Une renaissance poétique
1Pour le lecteur moderne, la poésie de la Renaissance a la saveur des paradis perdus. Se plonger dans un recueil poétique du xvie siècle, en édition ancienne (quand on possède ce privilège) ou dans une réimpression, équivaut à ouvrir les portes d’un monde aboli, qui pourtant fut le nôtre, d’un temps où la poésie ne se contentait pas d’enregistrer les seuls états d’âme solipsistes d’un moi qui ne prétend incarner que sa propre singularité, mais où elle constituait, selon l’expression de Barthes, une mathesis, un ordre, un système, un savoir totalisant, un moyen de comprendre le monde. F. Rigolot nous donne une série de clefs pour ouvrir ces portes, ou un viatique pour nous accompagner dans nos lectures. Son nouveau livre est un ouvrage de vulgarisation de la meilleure qualité qui soit ou, pour le dire mieux, de divulgation. Le naufrage des humanités classiques et modernes, en Europe en général, en France en particulier, fait que la poésie de la Renaissance (dont la langue – devenue opaque – exige, pour être comprise, un effort, notion dévalorisée entre toutes) se réduit à « Mignonne, allons voir si la rose » ou, pour les plus cultivés des étudiants, à une page, toujours la même, des Tragiques. Comme Du Bellay incitait ses contemporains à piller les dépouilles de Rome, F. Rigolot nous invite à nous ressaisir de l’héritage magnifique de la Renaissance, ce qu’ont d’ailleurs fait certains poètes, et non des moindres, dont le nom s’associe à la « modernité » poétique (Nerval, par exemple).
2L’ouvrage, divisé en six parties (« La notion de poésie : continuités et innovations », « La naissance du poète‑auteur », « La poésie lyonnaise », « Une révolution poétique autour de 1550 », « Politique et poésie : culture et pouvoir », « Mutation des idées et des formes ») fait alterner des chapitres généraux et de brèves mais denses monographies sur Marot, Ronsard ou l’école lyonnaise et son plus digne représentant, Maurice Scève. F. Rigolot reprend tous les acquis récents de la critique ou de l’érudition, rendant leur place aux Grands Rhétoriqueurs et à leur poésie hautement civilisée, donc artificielle, ou aux poètes « scientifiques » qui s’efforcent de saisir une vision du monde en train de disparaître. Il est instructif de voir les poètes ou théoriciens du premier xvie siècle, qui avaient rejeté les genres médiévaux dans la « ténèbre gothique », expédiés à leur tour dans l’oubli par la génération montante de la Pléiade, sur laquelle la réforme malherbienne finira par jeter le voile. Les arguments de nature doctrinale n’apparaissent que comme des justifications a posteriori : le premier tort de nos prédécesseurs est de nous… précéder. En poésie comme en critique littéraire, le meurtre du père est une pratique usuelle, sinon recommandable. La Renaissance n’y a pas dérogé. On opposera ces revirements successifs à la longue durée dans laquelle s’inscrit la poésie néo‑latine.
3Une copieuse bibliographie générale récapitule les bibliographies partielles insérées à la fin de chaque chapitre. Douze pages de glossaire et – remercions F. Rigolot – un index achèvent de faire de ce volume un bel ouvrage d’initiation et même un travail de haute tenue à l’intention des spécialistes.