De la liturgie à la littérature
1Les directeurs de ce collectif situé à la croisée des chemins entre réflexion théologique et littéraire ont tenu le pari de réunir des chercheurs autour du rôle joué par les Psaumes tant, comme le titre l’indique, dans la liturgie que dans la littérature. Voilà un pari risqué. Néanmoins, l’ouvrage intéressera les littéraires par ses articles théologiques et les théologiens par ses contributions littéraires. La qualité des articles est toutefois très inégale. Nous ne rapporterons pas les nombreuses irrégularités que l’on trouve dans la présentation. Il est très étonnant de rencontrer dans un ouvrage universitaire autant de citations dénuées d’appel de note. Bref, voilà un collectif dont certaines études sérieuses et bien documentées nous font oublier ses faiblesses.
2Bernard Renaud, « Les Psaumes : état de la recherche », p. 9-32.
3Bernard Renaud, dans l’étude qui ouvre ce collectif, propose un historique des principaux courants qui renouvelèrent la lecture des Psaumes depuis le XIXe siècle, ainsi qu’une synthèse des grandes hypothèses de lecture de ce livre de la Bible. Son article est divisé en plusieurs sous-titres qui contribuent à la clarté de son exposé.
4Il débute d’abord en insistant sur « l’approche juive et chrétienne » qui, ici, est présentée comme étant synonyme d’une lecture pieuse. La lecture juive et la lecture chrétienne, pourtant fondamentalement opposées, reconnaissent toutes deux la divinité du texte et, surtout, son attribution à David, considéré ici comme l’unique auteur des Psaumes. Ce qui s’oppose à une telle lecture est naturellement associé à ce que Bernard Renaud appelle une « exégèse fondée sur une approche critique » (p. 11). Cette approche, à la fin du XIXe siècle, doit beaucoup aux travaux de J. Wellhausen et de B. Duhn et est naturellement fondée sur les progrès de la philologie. En tentant de débrouiller le problème posé par la datation des Psaumes, ces érudits ont un peu ironiquement fragilisé la vieille hypothèse qui fait de David l’unique psalmiste : selon eux, certains textes datent de l’époque précédant l’Exil, ce qui rend intenable leur attribution à David. L’auteur consacre par la suite une large partie de son étude à l’ « École de l’histoire des formes », à la Formgeschichtliche Schule, dont G. Dunkel est le grand représentant, pour enfin conclure en distinguant l’ « approche littéraire » de « l’approche théologique » (p. 27-32).
5Eberhard Bons, « Le Psaume 23 : Le Seigneur est mon berger », p. 33-49.
6C’est une belle étude de cas que nous propose Eberhard Bons en s’attardant uniquement au célèbre Psaume 23 et en interrogeant principalement les deux représentations de Dieu, tour à tour présenté sous les traits du berger et de l’hôte. Tenter d’éclaircir ce problème, pour l’exégète, nécessite de procéder étape par étape, en établissant d’abord le texte pour mieux proposer une interprétation nouvelle en fin de course. Ebherard Bons confronte de façon perspicace les leçons données par la Bible de Jérusalem, les Septantes et enfin la TOB (p. 36-37). En donnant des exemples accessibles même aux lecteurs ne pratiquant pas l’hébreu, l’auteur montre à quel point des lectures fautives ont pu modifier le sens originaire de certains versets de ce psaume. Il ressort de son analyse une invitation à se méfier de quelques lectures structuralistes qui, apprend-on, seraient encore en vogue chez les exégètes contemporains.
7Marie-Jo Porcher, « Le Psaume 25 : ordre et désordre », p. 51-66.
8L’auteure de cet article insiste sur l’un des psaumes dits numériques et tente d’en dégager une nouvelle interprétation en invitant le lecteur à « compter, à lire, à se déplacer dans le texte et à le manipuler » (p. 51). Cette méthode repose sur l’idée que le poète aurait dissimulé des enseignements dans ce psaume. Or, elle est fragilisée par le fait que ces textes millénaires, au destin parfois fort incertain, contiennent des altérations et non des énigmes où se cacherait le sens de la parole divine. C’est dans ce contexte déjà périlleux pour le chercheur de sens dans les formes et les nombres que s’inscrit cette recherche de Marie-Jo Porcher, laquelle tente de trouver un sens caché à certaines anomalies du psaume 25.
9Elvis Elengabeka, « La référence aux psaumes dans les épîtres pastorales », p. 67-81.
10Dans cet article soigné, Elvis Elengabeka nous entraîne dans l’étude de la présence des Psaumes dans les épîtres pastorales et, plus particulièrement, dans 1 Tm 2, 6.8 ; 6, 15.17 ; 2 Tm 3, 11.15 ; 4, 14.17, et Tt 2, 14. Considérer la place de l’Ancien Testament dans le Nouveau, c’est dire l’importance du sujet ici abordé. La méthodologie employée par l’auteur, qui s’enracine dans les travaux de Jacques Trublet, emprunte beaucoup aux réflexions de Gérard Genette et de Julia Kristeva sur l’intertextualité. La grande idée de l’article repose sur l’analyse des extraits des Psaumes qui ne sont pas explicitement cités dans les épîtres en question et, donc, sur cette forme d’intertextualité qu’est l’allusion.
11Sonia Sarah Lipsyc, « Les Psaumes du roi David au cœur de la tradition juive à la lumière de quelques enseignements talmudiques », p. 83-106.
12Dans cet intéressant article, Sonia Sarah Lipsyc donne un aperçu du rôle tenu par les Psaumes dans la tradition juive. Cette recherche, qui est loin de se présenter comme une simple analyse historique, puisqu’elle repose également sur l’expérience personnelle, explique bien le rôle des Psaumes dans tradition juive d’aujourd’hui. Le développement est divisé en trois grandes parties qui contiennent elles-mêmes des sous-sections : « Quel titre pour les Psaumes » (p. 85), « Le particulier et l’universel dans les Psaumes » (p. 91), et « Les cinq livres des Psaumes et les cinq livres du Pentateuque » (p. 100).
13Marcel Metzger, « Les Psaumes dans la liturgie chrétienne », p. 107-122.
14Cet article instructif porte surtout sur la liturgie chrétienne du IVe au VIIIe siècle et insiste, comme son titre l’indique, sur place tenue par les Psaumes dans la liturgie chrétienne, bref sur l’histoire de leur chant durant les premiers siècles de l’ère chrétienne. Marcel Metzger affirme d’entrée de jeu que les Psaumes, comme certains livres prophétiques, ont très tôt occupé une place déterminante dans la religion chrétienne, puisque Jésus lui-même en recommandait la lecture (p. 107). On y apprend, dans deux sections de longueur inégale, quel est le rôle des « Psaumes dans la prière des assemblées chrétiennes » (p. 113) et quel est le lien entre « Psaumes et compositions hymniques » (p. 120). Bien documentée, l’étude montre comment les Psaumes, d’abord uniquement prières, furent greffés plus tard à différents aspects de la liturgie.
15Marjolaine Chevallier, « Les Psaumes dans la spiritualité réformée », p. 143-173.
16L’accent est mis dans ce long article de Marjolaine Chevallier sur ce qu’on a appelé le « Psautier huguenot ». L’histoire de ce psautier traduit en vers français débute à Strasbourg en 1539. Ses premiers maîtres d’œuvres sont Clément Marot et Jean Calvin. L’auteure insiste davantage sur l’apport du poète que sur celui du théologien à cette entreprise, puisque Calvin aurait somme toute traduit peu de psaumes. Elle insiste également sur l’entourage du poète de cour que fut Marot, soit les « évangéliques » près de Marguerite de Navarre. L’auteure s’attarde par la suite au rôle déterminant joué par Théodore de Bèze dans l’histoire de cette aventure, car c’est lui qui termine la traduction des cent cinquante psaumes. On lit également plusieurs témoignages de l’époque qui permettent de saisir à quel point l’impression, la lecture et le chant des psaumes furent l’objet de censures et de persécutions aux XVIe et XVIIe siècles. L’article se termine par quelques considérations sur l’usage du psaume dans la piété eucharistique réformée.
17Matthieu Arnold, « Le Psaume 22 chez Luther », p. 123-142.
18Matthieu Arnold s’intéresse au sort réservé par Luther à ce fameux psaume reconnu pour contenir une prophétie de la Passion. Tout en montrant très bien comment le Réformateur n’arrive plus à s’accommoder de certaines traditions exégétiques (notamment la vieille théorie des quatre sens de l’Écriture), l’auteur met en évidence certaines contradictions de Luther, puisque son exégèse de ce psaume est encore en très grande partie redevable de l’exégèse allégorique traditionnelle.
19Philippe Legros, « L’utilisation des Psaumes dans Histoire d’un voyage faict en Brésil (1578) de Jean de Léry », p. 175-194.
20Philippe Legros s’intéresse ici aux traces intertextuelles du psautier huguenot traduit par Théodore de Bèze, lequel constitue la principale source de citations scripturaires du livre de Jean de Léry. L’auteur montre à l’aide de plusieurs tableaux de quelle façon les citations et les allusions aux Psaumes sont réparties selon les chapitres. Il ressort de cette analyse que les références aux Psaumes dans ce récit de voyage servent autant la polémique contre les catholiques que la glorification des prophéties annonçant l’annonce de la Bonne Nouvelle dans le Nouveau Monde.
21Claude-Laurance Lacassagne, « Une traduction métrique des Psaumes dans l’Angleterre du XVIIe siècle », p. 195-206.
22Claude-Laurance Lacassagne consacre sa contribution à la figure de Joseph Hall qui fit paraître en 1607 la traduction métrique, c’est-à-dire versifiée, d’une dizaine de psaumes. L’auteur décrit en quoi les positions modérées de Hall sont au cœur de son entreprise : les psaumes qu’il fait paraître constituent un essai tentant de répondre aux diverses sensibilités religieuses dans l’Angleterre de Jacques 1er. L’une des caractéristiques essentielles du recueil de Joseph Hall réside dans le fait que les psaumes étaient traduits de telle à être chantés. Un tel programme proposé aux plus hautes instances de l’Église anglicane visait par le fait même à « écarter les hymnes du luthéranisme au bénéfice des psaumes pratiqués par le calvinisme » (p. 198). Derrière cette entreprise littéraire se cache ainsi la proposition d’une refonte en profondeur de la liturgie. Claude-Laurance Lacassagne termine en donnant des exemples de traductions effectuées par Joseph Hall dans lesquelles s’expriment non pas ses prétentions liturgiques (ce que nous aurions préféré) mais plutôt ses choix esthétiques inspirés par la brevitas sénéquienne et motivés par l’actualité théologico-politique.
23François Kossi Amehe, « Le genre psalmique dans la littérature africaine », p. 207-229.
24Dans cet article, François Kossi Amehe a essayé de montrer la présence des Psaumes et du genre psalmique dans la littérature africaine contemporaine. L’auteur débute son étude par des considérations sur l’histoire des Psaumes pour, par la suite, donner un aperçu de la littérature africaine et de la notion de négritude. Tout cela aurait pu être dit en deux mots. L’auteur, au lieu d’analyser dans un texte suivi des éléments d’intertextualité, a préféré insérer dans une colonne (de 15 pages) des citations tirées d’œuvres africaines (Le Contempteur de Tchicaya U’Tamsi, Homme de tous les continents de Bernard Dadie, Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire) et, dans une autre, des extraits des Psaumes. Telle serait la matière de l’analyse : il ne reste au lecteur qu’à deviner ce que l’auteur a voulu dire. On ne saurait souscrire à tant de laconisme.
25Martine Hiebel, « Patientia Pauperum ou les psaumes dans l’œuvre de Georges Bernanos », p. 231-239.
26Martine Hiebel offre une étude convaincante de la place qu’occupent les Psaumes dans l’œuvre de Georges Bernanos. L’auteure, manifestement familière de Bernanos, brosse un tableau assez vaste en sollicitant à la fois les œuvres connues et moins connues, tout comme la correspondance de l’écrivain. L’article est séparé en deux parties cependant un peu courtes. La première invite à considérer la place des Psaumes dans la fiction bernanosienne (p. 234) et l’autre montre en quoi « les Psaumes scandent l’action de G. Bernanos » (p. 236).
27Paul Chautard, « Les avatars de l’intertextualité biblique dans Fin de partie de Beckett », p. 241-269.
28Comme le titre l’indique, cet article n’a qu’un lien accidentel avec le thème du collectif. Il n’y est pas vraiment fait mention des Psaumes. L’accent est plutôt mis sur le lien qu’entretient Beckett avec le livre de Job. Il s’agit toutefois d’un bon article qui insiste sur les rapports complexes entretenus par Beckett avec l’idée de divinité.
29René Heyer, « Les Psaumes de Jean Bastaire. Un dialogue en champ-contrechamp », p. 271-282.
30Pour clore le collectif, René Heyer propose une lecture des Psaumes de la nuit et de l’aurore de Jean Bastaire. On ne pouvait mieux terminer ce parcours du liturgique au littéraire qu’en interrogeant une œuvre autant traversée par le chant du psalmiste. L’auteur propose une lecture sensible de ces nouveaux psaumes, mais qui est malheureusement ternie, à nos yeux, par des considérations sommaires et quelque peu faciles sur les liens entre le cinéma et les Psaumes de la nuit et de l’aurore.