Acta fabula
ISSN 2115-8037

2001
Automne 2001 (volume 2, numéro 2)
titre article
Marielle Macé

La généricité restreinte

Enjeux des genres dans les écritures contemporaines, R. Dion (dir.), F. Fortier et E. Haghebaert, Québec, Éditions Nota bene (coll. Cahiers du Centre de Recherche en Littérature Québécoise, n° 27), 2001, EAN 13 : 2895180660.

" On aura beau encanailler la littérature et les arts contemporains, les métisser, tenter des échappées en-dehors de la " zone de juridiction " des genres traditionnels, le genre reviendra sans doute toujours, comme une empreinte indélébile, un signe de reconnaissance, bref : une hypothèse de conception et de réception " (361).

1C'est à cette vitalité paradoxale, que concluent les éditeurs de ce recueil d'études sur la dynamique des genres dans la création contemporaine. Vitalité paradoxale des genres, puisqu'elle est perçue comme une survivance dont la valeur fait parfois l'objet d'un soupçon. L'ensemble du recueil est d'une grande richesse, et le souci qu'ont les éditeurs d'expliciter leurs propres opérations (c'est ce qui fait la rigueur d'une entreprise théorique), quitte à entretenir parfois avec leur objet un rapport ouvertement polémique, invite à engager le débat.

2Pour formuler tout de suite ce qui m'apparaît comme le grand intérêt de ces études, mais aussi ce par quoi elles s'offrent à discussion, je dirais qu'une conception très ferme de la généricité s'y manifeste, conception fortement ancrée dans les transformations récentes des théories des genres et dans les pratiques esthétiques contemporaines, mais que cette conception pourrait relever, à propos de la généricité, d'une opération proche de celle que Gérard Genette décrivait à propos de la rhétorique : restreignant l'extension ou le statut de sa catégorie, en particulier ici l'existence du genre comme concept structurant, elle s'inscrit avec pertinence dans les choix d'hybridation de la littérature contemporaine, mais assume le risque d'ôter à son objet une partie de sa valeur opératoire et historique.

Hybridation, généricité.

3L'introduction place le recueil sous le signe d'une critique de la neutralisation de la question générique, contre l'abandon de la notion de genre et les arguments qui servent cet abandon (la question des genres serait obsolète parce que l'avant-garde les a dissous dans des catégories telles que texte ou écriture ; les genres n'auraient de vitalité que leur domination souterraine de l'enseignement ; ils ne subsisteraient que dans la littérature de masse, comme système de classement des textes le plus déclassés, et, à l'autre pôle de la production, comme objet de réflexion pour les spécialistes). Un plaidoyer donc pour la survivance des genres.

4Il s'agira cependant moins de genres que de généricité, entendue dans un sens actif, transformationnel. La présence des genres dans le travail de production et de réception des écritures contemporaines est en effet prise en compte sous une forme précise, et dictée sans doute par l'époque : aux genres comme lignes de partage, axes d'organisation et de hiérarchisation de l'espace littéraire, on substitue la dynamique des genres, les diverses formes d'interaction entre les catégories génériques, canoniques ou non, bref une question de " constante recatégorisation ".

5La perspective d'ensemble repose aussi sur une vision explicite des rapports entre création et théorie dans l'espace esthétique contemporain : il s'agit de savoir comment les textes ont pris acte de la relecture de la tradition des genres dans les travaux de spécialistes, la mise en question des catégories génériques dans les divers travaux récents sur les genres se reversant dans une pratique.

6Enfin, cette dynamique est saisie à travers des notions désormais familières : hybridation, métissage, entre-deux, passage, transgression (voir note en fin d'article). Le travail de mise en cause des catégories génériques, de leur stabilité ou de leur universalité est donc traduit explicitement en valeurs modernes. Il pourrait y avoir cependant quelque chose de piégé dans le sentiment de relève que donnent ces notions dans la mesure où elles fonctionnent peut-être à côté des genres plutôt que contre les genres ou dans la généricité ; l'hybridation, l'hétérogénéité, le composite, apparaissent certes en aval d'une mise en question des genres, mais ce sont aussi des catégories qui ont pu exister dans des textes bien antérieurs, parfois même au fondement de genres anciens ; elles ont fonctionné et fonctionnent dans un espace qui ne recouvre peut-être pas tout à fait celui de la généricité, qui ne s'y substitue pas. On pourrait alors dessiner l'espace de la réflexion actuelle sur les genres comme un territoire partagé entre l'usage de l'idée d'hybridation d'un côté, et la valorisation d'une force structurante des genres, de l'autre. Ce recueil tend nettement vers le premier pôle, mais offre aussi des échappées vers le second.

7Un concept d'hybridité guide donc l'ensemble, qui s'organise en sept chapitres, cherchant explicitement à ne pas reconstruire de classifications génériques. On peut cependant considérer deux tendances dans ces études : des analyses sur les modulations historiques d'un genre (sur la dynamique générique interne, sur une potentialisation de la généricité donc), et des études en termes de passages entre genres, ou de transgression des contraintes d'un genre (une dynamique externe). Il y a là deux choix théoriques bien distincts qui statuent très diversement sur la permanence d'une généricité pertinente ou non.


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8Le premier chapitre étudie la dimension socio-historique de quelques genres, voire de la généricité elle-même. Pierre V. Zima adopte une perspective déconstructionniste et analyse " l'évolution romanesque entre le modernisme et le post-modernisme ", s'interrogeant sur ce qui constitue la stabilité ou l'instabilité d'un système générique dans une situation socio-historique donnée, et formulant des éléments d'évolution des poétiques du roman, des orientations du roman réaliste à l'essayisme romanesque de Musil et aux poétiques post-modernes, où le genre meurt et renaît en changeant complètement de fonction : jeu ironique et critique avec les formes littéraires du passé. Ce tracé d'une évolution des genres, d'un statut catégoriel à une survivance comme référence à faire travailler et à transgresser, on le retrouvera en fait dans beaucoup d'analyses.

9Denis Saint-Jacques se place dans une perspective assez différente, montrant que le genre continue à fonctionner comme catégorie de classement, commentant les effets sociaux de la survivance de ces lieux de classement, sans passer par une analyse textuelle en termes de subversion interne. Il explique que les genres constituent avec le style l'un des deux grands critères formels utilisés pour distinguer la littérature des autres pratiques de discours, et propose une vision stratégique du genre : la grande littérature se constituant en réaction de distinction d'avec la petite. Ces termes de stratégies et de distinction, on les retrouvera dans l'analyse que fait Irène Langlet du recueil comme " sas générique " pour l'essai. La conclusion de D. Saint-Jacques est forte : " L'enseignement littéraire, qui, au XIXe siècle, ignorait, à l'heure de la formation des identités nationales, les corpus autres que classiques anciens, défend aujourd'hui les corpus de langue nationale à l'heure de la mondialisation de la culture médiatique. C'est une façon comme une autre de se garder hors jeu " (54). Ce qui compte ici du genre, c'est qu'il pointe une structuration du champ littéraire, et qu'il continue à le faire malgré l'avènement du texte et de l'écriture, comme le suggérait l'introduction générale.


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10Le deuxième chapitre montre comment des configurations historiques ou sociales nouvelles imposent des modulations aux genres bien constitués. Claudine Potvin se demande à quel point l'écriture des femmes permet de repenser les genres littéraires, et, expliquant que genre et gender tendent à se recouper comme construction socio-politique et culturelle en termes post-modernes, suggère que l'utopie féministe est devenue le " genre " qui sert à déstabiliser les genres. L'approche, en termes de transgression et d'entre-deux, aboutit à des conclusions paradoxales à propos des catégories génériques : " C'est en partie en transformant l'utopie féministe en genre littéraire, mais un genre sans règles spécifiques, un genre que l'écrivaine manipule au besoin, que Brossard échappe à l'encadrement " (76). Le genre devient un contrat social à transgresser. On assiste au passage du genre comme catégorie aux genres comme réservoirs de topiques, passage qui gouverne tout un pan du volume, et qui pourrait faire l'objet d'un questionnement du paradoxe : que reste-t-il du genre dans un tel " genre " ? Qu'y a-t-il de spécifiquement générique dans des fonctionnements textuels subversifs ?

11Janet M. Paterson s'interroge sur les textes hybrides, et conclut à leur profonde actualité : " En dépit ou peut-être à cause de leur forme éclatée, les textes hybrides sont fortement investis de sens. Et si, il y a une dizaine d'années, on pouvait encore avancer que les pratiques hybrides bouleversaient nos habitudes de lecture et de perception, il me semble qu'elles s'inscrivent aujourd'hui tout naturellement dans nos systèmes cognitifs et épistémologiques " (91).

12Hans-Jürgen Lüsebrink étudie les dynamiques de modulation de l'autobiographie, lorsque le genre se trouve confronté à des horizons interculturels éloignés de ses postulats anthropologiques de départ : un rapport étroit à la matérialité de l'écriture et à la transformation de l'espace public au XVIIIe siècle. L'auteur pose ainsi la question du transfert du genre dans les littératures coloniales et post-coloniales, où il se trouve considérablement modifié, et montre par exemple que, dans la littérature africaine francophone, le genre importé, focalisé en Occident sur l'individu, constitue une provocation, voire une imposture. Amadou Hampâté Bâ, soucieux de respecter le plus possible les règles de thématisation de soi dans sa culture tout en respectant les règles du genre importé, opère ainsi dans son écriture une modulation importante du genre. Autre horizon interculturel : une trajectoire de la culture populaire à la culture d'élite, qui donne lieu à un usage de l'autobiographie comme instrument de connaissance de soi, de sa trajectoire personnelle et sociale. Il y a là, je crois, un geste théorique fort qui permettrait de penser comment la modulation ou la transgression de certains traits génériques, dans un espace social ou historique donné, ne sort pas de la généricité mais au contraire produit de la généricité.


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13Le troisième et le quatrième chapitre s'interrogent sur le théâtre, dans ses relations à la scène et dans sa dimension textuelle.

14Chantal Hébert, Marie-Michèle Lapointe-Cloutier, Denyse Noreau et Irène Perelli-Contos s'intéressent à l'hybridité au théâtre, fondant leur étude sur l'idée que la dynamique des genres a été à l'origine de la naissance de l'art théâtral, dont la spécificité résidait justement dans l'hybridation. Elles montrent que les recherches théâtrales du siècle aboutissent au Québec à " une poétique théâtrale qui, dégagée des contraintes de la mimesis traditionnelle, est de nouveau en rupture avec l'étanchéité des frontières de tous ordres ". Dans cette étude le concept noyau n'est pas celui de forme ou de genre, mais celui d'interaction (qui porte plutôt sur le mélange des modes), ouvrant en particulier à une analyse des façons nouvelles de réintroduire la voix collective au théâtre. Hybridité et mosaïque générique : il y aurait une comparaison à faire avec la notion étudiée par Lucien Dällenbach dans son dernier ouvrage (Mosaïques, voir le compte rendu publié dans les pages d'Acta Fabula).

15François Dumont et Andrée Mercier étudient le jeu des genres dans Ha Ha !… de Réjean Ducharme, soulignant une opération de subversion du théâtre dans la pièce, de mise en représentation du jeu par le jeu. La conclusion en est intéressante : cette volonté de transgression générique est peut-être un affermissement du genre théâtral, système esthétique et social que toutes les outrances n'arrivent pas à ébranler.

16La section élargit ses analyses théâtrales à l'intergénéricité entre prose et poésie, étudiée par Anne-Marie Clément. C'est elle qui formule le plus explicitement le repli de statut des genres : non pas des modèles à suivre ou à contester, mais des réservoirs de formes et de discours qu'il est possible de faire dévier vers d'autres contextes d'application. L'analyse met en valeur l'hétérogénéité des postures énonciatives chez le poète contemporain René Lapierre, le refus du sujet monolithique associé au discours poétique, l'effacement du je par le truchement de la fiction. Les partages opérés par la théorie, qui travaille précisément en subdivisant, affinant ses distinctions conceptuelles, partages entre prose et poésie, entre fiction et diction, sont traduits dans les oeuvres en carcans que la pratique doit faire éclater ; cela manifeste un rapport très singulier entre pratique et théorie dans le champ littéraire contemporain déjà pointé en introduction.


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17Le cinquième chapitre poursuit l'analyse textuelle dans le domaine de la prose. Madeleine Frédéric propose une analyse de style, en termes de linguistique textuelle, d'un passage des Champs d'honneur de Jean Rouaud. La perspective séquentielle permet de saisir le jeu du narratif et du descriptif, et montre comment le roman " sape le mode narratif ", lui préférant le mode descriptif ; il y a là en fait la mise en évidence d'un phénomène de modulation générique interne lié au partage des modes, appuyé sur un plaidoyer très juste pour un retour à Cendrars, " maître de l'hétérogène ", dans l'idée d'une dynamique générique au XXe siècle. Qu'il y ait mixage de modes, cela n'engage pourtant pas nécessairement de transgression générique ; on pourrait soutenir que l'important est qu'une référence pertinente au genre soit maintenue.

18Jean-François Chassay centre son étude sur Jacques Roubaud, " au carrefour des genres ", montrant que cette oeuvre multiplie à son tour l'usage de possibles discursifs, dans un refus des classifications.


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19Le sixième chapitre se propose un objet spécifique, très productif pour saisir les fonctionnements génériques : la notion de recueil.

20Irène Langlet propose une contextualisation des discours de l'entre-genre, étudiant comment l'essai construit son accès à la littérarité dans la mise en recueil, à travers l'exemple de Calvino et de Barthes. Il s'agit de savoir comment le texte réfère au genre, d'explorer la question du passage de l'intergénéricité au genre ; c'est bien le genre, stabilisé comme notion, qui est au bout du processus, la subversion générique en étant simplement le moyen. L'auteur montre comment la métaphore du genre frontière a été filée jusqu'à l'excès sans offrir d'outils d'analyse textuelle, puis comment la substitution du modèle du déplacement (l'atopie barthésienne par exemple) à celui de l'entre-deux genres permet de penser cette position générique ambiguë comme une dynamique. Cela permet de conserver sa pertinence à la notion de genre, de ne pas prendre l'idée de dynamique générique comme un outil d'hostilité aux catégories génériques. L'intérêt est grand : à partir d'une telle analyse on peut, je crois, repenser la généricité dans la littérature contemporaine (avec peut-être des effets de retour sur l'histoire antérieure, d'ailleurs), montrer comment dans une époque dominée par une idée mosaïste de la non-généricité, se maintient le rapport au genre, au genre qui reste une ligne de partage pertinente. L'article offre des propositions fortes pour l'ensemble du volume, montrant comment une thématisation de la transgression peut être en fait une affirmation indirecte de généricité : l'essai sublime " son art du passage en théorie de l'entre-genres ", réaffirmant " périodiquement sa distinction " (267). L'étude offre en outre des informations précieuses pour les barthésiens, dans l'étude de la récriture des Mythologies.

21Il y a là une réflexion importante sur les modulations historiques d'un genre ; il s'agit de considérer les pratiques de transgression et surtout les discours de transgression comme n'atteignant pas fondamentalement le postulat générique.

22René Audet, Patrick Guay et Richard Saint-Gelais poursuivent la réflexion sur le recueil en s'interrogeant, à travers une étude des fictions collectives contemporaines, sur l'autonomisation du recueil, qui est en train d'émerger comme genre distinct. Les auteurs montrent qu'il s'agit d'une zone intermédiaire entre roman et recueil : moins " l'amorce d'un troisième genre " qu'un " réactif turbulent qui force les lecteurs à constater que les genres sont faits de tensions négociées et renégociées, et non de traits définitoires " (288). Là encore la conclusion forte est à la pertinence et à la permanence de la notion de genre.


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23Le septième et dernier chapitre s'intéresse à la problématique générique dans les arts, curieusement sans poser explicitement le problème de la généricité hors littérature, proposant de " traiter de " genres " à la fois autonomes et cependant indissociables d'autres genres ", c'est-à-dire en fait de certaines transpositions de catégories génériques du domaine littéraire à d'autres domaines artistiques. Michèle Garneau s'interroge sur la dynamique épique dans le cinéma de Pierre Perrault, analysant une transposition typiquement cinématographique des catégories de l'épopée : le montage, pensé comme moment du surgissement de ce que l'on a perçu d'épique dans le réel.

24L'artiste Paul-Emile Saulnier propose une réflexion sur " l'installation et les genres ". En art contemporain, explique-t-il, la notion de genre est frappée d'interdit ; le nouveau nom de l'oeuvre, " installation ", y est perçu comme transgresseur par essence. A nouveau donc les genres se transforment, dans les pratiques artistiques, en matériaux, équivalent de topiques à manipuler, " récupérer, vampiriser ".

25Enfin, Lucie Robert et Mélanie Plourde constituent l'impromptu en " genre sans statut et sans papiers ". L'article propose un parcours chronologique, qui montre la stabilité paradoxale du genre : " convention de non-tradition ", rendue possible par la référence, même fictive, à l'improvisation.


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26La conclusion prend acte de la diversité des communications, et propose une distinction entre plusieurs types de dynamique générique : le lieu, le mouvement (déclin et avènement), la combinatoire (métissage). Il s'agit alors moins de définir de nouveaux modes de généricité forte (piste à suivre, me semble-t-il) que de distinguer les processus par lesquels s'opère la dynamique générique :

27– La différenciation (proche de la " modulation historique " de J.-M. Schaeffer)

28– L'hybridation : combinaison de plusieurs traits génériques hétérogènes mais reconnaissables qui " concerne autant les genres littéraires institués que les genres du discours ". Les auteurs précisent que l'hybridation tient directement un discours sur la notion de genre, sur sa productivité ou plutôt d'ailleurs sur son impossibilité (quitte donc à ce que l'idée d'hybridation finisse par noyer l'opérativité de la notion de genre).

29– La transposition, ou reprise hors contexte de traits génériques.

" Qu'il était bleu, le ciel " : la nostalgie des genres.

30On peut donc, sacrifiant au désir classificatoire écarté par les rédacteurs, partager les analyses en deux types : celles qui font travailler une étiquette générique, montrent les modulations pertinentes à l'intérieur d'un genre, ou la tension de certains types d'écritures vers un genre ; celles qui, mettant l'accent sur un mélange ou une hybridation (et dans le mélange des genres ou l'hybridation générique, ce sont le mélange et l'hybridation qui priment, non la référence à des labels génériques qui auraient encore une signification structurante), se situent en deçà du genre, enregistrent le passage historique d'un temps de la structuration du champ littéraire par les genres ou par la rhétorique, à un temps de simple souvenir de cette structuration. Parle-t-on d'une dynamique d'entre les genres, ou du travail du genre ? C'est la grande hésitation ou ambiguïté dans ce recueil, dont témoigne la conclusion : " Le résultat auquel aboutit la dynamique générique est donc à la fois une abolition ou un déplacement des frontières, un glissement ou un passage " (358). Peut-on vraiment tenir, en toute rigueur théorique, les deux ensemble, l'abolition et le déplacement ? L'abolition n'est-elle pas alors simplement mimée par des oeuvres qui participent surtout à un déplacement ? L'analyse d'Irène Langlet me semble très féconde à cet égard.

31En fait, une partie des analyses concluent à l'évanouissement des codes ; un consensus fort apparaît sur les manipulations post-modernes des formes : jeu ironique, usage nostalgique. Il reste alors du genre une problématique citationnelle, l'idée d'une reprise parodique, et une tonalité mélancolique : " Dans tous les cas, comme le souligne Jean Bessière, subsiste le souvenir des typologies " (16).

32Le genre est alors traité de deux façons dans un même mouvement : un usage problématisé, et un usage neutralisé ; on peut avoir recours à la notion parce qu'elle permet tout simplement de désigner un objet, et alors la généricité passe comme en contrebande (usage neutralisé), et, dans le même mouvement, on peut signaler la dilution de cet objet générique (usage problématisé). Un parcours chronologique présuppose une certaine stabilité du genre, mais la " généricité du genre " est pourtant parfois traitée en termes de valeurs, comme s'il s'agissait de manifester une hostilité à cette généricité dont on doit pourtant faire usage pour se donner un objet. Il y a là en tout cas une question théorique à traiter.

" Le genre est mort, vive le genre "

33L'ensemble des contributions, quoiqu'elles ne mettent pas forcément l'accent sur ce point, permet en fait de formuler une question tout à fait importante : qu'est-ce que l'histoire d'une catégorie ? comment continuer à parler de genre dans une épistémologie qui valorise le non catégoriel ? que devient le genre, notion avant tout structurante, dans une esthétique du refus de la structuration, de la hiérarchisation ? Je formulerais une objection sous forme un peu abrupte, mais c'est, je crois, rendre justice au souci théorique qui anime tout l'ouvrage : que reste-t-il des genres une fois privés de leur statut catégoriel, perdant leur existence " discrète ", leur utilité classificatoire, devenant, au même titre que les thèmes littéraires, des réservoirs où puiser, un répertoire de possibles à faire jouer les uns contre les autres ? Pour un objet conceptuel ce n'est pas rien de devenir l'élément parmi d'autres d'une topique. Y a-t-il encore du genre si le genre ne fonctionne plus comme notion opérante mais comme reliquat thématique d'une tradition à déconstruire ?

34L'objection serait donc de cet ordre : la perspective du recueil est celle d'un sauvetage et d'une réévaluation de la notion de genre ; mais beaucoup d'études expliquent que les pratiques littéraires contemporaines jouent du genre comme de références à mêler, à niveler, à faire jouer et pas comme de catégories opératoires pour organiser le champ littéraire. L'analyse me semble donc en fait entériner par moments la liquidation de ce qui ferait l'essence même du genre : son existence comme concept, son statut catégoriel et discret, sa capacité à tracer des lignes de partage dans la production et la réception littéraires.

35Si ce qui fait le noyau de l'idée de genre, c'est précisément son statut de ligne de partage, la possibilité qu'il offre d'une organisation de l'espace littéraire, alors il y a un problème à partir d'un en deçà du genre, en deçà où, par définition, on va trouver de la mixité, puisqu'on se situe dans l'espace de la compossibilité des discours, et non dans la généricité. N'y a-t-il pas là une hostilité de fait au genre comme concept qui fait de son sauvetage un premier pas dans son abandon, n'y a-t-il pas un piège dans la saisie post-moderniste du genre puisque le post-modernisme est une pensée du non-catégoriel, saisie qui viderait alors par avance son objet d'une partie de son contenu ?

36Ainsi, lorsque les éditeurs précisent qu'" il ne s'agissait pas de remplacer un classement par un autre, mais bien plutôt de rendre compte de ces glissements subreptices d'un genre à un autre ", que " le genre délaisse toute prétention catégorique, voire hégémonique, au profit d'une interdépendance féconde ", qu'on a là " un geste nostalgique de ressaisissement de la tradition : déchronologisé, à la limite délittérarisé, il perd sa fonction de borne esthétique et sa fonction de datation, il opère désormais comme espace de jeu, comme répertoire ", la transformation du questionnement ne me paraît pas aller totalement de soi. Pour Schaeffer, par exemple, ce qui remplace le devoir de substituer un classement à un autre, c'est une réflexion sur l'usage des classements, c'est-à-dire sur les raisons (au sens fort) de ces classements, et non leur négation : passer des classements à une réflexion sur les classements, et non des classements à une réfutation des classements ou à un travail de déplacement entre les lignes des classements. L'analyse de l'accès à la généricité me paraît en cela suivre la prescription schaefferienne, et faire du discours sur l'hybridation un objet d'étude des genres plutôt qu'un argument contre le genre.


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37Soit donc les genres sont encore structurants, même si c'est pour les œuvres modernes au prix de dispositifs stratégiques complexes ; et dans ce cas c'est toujours la référence au genre qui prime en tant qu'elle est organisatrice, discriminante dans l'espace littéraire (comme catégorie de classement plutôt que comme élément d'une topique caduque). Soit ils ne le sont vraiment plus, ne sont présents qu'à titre de topoï ; et il serait alors intéressant pour le théoricien de s'interroger sur ce qui est venu, dans notre littérature, remplacer les lignes de partages qu'auraient constitué jusqu'à peu les genres.

38Quelles nouvelles catégories découperaient ainsi le champ littéraire ? Il se peut que dans ces questionnements on perçoive que le genre comme catégorie pleine ne s'est pas réellement absenté, qu'à se livrer à des opérations de subversion esthétique (la mise en cause de la représentation au théâtre, de la mimesis dans le roman, du lyrisme en poésie), la littérature contemporaine ait au fond affermi la consistance des ancrages génériques et la conscience de genre, ait donné naissance à des genres pour ainsi dire superlatifs. Certaines conclusions du recueil peuvent aller dans ce sens. La réflexion sur les genres pourrait alors retrouver des conclusions formulées dans le sillage du retour à une conception englobante de la rhétorique.


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39Le volume, on le voit, contient et permet des débats tout à fait essentiels en théorie des genres. Que les objections ou les réflexions ici formulées n'apparaissent pas comme un geste de réfutation. C'est justement parce qu'il choisit d'expliciter les fondements de son approche de la question générique, prenant fermement le parti de l'intergénéricité, que ce recueil ouvre tant de pistes à la réflexion sur les genres, et s'offre généreusement au questionnement.


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40On peut voir, sur la catégorie proche de l'hybridation que constitue l'hétérogénéité, Figures de l'hétérogène, Actes du XXVIIè congrès de la Société française de littérature générale et comparée, textes réunis par Michel Collomb, Publications de l'Université Paul Valéry, Montpellier, 1998.