En cachette
1Le secret que s’attache à explorer, au fil de ses livraisons, la revue Sigila est dans ce numéro 17 celui que recouvre un En cachette qui peut, à première vue, paraître tautologique. En exprimant la dissimulation volontaire, il favorise pourtant l’entrée dans le secret par une réalité bien spécifique, celle de l’individu, qu’illustrent plusieurs des quinze contributions rassemblées ici. Ainsi, pour Georges Aillaud, le secret et le mensonge qui entourent les origines d’Aragon éclairent son « mentir-vrai » de romancier mais aussi, et c’est ce qui retient l’essentiel de son attention, l’usage que l’écrivain fait de son nom, de pseudonymes ou de l’anonymat. Un autre secret, voulu ou ignoré cette fois, est, dans la contribution de Claude Léger, celui que porterait Sade. Ayant, selon les cas, été défini comme, entre autres, celui d’un Sade autiste, annonciateur d’une l’humanité libérée ou de « la réduction de l’homme en objet d’expérience », il se révélerait, au bout du compte, résider dans l’irréductibilité d’un être et d’une œuvre que, paradoxalement, seul viendrait remettre en cause la reconnaissance qu’ils ont maintenant acquise. D’autres individualités porteuses de secrets sont les protagonistes de deux nouvelles étudiées par Celina Martins. Dans la première, de Marguerite Yourcenar, les subtilités de la dissimulation ne font que souligner son caractère vain. Avec la seconde, de la portugaise Teolinda Gersão, le secret, socialement inacceptable et délétère, devient, par une dissimulation médiatrice, régénérateur. Comme on le voit, ce « en cachette » est essentiellement celui de l’individu dans sa relation avec l’autre, avec le corps social, suivant des modalités très diverses dont rendent compte d’autres contributions. Celle d’Odile Journet-Diallo étudie comment, chez les populations joola de l’Ouest africain, la dissimilation naît, curieusement, de la liberté, de l’absence de règles dans les pratiques sociales quotidiennes. Un rapport de mission destiné au Saint-Office est, lui, l’occasion, pour Carsten Wilke, d’étudier, dans le Saint-Jean-de-Luz du début du XVIIe siècle, la situation de crypto-juifs portugais et l’ambiguïté d’un « en cachette » qui va suivre celle de l’attitude du pouvoir politique. Une autre forme de secret où interviennent l’individu et l’autorité est, dans l’article de Cécile Rastoin, celle qu’illustre le pouvoir « invisible » de l’appareil répressif et administratif moderne, celui du panopticon, mettant en face de l’État un individu de plus en plus encadré et protégé selon un consensus qui, ignorant la transcendance, peut être source de déviances. Le social et le sacré au regard du secret, Isabel Almeida s’y intéresse dans son étude sur la kabbale, cette herméneutique qui dévoilerait, avec l’ordre transcendant, la fonction « mythique » d’un secret fondement du culturel et du social. On peut encore signaler ici le texte de Véronique Bruez. Consacré au sort des figurations à thèmes sexuels découvertes à Pompéi et Herculanum, il nous décrit une dissimulation, à la fois, effet et révélateur du regard anachronique porté par une époque. Cette diversité, ce caractère multiforme du « en cachette », les résume, à sa manière, l’article que consacre Marie-France Tristan à l’anamorphose. Dans la peinture mais également l’homme ou le langage l’anamorphose serait, du littéral à l’anagogique, la représentation du visible dans sa complexité et, au-delà, d’un ordre qui peut être celui de l’absolu ou de l’immanence.
2D’autres contributions viennent, dans ce numéro, compléter un parcours qui permettra, avant tout, de découvrir quelques aspects originaux du secret tel que le créent et le nourrissent les échanges de l’être individuel et collectif.