De la Contre-Terreur dans les Lettres
1Le bref essai de Laurent Nunez se propose d’étudier quelques aspects d’une problématique essentielle de la littérature au XXe siècle, à savoir la légitimité de la littérature telle qu’elle-même l’interroge et la met en scène. L’introduction prend pour point de départ l’enquête de la revue Littérature qui demandait en 1919 et 1920 à cent écrivains : « Pourquoi écrivez-vous ? ». Le fait même de l’existence d’une telle enquête, la possibilité même d’une telle question, révèlent que la pratique littéraire n’allait plus de soi, ce que Laurent Nunez interprète comme le passage d’un monde à un autre, où le statut même de l’écriture se trouve transformé, voire comme le « point de départ d’une nouvelle littérature » (point de départ dont l’auteur souligne le caractère schématique et artificiel). Tout au long du siècle, l’inutilité et l’insignifiance de l’écriture seront les lieux communs de toute une partie de la production littéraire. L’essai s’emploie donc à mettre au jour les tenants et aboutissants de ce topos, à travers trois chapitres généraux – l’auteur précisant bien, ici, en se souvenant peut-être de la stratégie éthique d’un Montaigne quand il affirme « Je n’ai rien voulu qu’examiner ma pensée, vérifier mon système (…) », qu’il ne se veut nullement « théoricien » - , sertis de deux études intermédiaires présentées comme des « explications de textes » ou des « travaux pratiques », et consacrées respectivement à La Dépossession de Jacques Borel et Le Bavard de Louis-René des Forêts.
2La réflexion qui s’expose dans l’ensemble de l’essai prend pour fil conducteur la notion de Terreur, telle qu’elle a été formulée dans l’essai de Jean Paulhan Les Fleurs de Tarbes, laquelle apparaît comme le dénominateur commun permettant le rapprochement d’auteurs tels qu’Aragon, Valéry, Cioran, Bataille, Leiris, Artaud, lorsqu’ils affirment « un dégoût et une suspicion sans bornes » envers la littérature. La Terreur, telle que Laurent Nunez l’analyse, concevant son propre essai comme un « addenda aux Fleurs de Tarbes », est fondée sur deux postulats, la supériorité de la vie sur la littérature, et l’exigence subséquente d’une mimèsis parfaite pour conférer à celle-ci une quelconque légitimité au regard de celle-là. Exigence évidemment toujours déçue, car le signe ne sera jamais l’entité qu’il désigne : la Terreur se traduit inévitablement par une dépréciation de la littérature. Écrire ne peut être qu’un obstacle à l’expression individuelle, à la liberté et à la sincérité, en raison des règles, codes et principes qui régissent toute littérature : la Terreur est donc aussi et avant tout refus de la rhétorique, refus lui-même tout illusoire dans la mesure où la rhétorique finit toujours par revenir, d’une façon ou d’une autre. De ces paradoxes de la Terreur, Laurent Nunez a dégagé les principales figures qu’il déploie en examinant six arguments contre la littérature.
31. L’impossible nouveauté
4La littérature ne fait que ressasser les mêmes schémas et les mêmes procédés. Le fait que chaque livre contienne tous les autres n’est pas la source d’une célébration comme chez Borges (dont Laurent Nunez note la réception ambivalente chez les Terroristes) mais d’une humiliation. L’écrivain, déçu par un art qui ne tient pas ses promesses, se complaît alors à le démystifier et fait de sa désacralisation la source d’anathèmes constamment réitérés. L’expression personnelle, idiosyncrasique, est d’emblée compromise dans l’activité même où l’écrivain condamné à la répétition est toujours déjà dépossédé de ses mots. Le mythe terroriste d’une nouvelle langue, qui maintiendrait l’individualité du propos mais en condamnerait la communicabilité, exprime ce paradoxe : écrire, nommer, c’est nécessairement généraliser.
5La clef de la sincérité est non seulement de ne pas lire mais encore de ne pas écrire. Laurent Nunez examine tous les stéréotypes platoniciens et romantiques qui sous-tendent la notion, et ses divers avatars, en particuliers dans l’importance dévolue à l’inconscient au sein du surréalisme. Ici apparaît la difficulté de rattacher Valéry à l’ensemble des écrivains considérés dans la nébuleuse des Terroristes, que l’essai surmonte en insistant sur le rôle « instrumental » de la littérature (qui n’est pas une fin mais un moyen « de dompter son intelligence »), ce qui permet d’étudier dans le même esprit toutes les figures de l’ « écrivain du dimanche » pour qui l’écriture reste un passe-temps accessoire.
6Cette section est consacré aux difficultés que pose aux écrivains le «défaut des langues», que nul ne croit plus possible de « rémunérer », et que la linguistique conventionnaliste n’a de cesse d’asseoir sur des principes scientifiques, en particulier dans le cas de Saussure1. L’écrivain contre l’écriture est d’abord un cratylien déçu. Laurent Nunez montre combien le problème linguistique renvoie en profondeur à un problème théologique : la désacralisation de la littérature est liée à la fin du mythe du langage divin. D’où l’appel au vague, la précision étant stérile voire nuisible.
7Laurent Nunez montre comment le procès du style a lieu à partir d’une position de principe : comme tout ce qui paraît ajouté, forcé, obtenu au prix d’une recherche, le style est un masque pour l’écrivain, un écran qui obstrue l’accès au réel. Les lieux communs de l’écriture blanche ou neutre sont ici rappelés dans une page où se lit la rémanence des analyses de Roland Barthes.
8L’essai montre ici comment s’établit une dévalorisation de la littérature fondée sur la prolifération, la prolixité, et une valorisation symétrique de la brièveté, du dépouillement, de l’épure. C’est une nouvelle fois au nom de la sincérité que les Terroristes promeuvent la simplicité.
9L’œuvre littéraire est le lieu d’une « dictature logocentrique » où l’auteur manipule toujours peu ou prou le lecteur. Plus profondément, c’est le fait même d’écrire qui instaure un décalage entre la réalité vécue et son expression littéraire. L’écriture est une nouvelle fois tricherie, voire stratégie, quand l’auteur se conforme aux attentes supposées du lecteur à venir.
10Fort de ces six paradoxes de la Terreur dans les Lettres, l’essai s’emploie à en déceler les causes. Une « certaine démocratie », indique Laurent Nunez, due à la critique littéraire en particulier, aurait conduit à un sentiment de familiarité avec les écrivains dont le travail aura été démystifié et avec les œuvres dont les procédés auront été mis à nu. La référence à Mallarmé, érigé en figure tutélaire aussi bien par Valéry et Breton, permet d’envisager des causes plus complexes : par ses exigences trop absolues, il n’aura laissé à ses disciples que la désillusion.
11Le chapitre s’achève par une réflexion autour de l’« imposture terroriste », et des divers paradoxes qui découlent d’une telle conception de la littérature. Les écrivains contre l’écriture continuent d’écrire, d’utiliser la rhétorique. L’ouvrage démontre l’impossibilité de sortir de la Terreur, qui ne peut que faire miroiter à l’infini ses propres exigences, en recourant à l’auto-réflexion : un essai qui reproche aux Terroristes leur inconséquence et notamment leur recours à la rhétorique devient lui-même terroriste. On ne peut répondre à la Terreur que par la Terreur. Le chapitre s’achève sur cette impasse.
12Premier des « travaux pratiques » annoncés en introduction, cette étude de La Dépossession se fonde sur la notion de Terreur. L’écriture est en effet envisagée par Borel comme récit d’expérience vécue, comme tentative de reconstruction du réel, comme transposition d’une souffrance. Mais La Dépossession fait état d’une limite : l’expérience biographique dont il est question est trop insoutenable pour n’en faire qu’un simple livre. Le livre deviendra donc le récit de sa propre impossibilité, et en même temps le lieu d’une désacralisation de la littérature dont Laurent Nunez montre combien elle retrouve les arguments traditionnels des Terroristes. Aussi La Dépossession marque-t-elle une rupture dans l’ensemble des ouvrages de Jacques Borel qui, « héautontimorouménos moderne » renie sa foi antérieure en la littérature, et choisit le journal et le fragment contre l’« œuvre ». Le paradoxe revient une nouvelle fois, par une ruse de la terreur : c’est malgré tout un livre qui s’écrit encore. Le procès et l’aveu, le juge Borel et l’accusé Jacques, se succèdent chacun se démasquant successivement, sans dernier mot possible.
13Sous-titré « De l’impossibilité d’atteindre Rimbaud par des moyens rimbaldiens », ce chapitre propose une réflexion autour de la notion d’« œuvre-prétérition », œuvre qui combat la littérature tout en y participant et dont la référence inévitable est ici l’œuvre du poète. Laurent Nunez s’efforce ici d’analyser quelques objets littéraires appartenant à une sorte de genre littéraire, constitué a posteriori comme une classe analogique, les écrits sur Rimbaud, pour lesquels il propose une typologie rudimentaire.
14Les « textes présentatifs » sont des récits, fictionnels ou factuels, ou Rimbaud apparaît comme personnage. Ceux-ci sont ventilés en trois catégories selon l’attitude qu’ils manifestent : « acceptation », « interrogation », « contradiction », attitudes illustrées respectivement par les écrits considérés comme exemplaires de Le Clézio, Michon, Aragon. Laurent Nunez analyse ainsi le roman La Quarantaine qui se fonde sur l’impossibilité de dire le singulier (argument terroriste, donc). Les quelques pages où Rimbaud apparaît comme personnage prennent sens par rapport à l’ensemble du roman marqué par la rêverie rimbaldienne du narrateur. Rimbaud le fils est pour sa part une œuvre marquée par le doute envers la « Vulgate », une mise à distance de toutes les gloses. L’auteur prend enfin le contre-pied d’une interprétation rapide d’Anicet ou le panorama, roman, perçu comme acte d’allégeance envers Rimbaud. Le portrait du poète y est en effet grinçant et ne vise qu’à abattre le mythe.
15Les « textes représentatifs » comportent un intertexte rimbaldien éventuellement implicite, Rimbaud n’y figure pas comme personnage mais fait l’objet d’une projection, de la part d’un personnage, du narrateur (ainsi dans La Vie est ailleurs de Kundera), de l’auteur (comme dans Tête d’Or de Claudel), du lecteur ( textes présentatifs in absentia, où la référence ne peut qu’être inférée à partir d’autres textes : l’essai cite les récits d’Henri Thomas et la poésie de Michel Leiris).
16Ce prélude consacré à la possibilité d’écrire sur Rimbaud achevé, la véritable question est abordée : peut-on imiter Rimbaud ? À défaut de ne plus écrire, il semble encore possible de vivre comme le poète. D’où les trajets, les échappées et les errances de Claudel, Le Clézio, Thomas et Leiris, parcours géographiques où Laurent Nunez propose de voir une tentative d’imiter la fuite rimbaldienne et un substitut à l’impossible renoncement à l’écriture. Car le voyage se solde toujours par un nouveau livre. L’analyse procède ici d’un genre de critique littéraire peu fréquemment représenté, à savoir la critique biographique comparée, qui met en regard un intertexte mythique voire fictionnel et une réalité factuelle, qui elle-même devient texte : d’où l’« échec » de ces tentatives d’imiter Rimbaud qui se veulent toujours signe de quelque chose et appel à une lecture. Le paradoxe mis au jour par cet essai s’établit ainsi : imiter Rimbaud, c’est ne pouvoir l’être, puisque lui-même n’imita personne. Double impasse, parfaite aporie : « être ou ne pas être Rimbaud, c’est toujours ne pas l’être » (p. 135). L’étude, on le voit, reconduit donc tacitement, elle aussi, le mythe de l’auteur indépassable et inégalable, limite ultime et horizon absolu de la littérature.
17La troisième partie du chapitre réitère le questionnement initial sous une nouvelle forme : « Peut-on ressusciter Rimbaud ? ». L’écrivain qui échoue (nécessairement) à être Rimbaud peut encore écrire sur ceux qu’il estime être autant d’incarnations de la figure rimbaldienne : les marins pour Thomas, les Indiens d’Amérique du Sud pour Le Clézio, Georges Limbour pour Leiris, Jacques Vaché pour Breton. Se constitue ainsi un corpus d’œuvres mettant en scène des doubles de Rimbaud.
18Le chapitre souligne in fine la convergence des impasses auxquelles mènent aussi bien la Terreur dans les lettres que son corollaire, la fascination pour Rimbaud, érigé en allégorie d’une conception de l’écriture qui trouve sa fin dans la non-écriture. Ou quand les problèmes posent par eux-mêmes l’impossibilité de les résoudre.
19La seconde étude monographique de l’essai propose une « lecture terroriste de des Forêts ». Cette lecture est d’abord présentée, c’est-à-dire mise à distance, comme parole d’un « critique », faisant elle-même suite à une ouverture métacritique reprenant le motif bien connu des limites d’une herméneutique anti-intentionnaliste. La littérature comme bavardage, suite de mots vains : le roman Le Bavard s’inscrit dans le filiation de la Terreur, et singulièrement sa version valéryenne. Le roman est ainsi analysé comme une allégorie du rapport entre l’auteur toujours trop volubile et le lecteur réduit au silence. Une lecture intertextuelle fait de même apparaître des liens de parenté entre le bavard et M. Teste. La parole « critique » étant refermée, une nouvelle lecture allégorique, qui en accuse la naïveté, fait apparaître la dimension terroriste du roman dans toute son ampleur. En suscitant la lecture allégorique, l’écrivain se joue du lecteur, misant sur le désir d’interpréter qu’entraîne inévitablement le refus de signifier. Le roman se composerait, si l’on suit cette interprétation, d’une multitude d’éléments se présentant comme autant de symboles mais qui n’en sont pas, frustrant ainsi d’emblée toute tentative de déchiffrage. Le roman se présenterait comme allégorique (lecture superficielle, celle du « critique ») mais en vérité serait une démystification de la pratique allégorique. L’essai de Laurent Nunez se fait de nouveau autoréflexif pour énoncer l’absurdité de sa propre analyse, laquelle démontre que la Terreur, non contente de détruire la littérature, détruit aussi la critique, qui devient « un véritable bavardage sur un bavard » (p. 175). Cette lecture terroriste du bavard constitue in fine un portrait de Des Forêts en romancier post-moderne.
20Les adversaires de la Terreur, représentés par Caillois, Paulhan et Blanchot, se distinguent par leur foi envers la littérature. Aux six paradoxes de la Terreur s’opposent alors cinq paradoxes de ce que Laurent Nunez se garde néanmoins de nommer la Contre-Terreur.
211. Contre l’impossible nouveauté
22Chacun des trois écrivains envisagés incarne une déclinaison du contre-pied pris face à la Terreur. Paulhan souligne le rôle fondateur de la lecture qui délivre des influences impensées. Caillois démystifie la notion d’originalité et la destitue du rôle central qu’elle occupe chez les Terroristes. Blanchot, lisant Baudelaire, souligne le rôle des emprunts qui attestent une conception de la poésie où le rôle central du langage rend secondaire la question de la redite, où l’écriture se fait consciente d’elle-même ce qui suppose une connaissance aussi vaste que possible de ce qu’elle a pu être. La réflexion que Laurent Nunez reprend à son compte s’achève sur un congé définitif signifié à l’innovation, et un éloge de la réécriture se concluant par un clin d’oeil au décidément inévitable Pierre Ménard.
23La dénonciation de ce mythe est le thème privilégié de Jean Paulhan qui la lie intimement à la revalorisation de la rhétorique (du moins en apparence, comme on le verra plus loin), Caillois ridiculise de la pratique l’écriture automatique, Blanchot fustige sur le tard « la littérature d’expérience » quand elle croit pouvoir accorder la préséance à l’« expérience » plutôt qu’à la littérature : tous trois s’accordent à lever la contradiction superficielle entre l’écriture et la vie.
24Paulhan excluant l’ineffable de la littérature et l’indicible de la poésie, Caillois identifiant strictement le sens de la poésie aux intentions de son auteur, Blanchot persiflant l’accommodation de la philosophie de Bergson aux exigences de la littérature : chacun, à partir d’une conception propre de la poésie, apporte sa contribution au renversement du lieu commun Terroriste.
25Là encore la comparaison entre les trois écrivains permet d’illustrer trois variantes d’un même motif, répondre à la Terreur sur son propre terrain : Paulhan, en suggérant qu’elle ne fait que remplacer une convention par une autre convention, Caillois de même en déduisant du présupposé terroriste selon lequel la forme est séparable du fond, que c’est précisément la forme que doit travailler l’écrivain, Blanchot, en faisant du style le lieu même de la sincérité et de la singularité de l’écrivain.
26C’est, de façon prévisible, à partir de Valéry que se détermine les réponses contre-terroristes, de Paulhan et de Blanchot, le second allant plus loin en pensant avec Valéry contre Valéry. Seul Caillois se distingue ici, ayant définitivement choisi Valéry contre Pascal.
27Cette lecture comparée vise à caractériser un effet de groupe que Laurent Nunez justifie ensuite en citant divers documents qui attestent une véritable unité intellectuelle entre les écrivains. Cette étude permet notamment de mettre au jour un nouvel aspect de la littérature des années 40. La deuxième partie du chapitre fait néanmoins succéder à l’étude de la reprise dialectique des invariants de la Terreur une autre étude inspectant chez les mêmes écrivains les marques d’une adhésion à ses principes, illustrant ainsi la théorème énoncé dès le premier chapitre, selon lequel on ne peut échapper à la Terreur.
28Chez Paulhan tout d’abord, Laurent Nunez souligne le rejet simultané de la Terreur et de la Rhétorique, contrairement à une idée reçue qui fait de l’écrivain le défenseur de celle-ci et le contempteur de celle-là. La suite inédite des Fleurs de Tarbes, intitulée Le Don des langues devait en être le pendant et renvoyer dos-à-dos les deux notions. L’analyse des lectures de Valéry et Alain comme « rhétoriqueurs » démontre cette ambivalence de Paulhan. L’essai propose alors une analyse minutieuse des Fleurs de Tarbes en leur restituant leur dimension énigmatique et dubitative.
29À l’opposé de la position intermédiaire de Paulhan, Caillois apparaît comme ayant constamment hésité entre les deux attitudes, multipliant les « palinodies » (p. 227) : une étude très précise des écrits de l’auteur à partir de ses débuts surréalistes éclaire ce parcours complexe.
30Pour caractériser le cas Blanchot, l’essai se fait à nouveau réflexif, notamment à partir d’une lecture critique voire par instants polémique, tout en demeurant soigneusement argumentée, de l’ouvrage de Michel Beaujour, Terreur et Rhétorique (Paris, J.-M. Place, Coll. « Surfaces », 1999, 257 p.). Revenant à l’analyse de la présence de la figure de Rimbaud chez Blanchot, Laurent Nunez s’efforce de mettre en évidence l’indifférence de ce dernier envers le poète de la fuite au profit du poète qui, à l’instar de Mallarmé, s’est confronté aux enjeux de l’écriture. Blanchot apparaît au terme de cet examen comme un adversaire indiscutable de la Terreur.
31La conclusion de l’essai insiste à nouveau sur les paradoxes de la Terreur qui ne peut mener qu’à des raisonnements circulaires ou auto-réfutants. Sans renoncer au jugement axiologique, Laurent Nunez entreprend une réhabilitation de la terreur comme moteur de l’histoire littéraire, la péroraison de l’essai insistant sur cette dialectique prenant la forme d’une métaphore où la littérature est assimilée à la salamandre qui se nourrit de la flamme.
32On aura compris qu’il s’agit bien d’un essai et non d’un manuel ou d’un traité : le lecteur y rencontrera parfois des énoncés fortement normatifs ou empreints d’une subjectivité pleinement assumée. On n’y cherchera donc pas un exposé qui, analysant tout discours comme index de présupposés qui en limitent la portée en déterminent les enjeux, se propose de comprendre toute pensée sans en privilégier une seule. Il serait de même peu pertinent de regretter une lacune certaine dans le domaine de l’histoire des idées dans la mesure où il n’y a pas, ici, de réflexion sur l’origine des paradigmes qui sous-tendent Terreur et Contre-Terreur.
33Relevant d’une problématique essentielle du XXe siècle littéraire, qui a récemment fait l’objet de plusieurs essais convergents3, ces fragments d’une histoire de l’idée de littérature selon les écrivains constituent aussi une approche des enjeux théoriques propres à la « modernité » et procurent avec la notion de « Terreur » un fil conducteur original qui renouvelle l’approche de la problématique convenue du formalisme et de l’héritage mallarméen. À cet égard, en dépit de la protestation liminaire d’absence de « théorie », on ne pourra manquer de constater que l’essai procède, par des voies souvent inattendues, de la critique, de la métacritique, de la poétique, et même du romanesque. On ne s’étonnera guère alors de relever, dans l’écriture même de cet essai à la transtextualité foisonnante, de multiples allusions à Barthes, que ce soit par le pastiche de certaines formules, la citation ludique ou l’usage similaire la parenthèse.