte des tendances communes et des divergences. Les dix-huit livraisons s’offrent ensuite au lecteur l’une après l’autre, constituées des poèmes tels qu’ils se suivaient dans l’édition de 1866 : l’orthographe est maintenue, les notes critiques en bas de page reflètent l’état de l’original et seules les variantes précédant les livraisons, hors manuscrit, sont indiquées. Enfin, chaque livraison est suivie d’une notice qui recontextualise l’anthologie de poèmes en question dans le projet éditorial global, dans le paysage littéraire et social de l’époque et dans l’œuvre de ses auteurs, pour développer une interprétation critique de la composition, de la poétique et de l’esthéti Tue, 14 Oct 2025 12:19:45 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20119 acta Échappées épistolaires : ces mots trop clairs pour être compris https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20136 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/20136/couv_gur_bousquet.jpg" width="100px" />Écoutez-moi bien : la parole entendue inspire la parole prononcée ; les mots naissent de la lumière qu’ils seront dans l’âme formée pour les recueillir1. Préfacé et annoté par Paul Giro (auteur d’une monumentale biographie de Joe Bousquet [1897-1950]2), L’Opium des songes (un recueil de lettres adressées à Ginette Lauer, entre juillet 1938 et juillet 1945) nous invite à réexaminer les enjeux singuliers de la démarche littéraire que l’auteur de Traduit du silence (1941) n’aura eu cesse d’asseoir au fil de ses œuvres et de son journal, voire au sein des précédents recueils épistolaires publiés à ce jour : notamment les Lettres à Marthe, comme celles à Poisson d’Or, ou encore à Ginette Augier. L’étoffe des enchantements Dans L’Opium des songes, l’espace intime qui s’ouvre à Ginette Lauer n’est autre que l’atelier au creuset duquel Bousquet vient de mettre « le point final à trois livres de prose » : Le Mal d’enfance, Le Passeur s’est endormi et Iris et Petite-Fumée. Alité depuis la blessure de guerre qui, en 1918, l’avait condamné à l’immobilité, Bousquet lui présente son alcôve en des termes qui en font une chambre d’échos, un carrefour propice aux émotions suscitées par des regards, des intonations verbales et des lectures : « Il n’y a pas un rayon dans l’atmosphère de ma chambre qui ne me parle de mon cœur. J’entends de jolies voix, je vois des yeux purs, je lis des livres qui m’émeuvent » (p. 139). C’est au cœur de cet espace en enfilade que la rémission est appelée à prendre la forme salutaire que la démarche poétique, onirique et existentielle s’emploie à déterminer : « Ma survie a étonné les médecins, moi aussi » (p. 30), « J’ai fait l’oubli sur mon mal. J’ai fraudé mon sort […]. J’ai respiré l’opium des paroles, des songes » (p. 30). La métaphore du stupéfiant évoqué mérite toute notre attention : le comparant choisi pour associer la parole et le songe (dont l’action hallucinogène interne laisse une empreinte dans l’œil de ceux qui s’y adonnent3) traduit notamment « cette peur de mes yeux de se fermer sur moi » dont il est question dans La Connaissance du Soir4, et qui nourrit une œuvre qui, à maints égards, s’est frayée une voie singulière au « carrefour des enchantements » surréalistes5. Aussi est-ce le goût manifesté pour l’émotion poétique qui ouvre la porte de l’antre ombragé à la jeune femme (à qui sont adressées ces lettres si riches en conseils et recommandations de lectures variées), sans pour autant que Bousquet se flatte toujours des nombr Thu, 16 Oct 2025 12:41:06 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=20136 acta Diomède à la croisée des chemins : réappropriations d’un mythe https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19965 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19965/couv Barbara.jpg" width="100px" />Issu du remaniement d’une thèse de doctorat soutenue vingt ans plus tôt1, l’ouvrage Diomède outre-mer de Sébastien Barbara, actuellement Maître de conférences en « Langue et littérature latines » à l’Université de Lille, comble un manque dans les études de réception des grands héros grecs de la « génération troyenne », en sortant de l’ombre l’un des chefs de guerre achéens resté largement méconnu en Occident à l’inverse d’Achille, d’Ulysse ou d’Agamemnon avec lesquels il assiégeait la cité de Troie. Ce ne sont cependant pas les exploits du fils de Tydée aux chants V et VI de l’Iliade qui intéressent Sébastien Barbara, mais son destin italien. Conformément à un schéma récurrent dans la littérature grecque, les poètes ont élaboré une suite aux épopées d’Homère et du cycle, construisant le devenir occidental du personnage parallèlement aux phénomènes de diasporas historiques qui s’enchaînent à partir du viiie siècle avant notre ère. Depuis la poésie de Mimnerme, l’histoire la plus répandue rapporte que Diomède, une fois de retour dans sa cité d’Argos, aurait échappé de peu à une tentative de meurtre fomentée par son épouse Aigialé. Son exil le mène sur les côtes italiennes, plus précisément en Apulie, correspondant à l’actuelle région des Pouilles, où il aurait fondé plusieurs cités qui lui auraient ensuite dédié un culte. Contrairement à ce que laisserait paraître ce rapide résumé des aventures posthomériques du héros épique, le but de cette monographie n’est pas de « construire une sorte d’“odyssée” de Diomède » (p. 126), qui mettrait bout à bout les différents épisodes connus pour constituer une œuvre linéaire et cohérente. C’est dans toute sa complexité qu’est envisagé ce mythe, à travers une enquête minutieuse qui confronte la tradition littéraire aux données historiques, archéologiques et iconographiques2. Les deux premières parties de l’analyse sont consacrées à l’étude diachronique des textes grecs (« Entre Troie et l’Hespérie », p. 43 sq.) et latins (« Légendes et fondations de Diomède en Italie », p. 131 sq.), qui ont contribué à forger le mythe du héros achéen en Occident. Sébastien Barbara expose ensuite les différents cultes rendus à Diomède en Italie (p. 423 sq.) avant de s’interroger sur les rapports entre « Rome et la légende de Diomède en Italie » (p. 559) en s’appuyant sur les éléments offerts par les différents contextes historiques. Il serait impossible de rendre compte de façon exhaustive de la richesse de cette monographie qui retrace su Thu, 18 Sep 2025 11:12:52 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19965