Parutions Acta Fabula https://www.fabula.org/revue/ Dans l'ensemble des publications consacrées à la littérature, Acta fabula sepropose de recenser les essais présentant de nouveaux objets théoriques,mais aussi les ouvrages collectifs qui, relevant d'un champ disciplinaireplus étroit, recèlent de réels enjeux de poétique générale. fr contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) 60 Copyright © Fabula contacts@fabula.org (Webmestre Fabula) acta La véritable histoire d’un faux authentique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19915 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19915/couv_hunkeler_hegel_duma.jpg" width="100px" />« Larvatus prodeo » déclarait Descartes. Précisions toutefois, pour ne pas tromper notre lecteur, qu’il ne l’a jamais déclaré, puisqu’il ne publia pas ce texte de jeunesse de son vivant. « De même que les comédiens, attentifs à ne pas laisser voir la rougeur sur leur front, mettent un masque ; de même moi, au moment de monter sur le théâtre du monde, où je me suis tenu jusqu’ici en spectateur, je parais masqué1. » Caché, dissimulé, sous couvert. C’est en avançant masqué que Descartes construit sa posture ou son imposture sur la scène du monde : il deviendra donc personnage public, mais masqué. Et rappelons-le : il publiera le Discours et les Essais sans nom d’auteur2. Aussi le masque est-il le signe du secret, du mystère qui ne doit pas être regardé de face, mais toujours de manière oblique et avec discrétion. Le masque fonctionne comme un lien entre ce qu’il dévoile et ce qu’il éclipse. Selon Roland Barthes, il serait propre à la littérature d’occulter son caractère littéraire, tout en le montrant à travers le geste même de l’écriture : « Toute Littérature peut dire : “Larvatus prodeo”, je m’avance en désignant mon masque du doigt3. » Mais ce n’est pas la seule fois où Barthes s’approprie le syntagme cartésien, car c’est aussi sur le terrain de la passion amoureuse qu’il reprend cette devise latine : « Larvatus prodeo : […] je mets un masque sur ma passion, mais d’un doigt discret (et retors) je désigne ce masque4. » L’imposture s’installe à la fois dans le domaine de la littérature et de la passion amoureuse. L’écriture et la jouissance vont ensemble, tout comme « le goût de l’imposture » « a un contrecoup : l’enquête »5. Saisie de l’imposture et désir de l’enquête, ce sont les coordonnées qui articulent la démarche critique et historique de Thomas Hunkeler autour du masque mortuaire de Hegel. L’intérêt de l’auteur pour le masque est éveillé par la mention de cet objet particulier dans la correspondance d’André Breton avec Paul Éluard. Comme l’affirme Thomas Hunkeler lui-même, « l’apparition soudaine du masque de Hegel, deux ans seulement avant les commémorations du centenaire de sa mort, me parut bien curieuse » (p. 14). L’évocation du masque dans les échanges épistolaires surréalistes excite la volonté de savoir du chercheur. Son enquête ne se limite alors pas à un simple retour en arrière sur les conditions matérielles de la réalisation de ce masque : parcourant deux siècles, le xixe et le xxe siècle, sa démarche historique constitue, d’un côté, l’arc Tue, 09 Sep 2025 19:19:34 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19915 acta Aux prises avec le système littéraire francophone : une socio-histoire critique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19904 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19904/couv_halen_premat_francophonie.jpg" width="100px" /> Penser un « système littéraire francophone » relève presque de la gageure. La notion de système implique cohérence, articulation et reconnaissance d’un ensemble structuré de pratiques et d’institutions. Or, la francophonie littéraire se caractérise au contraire par sa dispersion, sa conflictualité et son hétérogénéité. Entre espaces dominants et périphéries multiples, entre capitales symboliques et traditions locales, entre trajectoires individuelles et dynamiques collectives, la littérature francophone semble constamment défier toute tentative de totalisation. Pierre Halen a patiemment exploré ce paradoxe au cours d’une carrière consacrée à l’analyse socio-historique des littératures francophones. D’ailleurs, de ce point de vue, l’auteur nous fournit des pistes possibles de réflexion vis-à-vis d’un champ qui, s’il s’est considérablement développé ces dernières années, a encore un bel avenir devant lui. L’enjeu consiste à comparer les différentes aires de projection du français : je me souviens d’avoir un jour heurté une partie de mon auditoire en suggérant qu’il y aurait intérêt à comparer le rôle politico-social du luxembourgeois et du wolof, toutes deux langues en adstrat du français, et les corpus littéraires correspondants ; il me semble pourtant, encore aujourd’hui, que ce genre de projet de recherche serait prometteur. (p. 18) Ce rapprochement, en apparence incongru, résume pourtant l’ambition de Pierre Halen. Penser ensemble le luxembourgeois et le wolof, c’est refuser d’enfermer la francophonie dans des logiques géographiques ou hiérarchiques préétablies. Ce rappel souligne que les dynamiques de cohabitation linguistique et de création littéraire ne se limitent pas à une opposition Nord–Sud, mais traversent l’ensemble des espaces où le français coexiste avec d’autres langues. Dès lors, le champ francophone n’apparaît pas comme une totalité achevée, mais comme un laboratoire de réflexion toujours en devenir, ouvert aux hypothèses les plus fécondes. En réunissant dans un même volume ses essais publiés entre 1998 et 2024, l’auteur propose à la fois une anthologie personnelle et un témoignage unique sur la manière dont ce champ critique s’est constitué, transformé et consolidé en trois décennies. L’ouvrage ne se contente pas de juxtaposer des textes antérieurs : il organise une progression qui reflète l’évolution de la réflexion, en partant des identités et périphéries pour aller jusqu’à l’étude des circulations et des hiérarchies. Ce livre est d Tue, 09 Sep 2025 19:17:48 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19904 acta L’imagination philosophique et la fiction comme la création https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19902 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19902/couv_ricoeur_imagination_massonet.jpg" width="100px" />L’image n’est pas imagination. Cette leçon est bien connue des phénoménologues. Et pourtant, c’est à partir de cette confusion que réside la condamnation de l’image par Platon et la nécessité de chasser le mythe de la construction philosophique de la cité qui aura donnée à l’imagination ses mauvaises lettres de créances. Jusqu’à Descartes et Malebranche, l’imagination apparaît comme la folle du logis. Elle est le grand négatif de la raison dialectique. Elle doit être chassée hors de la cité de la philosophie, car la fausseté des images contredit les méthodes que se donne la raison pour atteindre la vérité. Voilà en quelque lignes ce que pourrait être une histoire métaphysique de l’imagination. Elle appelle une contre-histoire qui devra remettre en valeur l’imagination à partir de son pouvoir créateur. Elle passe par les autres grands noms de la philosophie : Aristote, Spinoza et Hume, avant d’arriver chez Kant qui libère l’imagination pour en faire un point de rencontre théorique entre l’expérience empirique et le domaine de la raison pure. Ainsi, l’imagination a quitté l’incertitude et la fausseté de l’image trompeuse pour entrer de plain-pied dans l’expérience de la connaissance humaine. Elle prend part au schématisme des concepts et devient à proprement parler une étape de la connaissance rationnelle et objective. Elle a une vocation épistémologique. De même, avec Kant, pour la première fois dans l’histoire de la philosophie, s’affirme l’opposition entre l’imagination reproductrice et l’imagination créatrice. Ce moment est important. L’imagination devient une étape de la connaissance objective, alors que les philosophes précédents ont toujours tenu l’imagination pour un « problème de l’intermédiaire », selon l’expression de Paul Ricœur, c’est-à-dire un entre-deux hybride qui se situe entre la sensation et l’idée, entre la perception et la pensée. Ce moment de sursaut hors de l’intermédiaire ouvre des voies fécondes. Pourtant, ni le romantisme allemand ni la phénoménologie ne parviendront à entièrement dégager et à théoriser cette sortie de l’entre-deux. Au contraire, ils prennent le risque de sombrer dans l’écueil de l’image comme reflet affaiblit de la réalité, ou de l’image comme une forme d’absence. Ainsi, l’imagination demeure sous la tutelle de l’image et de sa capacité à reproduire la réalité extérieure, sans pour autant enrayer sa propre capacité productive. Tel est le postulat qui amène Paul Ricœur à affirmer qu’il n’existe pas vraiment de grand Tue, 09 Sep 2025 19:04:54 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19902 acta Une idylle romanesque https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19896 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19896/Couv-delusier_Renart.jpg" width="100px" />Nathalie Bragantini-Maillard et Jean-Jacques Vincensini présentent et traduisent, dans la collection « Champion Classiques Moyen Âge », un roman arthurien en vers d’un écrivain singulier s’il en est, fort voisin pour le reste de Chrétien de Troyes et de Marie de France, de Renaut de Beaujeu et de Gautier d’Arras. Quelque peu délaissé ces dernières années par la médiévistique française, Jean Renart retrouve un nouveau souffle avec cette toute nouvelle édition de L’Escoufle, accompagnée de sa traduction. L’Escoufle, un oiseau, similaire au « milan » du lai de Marie de France, est le symbole parcourant tout le roman, qui entrevoit l’amour naissant d’Aélis et de Guillaume, et qui finit même par éclipser la narration, en imposant sa mélodie amoureuse au récit. Cet oiseau est d’une certaine façon le poète lui-même qui observe, qui inspecte, qui commente les faits et gestes des personnages, tout en se gardant de tout jugement qui ne serait pas courtois. L’héritage a voulu faire de Jean Renart un auteur mineur, alors que son narrateur-poète, dans le texte, fait partie d’une des plus grandes présences énonciatrices que l’on puisse observer au XIIe siècle. L’Escoufle : l’occasion d’une étude stylistique et anthropologique de l’œuvre de Jean Renart L’introduction résume (p. 8-12) puis présente (p. 12-88) le texte, recense sa tradition manuscrite (p. 93-96), analyse la langue de Jean Renart (p. 96-127), ainsi que celle de la copie (p. 127-137), comporte une note lexicale sur le terme taleboté (p. 140-144), et justifie l’établissement de son texte (p. 145-158), ainsi que les principes de sa traduction (p. 148-163). Hormis l’exercice rudimentaire que représente l’introduction, quelques aspects de celle-ci méritent d’être évoqués. Une grande partie de l’introduction s’attache à la question de la forme du texte : entre idylle versifiée et roman épique, il semblerait que son auteur joue sur plusieurs registres et plusieurs formes pour produire un texte composite et des effets pluriels, notamment de « réalisme moderne » (p. 31). Ces premières pages, écrites par deux médiévistes savants des questions topiques1, interrogent le contexte scripturaire et social en se fondant sur plusieurs sources qui attesteraient d’un goût prononcé pour ces « petites histoires » qui devaient pourtant régaler bien des oreilles, que ce soit à la cour des ducs de Champagne, ou à celles de Londres et de Paris. Même si le problème de sa datation est interrogé par les deux médiévistes, il n’est pas c Fri, 05 Sep 2025 16:16:30 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19896 acta Ère médiatique et société du spectacle : les revues de fin d’année au xixe siècle https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19881 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19881/couv_piana_levin_revue théâtrale.jpg" width="100px" />Dans leur introduction au dossier « En revenant à la revue », paru dans la Revue d’histoire du théâtre en 2015, Olivier Bara, Romain Piana et Jean-Claude Yon notaient que « la revue de fin d’année n’a pas encore suscité tous les travaux que son extraordinaire richesse semblerait autoriser1 ». Jalonnée par les travaux fondateurs de Paul Aron2 et de Christophe Charle3, l’étude de la revue de fin d’année est désormais largement complétée grâce à l’ouvrage de Romain Piana intitulé La Revue théâtrale de fin d’année en France au xixe siècle. Un spectacle de l’ère médiatique. Qu’est-ce qu’une revue de fin d’année ? Tous les hivers, des années 1830 à la fin du siècle, les théâtres de vaudevilles et de pièces comiques (le Vaudeville, les Folies-Marigny, les Délassements-Comiques, les Folies-Dramatiques, l’Athénée-Comique, les Menus-Plaisirs ou encore les Nouveautés) proposent, avec plus ou moins de régularité, des revues, « pièces à tiroirs dans lesquelles l’auteur fait défiler sous les yeux des spectateurs tous les événements un peu saillants qui ont marqué l’année qui vient de s’écouler4 ». Cet « olla podrida de l’art dramatique5 » (p. 11) consiste ainsi en un passage en revue des actualités saillantes de l’année, pièces à succès ou inventions nouvelles, le tout sous forme allégorique. L’approche déployée par Romain Piana est celle d’une « histoire globale » (p. 16) de la revue parisienne de fin d’année. L’enjeu est de multiplier les axes d’analyse de ce petit genre oublié, en insistant sur le lien qu’il entretient avec l’ère médiatique, telle qu’analysée par des chercheurs et chercheuses comme, entre autres, Marie-Ève Thérenty, Alain Vaillant et Dominique Kalifa6. « Genre intermédial » qui relaie et remâche une mémoire médiatique récente à l’aide de chansons connues et d’un ensemble d’invariants dramaturgiques et scéniques, la revue se caractérise par le « va-et-vient entre la médiatisation, le déjà-médiatisé, et l’immédiateté du spectacle » (p. 14). Ritualisation et progrès Dans un premier chapitre, Romain Piana retrace l’émergence du genre, issu de la comédie-vaudeville de la Restauration et notamment du vaudeville matrimonial, où défile devant un père désireux de marier sa fille, un même prétendant qui prend chaque fois un rôle différent (un libraire, un parfumeur puis un usurier, etc.) — occasion d’un passage en revue de plusieurs types sociaux. C’est sous la monarchie de Juillet que naît la revue, qui s’imprègne de la féérie et s’affranchit de toute intrigu Thu, 04 Sep 2025 17:44:06 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19881 acta Claude Simon, plastique du texte et quête du sensible : la mélancolie à l’épreuve du rose https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19886 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19886/Couv_Klein_hartmann.jpg" width="100px" />Qui voudrait (re)découvrir l’œuvre de Claude Simon au prisme de la lecture du Jardin des Plantes se munirait de l’ouvrage de Marie Hartmann, Claude Simon, l’avidité de vivre. Ce pertinent essai fait montre d’une lecture approfondie et originale de l’un des derniers textes du romancier et entretient de nombreux liens avec le « Discours de Stockholm », à l’occasion duquel l’auteur pose un regard sur sa propre production. À la réception du Nobel de Littérature en 1985, Claude Simon, offrant une belle leçon d’histoire littéraire, met le roman à l’épreuve de ses stéréotypes. Évoquant la guerre et la déréliction de l’histoire qui ont marqué sa vie et le siècle, l’auteur expose qu’à l’absence de sens du monde se confronte « la configuration linéaire de la langue1 » qui peine à décrire un paysage intérieur. Dès lors, il révèle le roman comme le fruit d’un rapport à l’« ordre sensible des choses2 ». Comme le peintre, l’écrivain écrit par touches des tableaux apparemment détachés, l’engagement de l’écriture modifiant « le rapport que par son langage l’homme entretient avec le monde3 », bien loin des représentations passées qui ont ordonné les récits où « toutes les jolies femmes y ont invariablement un teint “de lys et de rose”4 ». Ce passage du « Discours de Stockholm » n’aura sans doute pas échappé à Marie Hartmann dont le dernier essai donne à lire une étude approfondie du Jardin des Plantes au prisme du rose dont la double acception comme motif floral et couleur aurait partie liée avec la mort et la vie. En contrepoint du rouge et du noir, oxymore chromatique du roman de Stendhal qui se voit critiqué à de multiples reprises dans Le Jardin des Plantes, le rose introduit la nuance et les teintes variées qui se manifestent aux sens et à l’esprit. La couleur et la fleur apparaissent comme des médiateurs qui ne sauraient réduire l’énigme de l’appréhension sensible à un « contenu cognitif5 », l’une transposant les effets de cette dernière sans les limiter à une forme définie et sollicitant de « multiples réminiscences picturales », l’autre se faisant « support iconique et textuel » (p. 38). En marge des usages habituels du motif — Marie Hartmann accorde de ce fait une grande importance à l’expression utilisée dans Le Jardin des Plantes « la mort en rose » —, le rose simonien recouvre toutefois des connotations usuelles, celles du féminin ou de la chair n’en sont pas moins présentes. Un état de la recherche efficace aura permis à Marie Hartmann d’assoir sa proposition Thu, 04 Sep 2025 18:35:46 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19886 acta Défense et illustration de la condition de paria à l’époque romantique https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19874 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19874/Delorme_Haubout_Paria.jpg" width="100px" />Cette somme de Philippe Delorme, déjà docteur en gestion, est issue d’une thèse de doctorat en langue et littérature françaises soutenue à l’université de Pau en 2022 et peu remaniée, malgré quelques coquilles persistantes1. Elle se justifie par l’importance du sujet, cependant négligé ; deux choses exposées de façon étayée dès l’introduction. Malgré l’importance évidente du terme paria dans Les Pérégrinations d’une paria2 de Flora Tristan (1837) ou dans Chatterton et Servitude et grandeur militaires (1835) d’Alfred de Vigny3, il est vrai que le terme ne faisait jusqu’alors l’objet d’aucune étude conséquente. Philippe Delorme y effectue un gros travail de constitution d’un corpus primaire d’une trentaine d’œuvres, mettant en valeur le jalon essentiel de La Chaumière indienne4 de Bernardin de Saint-Pierre, qui offre, en 1791, la première véritable apparition de la figure du paria dans la littérature française. Il expose sa méthode interdisciplinaire ambitieuse et justifie d’étendre son étude jusqu’en 1873, date de parution des Amours Jaunes5 de Tristan Corbière. Archéologie d’un mot et d’une figure L’ouvrage s’apparente d’abord à une enquête car il s’agit de remonter la piste des occurrences du terme paria en cessant de recopier les mêmes erreurs, reprises au fil des dictionnaires sans combler d’importantes omissions. L’auteur tente ainsi de déterminer si le mot, qui fait sa première entrée dans une encyclopédie française en 1765, est emprunté à une langue indienne ou si, au contraire, il n’a jamais appartenu au vocabulaire des Indiens (p. 50). Au terme d’une investigation aussi convaincante que nécessaire, impressionnante par son sérieux et sa difficulté (elle s’étend jusqu’à des textes néerlandais ou portugais), Philippe Delorme avance « la possibilité que le mot “paria” soit un emprunt direct à la langue tamoule », fort d’un « faisceau de considérations historiques, géographiques, littéraires et linguistiques » (p. 52). Ce faisant, il remet en cause les travaux de l’abbé Jean-Antoine Dubois6 (1825) et même d’Eleni Varikas7 (2007). Philippe Delorme se met ensuite en quête du premier emploi du mot paria en français. Il parcourt ainsi les relations écrites de voyage des missionnaires catholiques, Anquetil-Duperron8 en 1771, de l’abbé Guillaume-Thomas Raynal9 en 1770... jusqu’à parvenir à l’année 1673 et aux récits — récemment édités10 — de Barthélémy Carré, agent de Colbert et courrier de Louis XIV (p. 69). Philippe Delorme peut alors poursuivre son explora Thu, 04 Sep 2025 17:41:39 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19874 acta Joyeux comme Franz Kafka https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19804 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19804/96470.jpg" width="100px" />L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. — Après-midi piscine Franz Kafka, Journal, 3 août 1914. « Tout est fait aujourd'hui pour identifier la radicalité aux gestes les plus meurtriers et aux opinions les plus asservies. La voici réduite à ne désigner que les convictions doctrinales et les stratégies d'endoctrinement. La radicalité, au contraire, fait appel au courage des ruptures constructives et à l'imagination la plus créatrice. […] Cette radicalité ouvre les portes de l'indétermination, celle des possibles, et accueille ainsi tout ce qui arrive, et surtout tous ceux qui arrivent, comme un don qui accroît nos ressources et notre puissance d'agir. » Marie-José Mondzain, Confiscation. Des mots, des images et du temps, Paris, Les Liens qui libèrent, 2017, 4e de couv. & p. 14. Dans une bibliothèque comme en librairie, il vous faudra courir d'un rayon à l'autre pour espérer réunir plusieurs de ses ouvrages : théoricienne de l'image et des arts mimétiques, Marie-José Mondzain est tout à la fois philosophe, historienne, anthropologue, sociologue et sémiologue1, aussi bien militante résolue de toutes les formes de « philiation » lorsqu'elle s'attache aux violations quotidiennes des lois de l'hospitalité qui sont aujourd'hui l'ordinaire des sociétés occidentales, ou aux violences qui s’exercent chaque jour dans l’usage que la langue politique et médiatique fait de certains mots2. On lui doit une quinzaine d’essais depuis la fin des années 1990, devenus très vite des ouvrages de référence dans plusieurs champs des sciences humaines, et l’on s’explique mal que Fabula, dont l’aventure a commencé dans les mêmes années, ait pu les ignorer, un titre après l’autre : le nom de la théoricienne est absent de l’index des revues Acta fabula et Fabula-LhT et n'apparaît pas davantage au sein de l’encyclopédie de l’Atelier de théorie littéraire ; c’est à peine si les plus récentes de ses publications ont été fugitivement signalées dans le flux des nouvelles parutions. On voudrait donc ici commencer à réparer un oubli qui n’a pas d’autre raison que ce cloisonnement des disciplines contre lequel Fabula n’a jamais cessé de lutter. Décoloniser les imaginaires L’essai sur Kafka accueilli en 2020 aux éditions La Fabrique par le regretté Éric Hazan est l’un des plus personnels qui soit. Assez inattendu au regard des précédents ouvrages de l’autrice, il prend son point de départ très loin d’abord de l’auteur de La Métamorphose ou du Château. Marie-José Mondzain rappelle en mani Wed, 02 Jul 2025 18:32:08 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19804 acta D’une tentation l’autre : de Flaubert à Butor https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19768 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19768/Capture d’écran 2025-07-04 à 13.56.31.png" width="100px" />« La littérature pourtant mêle obligatoirement tout cela1 » Les premières années d’une thèse sont des années en dents de scie : certaines semaines sont d’une fécondité intellectuelle intense et font ressentir la vibration sourde et continue de la joie du savoir ; d’autres constituent des errances interminables dans la masse critique qui se présente au néophyte en voie de spécialisation. Je travaille sur Flaubert : je suis donc confrontée en permanence à l’immensité du continent métadiscursif, et j’ai eu parfois, au cours de ma thèse, une impression de saturation face au trop-plein de références qui s’offraient à moi. Est alors apparu, presque par hasard, le texte de Michel Butor sur Flaubert : trouvé dans une librairie du Mans par un ami en vacances là-bas et acheté tant pour son titre (Improvisations sur Flaubert, un vaste programme) que pour la promesse contenue dans le nom de son auteur, il est arrivé entre mes mains à un moment où je me sentais perdue, alourdie par une certaine fatigue critique. Il avait l’avantage d’annoncer un travail monographique sans formuler clairement d’intention thétique en titre (même si intention thétique il y a bien), et de se positionner ainsi immédiatement dans un rapport à l’œuvre qui relève du butinage, du hasard ; de revendiquer une posture d’écrivain-critique qui met à l’honneur le jaillissement, à rebours des formes contraignantes de la tradition universitaire. Il semblait en fait constituer un travail sur Flaubert, mais aussi émettre une proposition sur la manière d’envisager ce travail, ouverture réflexive dont j’avais alors bien besoin. C’est cette posture double, typique du « moment théorique », que je voudrais tenter d’analyser ici2, à la fois pour sa richesse du point de vue flaubertien, et pour ce qu’elle dit d’une conception plus globale du texte, de l’écriture et de l’activité critique. J’évoquerai donc d’abord la démarche qui me semble être celle de Michel Butor, en examinant la méthodologie qui sous-tend son travail sans le déterminer entièrement ; puis j’essaierai de montrer que le style des Improvisations, infusé de ses pratiques littéraires variées, dévoile une certaine conception du texte et fait de son œuvre critique une proposition littéraire à part entière qui illustre les principes de la critique d’écrivain dont il est l’un des éminents représentants. Promenade en paysage flaubertien Il faut commencer par rappeler que les Improvisations sur Flaubert découlent d’une série de cours donnés à l’Univers Wed, 02 Jul 2025 18:24:26 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19768 acta La langue de la littérature https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19807 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19807/Capture d’écran 2025-07-04 à 14.06.08.png" width="100px" />Alors que la sociologie littéraire sous ses différentes formes privilégie généralement le texte et le contexte, soit d’un côté les discours de l’œuvre et de l’autre les réalités sociales corrélées à ces discours, il m’a semblé important, voire indispensable, suite à ma lecture des livres de Renée Balibar1, d’intégrer les styles littéraires à ce type d’exploration. Attentive aux ouvrages des linguistes et stylisticiens, qui décrivant et analysant les évolutions de la langue fournissent des outils pour penser les faits de style comme réalités sociales et politiques, j’ai beaucoup compulsé, par exemple, le premier volume de L’histoire de la langue française de Gérald Antoine et Robert Martin2, qui couvre la période 1880-1914, comporte des chapitres sur le français enseigné à l’école ou le français populaire, et dont la troisième partie est consacrée aux « Aspects de la langue littéraire ». Mais un livre a constitué pour moi un apport fondamental. Il s’agit du livre La langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon paru en 2009 chez Fayard, dirigé par Gilles Philippe et Julien Piat3. Les comptes rendus ont souligné l’extrême unité de l’ouvrage. C’est que ce travail collectif de grande ampleur est en fait pris en charge par un petit nombre d’auteurs. Ils sont six en tout à se partager l’écriture des 13 chapitres et de l’introduction. Aux maîtres d’œuvre, Piat et Philippe, se sont joints Christelle Reggiani, Michel Murat, Stéphanie Smadja et Stéphane Chaudier. Les huit premiers chapitres consistent en une enquête transversale qui s’attache à repérer et à décrire des phénomènes collectifs. Ce sont les traits saillants, les modes, les routines et les innovations qui caractérisent la langue littéraire tout en l’instituant de la seconde moitié du XIXe siècle à la seconde moitié du XXe. Sont mis en lumière ici, entre autres, le rapport à l’oralité, l’avènement de la phrase ou, faisant écho au sous-titre de l’ouvrage, l’invention de la prose elle-même. Les chapitres ix à xiii par lesquels l’ouvrage se termine proposent des études de cas et sont organisés autour de noms d’auteurs : Zola, Péguy, Proust, Sartre et Barthes qui emblématisent chacun à la fois un état et un usage de la langue littéraire à un moment donné. Outre la clarté de son architecture, l’ouvrage possède un certain nombre de qualités remarquables qu’on va essayer d’évoquer brièvement ci-dessous. Le concept de langue littéraire est problématisé. À preuve, l’intr Wed, 02 Jul 2025 18:32:29 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19807 acta ‟Avez-vous lu” L’Arbre et la source ?  https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19779 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19779/Capture d’écran 2025-07-11 à 12.33.28.png" width="100px" />« Tout vient de ce que le texte est considéré comme ayant un secret1 » Longtemps, j’ai détesté le commentaire littéraire. J’avais un problème, un blocage avec cet exercice. La démarche et son but m’échappaient totalement : j’avais l’impression tenace que le commentaire s’apparentait, au mieux, à une paraphrase plus ou moins dissimulée2 (plutôt moins que plus), au pire à des virtuosités de forts en thème naturellement inimitables et incommunicables (qui allait être le Prométhée qui irait voler le feu des commentateurs pour le révéler à nous, roturiers et roturières des lettres ?). Bref, cela me paraissait flou, étouffant et sans protocole : je restais un commentateur complexé. Un jour, lors d’un cours de Master, j’entendis parler de l’Introduction à l’étude des textes de Michel Charles. Le titre, dont je n’avais bien entendu pas perçu la légère et subtile ironie3, me fit miroiter la possibilité d’un remède à mes problèmes avec le commentaire. Je l’entamais, naïvement, en bibliothèque mais, je le reconnais avec honte, je ne parvins absolument pas à aller au bout, restant sur le seuil de ce qui m’apparaissait comme un livre important mais totalement hors de ma piteuse portée. Le temps passa, les concours, et je tombai un jour par hasard, chez une bouquiniste du Mans qui avait tout un beau stock de la collection « Poétique », sur L’Arbre et la source. Je me plongeai dans l’ouvrage, qui me passionna, et ce fut cet opus, étonnamment, qui soulagea le premier mon angoisse du commentaire, et non l’Introduction. Étrange forme de sérendipité : non pas trouver ce qu’on ne cherchait pas, mais se rendre compte qu’on ne cherchait pas la bonne chose. Je croyais en effet que mon problème avec le commentaire était essentiellement d’ordre méthodologique, que ce qu’il me fallait, c’était un protocole, une manière de réussir au mieux un banal exercice universitaire, alors qu’il importait beaucoup plus, en réalité, de comprendre mon malaise. En permettant cela, L’Arbre et la source m’apporta une solution bien plus précieuse qu’une quelconque méthode. Non seulement le livre donnait des repères, une façon de se situer, tant théoriquement qu’historiquement, dans notre rapport aux textes littéraires, mais il permettait surtout une lucidité inestimable sur ce qu’impliquent des gestes aussi apparemment anodins et anhistoriques, que « commenter un texte ». L’Arbre et la source me convainquit qu’il était plus urgent de répondre à « peut-on faire autre chose que commenter des textes ?  Wed, 02 Jul 2025 18:25:57 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19779 acta Façons féministes de lire la tragédie ? https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19794 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19794/Facons_tragiques_de_tuer_une_femme.jpg" width="100px" />En soumettant « son matériau antique à des interrogations que les anciens ne se sont pas posées ou du moins n’ont pas formulées », Nicole Loraux a assumé, dans ses nombreux travaux consacrés à la cité athénienne et aux représentations qu’elle se donne d’elle-même, « un anachronisme contrôlé » susceptible d’éclairer le passé avec des questionnements du présent, pour revenir vers le présent1. Sa pensée n’a cessé d’inspirer la scène contemporaine dans son dialogue avec la tragédie antique : la dramaturge uruguayenne Mariana Percovich explique, par exemple, avoir trouvé dans Façons tragiques de tuer une femme les ressources pour donner voix à Jocaste dans son monologue Yocasta (2003)2 ; Marie-Pierre Cattino, quant à elle, place en exergue de sa pièce, Les Larmes de Clytemnestre (2011), une citation tirée des Mères en deuil – « la passion éclate lorsque les mères sont en deuil3 » –, qui l’a poussée à réécrire l’histoire de cette « femme qui clame justice4 ». Les hypothèses de Nicole Loraux ont également connu un retentissement majeur sur la scène scientifique, dans le vaste champ des sciences humaines et sociales5, et continuent de nourrir les recherches contemporaines, notamment celles qui adopteraient le prisme des études de genre pour étudier les œuvres antiques et leur réception6. À l’occasion des vingt-cinq ans d’Acta Fabula, je souhaiterais souligner toute l’actualité de ces travaux, en m’attachant plus particulièrement à l’ouvrage Façons tragiques de tuer une femme (1985)7, qui reste, quarante ans après sa publication, une référence majeure pour penser la place que la cité grecque accordait aux femmes, dans la réalité et dans l’imaginaire. En cernant les modalités tragiques de la mort des femmes grâce à une attention précise « au mot à mot des textes » (p. 100), l’historienne et helléniste montre comment la tragédie produit un discours qui, sous le récit, « parle encore et toujours de la différence des sexes » (p. 13) et met ainsi en évidence une division dans les représentations et conceptions du masculin et du féminin dans la tragédie grecque, à un moment où le genre comme catégorie d’analyse florissait outre-Atlantique mais était encore peu mobilisé en France8. Cette dichotomie est symbolisée, dans le premier chapitre, par « la corde et le glaive » (p. 31-60), instruments du suicide des personnages tragiques, révélateurs de leur genre : la pendaison, tout comme le sacrifice qui fait couler « le sang pur des vierges » dans le deuxième chapitre (p. 61- Wed, 02 Jul 2025 18:26:52 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19794 acta Deux mille ans d’humanité https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19782 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19782/files.jpg" width="100px" />L’une des pires angoisses pour un chercheur ou une chercheuse est certainement de voir paraître, au terme d’un travail de longue haleine, un ouvrage susceptible de remettre en question la pertinence ou l’utilité de ses recherches en cours. Imaginez un doctorant en fin de thèse, qui a travaillé sur la notion d’homme à une époque où celle-ci est omniprésente mais employée avec beaucoup d’imprécision (l’entre-deux-guerres), et qui a consacré quatre ans à essayer de déterminer les différentes saisies du mot, à établir une classification des usages en distinguant ce qui relève de la philosophie, de la sociologie, de l’anthropologie… L’enquête lexicale a porté ses fruits : l’être n’est ni l’individu ni la personne ; l’humain est un animal sans être une bête ; le mâle exclut la femelle et l’enfant de l’espèce, comme le bourgeois exclut l’ouvrier et le blanc exclut le noir. Mais une fois le manuscrit rendu, un historien de renom, François Hartog, publie un ouvrage au titre accrocheur : Départager l’humanité. Humains, humanismes, inhumains. Avant même de le lire, survient successivement de l’enthousiasme : un tel livre sera nécessairement enrichissant ; de la frustration : ce livre m’aurait fait gagner du temps ; de l’inquiétude : sa typologie peut contredire la mienne ; du découragement enfin : quelle originalité et quelle pertinence reste-t-il à mes recherches ? Heureusement, on revient bientôt à la raison. On ouvre le livre, et commence alors le dialogue à une seule voix. Homo humanus contre homo christianus François Hartog propose une impressionnante synthèse des partages qui ont permis de définir l’humanité depuis l’Antiquité grecque jusqu’à nos jours. Attention toutefois, voilà une œuvre d’historien et non de philosophe ; dès la première page, le lecteur est prévenu : il ne s’agit pas d’un traité de métaphysique mais d’une « enquête historique » (p. 11). Aucune réponse ne sera apportée sur l’essence ou la nature humaine, Départager l’humanité consiste en une mise au point très informée de relations qu’entretiennent les trois termes humains, humanismes, inhumains, qui ont solidairement servi à concevoir l’humanité depuis l’anthrôpos grec jusqu’à l’Anthropocène. Entre les deux, François Hartog identifie plusieurs homo qui se sont succédé : l’homo humanus, l’homo christianus et l’homo inhumanus, pour les principaux. François Hartog retrace ce cheminement en huit chapitres, qui suivent un ordre strictement chronologique. À l’origine, le premier partage, se trouve Wed, 02 Jul 2025 18:26:31 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19782 acta Méta-Mimesis : Auerbach au cinquième degré https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19766 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19766/Capture d’écran 2025-07-04 à 13.54.36.png" width="100px" />Mimesis is an entire world. 1 (Damrosch, 1995, p. 99) Auerbach is emerging as a hero of a profession that now badly needs heroes.2 (Holquist, 1999, p. 87) Comment chroniquer Mimesis ? Ma rencontre avec Mimesis s’est produite de manière peu spectaculaire. Le titre figurait sur une liste de livres recommandés à ceux qui commençaient leurs études en littérature comparée. Était-ce le fait que le nom de l'auteur commence par un « A » qui a favorisé sa lecture immédiate ? Le fameux ouvrage de Wellek & Warren, Theory of Literature, figurait en fin de liste, et j’ignore toujours son contenu. J’ai dévoré l’ouvrage d’Auerbach avec enthousiasme pendant les vacances de Noël 1992, cette corne d’abondance linguistique et culturelle éclipsant toutes les histoires littéraires que j’avais lues jusqu’alors. Guidé par ce souvenir de lecture heureux, j’ai proposé de discuter de Mimesis pour ce numéro spécial d’Acta fabula. J’étais loin de me douter que la recherche sur Auerbach avait explosé au cours des trois dernières décennies ! Ce n’est qu’en recherchant la littérature secondaire pour cette chronique-ci que j’ai réalisé l’ampleur de la tâche à laquelle je m’étais attelé. Si l’on compte séparément les chapitres des ouvrages collectifs, le nombre total de références dépasse les 500. La recherche avance d’un bond en 2009, un demi-siècle après la deuxième édition de Mimésis ; rien qu’en cette année paraissent 73 ouvrages secondaires. Tenir compte de cette littérature de recherche qui n’a pas l’air de s’épuiser — avec 22 articles et chapitres parus l’année dernière — devient de plus en plus difficile. Le bonheur de découvrir les commentaires d’Auerbach et de dialoguer avec son gout du réalisme dans la tranquillité d’un hiver munichois s’efface devant cette foule d’autrices et d’auteurs (environ 465, en incluant les éditrices et éditeurs) qui se mêlent à la discussion. Fig. 1 : Nombre de publications par année Parmi ces entrées, la plupart sont en anglais, mais l’allemand et l’italien apparaissent comme des langues de communication établies, pas seulement par leur nombre mais aussi par le fait qu’il y a des chercheuses et des chercheurs qui écrivent un livre entier sur Mimésis en une de ces langues. Parmi les articles y chapitres d’ouvrages collectifs, on observe plus de diversité. Inutile de préciser qu’il existe de publications assez nombreuses auxquelles je n’ai pas accès en raison des barrières linguistiques. Le catalogue de mon université en répertorie désormais dans 23 Wed, 02 Jul 2025 18:22:50 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19766 acta « Books or babies ? » Résolution (temporaire) d’un dilemme fin-de-siècle https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19799 <img src="https://www.fabula.org/lodel/acta/docannexe/image/19799/128283_ca3ec1ea09c678b3015d4c37807ddfab.jpg" width="100px" />Là où l’écrivaine du début du siècle devait choisir entre l’opprobre de la bas-bleu et la légitimité de la femme de famille, entre les livres et les bébés – difficile, ici, de reproduire l’homophonie anglaise entre books and babies sur laquelle joue l’autrice – ; là où la presse d’après-guerre représentera davantage l’écrivaine comme une célibataire sexualisée et dangereuse, les revues féminins de la Belle Époque ont tenté de convaincre leurs lectrices que les femmes pouvaient tout avoir : « devoted husband, fulfilling family, beautiful home, and, if not a satisfying vocation, at least some sort of outlet for self-expression, all while maintaining her impeccable appearance » (« un mari dévoué, une famille épanouie, un beau foyer et, sinon une vocation satisfaisante, du moins une manière de s’exprimer, tout en conservant une apparence impeccable », p. 2. Nous traduisons). Voilà l’objet de la très belle étude de Rachel Mesch, Having it all in the Belle Epoque. How French Women’s Magazines invented the Modern Woman, publiée en 2013 aux Presses universitaires de Stanford et étrangement passée inaperçue en France, peut-être parce qu’elle s’intéressait à des autrices moins connues de la période : Marcelle Tynaire et non Colette ; Daniel Lesueur et non Renée Vivien ; Rosemonde Gérard et non Rachilde. Après un premier essai intitulé The Hysteric’s Revenge : French Women Writers at the Fin de Siècle (2006), qui examinait l’influence des essais médicaux sur les représentations de la culture littéraire de la fin du siècle, Rachel Mesch s’intéresse ici à un tout autre matériau, à savoir les premiers numéros de Femina et de La Vie Heureuse, de leur création (1901 pour le premier ; 1902 pour le second) jusqu’aux années 1908-1909, qui marquent un « palier de validation institutionnelle de l’écriture des femmes » déjà étudié par ailleurs1. Ce faisant, elle réconcilie deux positions critiques à priori peu conciliables : celle de Leonard Berlanstein, qui voyait dans Femina une « publication féministe2 », et celle de Colette Cosnier, qui déconstruisait le féminisme « mystifié3 » de la revue. Pour Rachel Mesch, il s’agit en fait d’un « ambivalent feminist space » (« espace féministe ambivalent », p. 11) : destinés à un public lui-même ambigu – parce que né de la fusion entre le public aristocratique des salons et le public bourgeois des grands magasins –, les numéros de Femina et de La Vie heureuse cherchent à promouvoir la « femme moderne », désireuse de jouir de ses nouveau Wed, 02 Jul 2025 18:29:10 +0200 https://www.fabula.org:443/lodel/acta/index.php?id=19799