Le roman historique postcolonial entre intertextualité & interdiscursivité
Là où l´Histoire renonce à l´intrigue, craignant l´orientation téléologique du récit, le roman ordonne les informations historiques et en justifie la nécessité dans le cours de la narration. L´hybridité du roman historique n´est pas chaotique, mais informée, et construite. Cependant, le roman historique reste hybride sur un plan cognitif puisqu´il demande au lecteur un recours au discours historique comme hypertexte (p. 82).
1Dans cette réflexion générique sur les caractéristiques du roman historique, l´ouvrage de Maya Boutaghou apporte, grâce à la comparaison systématique de quatre romans, un éclairage précieux avec la possibilité de confronter des imaginaires socio‑historiques divers. Ces romans sont El cerro de las campanas: memorias de unguerrillero (1868) de Juan Antonio Mateos (1831‑1913), écrivain mexicain, His Natural Life (1874) de Marcus Clarke (1846‑1881), écrivain australien, Le Monastère de la félicité (1882)1 de Bankim Chandra Chatterjee (1838‑1894), écrivain bengali et al abbasa ukhtu al rachid (1906) de Jurji Zaydan (1861‑1914), écrivain libanais. Ces auteurs ont été choisis parce qu´ils sont considérés comme canoniques dans leurs cultures respectives : « un Bengali doit connaître Anandamath (1882) de Bankim Chandra Chatterjee, comme un Australien se doit de connaître His Natural Life (1874) de Marcus Clarke, ou un Égyptien, Al Abbassa (1906) de Jurji Zaydan » (p. 19). Ainsi, la comparaison de ces ouvrages éclaire en même temps le rapport constitutif qu´entretiennent les lecteurs de ces cultures avec ces œuvres centrales. Certes, Juan Antonio Mateos n´a pas eu forcément une place reconnue dans les histoires littéraires en regard d´autres auteurs comme Andrés Bello, Ignacio Manuel Altamirano, Domingo Faustino Sarmiento ou Bartolomé Mitre2.
2Le premier mérite de ce travail comparatiste tient dans la contextualisation historique à caractère ethnographique à laquelle procède l’essayiste pour chacun des auteurs traités. Il ne suffisait pas de s´appuyer sur ces textes pour fabriquer une théorie des imaginaires sociaux, il importait de revenir à une approche textuelle (p. 31). C´est ici que le pari osé de l´auteur prend sens puisqu´il s´agit, au‑delà de la variété des situations au Bengale, en Égypte, au Mexique et en Australie, de comparer avec ces quatre œuvres les modalités de construction littéraire et historique nationale (p. 32). Ces auteurs renaissants ont parfois été utilisés par une tradition nationaliste, à l’instar de Bankim — il importe de relire les textes et de mettre en lumière les mondes émergents qui y sont perçus.
La construction identitaire émergente par le roman
3Pour que cette comparaison devienne efficace, il faut que le lecteur puisse se déprendre d´une vision coloniale et rigide des renaissances calquées sur le modèle occidental. En réalité, l´émergence renvoie à quatre spécificités puisque, dans chacun des imaginaires étudiés, la renaissance correspond à des moments divers. La comparaison est méthodologiquement astucieuse, car elle permet de se déprendre d´emblée d´un regard universel anthropocentré. En ce qui concerne le roman de Mateos, le moment mexicain a lieu avec l´indépendance du Mexique en 1821 vis‑à‑vis de l´Espagne et l´invasion de la France en 1840 (rinacimiento) ; au Bengale, la présence économique et sociale britannique depuis la fondation de la East India Company en 1600 est remise en question tout au long du xixe siècle avec la Révolte des Cipayes en 1857 ; pour l´Égypte, la conquête napoléonienne de 1798 provoque des réactions et une renaissance sociale et culturelle, la nahda ; l’Australie pour sa part est une colonie et le roman de Clarke s’appuie sur les premières sociétés que constituent les prisonniers, l´armée et les aborigènes. L’auteur prend soin de décrire en détails les contextes sociaux et historiques pour comprendre l’entrelacs entre histoire et fiction. « Avec le mot “roman” désignant d’abord un texte de fiction en langue “romane”, puis finalement un genre littéraire qui implique le récit d’une histoire singulière, la division épistémologique entre les deux champs est conservée, sans être affinée » (p. 67‑68). Cette perspective généalogique conduit donc à comprendre ces quatre romans comme des formes contribuant elles‑mêmes à l’élaboration du roman historique car pour ces écrivains émergents, la relation entre Histoire et fiction se pose. Le xixe siècle est marqué en Europe par une différenciation profonde entre sciences humaines et sciences exactes, l’Histoire y a ses lettres de noblesses et la littérature elle‑même s’en trouve influencée. Tout se passe comme si la littérature devenait le lieu possible d’énonciation et de mise en forme imagée du discours historique. Par conséquent, le roman historique devient un genre efficace pour exprimer l´apparition d´un nouvel imaginaire (p. 76).
L´Histoire, de ce fait, encourage l’entrecroisement, l’empiètement des histoires, et confirmerait au contraire l´impossibilité de se représenter une unité. À un autre niveau, le roman historique manifeste l’enchevêtrement, il fait apparaître l’homogénéité comme impossible, si ce n´est comme résultat du discours, et illustre un des aspects de l´écriture de l´Histoire: son aspect pluriel, d´écriture des histoires (p. 77).
4On trouve ainsi cette idée profonde selon laquelle l’unité mythique ou l’événement originel seraient finalement implicitement dénoncés dans ces romans postcoloniaux. Le roman historique est une reconstruction a posteriori qui mêle des éléments fictionnels à des événements historiques pour produire une compréhension et une interprétation de ce qui a eu lieu. Finalement, la texture se tisse et progressivement le lecteur redécouvre un monde renaissant, les analyses métahistoriques convient plutôt le lecteur à saisir les spécificités du monde qui vient. Une nation est une communauté qui naît, elle n´est plus simplement le résultat d´une fondation par un être devenu mythique.
Une narrativité structurante
5Le terme adéquat serait plutôt celui de narrativité, c´est‑à‑dire de mise en récit à partir d´une matrice historique dans les quatre romans. Si M. Boutaghou utilise le terme de narratèmes comme unités narratives isolables (p. 81) au sein de cadres historiques, les dialogues entre les personnages provoquent des tensions et viennent perturber la mise en récit. Ainsi, le drame n´est jamais très loin car les codes utilisés sont ceux des intrigues nouées autour d´événements. L´auteur prend des exemples de scènes précises qu´elle traduit pour montrer qu´il existe une réelle esthétique émergente (p. 96). L´intertextualité explose puisque ces écrivains émergents font preuve d´une culture profonde en imitant des formes littéraires beaucoup plus anciennes comme c´est le cas avec Bankim où l´on trouve une imitation du Mahabharata et du roman européen (Georges Eliot, Charles Dickens et Walter Scott). Zaydan a de son côté une admiration pour le style d´Alexandre Dumas (p. 104). L´esthétique émergente se caractérise par l´adoption de la forme romanesque constituée par l´hybridation entre le théâtre et les relations historiques à l´instar de Mateos. « La forme romanesque devient indépendante de l´histoire de sa genèse occidentale depuis l´épopée, dès lors que sa seconde naissance dans d´autres territoires littéraires, sans épopées, lui donne un second souffle » (p. 104). L´invention poétique de cette forme littéraire émergente explique ce travail patient de M. Boutaghou qui effectue une recension des genres littéraires utilisés à l´époque dans chacun des pays des auteurs comparés. Le récit épique, reconnu par des anthropologues comme Dumézil3 comme étant une caractéristique universelle, a des sorts divers. Au Bengale, les Upanishads sont les formes de récit centrales tandis qu´en Égypte dominent la sîra (prose épique), la maqama, les contes, les fables et l´Histoire. Au Mexique sont disponibles à l´époque de Mateos le théâtre, les relations épistolaires, les mémoires, le conte, l´épopée antique et moderne ainsi que les textes sacrés chrétiens et amérindiens (Chilam Balam). En Australie, outre la Bible, le roman, l´épopée antique et moderne, on recense aussi la ballade narrative et le théâtre. Ainsi, par exemple, les éléments épiques extraits du Mahabharata et du Râmâyana se retrouvent dans le roman de Bankim Chandra Chatterjee. En puisant dans l´épopée, le conte, le théâtre, les émergents produisent un roman historique tout à fait original. Ainsi, M. Boutaghou relève l´influence du yatra ou théâtre bengali dans l´écriture de Bankim Chandra Chatterjee (p. 122). Mateos est lui contemporain de l´essor de la zarzuela qui est une « pièce musicale courte, sorte d´opérette à thèmes populaires » (p. 123) ; le théâtre australien se développe à Sydney et à Melbourne tandis que le théâtre profane n´apparaît en Égypte qu´au milieu du xixe siècle.
6L´étude de la narrativité structurante de ces quatre romans implique de comparer les lieux, les interventions du narrateur, la circulation entre théâtre, conte et épopée ainsi que les réécritures de textes plus anciens. La structure polyphonique et l´étude des voix narratives sont admirablement menées au cours de ce travail de comparaison. On en apprend un peu plus sur le contexte de publication des quatre œuvres.
Les quatre romans étudiés ont d´abord été publiés en série, et cela n´a rien de surprenant pour l´époque. Cette forme de publication modifie dans une certaine mesure les principes d´écriture par rapport à une publication en bloc et rend le lecteur virtuel plus présent dans le texte. Sans pouvoir exploiter complètement les modalités du découpage feuilletonesque par manque de ressources — il faudrait pour cela consulter les périodiques concernés : Bangadarshan, Al Hilal, Australian Journal, El siglo, très difficilement accessibles, il reste à envisager la sérialité comme une contrainte formelle qui affleure parfois visiblement. (p. 191).
7Même si nous ne connaissons pas exactement le découpage de certains numéros de ces périodiques, nous pouvons émettre l´hypothèse d´une variation de modes d´énonciation au fil de la parution des feuilletons. El cerro de las campanas mêle certains modes, tragique, épique et comique pour comparer le destin d´une nation naissante, le Mexique. Certains procédés empruntés à la cosmogonie maya de Chilam Balam renouent avec une forme téléologique. Dans le roman de Clarke, les intrigues des deux personnages principaux, Sylvia et North, guident le lecteur dans l´observation des événements historiques. La tonalité tragique domine dans Anandamath avec notamment le déclencheur historique de l´exil des villageois, à savoir la famine de 1769. « L´unité et la fidélité accompagnent la figure de la mère Inde. Le mode épique repose en partie sur une structure en spirale, avec de nombreux épisodes guerriers. Le roman constitue ainsi un épisode d´une vaste épopée non écrite dont l´objet serait la libération de la Mère » (p. 204). L´unité dramatique de l´intrigue reflète l´évolution d´une conscience historique, la plasticité romanesque permet cet emboîtement d´histoires. Au fond, on n´est pas si loin des thèses de Braudel évoquant les différents types d´histoire même si M. Boutaghou n´évoque jamais cette piste. Pourtant, Braudel proposait une définition très particulière de l´Histoire impliquant un entrelacs de récits à la limite du roman national.
L’Histoire ne peut pas être seulement ces grandes pentes déclives du temps, consommatrices de masses humaines et de siècles, ces réalités collectives lentes à nouer ou dénouer leurs rapports. L’Histoire est aussi cette poussière d’actes, de vies individuelles attachées les unes aux autres, parfois un instant libérées comme si les grandes chaînes se rompaient. L’Histoire est l’image de la vie sous toutes ses formes. Elle n’est pas choix4.
8Dans Al Abbassa, les trames narratives sont mêlées entre le conte, la chronique des temps abbassides, la forme théâtrale. L´intrigue prend l´allure d´une pièce tragique classique même si la forme romanesque transpire derrière l´écriture de l´Histoire. La grande différence avec la tradition occidentale repose sur le fait que les trames événementielles n´obéissent pas de manière rationnelle et directe à un récit historique synthétisant les micro‑intrigues. C´est certainement cette hybridation qui est le pivot de la comparaison entre ces quatre romans historiques. De là à inaugurer l´étude de romans historiques orientaux avec Al Abbassa et Anandamath, il n´y aurait qu´un pas. On ne peut s´empêcher de penser que la comparaison aurait pu se focaliser sur ces deux romans pour faire ressortir les caractéristiques d´un genre naissant.
L´émergence de littératures nationales postcoloniales
9« Le terme “émergence”, finalement peu utilisé en histoire littéraire postcoloniale, déplace le sens vers une historicité à construire, vers l´avenir; il implique un mouvement vertical qui, sans condamner le passé, laisse ouvertes toutes les possibilités de résurgence et d´égalité » (p. 20). Les quatre romans historiques se jouent du discours historique en pratiquant les collages de journaux, la présentation d´énoncés factuels et de superposition de récits historiques et non historiques, M. Boutaghou évoquant l´hypothèse d´une « contamination » de ces récits (p. 230). Les écrivains ne donnent pas les clés d´interprétation historique au lecteur, celui‑ci est exposé à l´écriture fictionnelle et à l´Histoire. La cartographie romanesque révèle ce souci d´inscrire cette ambiguïté comme la présentation de l´île de Wight lorsque le narrateur de His Natural Life arrive en Tasmanie. La description de l´île est importante, car elle révèle la possibilité de l´enfermement pénitentier, elle n´est jamais neutre. Dans Al Abbassa, il y a également une description de la ville de Bagdad tout comme Tenochtitlán dans El cerro de las campanas. Ici, une critique phénoménologique aurait trouvé sa place car finalement ces romans s´appuient sur la manière dont une conscience historique structure l´action des personnages. Les paysages et la présence d´éléments géographiques suggèrent la pénétration dans un univers de sens et de symboles, le lecteur devenant par la même occasion herméneute. Parfois, les univers sont mêlés montrant à la fois la transition entre des espaces voire la création de formes syncrétiques. Le roman a même la puissance de mettre sur le même rang des personnages historiques dont les traces dans l´Histoire ne sont pas les mêmes. C´est le cas de Zaragoza, général de l´armée républicaine dans El cerro de las campanas (p. 257) qui se trouve adossé au même rang que Maximilien et Napoléon. Les romans émergents ne sont pas les seuls à introduire ces modifications de perception, mais ils en accentuent le caractère transgressif. Intertextualité et interdiscursivité sont quasiment incontournables dans la recherche d´une nouvelle écriture en adéquation avec le monde postcolonial émergent.
10L´usage des journaux intimes est également utilisé dans ces romans comme dans His Natural Life avec le journal intime du Révérend North. « Le journal se constitue comme le lieu de la conscience du roman dans ce récit dont l´architecture est allégorique. L´emboîtement brutal du journal dans le roman permet de ménager un espace d´interprétation indépendant, de faire surgir l´inconscient des paroles des personnages » (p. 304). Les variations des voix narratives font jaillir une « hyper‑conscience du récit, une subjectivation de la parole romanesque pour en faire un espace métalittéraire » (p. 306). Les relations épistolaires et les confessions participent de la construction de cet espace. Ces romans émergents captent une conscience nationale qui se distingue de la perception de l´histoire de l´État‑nation. Les romans ne justifient pas l´apparition de nouvelles formes historiques, l´art n´est pas un supplétif politique. En revanche, les romans émergents posent la question centrale de la circulation des langues et des cultures au sein des nouveaux territoires politiques constitués (p. 317). L´usage de mythes et de prophéties met en perspective le destin des personnages de ces romans comme c´est le cas dans El cerro de las campanas.
L´émergence de l´être mexicain semble ici le résultat d´une accumulation rendue consciente de figures et de systèmes de mise à jour, juxtaposant des faits attestés, des récits de rêve et des passages lyriques, ce qui en fait un modèle essentiellement littéraire et esthétique, malgré ses prétentions à l´historique. Il y a une littérarité intrinsèque du modèle de construction identitaire (p. 325).
11Le métissage est littéralement un mélange de styles et de genres pour rendre compte de cette nouvelle identité. L´intervention des éléments oniriques est également décisive dans la construction d´un rêve national spécifique. Dans His Natural Life, l´île décrite devient le symbole de la relation compliquée entre le pouvoir central et la colonie, le texte est empli d´un rêve d´australianité. Les effets intertextuels avec Robinson sont explicites et l´île révèle la difficulté à importer un modèle national qui devient pour le coup excentré. L´australianité implique de ré‑instituer un temps, un espace et d´assumer une distance avec le pouvoir central britannique. Comme l´écrivait Derrida à propos de Robinson, l´enjeu est de créer une nouvelle forme de souveraineté et une nouvelle forme de contrôle sur un espace limité5. Selon Derrida, Robinson symbolise le geste premier consistant à instaurer un pouvoir qui est au fondement de la construction d´un État‑nation. Les romans historiques étudiés mettent en scène cette nouvelle souveraineté, les allégories ne sont pas là pour étourdir le lecteur, mais pour l´amener vers une compréhension de cette identité. Les romans de Bankim Chandra Chatterjee appuient cette dimension avec la mise en lumière de la construction nationale.
Le discours de la communauté de terre, de mère, de religion et d´Histoire, puisque le sanskrit rappelle l´origine commune des hindous, rassemble les hommes contre deux ennemis: d´une part les musulmans et, de l´autre, les Britanniques qui soutiennent le pouvoir musulman en place au Bengale (p. 345).
12L´étude de M. Boutaghou montre finalement que cette comparaison révèle que la nation est une construction imaginaire reposant sur l´activation de mythes et l´usage d´un répertoire de symboles. Selon Castoriadis, « tout symbolisme s´édifie sur les ruines des édifices symboliques précédents et utilise leurs matériaux6 ». Cette situation s´applique excellemment aux quatre romans qui instituent un nouveau sens sur les ruines d´un ancien ordre. Le projet postcolonial s´élabore sur une trame existante pour la pervertir et lui donner une nouvelle signification. Cela explique le mélange de plusieurs genres et styles pour faire sentir au lecteur cette quête. Les subversions esthétiques, les variations entre des visions romantiques et le réalisme historique façonnent cet imaginaire dont M. Boutaghou rend compte avec une grande précision à partir de l´analyse comparative des textes.
L´émergence littéraire qui, elle, établit l´espace de cet « imaginaire libéré » repose sur le « comme si », le procédé de la comparaison par excellence […]. Le projet de la modernité des émergents est tout entier contenu dans ce procédé du voir‑comme‑si, et du déplacement des formes et des images afin de pouvoir produire intuitivement les mêmes réseaux de sens, autrement dit une iconicité similaire (p. 452).
13Une nation est une signification imaginaire tissant une série de symboles. M. Boutaghou invite le lecteur à un travail d´herméneutique comparée pour saisir à travers les styles des quatre écrivains les caractéristiques de l´esthétique postcoloniale.
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14L´ouvrage de Maya Boutaghou, au‑delà de son érudition, est précieux non seulement parce qu´il relève le défi comparatiste, mais surtout parce qu´il qualifie précisément une esthétique émergente postcoloniale. L´auteur ne se contente pas de décrire les contextes socio‑politiques des quatre romans, elle répertorie les formes littéraires disponibles de l´époque pour comprendre ces constructions romanesques et les subversions esthétiques utilisées par les quatre romanciers. Il y a incontestablement un effet palimpseste dans la manière dont plusieurs genres sont synthétisés et utilisés pour constituer la trame du roman historique. Au fond, l´ambition de M. Boutaghou est de montrer la genèse de cette esthétique dans quatre imaginaires nationaux en construction. Elle se confronte à l´entreprise ambitieuse de dégager les relations entre esthétique et Histoire, ce n´est d´ailleurs pas innocent si elle rend hommage au travail titanesque de Christian Godin7, car la littérature postcoloniale propose une alternative littéraire pour accompagner la relation à un imaginaire dominant, et ce même si les quatre régions étudiées ne sont pas dans la même configuration territoriale et politique. Cet ouvrage ouvre un champ précieux d´études comparatives sur le roman historique postcolonial.