Tuer le père surréaliste, ou comment former une avant-garde après 1945
1Dirigé par Olivier Penot-Lacassagne et Emmanuel Rubio, le vingt-huitième numéro de la revue Mélusine, contient les actes du colloque de Cerisy-la-Salle d’août 2006 consacré au Surréalisme en héritage : les avant-gardes après 1945. Cette publication du Centre de Recherche sur le Surréalisme de l’université Paris III part du constat que le surréalisme a été une référence incontournable mais aussi problématique pour les différents mouvements d’avant-garde apparus pendant et après la Seconde Guerre mondiale et entend proposer sur le sujet une réflexion dans deux directions complémentaires. La première, d’histoire littéraire, se donne pour objectif « de mieux cerner les effets du surréalisme sur sa postérité » et « de tracer une ligne de force allant des années vingt jusqu’aux années quatre-vingt » sans négliger pour autant les « chemins de traverse » qu’ont parfois pris les avant-gardes dans leur rapport souvent conflictuel au modèle surréaliste (p. 14). La seconde direction, d’ordre plus théorique mais recoupant souvent la première, s’efforce « d’interroger […] la notion d’héritage elle-même », principalement en montrant quelles ont été « les modalités de gestion, ou de dispersion de l’héritage » (ibid.) surréaliste chez les avant-gardes apparues après les années 1920.
2Malgré quelques articles un peu moins convaicants, le volume remplit dans son ensemble les objectifs que ses directeurs s’étaient fixés. Le lecteur y trouvera une somme d’articles de bon niveau, à l’érudition souvent impeccable, faisant le point sur les relations au surréalisme de nombreuses avant-gardes postérieures à 1945. Sont en effet pris en compte le Surréalisme Révolutionnaire, Cobra, le Lettrisme, l’Internationale Lettriste (ci-après I.L.) et l’Internationale Situationniste (ci-après I.S.), Tel Quel et TXT mais aussi le groupe Panique, le mouvement Fluxus ou encore le groupe des affichistes.
3Après une introduction signée par les directeurs du collectif, le volume s’ouvre sur un témoignage de René Passeron sur le Surréalisme Révolutionnaire. Lui font suite deux études sur Cobra — plus exactement sur deux acteurs de ce mouvement, Dotremont pour la première et Alechinsky pour la seconde — qui soulignent l’une comme l’autre la différence fondamentale entre la spontanéité — fondement de l’esthétique Cobra — et l’automatisme surréaliste. Quand celui-ci fait appel à l’inconscient hors de tout contrôle de la raison, la spontanéité puise aux formes objectives du réel et se veut un acte conscient et intentionnel (cf. Michel Sicard, « Alechinsky, surréaliste à la marge », pp. 36-37). Loin de se cantonner à ces rappels de distinctions connues, les articles creusent la question de l’héritage en envisageant celui-ci comme un rapport de pensée à pensée. Dans cette optique, l’étude que Stéphanie Caron consacre à l’héritage surréaliste de Christian Dotremont se concentre sur la relation ambivalente, « entre référence et opposition » (p. 31), que ce dernier entretient avec la pensée de Breton. Examinant les traitements que Dotremont réserve à l’amour et à la révolte, S. Caron montre combien l’un des fondateurs de Cobra éprouve des « difficultés à rompre avec un modèle face auquel il n’en finit pas de se positionner » (p. 31) ; c’est d’ailleurs lorsque Dotremont semble en avoir fini avec cet héritage — c’est-à-dire lorsqu’il n’en fait plus explicitement mention — que celui-ci est, selon S. Caron, le plus sensible, parce qu’il est désormais « intérioris[é] » et comme digéré, par exemple dans sa pratique du logogramme que l’auteur envisage comme « la rencontre, toujours différée jusqu’alors, de l’amour, de la poésie et de la peinture » (p. 32).
4Deux contributions abordent l’héritage surréaliste du lettrisme, le premier à travers les rencontres manquées entre Isidore Isou et André Breton, le second par le rappel des conceptions esthétiques et éthiques du même Isou. L’article d’É. Monsinjon pose également la question de l’originalité du groupe lettriste par rapport à son ancêtre (et contemporain) : les principes disciplinaires qui en assurent la cohésion (refus de l’injure et de la violence physique ; refus des condamnations globales et, partant, des exclusions ; etc.) semblent explicitement démarqués de ceux qui présidèrent à la constitution et surtout au fonctionnement du groupe de Breton à partir de 1922.
5Après avoir concédé que les différences entre affichistes et surréalistes étaient plus nombreuses et plus décisives que leurs ressemblances, Jérôme Duwa estime que « c’est au plan du processus créatif qu’il faut rechercher la trace du surréalisme dans la démarche des collectionneurs d’affiche » (p. 73). Il fait alors de la pratique de ravissement d’affiches publiques un moyen de perpétuer la fonction de la ville comme « grand réservoir de merveilleux » (p. 74). S’attachant ensuite au parcours de Bryen, il montre combien un mouvement peut hériter d’un autre par des voies détournées et insoupçonnées de ses membres eux-mêmes. Ayant produit des objets « surréalistes » à partir de 1934, Camille Bryen avait pourtant tout fait, à l’époque, pour éviter cette affiliation à son art et s’était plu à le définir comme dadaïste. Les affichistes redécouvrant son œuvre vont en conserver les principes en reproduisant le discours d’affiliation dadaïste qui l’encadrait, faisant ainsi entrer dans leur conception de l’art le cheval de Troie du surréalisme, pour reprendre une image chère à Bryen.
6C’est une façon similaire d’hériter que B. Donné met en évidence à propos de Guy Debord, pour qui le cheval de Troie se nomme Chtcheglov. Retraçant la formation intellectuelle du jeune Debord, issu d’un milieu peu cultivé, B. Donné fait apparaître que sa formation littéraire est essentiellement scolaire et passe par un medium qui l’est tout autant : les manuels d’histoire littéraire. S’il découvre le surréalisme par l’intermédiaire d’un camarade de classe, Hervé Falcou, Debord, en bon élève, lit moins les classiques du mouvement que les livres d’histoire littéraire qui lui sont consacrés, en particulier l’Histoire du surréalisme que Maurice Nadeau publie en 1946 et qui met l’accent sur l’histoire événementielle du groupe (dissensions, scandales, débats politiques) plus que sur sa production poétique. Cette connaissance de seconde main ne lui permettra pas de percevoir l’origine surréaliste de la plupart des idées et des thèmes que Chtcheglov, féru de surréalisme et ayant complètement intégré le regard sur la ville du Paysan de Paris, introduira dans l’Internationale lettriste. B. Donné montre ainsi que la théorie de la dérive, dans sa première formulation, emprunte beaucoup au Paysan de Paris et à Nadja. Tout le génie de Debord aura consisté, après la prise de conscience de cette origine surréaliste de la dérive, à occulter celle-ci en redéfinissant complètement le terme : au goût pour la rêverie et l’imaginaire qui sous-tendait les premières dérives il opposera la volonté d’objectivation « visant à collecter un vaste matériau d’étude sur l’usage social de la ville » (p. 120). Contre le hasard et la rencontre, chères aux surréalistes et à Chtcheglov, Debord soulignera l’importance des déterminismes qui pèsent sur toute exploration urbaine et la séparation nette des êtres que la ville fait se côtoyer.
7L’histoire de l’I.S. fait l’objet d’autres articles, dont un qui traite d’une de ses dissidences, à savoir la revue The Situationist Times de Jacqueline de Jong, dont le projet avait été initié au sein même du mouvement mais dont la réalisation s’était effectuée après le départ de celle-ci, qui avait préféré suivre les Spur de Munich hors de l’I.S. Alors que le mouvement de Debord tend à s’éloigner de toute pratique artistique au début des années 1960, l’art d’avant-garde fait l’objet d’une attention marquée de la part de Jacqueline de Jong et de sa revue. Emmanuel Rubio, qui décrit et analyse les différents numéros de Situationist Times, met bien en évidence leur stratégie de distinction par rapport à l’I.S. mais aussi leur travail de reformulation de l’héritage surréaliste et avant-gardiste post-surréaliste (Lettrisme, Cobra, etc.) Celui-ci aboutit notamment à la promotion d’une géométrie non euclidienne par Asger Jorn et rejoint ainsi certaines perspectives ouvertes par l’I.S., puisque ce projet avait déjà été celui de Jorn dans sa période situationniste, à la fin des années 1950.
8Certaines contributions s’éloignent quelque peu des avant-gardes constituées pour embrasser la trajectoire de singuliers qui, s’ils ont rencontré Breton, s’ils ont participé — parfois brièvement — à un mouvement, ont surtout poursuivi une œuvre personnelle. C’est le cas de l’article que M. Boucharenc consacre à Topor. Après avoir rappelé sa participation au mouvement Panique (créé avec Arrabal et Jodorowski) et sa (brève et unique) rencontre avec Breton, que Topor a trouvé extrêmement ennuyeux et pontifiant, M. Boucharenc fait de l’artiste un exemple d’une « des trois attitudes possibles des avant-gardes du second xxe siècle à l’égard de l’héritage surréaliste » (p. 166). À côté des options contraires que sont l’adhésion au nouveau projet surréaliste ou l’opposition à celui-ci à travers la création d’une nouvelle avant-garde sensée dépasser le surréalisme, il existe selon Boucharenc une troisième voie, qu’emprunte exemplairement Topor : « un rapport mi-voleur, mi-volage à l’héritage » surréaliste qui consiste à y « butiner » selon son plaisir (p. 167). Ce rapport est particulièrement sensible dans Mémoires d’un vieux con, où Topor, sous les traits de son personnage, dit avoir soufflé à Breton l’idée de faire un manifeste du surréalisme dès 1923. Mais le rapport de Topor au surréalisme est aussi de distanciation, sinon d’opposition, comme le montre M. Boucharenc lorsqu’elle explicite les différences entre la conception bretonienne de l’humour noir, empreinte d’esprit de sérieux et hostile à la farce rabelaisienne, à celle de Topor, beaucoup plus proche du père de Pantagruel et, surtout, bien plus pressée de mettre en scène le corps et ses (dys)fonctionnements que ne l’était Breton, plus « spirituel ». C’est pour ses deux raisons (rapport voleur et volage, importance du régressif) que l’esthétique de Topor peut être perçue comme « une version kitsch du surréalisme » (p. 172).
9C’est à un autre représentant du groupe Panique que s’intéresse O. Penot-Lacassagne — Fernando Arrabal — à son « manifeste » — ou plutôt parodie de manifeste —, « L’homme panique », publié en 1963. Il y souligne l’abondance des allusions et des emprunts au surréalisme pour montrer qu’Arrabal, en parodiant le genre du manifeste, se moque aussi du discours surréaliste pour imposer ses propres vues tout en se plaçant dans le sillage immédiat du groupe de Breton. Le bénéfice d’une telle démarche est double, puisqu’au sens de la distinction avec le mouvement aîné s’ajoute la captation d’une partie de son capital symbolique. Dans cette contribution, O. Penot-Lacassagne met donc aussi en évidence, à sa manière, ce que M. Boucharenc avait montré chez Topor : l’existence chez cet autre Panique qu’est Arrabal d’un rapport « mi-voleur mi-volage » au surréalisme. On aurait aimé que la piste qu’ouvrent ces remarques soit prolongée par ces critiques. Ils auraient alors pris la mesure du passage d’un rapport sérieux — souvent d’opposition, comme chez Isou ou Debord — à un rapport plus désinvolte et plus moqueur à l’héritage surréaliste.
10Prolongeant la trame chronologique de l’ouvrage, les derniers articles sont consacrés aux ultimes avant-gardes du xxe siècle. Le rapport de Tel Quel au surréalisme fait ainsi l’objet de l’article que Philippe Forest consacre à la décade de Cerisy organisée en 1972 par Sollers et les siens à propos du couple « Artaud/Bataille ». L’auteur montre d’abord que ce colloque fut l’occasion pour Tel Quel d’« affirmer leur conception propre de l’expérience littéraire » (p. 224) et de « proposer […] une sorte de revue des troupes et de manifestation de force assez éruptive et anarchique » (p. 230). Mais il réfléchit aussi à la particularité de ce couplage « Artaud/Bataille » – deux dissidents ou concurrents du surréalisme – dans le contexte de la fin des années 1960, soit, pour l’histoire du surréalisme, celui de la « mort » du mouvement et de la « réconciliation posthume » dans les discours du temps de Breton et d’Aragon autour d’une vision consensuelle du surréalisme (p. 228). Le dispositif imaginé par Tel Quel devient ainsi une arme contre cette réconciliation. Ce n’est donc pas tant Breton — admiré par Sollers et Thibaudeau — et Aragon — qui a offert son soutien au groupe à ses débuts – qui sont attaqués ici que leur association et la vision normative du surréalisme que celle-ci sous-tend. Néanmoins, la promotion, à travers Artaud et Bataille, d’une littérature placée sous le signe de l’expérience du sujet, de la transgression et des limites et, dans le même temps, éloignée de l’intégrité éthique des grandes figures du surréalisme, contribue à engager Tel Quel dans une voie sinon anti-surréaliste du moins non surréaliste. Cette voie est celle d’une redéfinition de la notion même d’avant-garde. Malheureusement, Philippe Forest, dans un article pour le reste excellent, ne pousse pas plus loin, ne livrant aucune piste sur la nature de cette refonte.
11L’article de B. Gorrillot porte quant à lui sur TXT. Il a pour point de départ le projet — avorté — d’un numéro de la revue du groupe sur le surréalisme et, plus encore, sur ce qu’il a apporté aux différents membres de TXT. Venue de Claude Minière, cette proposition a rencontré l’hostilité de plusieurs de ses compagnons et n’a pas été retenue. Elle aurait contribué même à l’éloignement dudit Minière, que Prigent a toujours regretté. Interrogeant plusieurs anciens membres de TXT, dont Prigent, Clémens et Steinmetz, B. Gorrillot fait apparaître que le surréalisme était, pour TXT, déjà mort quand le groupe se constitua. L’adversaire, celui dont il fallait à tout pris se distinguer, c’était alors Tel Quel, qui se posait davantage en héritier du surréalisme. Dans le silence de TXT à l’égard du surréalisme, il faut donc voir un mélange d’indifférence et de stratégie. Cette position de groupe n’empêche pas que certains membres écrivirent des poèmes – surtout de jeunesse – inspirés du surréalisme. Ils s’en sont ensuite considérablement démarqués, condamnant même parfois leurs débuts surréalisants.
12Comme on le voit, la plupart des contributions du volume sont consacrées à un mouvement spécifique. Il en est toutefois l’une ou l’autre qui envisagent la question de l’héritage transversalement, comparant différents groupes. C’est le cas de l’article qu’Emmanuel Rubio consacre aux conceptions philosophiques des surréalistes, des lettristes et des situationnistes. Rappelant que Breton avait défini le rôle historique, sur les plans esthétique et politique, des avant-gardes à partir du corpus hégéliano-marxiste ; démontrant qu’il avait, de Misère de la poésie jusqu’à l’Ode à Charles Fourier, tenté de « faire jouer [Hegel, Feuerbach et Fourier], à l’intérieur de la lignée révolutionnaire, contre les aboutissements les plus doctrinaires de cette même pensée » afin de « contrer la lecture scientiste, économiste de Marx […] et réintroduire dans la dynamique révolutionnaire la part de la subjectivité » (p. 97), Emmanuel Rubio cherche ensuite à voir ce qu’Isou puis Debord ont fait de ce positionnement philosophique du surréalisme. Isou reprendra ainsi la perspective générale de l’Esthétique hégélienne pour proclamer la mort des arts actuels — parmi lesquels la conception surréaliste de la poésie — et la création prochaine d’autres arts — parmi lesquels la conception lettriste de la poésie. Avec Debord, c’est davantage à la mort de l’art — sans renaissance sous d’autres formes — que l’on assiste : le futur leader de l’I.S. laisse ainsi derrière lui autant le surréalisme, accusé de n’avoir pas su complètement quitter le domaine de l’art, que le lettrisme, pressé d’y retourner.
13L’autre coupe transversale dans l’histoire des avant-gardes après 1945 est le fait d’Henri Béhar qui, dans « Lautréamont et eux », envisage la question de l’héritage à travers le traitement que les héritiers des surréalistes ont réservé à la figure de Lautréamont, en défenseurs de laquelle Breton, Aragon et les autres s’étaient tôt érigés. Après avoir constaté que le lettrisme d’Isou ne faisait rien guère que louer le poète sans en défendre une idée, Béhar fait remonter la technique situationniste du détournement, théorisée par Guy Debord, à celle du plagiat que défendait Lautréamont, et insiste pour voir dans cette technique une simple répétition des usages surréalistes. En fin de compte, le seul groupe qui ait fait un usage original (non surréaliste) de Lautréamont semble encore être, selon l’auteur, Tel Quel, qui a rejeté toute fascination pour la personne de l’écrivain et s’en est tenu au texte comme objet matériel.
14Le domaine français, majoritairement pris en compte dans ce volume, cède parfois la place à d’autres espaces géographiques. C’est par exemple le cas dans l’article que Fabien Danesi consacre à l’artiste italien Enrico Baj. L’auteur y présente un Baj emblématique des compagnons de route du surréalisme : proche du mouvement par ses goûts et ses lectures (Jarry, Apollinaire, Ernst, etc.), parfois adoubé comme surréaliste par certains critiques (José Pierre) puis par Breton lui-même, le peintre n’a toutefois jamais adhéré au mouvement, préférant garder son indépendance pour intégrer une mouvance surréaliste qui fait également signe vers le dadaïsme comme vers d’autres avant-gardes.
15On quitte encore la France dans l’article que B. Clavez consacre à la « nébuleuse » Fluxus, partie des États-Unis mais possédant notamment des plateformes en Allemagne, en Italie, en Espagne ou encore au Japon. Il montre pour quelles raisons ce vaste réseau d’artistes d’avant-garde aux esthétiques et aux idées variées voire divergentes eut comme premier point commun une détestation du surréalisme qui s’est souvent cristallisée dans le déni et le silence plutôt que dans la discussion. Estimant que le mouvement de Breton avait « tué » Dada et avait mis fin, de ce fait, aux expérimentations artistiques du réseau de Tzara, la stratégie de Fluxus et de son maître d’œuvre, Maciunas, a consisté à réécrire l’histoire des avant-gardes, niant le surréalisme et introduisant une continuité — artificielle — entre Dada et eux. Dans la seconde partie de son article, B. Clavez fait apparaître que, malgré cette tentative de réduire le surréalisme au silence, les artistes de Fluxus ont contracté plusieurs dettes à l’égard du surréalisme, par exemple dans leur façon de travailler à partir d’objets.
16C’est un volume fort complet que nous proposent E. Rubio et O. Penot-Lacassagne, du moins sur le plan chronologique : les avant-gardes françaises ultérieures au surréalisme de l’entre-deux-guerres y sont toutes représentées, dans des articles précis qui, s’ils n’épuisent pas la question de l’héritage, permettent d’en cerner les contours et les lignes de force, entre influence souterraine et opposition explicite. On signalera, pour terminer, quelques limites de l’ouvrage, qui doivent moins être comprises comme des limites que comme autant d’invitations à poursuivre ce chantier dans des directions encore peu (voire pas du tout) explorées dans ce volume.
17On aura ainsi noté que la plupart des articles rassemblés ici traitent la question de l’héritage d’un mouvement à partir d’un dialogue à distance entre deux personnalités (Dotremont et Breton, Isou et Breton, Debord et Breton, etc.) Ce volume aurait d’ailleurs pu s’appeler Breton en héritage, tant il est toujours question du « pape » du surréalisme dans les contributions rassemblées. Aragon est à peine mentionné (pour Le Paysan de Paris à chaque fois) ; les positions des autres surréalistes ne sont jamais prises en compte. Ce constat – l’omniprésence de Breton – appelle une question que le volume ne pose malheureusement pas mais qui nous semble indispensable dans toute problématique de l’héritage lorsque celle-ci se pose à propos d’un groupe littéraire : de qui hérite-on ? du collectif dans son ensemble ? de ses réalisations les plus célèbres ? de ses auteurs-phares ou/et de ses minores ?
18Autre aspect problématique et trop peu abordé ici : l’héritage est le plus souvent pensé au passé, dans le sens où ce qui retient les contributeurs est essentiellement ce que chaque mouvement de l’après-guerre envisagé a hérité du surréalisme de l’entre-deux-guerres. On aurait aimé que soit également pris en compte le présent de l’héritage : le moment où l’on hérite contribue aussi, en effet, à définir l’héritage (ce qu’on retient, ce qu’on condamne, etc.)
19Ce volume consacré à l’héritage du surréalisme pose enfin, entre les lignes, une autre question : à quoi reconnaît-on le surréalisme ? Maints articles rassemblés ici ont en effet en commun de se demander si l’on peut qualifier telle pensée de tel auteur de surréaliste sans véritablement définir ce qu’ils entendent sous « pensée », « thème », « forme » ou « idée » surréalistes. On regrettera l’absence quasi complète de problématisation de cette question comme de tentative d’y répondre. Mais peut-être faut-il s’en réjouir. Ce serait un beau projet d’étude collective future pour les spécialistes du surréalisme que de prendre cette question au sérieux ; cette perspective prolongerait par ailleurs les travaux déjà anciens, publiés également dans Mélusine, sur les critères présidant à la qualification de textes par l’épithète « surréaliste ».