George Sand et l’idéal, une conquête de/à l’œuvre
1Peut‑on penser l’ensemble d’une œuvre à partir d’un mot fondateur et fédérateur ? C’est le pari engagé par les spécialistes de George Sand réunis par Damien Zanone pour tenter de définir à partir du mot idéalla poétique de George Sand. Ce mot d’« Idéal » est invoqué comme un credo dans Histoire de ma vie, Consuelo, Spiridion, Le Compagnon du Tour de France, tout comme dans la Correspondance. La citation de George Sand placée en épigraphe du volume, issue d’une lettre datée du 2 novembre 1848, fixe la problématique à laquelle l’ouvrage va tenter de répondre :« J’ai essayé de soulever des problèmes sérieux dans des écrits dont la forme frivole et toute de fantaisie, permet à l’imagination de se lancer dans une recherche de l’idéal absolu […] » (p. 7).L’abondance des oxymores « sérieux et frivole, fantaisie et absolu, problèmes et idéal… » révèle les paradoxes de l’entreprise.
2La fausse facilité de l’œuvre est d’emblée un écueil : si George Sand semble se livrer dans ses écrits, ce n’est que pour mieux nous abandonner sur le seuil d’une œuvre prolixe et multiple, après nous avoir convié à entrer. Cette quête de l’idéal irrigue de façon dynamique les différents domaines que l’écrivaine a explorés de sa plume : la poétique, l’esthétique, la morale, le politique et la religion.
1. L’idéal & l’écriture
3L’ouvrage commence par une première conception de l’idéal dans la poétique du roman, « l’écriture de la fiction se confond avec la tension vers l’idéal » (p. 12), c’est‑à‑dire qu’il s’agit de repérer un réalisme idéaliste de l’écrivaine dans la plupart de ses romans champêtres, ce qui n’est pas nouveau comme piste d’exégèse. En fait, « […] tous les textes de Sand comportent des chercheurs d’idéal capables de se montrer éloquents pour dire leur quête » (p. 12). À partir d’êtres idéalisés et d’une aspiration constante à une religion fondée sur la grâce chrétienne, avec l’aide de Corambé, son double spirituel de l’enfance, gardien de toutes les valeurs qu’elle privilégie, une osmose voulue et assumée se réalise entre religion et poétique. La mystique sandienne, porteuse de vérité absolue, insuffle l’esthétique pour la sublimer. Le monde intérieur de l’individu devient alors essentiel dans la construction des personnages : recherche de l’idéal, quête personnelle, perspective sociale convergent vers la transcendance d’une belle âme. Le réalisme de l’univers matériel des héros et l’idéalisme de leurs beaux et grands sentiments coexistent, selon Bernard Gendrel, dans une conjonction solide du social et du psychologique ; la logique des caractères et la vraisemblance romanesque ne se contrarient pas : « le réalisme fournirait donc le matériau, la matière brute sur lesquels travaillerait l’idéalisme » (p. 41).
4Dans son analyse de La Petite Fadette, Pascale Auraix‑Jonchière souligne que la prégnance des contes obéit à un ré‑enchantement possible du monde par une reconfiguration de l’histoire locale à la lueur des mythes. Le merveilleux apaise l’âme comme un baume bienvenu sur la violence de certaines vies. Le romanesque incarne en fait une certaine éthique de la consolation et une poétique de la sublimation dans les romans champêtres, « la nature chez Sand se défait de toute médiation, elle se fait parure, et la magie s’intériorise et participe du personnage » (p. 59). L’écrivaine exprime cet idéal absolu dans ses fictions pour idéaliser la réalité. C’est un véritable lâcher‑prise pour se livrer au rêve botanique et à une enquête folkloriste dans le but de valoriser le monde paysan face à Paris. Simone Bernard‑Griffiths parle de « l’ethnopoétique sandienne comme fabrique d’idéal » qui réhabilite un terroir et ses habitants, en représentant des fêtes agraires et des noces de campagne, selon une savante reconstruction poétique du monde paysan.
5L’essai se poursuit par quelques variations politiques, plus inattendues dans le théâtre. Valentina Ponzetto étudie une morale qui surgit des proverbes retenus par George Sand. C’est un bien que l’écrivaine voudrait illustrer et rendre touchant ainsi que des modèles moraux qu’elle souhaiterait proposer au public de son temps, en tant qu’ « héritière d’un idéal à la fois romantique et socialiste, selon lequel l’artiste doit montrer la voie à suivre, et croyant sincèrement à l’efficacité éthique et aux vertus civilisatrices et morales du théâtre […] » (p. 95‑96).
6Le théâtre sandien ne se départit donc pas de la quête d’idéal des romans, il va même s’attacher à la sanctuariser. Pour Catherine Masson, George Sand milite en faveur d’une utopie réconciliatrice qui croit à un progrès social en marche et une perfectibilité de l’homme ; elle étudie le Berry en ethnologue, réalisant le défi de « poser la problématique égalitaire dans la littérature et de mettre à l’épreuve l’image folklorique du Peuple comme un être collectif indifférencié en donnant aux paysans une individualité dans ses romans » (p. 109). Elle manipule ainsi les spectateurs parisiens pour qu’ils adhèrent à sa pensée sociale, son idéalisme esthétique devenant didactique pour louanger la dignité, éminemment romanesque, des paysans du Berry. Que ce soit dans le vérisme de la représentation, dûment formatée par ses didascalies descriptives et prescriptives nombreuses, ou par la mise à l’épreuve du laboratoire expérimental qu’est devenu Nohant, ses textes doivent sensibiliser les spectateurs aux injustices sociales et au sort des exclus. L’émergence d’un réel pouvoir évangélisateur apparaît donc dans la mise en scène des pièces François le Champi et Claudie.
7Laurent Robert insiste sur l’apport « d’une lecture toute personnelle tant du mythe du poète malheureux que du mythe du pacte méphistophélique » (p. 128) sans oublier de noter l’idéalisme sous‑jacent des poèmes dans Aldo le Rimeur et dans Les sept cordes de la lyre, ces ouvrages étant moins étudiés que les romans fondateurs.
8Il est à noter le mérite de Claire le Guillou qui nous fait connaître une fiction non rééditée, oubliée, voire méprisée et même abhorrée des exégètes, Les Amours de l’âge d’or, où idéal et idéalisme se mêlent dans un nouvel évangile qui réécrit le mythe de lagenèse et donne à lire les premiers pas de l’humanité.Cette fiction que C. le Guillou qualifie de métaphysique et socialiste, délivre un message progressiste ; ce progrès tant désiré se fera en fonction de la foi que l’homme a en Dieu, selon son ascèse spirituelle. Les personnages Évenor et Leucippe œuvrent pour la mise en place d’un nouvel évangile en action, souhaitant ainsi fonder une sorte de république socialiste.
9Au fil des pages, les communications successives s’attachent à montrer que Sand ne dissocie pas éthique et esthétique : le beau est le bon, le bon est le beau. Se pose alors la question du moi, à la fois héros et narrateur. Béatrice Didier pense que l’idéal est une autre vérité de l’autobiographie, et pour qu’Idéal esthétique et Idéal politique ne fassent qu’un, l’autobiographie se spiritualise en profession de foi destinée à convaincre le lecteur. Les aspirations personnelles d’une âme éprise de son siècle combattent le culte du moi pour un Idéal supérieur fondu dans le grand Tout. Selon Étienne Beaulieu, les proses du moi et du quotidien s’amenuisent pour un besoin de fraternité universelle, les personnages deviennent sublimes à force de porter un idéal de vie, moral, simple et vertueux, comme celui de Jeanne, Gervais et de Marie dans La Mare au diable.
10Cependant, si l’appel à l’idéal s’avère une nécessité, il se révèle aussi un véritable piège par le réalisme fétichiste du détail, par une idéalisation féministe excessive, par des rêveries confuses et illusoires, mais aussi une incrédulité ponctuelle et une sorte de réalisme utopique prophétique outré. L’âme remplie d’idéal est bien pesante et complexe à assumer. Stéphane Chaudier soutient alors que l’idéalisme à la Sand est aussi un rapport charnel, passionné et affectif à l’idée, puisqu’il pose le primat de l’intériorité pour servir une éthique de l’amour :
Ainsi se découvre le fonds de la fiction sandienne : l’antagonisme des volontés, ou plus exactement, l’acharnement de l’anti‑idéalisme mondain contre l’idéalisme néo‑évangélique, qui ne demande qu’à vivre tranquillement, dans la petite utopie affective qu’il se construit à l’abri du réalisme ambiant (p. 209).
11Au cours de la lecture de ces nombreuses communications de presque cinq cents pages, le lecteur s’interroge de plus en plus, victime d’un désir de simplification attendue mais certes, réductrice, ou éprouvant le besoin d’une amplification complexe assez déconcertante. Décidément Madame Sand est une insoumise, une rebelle, une insolente qui ne laisse pas facilement entrer sa création dans des cadres herméneutiques, explicatifs ou définitoires, aussi cohérents et justifiés qu’ils soient. Et tous s’accordent pour retenir que l’idéalisme sandien est une construction sophistiquée de la réalité.
12Après avoir examiné l’aimantation exercée par l’idéal dans la poétique, la première partie s’est terminée sur un idéal trouvé, plutôt que cherché, devenu un véritable enjeu identitaire et une dynamique entière de l’écriture, en tant qu’impulsion créatrice et principe esthétique dans l’incarnation intellectuelle et idéologique des personnages et la vision sociale des fictions.
2. L’idéal & la spiritualité
13La seconde partie décline l’idéal comme un moyen de connaissance, mais aussi comme un guide spirituel dans une aspiration personnelle à la morale. Il s’incarne dans les arts, si omniprésents et omnipotents de l’univers de choses vues et d’expérience personnelle de l’écrivaine. Voyage, recherche d’un ailleurs, sentiment du mieux, « Sand a besoin d’appréhender le monde réel par toutes ses sensations, selon la leçon de Locke, puis de se l’approprier par l’esprit jusqu’à en faire une abstraction » (p. 241). Elle se livre volontiers à la force et à la spontanéité de ses émotions ; elle entre en relation magique avec la nature, elle répond à l’appel du merveilleux en éprouvant cette médiation recherchée entre l’humain et le divin. Mais apparaît alors implacable la difficulté de la mise en discours, le rapport compliqué au langage, « Sand se heurte aux limites de son idéal communicationnel et découvre la dure loi de l’interlocution » (p. 264), selon Monia Kallel. Rêverie et méditation tant aimées laissent place au spleen, à la mélancolie car la réalité se révèle sinistre : l’Histoire de son siècle, 1848, 1851, 1870 désenchantent son monde. C’est pourquoi l’idéal doit devenir le possible, l’Homme étant une valeur absolue… « l’idéal est un principe qui articule le sujet à la communauté, le contingent des existences singulières à l’universalité du vivant », dit‑elle dans Journal d’un voyageur pendant la guerre1 où elle conjugue introspection intimeavec réflexion politique.
14Si Sand reconstruit le mythe rousseauiste de l’âge d’or, c’est pour vanter une pauvreté active énergisante, cette sorte d’élan qui encourage l’homme à sortir d’une inertie inféconde. La frugalité régénère l’Humanité. Catherine Mariette insiste sur cette représentation philosophique de la pauvreté qui devient ainsi une ultime vertu. Dans cette vision enchantée, ni compassionnelle, ni misérabiliste, l’utopie nourrit une croyance inébranlable dans le progrès. C’est pourquoi les romans deviennent une sorte de laboratoire expérimental d’une quête du vrai, au service d’une plus grande conscience de la portée d’une écriture. L’idéalisme se réfléchit pour devenir militant, pédagogique même, et il dévoile le désir auctorial d’égalité et de réciprocité entre l’homme et la femme. L’éducation s’affiche comme une véritable esthétique, pour installer les fondements d’une société idéale car l’idéal a besoin d’une dimension formelle et d’une dimension éthique.
15Cependant l’idéal républicain de Sand va souffrir, soumis à l’épreuve des faits, l’idéal échoue malmené par la terreur ou la tyrannie, ces absolutismes toxiques mis à l’ordre du jour. L’église et les cléricaux, Gambetta et les radicaux, la mort de Napoléon III, la chute de Thiers abiment ses rêves humanitaires et socialistes. Pour Bernard Hamon, elle a simplement quitté les chemins de l’utopie pour prendre le seul possible, celui du réalisme. Alors reniement profond ou modification de sa quête ? Rappelons que le conflit entre idéal et réalité s’était déjà clairement présenté et de façon dramatique dans les romans des années 1830. Le mal du siècle sévissait, Sand doutait et ses amants romanesques se suicidaient. Mais loin de s’effacer, l’idéal se cherche et se trouve à travers douleur et sacrifice, il engendre les péripéties et devient moteur.
3. L’idéal & les arts
16Sand partage l’idéal du beau avec le peintre, le « confraternel chercheur d’idéal » (p. 358), son ami Delacroix. Mais le beau déborde du domaine de l’art et embrasse la morale et la politique. Pour Véronique Buy, des couleurs aux mots, il n’y a qu’un pas, franchi à la vue du tableau L’Éducation de la Vierge qui fait renaître la créativité de Sand. La métamorphose d’une servante berrichonne et d’une fille de la campagne en sainte Anne et en Vierge Marie l’inspire. La bonté et l’intelligence du cœur rapprochent de l’idéal divin. « La peinture a fécondé la littérature qui elle‑même avait déjà nourri la toile » (p. 363) Art et nature, idéal et réel, sensible et intelligible, les frontières sont floues et extrêmement poreuses pour l’écrivaine, sa poétique s’est mise au service d’une sorte de phagocytage de l’un par l’autre. De nombreux personnages deviennent alors protagonistes référentiels dans les romans qui prennent le lustre de la réalité pour promouvoir les opinions sandiennes sur l’Art, en particulier la gloire christique de l’artiste et sa mission de martyre.
17La romancière démystifie l’art dans Les Maîtres mosaïstes, analysé par Lara Popic. Elle abolit les relations hiérarchiques et l’élitisme culturel de son époque. Plus aucune hiérarchie entre l’artisan et l’artiste, pas de beau au modèle unique, sont des constances de sa recherche de l’idéal artistique. Comme la peinture nourrissait la littérature, la musique interpénètre elle‑aussi la littérature : les grands moments du roman Consuelo sont des actes d’opéra, Consuelo se lit comme une partition musicale. Anna Opiela affirme que « la musicalité du style sandien réside dans certains agencements de mots et de phrases opérés dans le souci d’exprimer par la langue le pouvoir des sentiments »(p. 397)
18La danse intéresse aussi Sand car le bal est un chronotope incontournable. La poétique du geste, la sémiologie articulée d’une communication averbale, la représentation plus ou moins baignée de régionalisme permettent à la danse de devenir idéal et la danseuse, telle la Fadette, qui accède à la transfiguration. La tension entre expression, exhibition et individuation, fédèrent la femme en mouvement ; idéalisée en sylphide, ballerine romantique par excellence, Albine Fiori, dans le roman épistolaire éponyme, maîtrise l’entrée dans la féérie, pour un lien entre idéal et corporalité au service de fictions, fantaisies et même fantasmes. La danseuse devient immatérielle par une corporalité insaisissable et une humanité transcendée, elle stimule alors toute la recherche de Sand.
4. Sand & l’idéal : une problématique oubliée, renaisssante, éternelle ?
19Insérée dans la partie Annexes de l’ouvrage, l’analyse de Naomi Schor, datée de 1988, envisage une recanonisation nécessaire de Sand. Alors que George Sand et Mme de Staël sont célébrées comme deux monuments de la littérature Française du xixe siècle, Sand est à peine lue en 1890 et oubliée en 1938. N. Schor évoque la disparition du roman idéaliste pour expliquer sa perte de popularité, Sand la devrait à la diffusion du réalisme, celui‑ci est d’ailleurs plus gratifiant pour l’autre George, l’écrivaine George Eliot, à laquelle Mona Ozouf consacre aujourd’hui une biographie transgressive. Or Balzac pensait que le réalisme, loin de s’opposer à l’idéalisme, n’en serait qu’une forme possible, une sous‑catégorie : le réalisme ne pourrait même s’affirmer que comme une forme ratée de l’idéalisme.
20N. Schor explore également la division du travail littéraire selon des lignes de démarcation genrées et reprend toute une série de présupposés pour les contrecarrer comme celui de la mimesis « […] représentation fidèle de la nature, sorte de malédiction académique punissant les écrivains mâles et les condamnant à une vie littéraire asservie à la référentialité. Quant aux écrivaines, incapables de voir le monde autrement que derrière les verres déformants de lunettes roses, elles sont, par essence, idéalistes » (p. 440)
21L’idéalisme de Sand est prestigieux car surdéterminé par le politique et le psychologique : il est la manifestation constante de son refus de reproduire par les mots le monde à l’identique, l’émergence d’un besoin de ne pas photographier l’exact et le désir invariable de ne jamais participer à la légitimation d’un ordre social car il écrase les citoyens de seconde zone dont font partie les femmes.
22 « Recanoniser Sand, c’est finalement viser une poétique de l’éthique » (p. 447). Trente ans plus tard, la question du canon littéraire et de sa contestation, ne se pose plus vraiment à l’étude des Lettres ; pourtant la traque de cette sexuation des genres littéraires n’a pas à légitimer son intérêt pour la recherche et l’exégèse des textes. Dans nos bibliothèques, le roman sentimental reste encore le genre propre aux femmes qui écrivent ou qui lisent et les rendent dangereuses pour Laure Adler2. Tout comme le réalisme assurant l’équilibre entre sublime et grotesque est une posture littéraire datée, limiter Sand à un sentimentalisme social s’avère abusif, presque fautif, en tout cas contre‑productif car niant l’inventivité extraordinaire de cette écrivaine polyphonique.
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23L’ouvrage George Sand et l’idéal, une recherche en écriture décrypte, au fil des contributions, le besoin harcelant et inspirant d’idéalisme dans l’écriture de Sand. Il dévoile aussi son souci de réalisme et son appétence à la spiritualité. Analyser l’œuvre sous l’angle de l’Idéal est donc tout à fait approprié et permet de voir en Sand, comme le formule Hankiss, une femme politique, un apôtre laïque et une prêtresse de tous les mysticismes. Cette recherche en écriture est riche, accompagnée de nombreuses références, d’une petite bibliographie d’ouvrages généraux sur George Sand.
24Affichant une sorte de bilan exhaustif de tout ce que l’on sait déjà si l’on se prétend sandien avisé, cette recherche collective est aussi intéressante car elle est au service de l’écriture autobiographique et romanesque du xixe siècle, honorant l’œuvre d’une femme de lettres exceptionnelle par l’amplitude de son aventure scripturale. C’est un essai de plus sur l’écriture personnelle et autocentrée qui glorifie le rôle déterminant de Sand en son siècle. Peut‑être faudrait‑il rappeler que l’affirmation du je auctorial, le dialogisme des écrits entre eux, la fécondité des interactions entre espace de la fiction et sphère du privé se prêtent volontiers à une analyse de l’idéal mais n’est‑il pas entrepris par l’écrivaine dans le but de fissurer irrémédiablement les frontières entre discours intimes et espaces publics ?
25Le credo sandien se scande au fil des écrits : « il n’y a qu’une vérité dans l’art, le beau ; qu’une vérité dans la morale, le bien ; qu’une vérité dans la politique, le juste3 ». Mais il est nécessaire de se demander si l’aspiration à l’idéal n’est pas le moyen de légitimer toutes les libertés que Sand s’octroie en écriture. Elle est avant tout une exploratrice, une expérimentale, une médiatrice car sa poétique novatrice exige de nombreux terrains d’essai. Sa « glorification ardente de l’idéal et son embrasement plein d’entrailles avec le réel4 » réfutent toute tentative de faire de son œuvre un portrait monolithe, fût‑ce celui que son besoin envahissant d’idéal permettrait.
26Certes George Sand explique à de multiples reprises ses intentions auctoriales, mais la modernité de sa pensée, la complexité de son écriture et la portée de sa créativité nous laissent souvent dans la nébuleuse de tous ses desseins scripturaux. C’est pourquoi il sera profitable de relire George Sand, journaliste, sous la direction de Marie‑Ève Thérenty, et George Sand critique. Une autorité paradoxale sous la direction d’Olivier Bara et Christine Planté, ouvrages parus aux publications de l’Université de Saint‑Étienne en 2011, afin de voir si les postures de l’engagement journalistique sandien répondent elles‑aussi à cette aspiration à l’idéal.