Tragique et tragédie, anthropologie et poétique
1Le nouveau livre de Florence Dupont a ceci de passionnant qu'il est ce qu'on peut appeler un livre « discutable », au plein sens du terme. Le type même du livre qu'on doit défendre non seulement parce qu'il propose trois études admirables des trois versions données par Eschyle, Sophocle et Euripide du meurtre de Clytemnestre par Électre et Oreste (chap. 3, 4 et 5 sur lesquels je ne reviendrai pas), mais surtout parce que dès l'ouverture, il renverse les données de la doxa sur la tragédie grecque, notamment en ce qui concerne l'illusion d'« une tragédie grecque », d'un tragique grec, d'une nécessaire problématique philosophico-politique de la tragédie grecque. De ce point de vue, le titre parle de lui-même : il y est question d'une tragédie dont il ne faut pas chercher les significations dans l'idéologie, la politique, ni même la réécriture mythique. En prolongeant sur ce plan les travaux de Nicole Loraux, particulièrement de La Voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque, F. Dupont opère ainsi un geste critique que je ne puis qu'approuver puisqu'il correspond (en la confirmant) à ma propre approche de la tragédie française classique, dont je m'échine depuis des années à dénoncer les illusions critiques concernant la politique cornélienne ou letragique racinien. Voici la manière dont dans son chapitre conclusif, elle se situe par rapport à la conception idéologique de la tragédie qu'avaient développée naguère J.-P. Vernant et P. Vidal-Naquet (à qui le livre est dédié) lorsqu'ils écrivaient que « le moment tragique est donc celui où une distance s'est creusée au coeur de l'expérience sociale... » :
2C'était et c'est toujours une belle théorie qu'il ne s'agit pas de renier : nous proposons seulement de substituer à la raison historique une raison esthétique. Selon nous, cette fameuse et incontestable étrangeté des héros mythiques au théâtre est une création de la tragédie et non un effet de l'évolution des moeurs et des valeurs. Le matricide d'Oreste n'est pas hérité de l'épopée, ce n'est pas une vengeance archaïque, mais une invention créée de toutes pièces et contre toute vraisemblance épique par l'imaginaire civique afin de produire un mythe tragique sur les tribunaux. Nous proposons donc de conserver l'analyse en la décalant du côté de l'esthétique. La distance séparant le récit héroïque et la pensée politico-juridique n'est pas le résultat d'une crise historique, mais un instrument exploratoire créé par la fiction tragique. (p. 194)
3Dès lors, pourquoi parler d'un livre « discutable » ? D'un côté, parce qu'il va rouvrir la discussion sur la question du tragique et sur celle de l'idée d'une « tragédie grecque » ; on a compris que ce n'est pas de ce côté que je souhaite m'engager parce que je partage la position de Florence Dupont, même si je suis curieux de lire les arguments qui vont lui être opposés. Je précise au passage que le caractère discutable du livre ne tient pas au fait que, comme l'a écrit le feuilletoniste d'un quotidien célèbre (Pierre Lepape, « Nos ancêtres les Grecs ? », Le Monde des Livres, 8 juin 2001, p. II ), Florence Dupont prend « quelques libertés avec les principes sacrés de la prudence et de la diplomatie universitaire » : ce sont ces libertés qui, depuis longtemps, lui ont permis de proposer des travaux novateurs ; et la diplomatie, on vient de voir ci-dessus (« C'était et c'est toujours une belle théorie ») qu'elle est fort capable de la pratiquer avec tact... Livre discutable, d'un autre côté, donc, celui sur lequel je me placerai, parce qu'il me semble que certains de ses présupposés concernant l'approche de chaque tragédie grecque sont indéfendables.
4L'indéfendable tient à la construction d'une approche des tragédies grecques fondée sur l'idée qu'il ne faut les envisager en aucun cas comme des textes, mais comme des performances rituelles dont les textes ne constitueraient que les « traces » (p. 17-18). On connaît l'origine de cette idée, que Florence Dupont développe déjà depuis un certain temps : la culture gréco-latine est une culture de l'oralité et de la corporalité, qu'on ne peut appréhender à partir de nos critères fondés sur une culture de la textualité et de l'intellectualité, opposition qu'on retrouve dans la conclusion du livre (p. 196-198) à travers l'idée que la tragédie grecque construit une vérité éphémère parce qu'elle ressortit à une culture de l'immanence que nous ne pouvons plus comprendre parce que notre culture repose sur une idéologie de la transcendance. Ce n'est pas que l'idée de considérer avant tout la tragédie comme une performance rituelle soit contestable. Car, si l'idée en soi n'est pas neuve, le parti qu'en tire F. Dupont dans ses analyses successives des oeuvres d'Eschyle, Sophocle et Euripide est réellement passionnant et permet de renouveler totalement l'approche traditionnelle des tragédies grecques, puisque l'auteur parvient à nous faire voir à chaque page, ou presque, la manière dont la « négociation » de chacun des trois poètes avec la ritualité tragique utilise et transforme les rites athéniens en des formes esthétiques.
5Ce qui paraît difficilement acceptable, c'est d'en déduire une impermanence fondamentale qui récuse toute valeur textuelle au texte :
Les poètes dramatiques grecs écrivaient à seule fin que les acteurs et les choristes apprennent par coeur leurs rôles [...].
Il s'agit là d'un point essentiel car, dans une culture de tradition fondamentalement orale comme celle de la Grèce antique, l'écriture ne sert pas ordinairement à la création d'objets de mémoire, de textes patrimoniaux. Dans le cadre particulier du théâtre, l'écriture des poètes dramatiques implique au contraire une pratique d'oubli : le texte est appris par coeur, puis oublié ; un autre texte, l'année suivante, le remplace, appris à son tour par coeur, puis oublié, etc. (p. 18)
6L'ennui, c'est que, concernant la tragédie, on est bien près de la pétition de principe, appuyée sur un raisonnement circulaire : la tragédie étant une performance, elle est fondamentalement non textuelle, elle est donc impermanente et ne suppose aucun jeu de réécriture, aucun effet intertextuel (p. 26-27). Du coup Florence Dupont est conduite à mettre dans le même sac tragique et tragédie : le tragique est une invention moderne -ce qui est vrai- et la tragédie en tant que texte aussi. Assimilation sophistique qui serait de bonne guerre (puisque depuis deux siècles on cherche à faire coïncider tragique et tragédie), si elle n'aboutissait pas à dénier le fait que dès l'époque grecque on a considéré les tragédies comme des textes.
7Difficile, en effet, de ne pas considérer les deux poètes tragiques qui s'affrontent dans Les Grenouilles d'Aristophane, Eschyle et Euripide, comme des auteurs de textes conservés autrement que comme des traces, textes que chacun considère comme des hauts lieux de poésie et dont ils se jettent des extraits à la figure. Dans cette comédie écrite en 406, au lendemain de la mort d'Euripide et de Sophocle, les allusions aux tragédies comme livres sont étonnamment nombreuses, depuis Dionysos qui prétend avoir été, lors de la bataille navale des Arginuses, en train de lire dans son coin sur un navire l'Andromède d'Euripide (v. 52-53), jusqu'aux nombreuses allusions à la bibliothèque d'Euripide, en passant par les adresses du choeur aux deux poètes, les invitant à « éplucher les pièces anciennes et récentes » et les rassurant sur les compétences d'un public capable d'analyser toutes les finesses (« Ils sont aguerris, chacun a son livre et étudie les finesses », v. 1113-1114). Admettons qu'il s'agisse de plaisanteries et que nul n'étudiait les textes des tragiques. Mais que dire des Thesmophories, dont une bonne part (plus sans doute que dans Les Grenouilles) est constituée par un subtil enchaînement de parodies de plusieurs tragédies d'Euripide, en particulier Télèphe, Hélène etAndromède, ainsi que, au commencement, du style d'Agathon ? Aristophane faisait-il confiance à la seule mémoire des spectateurs pour reconnaître des passages qu'ils n'avaient pu entendre qu'une fois ? car ce n'est qu'au siècle suivant (à partir de 387) que s'établira l'usage des reprises de tragédies anciennes. Mais quand cela serait, en dépit des allusions aux « livres » contenues dans Les Grenouilles, quel statut attribuer à la parodie ? N'est-ce pas une écriture qui suppose l'existence préalable d'un texte et non d'une « trace » ? Et que penser de nombreuses remarques formulées par Florence Dupont elle-même, lorsqu'elle précise par exemple que tel passage de l'Électre d'Euripide « réfère de façon ironique aux Choéphores, car se moquer de son illustre prédécesseur fait partie du style d'Euripide » (p. 141) ? Euripide réfère-t-il ainsi à une « trace », ou à un texte ?
8D'une certaine manière, cette pétition de principe dont découle tout le reste se résume dans le refus de toute prise en compte d'Aristote (p. 17), qui n'aurait « jamais assisté lui-même à une performance de ce genre ». Or ceci est en contradiction avec la fin du chapitre VII de la Poétique qui parle de la longueur de la tragédie en fonction des concours, comme si ces concours existaient encore de son temps (51 a 6 sq.). D'ailleurs, lorsque au chap. 13, il parle des sujets les plus souvent traités par les poètes tragiques, il dit « aujourd'hui » ou « maintenant » (nun). C'est donc négliger, pour les besoins de la démonstration, qu'Aristote avait pour ami le rhéteur et poète tragique Théodecte (380-340) qui participa à treize concours et remporta huit victoires. C'est négliger bien d'autres poètes tragiques contemporains d'Aristote, dont cet Astydamas auquel la tradition attribue quinze victoires dans les concours (sur deux cent quarante pièces). Bref, c'est négliger un point fondamental : qu'Aristote ne parlait pas seulement de ce qu'il lisait ; il parlait de ce qu'il avait vu et de ce qu'il voyait. Faudrait-il donc considérer qu'il y a eu une sorte de perte de substance rituelle entre le Ve siècle et le IVe ? La chose n'est pas impossible, mais en l'absence de commentaire contemporain sur ce point précis elle est sujette à caution. Encore aurait-il fallu poser le problème. Mais Florence Dupont ne le pose pas : il semble bien que pour elle - qui tombe ainsi dans le travers qu'elle reproche à l'approche traditionnelle de « la tragédie grecque » - tout commence et tout finit au Ve siècle.1 Or c'est justement là une illusion rétrospective due au travail des philologues alexandrins qui ont joué un rôle majeur dans la constitution du corpus canonique de « la tragédie grecque ». Fl. Dupont est donc bien victime de ce qu'elle dénonce par ailleurs : elle s'en tient finalement à une « idée » de la tragédie grecque limitée au Ve siècle et à ses trois plus illustres représentants.
9En somme, rejeter Aristote sans autre forme de procès présente un avantage considérable : nulle part, en effet, Aristote ne s'intéresse à la tragédie comme « rituel ». Il la considère comme un genre poétique, et ajoute cette phrase bien connue : « car la tragédie réalise sa finalité même sans concours et sans acteur » ; ce qui récuse par avance le fondement même de la démarche de F. Dupont et ce qui explique qu'elle ait exclu le philosophe de son horizon de réflexion sans autre forme de procès. Car Aristote n'était pas un philologue d'Alexandrie, qui eux n'avaient effectivement pas d'autres ressources que de considérer les textes des tragédies dont ils avaient hérité comme de simples textes ; Aristote, certes originaire de Stagire, vécut une bonne partie de sa vie à Athènes. Il parle de la tragédie au passé et au présent, et il compose un traité sur la meilleure manière de composer une tragédie. Or jamais il ne renvoie dos-à-dos représentation ritualisée (dont il ne parle pas) et fiction poétique. Faut-il donc supposer qu'un demi-siècle à peine après la mort de Sophocle et d'Euripide les choses ont changé si radicalement qu'Aristote n'est plus en mesure de les saisir ? Au nom de quoi fait-on généralement cette supposition, à laquelle Florence Dupont se rallie implicitement ? au nom du texte de la Poétique qui ne contient pas ce qu'on attendrait qu'il contienne (encore un raisonnement circulaire) et en invoquant la liste des bouleversements qui ont affecté Athènes depuis la fin du Ve siècle et qui seraient bien plus importants que les bouleversements précédents...
10En fait, toutes les objections que je viens de formuler ne portent finalement que sur des affirmations placées dans les chapitres d'introduction et de conclusion, qui n'invalident en rien la démarche d'analyse qui constitue le coeur de l'ouvrage. On a l'impression que Florence Dupont avait besoin de lancer ces affirmations « anti-textuelles » non seulement pour légitimer son approche anthropologique et les significations esthétiques qu'elle en tire, mais aussi, et peut-être surtout, pour dénier toute validité à l'approche interprétative de Jean Bollack, récemment réaffirmée dans son petit ouvrage, La Naissance d'Oedipe (où Jean-Pierre Vernant est assez malmené). Si le désaccord méthodologique est mentionné nettement, mais comme en passant, à la p. 20, il me semble en fait que L'Insignifiance tragique est, dès son titre, une machine de guerre contre ce que j'appelle, faut de mieux, la méthode de la stratification herméneutique bollackienne. Quoi qu'il en soit de cette opposition frontale2, toute la question est de savoir s'il était nécessaire d'éradiquer toute posture textuelle pour pouvoir tenter une approche anthropologique et esthétique qui puisse se distinguer à la fois de l'approche idéologique et de l'approche poly-herméneutique. Au plan de la théorie de la fiction, car c'est bien de cela qu'il s'agit au bout du compte, où est le gain ?
11Ce qui est sûr, c'est que la question fondamentale posée à partir de l'histoire qu'elle étudie, celle d'Électre, c'est-à-dire du meurtre de Clytemnestre par Oreste, est remarquablement intelligente. Dans le cadre des structures civiles et judiciaires de la Grèce et d'Athènes en particulier, ce meurtre n'est pas considéré comme une vengeance, ce qu'est à l'inverse le meurtre d'Égisthe, qui, lui, n'occasionne aucune souillure chez le meurtrier, et d'ailleurs, cette idée de vengeance dans les textes épiques antérieurs ne concerne que le seul Égisthe. Donc se demander pourquoi la tragédie invente ce « meurtre imbécile », celui de la mère, est fondamental. Et tout au long du chapitre II les réponses apportées pour comprendre l'invention de cette fiction par la tragédie sont particulièrement intéressantes :
Certes, les héros de la tragédie, les personnages qui portent un masque, sont issus de la tradition épique, mais les actions qui leur sont attribuées ne sont pas imposées par cette tradition comme d'incontournables énigmes, elles sont inventées par les tragiques pour être des problèmes insolubles. (p. 50)
12Reste que privilégier une lecture exclusivement anthropologique me paraît occulter une partie de ce vers quoi pouvait s'orienter la réflexion. Et c'est ici que resurgissent, au plan méthodologique, les limites d'un rejet absolu de toute perspective « textuelle ». Où l'on retrouve le refus d'Aristote.
13Pourquoi Aristote lorsqu'il présente au chap. 14 le conflit tragique type, met-il sur un même plan le meurtre ou la tentative de meurtre du frère contre son frère, du fils contre son père, de la mère contre son fils ou du fils contre sa mère ? Bref pourquoi Florence Dupont n'a-t-elle nulle part cherché à élargir sa réflexion anthropologique à la nature de ces relations d'alliances intra-familiales ? ce n'est certes pas contester le choix particulier de l'histoire d'Oreste, parce que c'est effectivement lui seul qui, pour son meurtre, a eu maille à partir et avec la justice des dieux et avec celle des hommes, que c'est cet épisode-là qui a occasionné la plus abondante littérature critique sur les rapports de la tragédie avec la polis, et que c'est de ces rapports-là que Florence Dupont cherche à juste titre à extirper l'approche des tragédies grecques. Mais on voit bien que si l'on se refuse, comme elle le fait, à élargir la question à l'ensemble des meurtres intra-familiaux dans lesquels Aristote voit les meilleurs types de sujet tragique, on laisse le lecteur au milieu du gué...
14Je ne donnerai qu'un exemple de la manière dont la réflexion centrée sur le seul meurtre de Clytemnestre offre à mes yeux un véritable point aveugle : le fait qu'Aristote cite parmi les histoires les plus souvent reprises par les poètes, aux côtés de celles d'Oedipe et d'Oreste, celle d'Alcméon (qu'il mentionne en premier en 53 a 20, chap. 13), héros qui fit mourir sa mère Ériphyle parce qu'il la jugeait responsable de la mort de son père à qui il avait juré de le venger ; et le fait qu'il rapproche ces deux histoires au chap. 14 (53 b 24). Cette absence d'Alcméon est d'autant plus dommageable que son histoire aurait pu apporter un élément de réponse aux questions que pose Florence Dupont au chapitre II : pourquoi l'Oreste épique, à l'héroïsme sans histoire, est-il devenu avec les tragiques le meurtrier de sa mère. Ne s'est-il pas produit à quelque moment, avant Eschyle, une contamination entre les deux histoires ? un Oreste institué dès l'origine comme « vengeur » pouvait-il s'en tenir au meurtre du seul d'Égisthe, lorsque d'autres cycles épiques présentaient un Amphiaraos faisant faire à son fils Alcméon le serment de le venger sur sa propre mère ? N'est-ce pas à cette contamination qu'est due l'apparition au VIe siècle, dans la poésie mélique, de ce nouvel Oreste, meurtrier d'Égisthe et de sa mère sur l'ordre d'Apollon, poursuivi par les Érinyes de sa mère et cherchant sa purification de sanctuaire en sanctuaire dans le Péloponnèse (p. 50-51) ? Je ne sais si, en l'état actuel des connaissances, une réponse peut être apportée à cette question ; mais elle méritait d'être posée. Regret d'autant plus fort, que non seulement Florence Dupont n'a pas méconnu le rapprochement qui a fait l'objet d'un livre de Marie Delcourt, significativement intitulé Oreste et Alcméon. Essai sur la projection légendaire du matricide en Grèce (1959) et mentionné dans la bibliographie (un passage est même cité au début du chap. 3). Mais du coup, il devient difficile d'accepter telle quelle l'idée que « ce matricide inconnu de l'épopée et des tribunaux civils [a été] inventé par l'imaginaire civique » (p. 49) « pour penser [l']articulation du droit et de la religion dans le traitement civique de l'homicide » (p. 50). Non pas d'accepter l'hypothèse elle-même : car elle est essentielle, et les conclusions proposées au fait qu'Euripide, à la différence de ses deux prédécesseurs, bannit à tout jamais Oreste de sa cité, sont passionnantes (p. 172-174) ; mais d'accepter les attendus de cette hypothèse, qui ferme la porte à toute autre hypothèse.
15En somme, un livre discutable non point par ce qu'il apporte, mais par ce qu'il refuse. Car si ce qu'il apporte permet de comprendre et légitime assurément certains refus - les traitements distincts des trois Électre excluent toute idée d'un comparatisme structuraliste construit à partir d'un imaginaire « mythe d'Électre » (p. 198) -, ce qu'il refuse - le dialogue intertextuel et la perspective générique - aboutit à laisser planer sur l'ensemble du livre une interrogation sur ce que Florence Dupont entend réellement par « esthétique ». La navigation à vue entre l'esthétique et le rituel laisse un goût d'inachevé plus fort encore que la navigation entre l'esthétique et « l'anti-politique » que proposait La Voix endeuillée de Nicole Loraux. Peut-être justement parce qu'il s'agit là de la seule approche possible d'une littérature de l'immanence et qu'elle est difficile à accepter sans hésitation par le spécialiste d'une période de transcendance ; cela dit sans ironie aucune. Peut-être aussi, et surtout, parce que ces deux ouvrages sont des essais(sous-titre du livre de Nicole Loraux) avec tout ce que ce terme implique de parti-pris (au bon sens du terme), d'inachevé et de « discutable ».