Pratique de la stylistique
1La stylistique n’en finit plus de vouloir circonscrire le champ de ses origines, s’inscrivant tout à la fois contre une tradition purement rhétorique tout en en acceptant l’héritage, de sorte que la question de son autonomie, qui se pose depuis plus d’un siècle, n’a jamais cessé de constituer son premier objet de réflexion. Après s'être affranchie de la tutelle de son aînée pour mieux l'annexer, ce qui lui a permis non seulement d’éviter la disgrâce dans laquelle la rhétorique a été tenue une bonne partie du siècle, et surtout d’en diffuser les acquis, la stylistique — et toutes ses déclinaisons — se voit actuellement convoquée au chevet des disciplines et champs d'étude désireux d'affiner leurs principes conceptuels et méthodologiques grâce à ses apports souvent fructueux.
2Il semble de fait que, depuis une trentaine d'années, peu de domaines touchant de près ou de loin l'étude de l’objet littéraire aient échappé à l’emprise du fait stylistique. Les recherches en matière de pragmatique du discours ou de linguistique textuelle ont permis à la poétique ou aux études littéraires (de façon générale) de renouveler leur approche du fait de langue ou de porter un nouveau regard sur les question de la classification ou de cohérence. Il va de soi que c’est l’enseignement des lettres qui s’est sans doute révélé le plus grand bénéficiaire de la recherche en matière de style ; juste retour des choses, dans la mesure où lorsque rhétorique et stylistique paraissaient vouées à une même opprobre, seuls les concours de recrutement des professeurs du secondaire lui accordaient encore une place. Il faudra attendre la vague de fond du structuralisme et de ses multiples chapelles pour que l’Université daigne regarder d’un œil moins circonspect les études de Bally ou de Spitzer, préparée en cela par les travaux de Barthes ou du groupe Mu.
3Depuis une quinzaine d'années, dans un mouvement inverse de balancier, on assiste à une floraison de manuels destinés principalement aux étudiants de Capes et d’agrégation — ce qui représente en termes d’édition un vivier relativement large, compte tenu du discrédit économique dans lequel sont tenues les sciences humaines — dont le but semble de remettre à niveau les futurs professeurs en matière d’analyse formelle du discours littéraire. L’ouvrage de Karl Cogard n’apprendra rien au chercheur mais propose, de façon fort satisfaisante la synthèse des connaissances minimales requises dans ce domaine pour se présenter sereinement devant un examinateur ou une classe, puisque les Instructions Officielles préconisent l’étude raisonnée de la langue (à savoir l’enrichissement des savoirs grammaticaux de base par un certain nombre de concepts linguistiques) dès le collège.
4Plus complet qu'un simple « précis », le livre de Karl Cogard se présente donc explicitement comme un manuel pratique, conformément aux principes qui animent cette nouvelle collection « Champs/Université » chez Flammarion ; mais l’auteur sait également se montrer fort bon exégète. La première partie se trouve consacrée à la circonscription de l’objet méthodologique, que vient compléter une approche à la fois épistémologique et diachronique de la discipline. La seconde, plus attendue, s’intéresse aux faits de langue proprement dits, en les recentrant autour de six champs notionnels quelque peu hétérogènes : cohérence/cohésion, énonciation, figure, ironie, lexique et métaphore. Si l’analyse se révèle toujours claire et rigoureuse à l'intérieur de chacune des rubriques, on reste cependant perplexe sur cette répartition, qui réserve à l'ironie et la métaphore un traitement distinct des autres figures de pensée, même si Karl Cogard se soucie de les rattacher à la tradition.
5C’est surtout la finesse et la subtilité de l’auteur dans ses commentaires (l’approche de Mai, d’Apollinaire, est digne de tous les éloges) qui permet de bien mesurer, pour qui en douterait encore, la pertinence de l’approche stylistique. Loin d’assécher et de fossiliser le texte, celle‑ci permet une réelle intelligence de ses mécanismes et prolonge de façon indispensable la première analyse thématique. L’étude précise, replacée dans l’histoire de la langue, du « je » lyrique et de son utilisation dans le texte, se révèle ainsi une clef d’accès fondamentale pour l’accès à l’univers intérieur du poète. Ne serait‑ce que pour l’évidence de ses démonstrations, l’ouvrage de Cogard mérite de figurer dans la bibliothèque idéale de l’étudiant.