Acta fabula
ISSN 2115-8037

2010
Janvier 2010 (volume 11, numéro 1)
Sophie Hébert

Les « champs » de Bataille

Georges Bataille interdisciplinaire : autour de la Somme athéologique, Sous la direction de Martin Cloutier et François Nault, Montréal (Québec) : Éditions Triptyque, 2009, 228 p., EAN 9782890316676.

1Avouons-le : depuis quelques années, Georges Bataille (1897-1962) est un auteur à la mode. Et cet engouement se traduit de bien des façons, de l'adaptation cinématographique de Ma Mère1 à la « pléiadisation » de ses romans et récits2, sans oublier les nombreux travaux de recherche sur l'ensemble de son œuvre. « À la mode », cela signifie-t-il pour autant que ces parutions de tous ordres ne sont pas justifiées ? Certes non, bien que ce soit souvent la part sulfureuse de l'œuvre qui intéresse, de L'Histoire de l'œil (1928) au Bleu du ciel (1957). Mais pour qui veut rappeler que l'œuvre de Bataille ne se réduit pas à ces quelques textes, l'argument quantitatif se doit d'être premièrement avancé : les œuvres complètes de Georges Bataille, publiées entre 1970 et 1988 aux éditions Gallimard, comptent pas moins de douze épais volumes, qui recensent patiemment non seulement les romans et récits mais aussi les essais et les articles de cet auteur prolixe aux intérêts innombrables. Preuve que si une réhabilitation de l'œuvre est en marche, elle doit aussi chercher à rendre à Georges Bataille la place qu'il mérite dans cette première moitié du « siècle des intellectuels », et pas seulement dans le « champ littéraire ». Car ce qui fait la valeur de son œuvre, au prix parfois d'un étrange vertige métaphysique, c'est la présence d'un système de pensée original qui réussit à embrasser la littérature, la philosophie, la psychanalyse, et l'ensemble de ces nouvelles disciplines du XXe siècle que sont la sociologie, l'anthropologie ou encore l'ethnologie. C'est cette part de l'œuvre que les contributeurs de Georges Bataille interdisciplinaire3 ont cherché à explorer, à partir d'un texte méconnu, pour ne pas dire ignoré, La Somme athéologique. Théologiens, psychanalystes, philosophes ou encore sociologues, ils ont tenté de cerner la façon dont Bataille a usé de leurs disciplines, pour ensuite en déduire ce qu'elles lui doivent aujourd'hui.  

2En introduction, Martin Cloutier et François Nault, sous la direction desquels se place Georges Bataille interdisciplinaire, rappellent que Bataille est avant tout un polygraphe qui a, sa vie durant, joué de la perméabilité des disciplines, des « champs » de savoirs, usant pour ce faire d'une écriture nécessairement hybride, s'affranchissant gaiement des normes et des genres. Étrangement, ce texte préliminaire ne dit presque rien de la Somme athéologique elle-même, présentée en quatrième de couverture comme une « œuvre parodique », en introduction comme « une œuvre de passage et d'indétermination » (p. 8)4 : le lecteur, même averti, aurait aimé qu'on lui rappelle que la Somme athéologique est un triptyque qui fut envisagé tardivement par Bataille, puisque ses différents volets avaient déjà été publiés isolément – L'Expérience intérieure en 1943, Le Coupable en 1944 et Sur Nietzsche en 1945, entre lesquels s'intercalent d'autres textes, comme de petits intermèdes, tels Méthode de méditation et L'Alléluiah. À partir de 1954 et ce jusqu'à sa mort, Bataille n'aura de cesse de réagencer cette Somme, qui ne trouvera jamais sa forme définitive5.  

3Les contributions de Georges Bataille interdisciplinaire sont sous l'égide de cinq disciplines majeures, qui constituent une partie des « champs » intellectuels de Bataille : la théologie, la psychanalyse, la littérature, la sociologie et la philosophie. Au sein de ces entités, l'hétérogénéité des approches proposées apparaît moins comme un écueil que comme la conséquence obligée de ce type de texte, multiple, fragmenté, hétérodoxe, en dépit du substrat conceptuel qui le fonde – car on retrouve, ici comme ailleurs, les notions de dépense, de perte, de chance, de sacré, d'expérience, et les motifs du sacrifice, de l'œil, ou encore du rire, qui informent l'œuvre bataillienne dans son entier.

4La question théologique chez Bataille est d'une grande complexité, et, par effet de miroir, les deux contributions qui occupent cette partie sont indéniablement les plus difficiles à appréhender. D'abord, si l'on veut lire Bataille par le prisme théologique en étant soi-même théologien, il semble qu'une captatio spécifique doive précéder l'analyse, soulignant tout autant la légitimité que l' « audace » (p. 17) d'une telle approche, et, bien entendu, le risque intellectuel encouru, soit la « tentative de récupération » (p. 33) du texte bataillien. Bien plus que de l'exégèse stricto sensu, chacune de ces interventions est une véritable disputatio entre le théologien et l'écrivain, par le truchement de son texte.

5En premier lieu, Martin Cloutier évoque la question du salut – qui « concerne absolument la théologie qui y travaille, qui tente de s'y arrimer » (p. 18). Dans quelle mesure l'expérience de la perte de soi, de la dépense, telle qu'elle se donne à lire dans la Somme athéologique, se rapproche-t-elle – ou s'éloigne-t-elle – du désir de salut ? Bataille critique largement la notion de « salut » dans la Somme athéologique, d'abord parce que, assimilée à « la volonté de totalité » (p. 19), elle « se cherche une éminence hors du temps, hors de l'existence singulière » et « la critique bataillienne est en quelque sorte la dénonciation de l'échec du devenir singulier, l'incapacité de devenir ce sujet singulier qui cherche alors plutôt à se consolider en un Moi abstrait » ; ensuite, parce que, sous la forme de l'ascèse, le salut prend une forme qui nécessite « une finalité qui lui donne de la valeur », or Bataille « rêve d'une ascèse qui ne répond pas à l'ordre du projet » ; enfin, sous une forme plus moderne, le salut « par la science » est dénoncé par Bataille, quand cette dernière « se donne une autre fin que l'expérience elle-même » (p. 20), soit ce « savoir absolu » de type hégélien que la théologie pourrait reprendre à son compte en le comparant avec « le présupposé dogmatique, horizon limitant l'expérience possible ». Le salut est alors, dans ce cas, comme « le repos de la mise en question ». Or, le principe de la perte telle qu'il apparaît dans la Somme athéologique par le prisme de l'expérience intérieure – qu'on pourrait assimiler à une expérience mystique hétérodoxe, puisqu'elle use de l'extase pour elle-même et non pour ce qu'elle cherche à atteindre, le salut –, met « le connu à l'épreuve de la vie, dans un saut dans l'inconnu » (p. 21) : car « l'homme n'a besoin de réponse que pour se sécuriser, quand lui n'est qu'une question sans réponse, le lieu de la mise en question souveraine du monde » (p. 23). Mais cette perte de soi, pour Martin Cloutier, n'est pas absente du christianisme : « on peut même s'interroger sur la nature agonistique du salut chrétien. Bataille, méditant un texte de Jean de la Croix sur l'imitation de Jésus souligne ce caractère désespérant où le christianisme apparaît – à la limite – comme la religion de l'absence de salut, du ''lamma sabachtani'' ». Ainsi, « ce que la théologie pourrait, au fond, dans le sillage de Bataille, c'est explorer la dimension mythique de l'existence à travers la figure du Fils de l'homme plutôt que de capitaliser sur une attente de rétribution... » Et cette voie semble ouverte par Bataille lui-même, puisque son « athéologie » peut se lire comme une « théologie qui refuse le statut privilégié du sacré droit (divin, moral) et qui tente de réintégrer les forces disjonctives du sacré gauche (bas, démoniaque) » (p. 25). Les conditions d'une telle théologie « dans le sillage de Bataille » seraient la « virilité » – en opposition à « la servilité qui cherche à se conforter dans la vision d'un ''moi'' qui persiste au-delà de la négation et de la mort » – et une « érotique » particulière. Une « mise à nue », en somme, qui n'est pas sans « affinités », selon Martin Cloutier, avec des « penseurs chrétiens » : la mystique de Weil, l'angoisse de Kierkeggard, la théologie négative de Derrida. Ainsi, « si la notion de salut peut demeurer une question adressée à la singularité de chacun, rien en elle ne devrait – dans la logique bataillienne – promouvoir la conservation de soi, mais au contraire susciter le jeu, le risque, la dépense personnelle à caractère théologique jusqu'à la perte consentie où le langage et le soi sont sacrifiés en même temps que le sujet du discours » (p. 27).

6Dans son introduction, François Nault est catégorique : Bataille est « résolument anti-chrétien » (p. 33) –  il n'y a qu'à lire, nous dit-il, sa « discussion sur le péché ». Pour nourrir son point de vue, François Nault choisit un motif récurrent qu'il puise dans la Somme athéologique, la chair, et décide de comparer son traitement à celui qu'en fait la théologie (« Dieu fait chair »). Il y a deux façons théologiques de comprendre la chair : « Dieu s'inscrivant dans la chair du monde » et « Dieu s'offrant au regard du monde, livrant et offrant sa chair sur la croix » (p. 34). Alors que Bataille lit ce dernier cas comme un sacrifice (analyse qui a partie liée avec sa propre enfance), le théologien le comprend comme la manifestation de la grâce et du don et ne peut que regretter que « Bataille reste aveugle à tout ce qui relève du potlach et de la dépense chez quelqu'un comme Saint Paul. Ou chez Jésus lui-même [...] » (p. 35). Par un détour original par un poème de Pier Paolo Pasolini (« La Crucifixion »), François Nault évoque plus particulièrement le mystère de l'exposition du Christ et les raisons de l'ostentation de sa chair, et s'oppose à Bataille qui y voyait « une odieuse comédie de ''mise en jeu'' (Dieu n'abandonne Jésus que fictivement) » (p. 37). Pour François Nault, l'exposition de la chair du Christ en croix, relève, en partie, de l'érotisme, à comprendre comme une « approbation », comme une aspiration à la « continuité de l'être », en somme comme un état de communication. Mais l'érotisme bataillien est un érotisme de transgression – lié à ce paradoxe essentiel : « l'acte transgressif affirme la nécessité de la norme » (p. 38) –, tandis que l'érotique chrétienne se trouve, elle, dans une « logique du don », permettant alors le « salut du corps ». Ainsi, « la chair exposée du Christ ne renvoie pas directement à la chair terrifiante, qui n'a cessé de captiver Bataille – de le rendre captif [...]. Chair terrifiante parce que mortelle, mais surtout parce que sexuée » (p. 39). Or, se demande François Nault, « contre ce qu'affirme Bataille [...], ne faut-il pas avancer qu'en christianisme, la chair est bonne ? » (p. 40) Sous cet angle, « l'érotique se noue positivement au théologique » : car la « kénose »6, soit ce moment de « dépouillement » où le Christ « a abandonné la forme de Dieu » pour devenir chair, est autant à comprendre comme une perte que comme une libération – et si l'on suit Jean-Luc Nancy, « l'athéologie » étant une « pensée du corps », le Dieu chrétien apparaît comme un dieu qui « s'athéise »7... La « kénose » suppose enfin moins une perte de « la divinité en tant que telle que de la transcendance divine » (p. 41) : et ce seul constat permet d'envisager les implications métaphysiques de l'incarnation (« affirmation indépassable de la plénitude de la matière, de la consistance propre de ce monde ») ainsi que sa portée éthique, que François Nault résume par « un grand ''Oui'' à la vie et aux autres » (p. 42) – « Oui » que Bataille, rappelle-t-il, n'a jamais pu concevoir, lui préférant celui d'un certain Nietzsche...

7L'expérience intérieure se présente autant, pour Valérie Chevassus-Marchionni, comme une expérience mystique que comme une expérience analytique – même si les deux se révèlent indéniablement hétérodoxes. Ses arguments premiers sont autant textuels que biographiques, puisqu'on sait que Bataille entama une psychanalyse avec Adrien Borel8 qui lui présenta, lors de leur première « séance » la fameuse photographie du Supplicié aux cents morceaux9 sur laquelle un homme se fait torturer selon la méthode du lingchi. L'expression de son visage mêle excessivement la douleur et la jouissance10. Le point de cristallisation de cette étrange synthèse se trouve être les yeux – retournés vers l'intérieur, révulsés. Et ce détail a et aura, dans la vie de Bataille, une triple résonance : biographique d'abord (liée à la cécité de son père tabétique), mystique ensuite (en rapport à la posture extatique11), esthétique enfin puisque l'œil deviendra un motif récurrent de l'œuvre bataillienne, initié par l'Histoire de l'œil en 1928, mais aussi par sa recherche effrénée de « l'œil pinéal ». Ainsi Bataille, de ce point de vue largement influencé par Borel, a réussi à instrumentaliser sa pathologie plutôt qu'à la guérir. En termes lacaniens, cela se formulerait ainsi : Bataille réussit à transformer son « symptôme » en « sinthome », soit « le résultat d'une transformation opérée par l'analyse sur le symptôme traditionnel » (p. 61) et qui « ne se traite pas, et ne se résorbe pas ». Pour résumer : « dans l'Expérience intérieure, Bataille décrit un processus d'exploration intérieure qui l'amène à mettre le doigt sur son symptôme, c'est-à-dire sur une jouissance hors-limite qui le fait verser du côté de l'anéantissement [...]. Mais de ce ''supplice'', il fait son sinthome, c'est-à-dire la matière créatrice de son impossible » (p. 62). Ce terme, « sinthome », à l'origine créé par Lacan pour qualifier exclusivement l'écriture de Joyce, convient d'autant mieux à Bataille qu'il rappelle l'auteur dont la Somme athéologique est paradoxalement inspirée : « Saint-Thom' », Saint Thomas d'Aquin12.

8Emy Koopman présente la « philosophie » de Bataille comme une philosophie du « mal », incitant à la transgression permanente des normes morales, perçues comme oppressives par l'individu. Selon elle, la Somme athéologique ne renonce pas à la religion, mais seulement à la religion instituée, vécue comme « norme ». L'alternative réside donc dans le sacré, qui ne peut s'atteindre que dans une expérience extrême de « communication » rendue possible autant par l'érotisme, par le sacrifice, que par la poésie. Il semble donc tout à fait possible, selon Emy Koopman, de rapprocher l'expérience intérieure, soit l'expérience du sacré, de l'expérience du sublime qui se donne à lire notamment dans la littérature dite « gothique » et dont le paradigme est ici Le Moine de Matthew Gregory Lewis, texte dans lequel se déploient transgressions et violences de toutes sortes. Les premières questions portent évidemment sur les liens complexes qui relient l'expérience intérieure et la littérature : quelle sont les conséquences linguistiques de la restitution écrite de l'expérience intérieure, et plus spécifiquement du sacrifice ? Comment représenter un événement qui n'a pu être qu'imaginé, qu'envisagé et qui de surcroît cherche à être transformé en littérature ? Comment maintenir, par la littérature, sa vérité transgressive ? C'est justement le détour par le sublime, défini au XVIIIe siècle par Burke et Kant, qui va permettre à Emy Koopman d'amorcer une réponse. D'abord, en tant que catégorie esthétique, le sublime ne peut apparaître que dans un contexte qui nécessite une distance, une représentation – impossible, en effet, d'envisager le sublime dans un contexte réel, par exemple, en tant que spectateur direct d'un sacrifice, et encore moins en tant que victime de celui-ci. Ensuite, le sublime s'appuie sur un sentiment facilement aiguisé par l'imagination, à savoir la terreur (à comprendre clairement en opposition à l'horreur, même si l'œuvre de Bataille n'en est pas exempte), terreur qui, si elle ne met pas en jeu notre corps, met en branle notre esprit. En tant que genre qui « crée la peur » (« This genre is the Gothic, which is, according to Heiland, ''above all about the creation of fear'' »13, p. 72), qui use donc des ressorts du sublime, la littérature gothique est aisément comparable, en dépit de l'écart chronologique, à l'écriture bataillienne. Et dans une démonstration tout à fait convaincante, Emy Koopman prend l'exemple du Moine (The Monk, publié en 1796), œuvre unique de Matthew Gregory Lewis qu'elle lit par le prisme du système de pensée bataillien. Le personnage principal, un moine qui répond au nom d'Ambrosio, est animé par des pulsions perverses où se mêlent successivement le sexe et la mort. Il fait figure d'anti-héros tragique dont l'animalité intrinsèque n'est jamais perceptible aux autres. Le Moine se présente donc comme une critique de l'hypocrisie qui règne à l'intérieur de l'Église (car plus les dogmes sont stricts, plus le désir de transgression est grand), comme la manifestation littéraire d'un « rituel mental » (tel que Bataille le définit dans Sur Nietzsche), comme la synthèse, enfin, des ambiguïtés de toute écriture poétique qui consiste, selon Bataille, à faire du beau avec du mal (la mort d'Ambrosio, mi-Prométhée mi-Tantale, reprend cette hésitation constitutive du langage poétique). Et en dépit de son caractère forcément fictif, ce texte permet au lecteur, par le biais d'une communication esthétique où le sublime est en jeu, d'expérimenter à distance sa propre mort14.

9« Dedans l'œil » de Jacques Julien figure le centre de l'ouvrage, place de choix pour cet intervenant particulier, écrivain s'apprêtant à parler de l'œuvre d'un autre écrivain. Le motif que Jacques Julien choisit de travailler est celui de l'œil, présenté comme un explorateur synecdochique, comme le lieu de passage privilégié de l'expérience intérieure et le sujet-objet de la fascination bataillienne. Le thème est éculé, mais la prose qui le traite le vivifie malgré tout : pas à pas, Jacques Julien reconstitue l'odyssée de l'expérience intérieure, les « stations » de cette traversée risquée de soi à soi : il rappelle le sens premier de l'expérience intérieure (la résolution de « l'énigme » existentielle), les conditions optimales favorables au glissement dans le non-être (isolement, immobilité et silence), le rôle des images-chocs (photographie du supplicié chinois autant que peinture du Christ en croix sur le Retable d'Issenheim), celui de la « petite mort », et du « face à face avec le rien » (p. 96) ce « cul-de-sac de l'expérience ». Et met à l'épreuve l'expérience bataillienne dans une comparaison fructueuse avec les cris qu'Angèle de Foligno pousse dans Le Livre des visions, avec la mort de la Prieure dans le Dialogue des Carmélites de Bernanos. Se « voir » mourir, et après ? « C'est maintenant le glissement de la dérive ultime. La chambre d'expérience, barque, arche flotte comme un bateau ivre. À preuve que l'expérience intérieure est dépense sans compter, traversée sans destination et sans retour, la nef, portant son visionnaire en proue, sombre et coule. Elle glisse à la verticale dans l'abîme de l'énigme de la mer. L'amère énigme triomphe » (p. 105-106). Et ce, dans un grand éclat de rire.

10L'approche de Marie-Pierre Boucher est en tous points originale : à partir de la structure de la « socialité » telle qu'elle apparaît dans l'œuvre de Bataille, et en se penchant plus particulièrement sur le rôle qu'y jouent le péché et la transgression15, elle interroge le désir et la reproduction de la société, à partir d'un élément fondamental : le tabou de l'inceste. Mais à l'heure du mouvement et de la théorie queer, qui remettent en cause le « genre » perçu comme « norme », la transgression du genre peut-elle menacer la socialité ? Pour Bataille, « les normes manifestent [...] l'humanisation du monde et la négation de la nature » (p. 118), notamment dans la violence qu'elle suppose. La transgression de la norme – de l'interdit – est donc une façon de se rapprocher de cette violence fondamentale. Par cette attitude, Bataille réussit à inverser l'ordre moral du Bien et du Mal, le « sommet moral » ne pouvant être atteint que dans l'acte de transgression, le péché correspondant au « crime générateur de communication » (p. 122, la formule est de Klossowki). Mais l'interdit systématique n'érode-t-il pas la norme ? Le rien qui lui succède n'annule-t-il pas en soi les conditions de possibilité d'une telle expérience ? Pour Lévi-Strauss, Bataille et Daniel Dagenais, le tabou de l'inceste est à comprendre comme « le passage de l'animalité à l'humanité » (p. 126) et s'inscrit dans la conception d'une société génériquement différenciée, dans laquelle la femme, « objet de générosité, de communication », révèle une humanité honteuse, car plus proche de la nature que celle de l'homme. À l'aide des théories de Judith Butler (pour qui le tabou de l'inceste dissimule avant tout le tabou de l'homosexualité), « sur la base de cette ''déconstruction'' du naturalisme des genres » (p. 130), et après avoir rappelé ce que le terme « queer » signifie aujourd'hui, Marie-Pierre Boucher nous montre que « les queers sont aujourd'hui des épigones de Bataille » (p. 136), qui, dans leur attitude transgressive en regard de l'hétéronormativité, « révèlent l'arbitraire d'une norme », en provoque « l'érosion », sans pour autant que la « reproduction de la société » en soit menacée.  

11L'expérience intérieure, nous rappelle François Gauthier, est avant tout « expérience du sacré, foyer irréductible du religieux au-delà ou en-deçà des religions » (p. 139). Mais on oublie souvent que Bataille lit le sacré en héritier de Marcel Mauss, c'est-à-dire « avec et contre Lévi-Strauss ». De façon, faut-il l'avouer, passionnante, François Gauthier reprend les termes de la « religiologie » bataillienne – sans omettre ses limites – pour la lire ensuite par le prisme de la définition de la notion de sacré – différente de celle de mana – telle qu'elle a été définie par Hubert et Mauss. Bataille est en effet un hériter de « la filière durkheimienne, [dans laquelle] religion et sacré sont liés », mais il pense la religion « dans les termes de la consumation, élaborant des théories du sacrifice, du potlach, de la fête [...] », « une pensée de l'excès, de la limite, de l'horreur et de l'abîme » (p. 140). Ainsi, « la sphère du sacré, chez Bataille, est celle de la continuité » (p. 141) – là où l'homme, quotidiennement, entre l'étau logique du travail et la conscience de sa finitude, est « un être discontinu ». La transgression, « comme source d'accès au sens », permet l'accès au sacré, c'est-à-dire à cette continuité que seuls la nature et les animaux habitent. Ainsi, l'altérité devient métaphysique, car « la liberté et l'émancipation se trouve du côté de l'Autre et du sacré ; tandis que le Même, clôturé d'interdits, est [...] un lieu paralysé et sans substance » (p. 142). Malgré tout, la religion « en tant qu'articulation de l'interdit et de la transgression » facilite la « fondation de l'ordre social (le nomos) ». Ce qui signifie qu'il s'agit de penser la transgression non seulement en tant que telle – c'est-à-dire en tant que « condition d'accès à l'altérité du sacré » (p. 144) – mais aussi dans sa « relation avec l'identité ». Or, et c'est là une des limites de sa « religiologie », Bataille « concentre son analyse sur la transgression de l'interdit », minorant « l'articulation de la transgression au sacré », offrant dès lors une expérience intérieure fortement individualisée, singularisée. Après avoir rappelé l'évolution de la définition des notions de mana et de sacré chez Durkheim et chez Mauss telle qu'elle se donne à lire dans Esquisse d'une théorie générale de la magie, François Gauthier aborde plus spécifiquement ce que le sacrifice, que Mauss et Hubert, dans leur Essai sur la nature et la fonction du sacrifice définissent comme un moment de « communication entre le monde sacré et le monde profane », nous apprend du sacré : ce dernier se révèle « différencié » (« il existe entre les deux pôles sacré et profane un nombre indéterminé de degrés ») et se comprend selon deux niveaux d'analyse, « l'un topique, l'autre énergétique », distinction opérée à l'origine par Ricoeur dans De l'interprétation. Essai sur Sigmund Freud, qui réfère donc initialement « à une théorie du langage et du symbolisme ». La topique « se fait exercice du soupçon, de la déconstruction, de la recherche de formes inconscientes et d'enjeux symboliques dissimulés », tandis que l'énergétique se trouve du côté « de l'énergie, du conatus, de l'appétition, de la volonté de puissance, de la libido » (p. 150). Et François Gauthier de montrer pour finir que cette distinction se révèle particulièrement opératoire si l'on se penche, dans une analyse comparative, sur les œuvres respectives de Lévi-Strauss et de Bataille. Le premier, indéniablement, se situe du côté de la topique (du symbolique), ayant produit « une métaphysique de l'identité (du symbolisme avec lui-même), du Même, de la totalité sociale » (p. 158), alors que Bataille, sans conteste, se trouve du côté de l'énergétique, « dans la mesure où le sacrifice, la guerre, la fête, l'érotisme et le mysticisme, en tant que transgression régulée de l'interdit de la violence et donc de la mort, du non-ordre (a-nomos), du non-culturel, produisent du signifiant à partir des entrailles, du sang, des viscères, [...] du sperme, de la dépense et de l'abandon » (p. 158-159).

12Philippe Saint-Germain, pour clore ce pan « sociologique » de l'œuvre de Bataille, part d'une citation-clé de la Somme athéologique, « l'expérience, seule autorité, seule valeur », pour la comparer aux « formes empruntées par les diverses quêtes de sens qui animent les jeunes de nos jours » (p. 165). Avec une méticulosité rare, Philippe Saint-Germain retrace pour commencer ce qu' « expérience intérieure » veut dire, à tel point que le lecteur ne peut que regretter que cette communication n'ait pas été première dans l'ouvrage – la faute à un ordonnancement strictement disciplinaire qui, bien que logique, rend les champs d'études paradoxalement imperméables dans un ouvrage insistant pourtant sur « l'interdisciplinarité »... L'expérience intérieure est à comprendre comme un « foyer » duquel naissent toutes les autres notions batailliennes. Rattachée dans une certaine mesure à l'expérience mystique, elle se place donc dans les « marges » de la tradition religieuse, permettant vertiges et « envolées » qui n'auraient pu, sinon, se manifester. À bon escient, Philippe Saint-Germain rappelle que la Somme athéologique, de ce fait, « jette les bases d'une nouvelle théologie mystique » qui « avait été évoquée à mots couverts dans le roman Thomas l'obscur de Blanchot » (p. 167). L'expérience intérieure, qui n'est  « saisissable que de l'intérieur » (p. 168), permet, enfin, la « suspension » de toutes connaissances, débouchant sur un « non-savoir » qui « n'est pas une ignorance ». La première rencontre que Philippe Saint-Germain suggère entre l'expérience bataillienne et sa discipline est relative au « glissement [...] du mythe au rite dans la société contemporaine » (p. 169). Selon les théories de Mircea Eliade, le mythe occupe non seulement « une première place chronologique, mais [aussi] une première place structurante » (p. 170) par rapport aux rites qui ne se présentent que comme une réactualisation de celui-ci. Aujourd'hui, les rites – qui sont toujours « expérience » – semblent s'affranchir de cette nécessité première. Mais ces rites eux-mêmes ont changé de forme : les rites classiques, dont le rite de passage fait partie, disparaissent, pour laisser place à de « nouveaux modes de ritualisation » (p. 171). Pour les définir, le contributeur fait appel à deux de ses confrères s'étant penchés sur la question : Thierry Goguel d'Allondans et David Le Breton. Pour le premier, la disparition des rites de passage expliquerait l' « interminable adolescence », pour le second les rites modernes augmenteraient les conduites à risques et la recherche d'une « ordalie contemporaine » (p. 172) devenue « épreuve existentielle qui provoque ''un affrontement symbolique à la mort'' ». Comment nier ici la modernité de Bataille, dans cette mise à l'épreuve constante, sur un mode exclusivement personnel, de la « part maudite » de l'individu ? L'expérience revêt ici « un rôle absolument central, quelles que soient les carences sociales et anthropologiques des rites contemporains » (p. 175).

13Le « dessein » de Dominic Fontaine-Lasnier ? « ''Démythifier'' le pouvoir attractif de l'œuvre de Bataille » (p. 179), qu'il situe dans cette délicate synthèse, revendiquée par Bataille lui-même, entre la « connaissance discursive » et la « connaissance émotionnelle ». Mais les effets textuels de cette union, s'ils permettent la fascination, laissent parfois les philosophes songeurs : plus qu'une philosophie, l'œuvre de Bataille ne serait-elle pas une « poésie autour de la philosophie »16 ? Pourtant, Bataille respecte fondamentalement les « critères du discours philosophiques » (p. 180), à tel point que cette « philosophie qui s'abîme dans la poésie signifie pour Bataille qu'elle doit montrer l'inachèvement de la connaissance (philosophique) dans la vie intime (poétique) du philosophe ». Dominic Fontaine-Lasnier prend d'abord le temps de rappeler que ce qui distingue la philosophie de la poésie, c'est « le rapport d'autorité que ces discours entretiennent avec ceux à qui ils s'adressent » : la poésie maintient le « régime autoritaire du vrai » (p. 181), là où la philosophie le critique et le refuse. Voilà la première raison qui permet d'affirmer que la Somme athéologique propose des énoncés largement « poétiques » : outre qu'elle est souvent écrite sous le régime de la « prose poétique », la Somme « comporte aussi des passages qui se refusent littéralement à la justification rationnelle ». L'autorité, ici, se situe dans l'expérience intérieure – qu'on ne peut saisir, rappelons-le, qu'en la vivant soi-même. Problème : Bataille semble « nous entretenir de la valeur intrinsèque de l'expérience intérieure (un discours philosophique, donc) », en même temps que cette valeur dépend non de l'argument, mais de la propre expérience de celui qui en parle, selon donc, le « régime autoritaire du vrai » caractéristique du discours poétique. « Quel est donc l'étrange statut de ce discours ? » (p. 182) C'est en décryptant le sens profond de l'expérience intérieure que Dominic Fontaine-Lasnier trouvera une réponse à cette question de « l'ambiguïté » discursive de la Somme athéologique : « l'expérience intérieure qui représente en un certain sens une expérience commune17, nous sera tout de même présentée de manière poétique, c'est-à-dire dans une forme autoritaire de la déclaration, car ce n'est pas tout le monde qui accède à l'épreuve sensible du Vide ou de l'ignorance dans laquelle nous vivons par rapport à ce qui est » (p. 184). C'est la raison pour laquelle, dans L'Expérience intérieure, Bataille opte pour ce qu'il appelle une « méthode dramatique », qui « allie à la présentation du contenu (au discours philosophique à proprement parler) une recherche d'effets sensibles » (p. 185) dont la poésie et la mise en scène de l'auteur font partie intégrante. La force de cette « méthode », c'est évidemment de réunir « ce qui normalement, sur le plan intellectuel, doit être séparé », évitant dès lors « l'insensibilité » – et « le savoir assuré » (p. 186) – inhérents aux « interrogations intelligentes », permettant « de rester sensible à l'inconnu et donc fidèle à la réalité de notre condition ». Mais cette méthode a aussi sa « faille » : « exagérer », « trahir », en somme déformer les idées et l'expérience dont il est question – « ce sera, en tout cas, l'un des principaux griefs portés contre lui par les philosophes de profession ». Ainsi, la Somme athéologique, dans ses mouvements de « tensions » et de « distorsions » discursives, nous donne le sens en même temps qu'elle nous le fait perdre, hésite volontairement « entre le discours philosophique – qui cherche à dissiper l'étrangeté pour se rendre clair et accessible au premier venu – et le discours poétique –  qui maintient volontairement l'étrangeté » (p. 187). En découle « une forme d'expression hétéroclite et fascinante » (p. 188) au plus près de la vérité sensible de l'expérience intérieure et de l'angoisse qui lui est constitutive.

14Pour terminer ce volume, Jacques Pierre rappelle que les sciences humaines et sociales sont redevables à Bataille « d'avoir contribué, dans une réflexion sur la culture [...] à une pensée de l'Autre » (p. 193). Cette dernière « se manifeste en elle [la culture] de façon convulsive par l'effraction du sacré, par la dépense, par le don et à laquelle nous n'avons d'autre accès que dans le renoncement à notre statut de sujet » : ainsi, elle a partie liée avec « un surgissement de la différence », qui ne peut s' « appréhender que dans l'instant de l'expérience », « dans la singularité irréductible de l'événement » (p. 194). Mais cette pensée de l'Autre selon Bataille a aussi sa limite, qui réside dans la radicalisation de la pensée de Mauss, en transformant « l'ouverture inhérente aux systèmes symboliques qui se manifestent dans le don en une métaphysique de l'abîme et de la nuit » (p. 195), et qui n'est autre, toujours et encore, que l'expérience intérieure. Cet « athéisme mystique [qui] consiste à se livrer à une négativité absolue par un enchaînement hyperbolique de transgressions », puisqu'il se présente « comme l'exacte contrepartie d'une théologie spéculative », et puisque l'Autre semble pouvoir devenir « l'objet d'une réalisation », fait de Bataille un véritable « mythologue ». Et le dessein avoué de Jacques Pierre est ici de délester la pensée bataillienne de l'Autre de « l'hérédité métaphysique » (p. 196) qui l'encombre. La pensée de l'Autre est d'abord, chez Bataille, « une réification de l'altérité. L'Autre est chez lui une réalité substantielle et indivise préexistant à l'épreuve de la pensée et à laquelle l'accès est possible par l'expérience mystique » (p. 198) – ce qui signifie, souligne le contributeur, « que l'Autre ici n'est pas un concept, mais une notion mythologique ». D'autre part, il est impossible, dans le siècle du « tournant linguistique » (p. 199), que « l'être humain » échappe « au domaine du langage ». Or, « chez Bataille, l'Autre appartient au « domaine extradiscursif de l'expérience ». Mais, nous le savons, le discours n'est pas le langage, il est « plus que le langage » (p. 201), puisque « l'expérience discursive n'est pas une totalité fermée ». Ainsi, « dans l'effectuation du langage par le discours, ce dernier est pris dans l'ouverture au donné d'une expérience qui l'excède [...]. Ce faisant, le langage va au-devant de ce qu'il n'est pas » et c'est la raison pour laquelle, dès lors, l'Autre se présente ainsi comme « l' événement et l'horizon du langage » : « L'horizon est est ce qui s'ouvre dans le lointain de l'expérience discursive. Aussi, l'horizon est-il le corrélat de l'événement sur le socle duquel se tient le sujet de la parole. Le langage, quant à lui, est la perspective qui organise le champ du visible entre événement et horizon ». Et pour Bataille, l'horizon – l'Autre – peut être atteint : or nous savons que cela est physiquement impossible et que seule la mythologie peut l'envisager, le « raconter », tout en reléguant cet « exploit » dans un monde ancien, révolu. Avec le temps, « la culture prend invariablement soin d'en assurer le confinement dans le dispositif mythologique ou rituel à travers le sacré » – sacré vient de sacer, nous rappelle Jacques Pierre, signifiant « ce qui est séparé, ce qui s'oppose au profane » (p. 203). Et c'est ce confinement qui permet l'humanité et son établissement durable dans le monde, qui n'est, par conséquent, ni tout à fait fermé, ni tout à fait ouvert. Et Jacques Pierre de montrer par la suite la nécessité sémiotique d'un monde « fermé », afin que le donné de l'expérience puisse devenir de l'intelligible, de l'information – là où l'horizon figure un « bruit » potentiellement parasite – puis, par le langage, de la représentation – puisque l'horizon pourrait affecter « l'organisation du monde dans les signes » (p. 207). Mais l'horizon est complexe car « paradoxal » (p. 210), puisque « dès lors que sa négativité se gonfle d'une virtualité, qu'elle admet en elle le bruit qui accompagne obligatoirement toute signification, qu'elle est tournée vers ''l'invisible'', elle devient le siège d'une pensée de l'Autre » (p. 208-209) qui présente non plus des « signes [...] à décoder » (p. 209)  mais des « marques [...] à déchiffrer » comme les « présages » et les « rêves ». Et cet horizon duel « se donne dans le discours à travers un signifiant surnuméraire. Ce signifiant qui ne dit rien, si ce n'est qu'il s'oppose à l'insignifiance et adosse le Même à l'Autre » (p. 211). Signifiant, enfin, que la science ne peut envisager, elle qui « n'a de cesse de traduire les marques en signes », lorsque l'art, a contrario, « consiste à user des signes du monde pour les transformer en marques ». Mais la présence de ce signifiant surnuméraire n'est pas sans risque s'il échappe à son confinement premier, car dans ce cas « l'intégrité des êtres n'a plus de frontières à opposer à l'indifférenciation en sorte que toute chose peut passer insensiblement dans l'autre comme un spectre » (p. 212) : c'est la raison pour laquelle « une culture ne peut donc s'édifier qu'à circonscrire les effets de ce signifiant surnuméraire, qu'à pouvoir en convoquer rituellement la virtualité quand elle fonde, et à pouvoir aussi la révoquer quand elle menace » (p. 213), et cette gestion du « confinement relatif de l'horizon » est dévolue à la « religion instituée ». Pour finir, Jacques Pierre rappelle qu'aucune société n'échappe à ce signifiant, qui « met à contribution les ressources sémantiques et syntaxiques du langage » (p. 214) et que « pour l'Occident, l'imaginaire de la science-fiction et de l'horreur est devenu depuis le XIXe siècle un des lieux de prédilection de cette expérience. »

15On l'aura compris, Georges Bataille interdisciplinaire se présente comme un ouvrage intellectuellement exigeant et requiert de son lecteur une bonne connaissance de la Somme athéologique ainsi que la maîtrise des notions-clés de la pensée bataillienne (et de certains de ses commentateurs, Derrida semblant aujourd'hui avoir supplanté Blanchot dans cette tâche) – sans compter la compréhension d'une certaine terminologie propre aux « champs » évoqués.

16Cet ouvrage renforce, d'autre part, deux réalités inhérentes 1°) à l'œuvre bataillienne en général, dans laquelle tout est lié, puisqu'il semble impossible de parler de la Somme athéologique sans convoquer toutes les autres œuvres, de La Part maudite, à L'Érotisme, en passant par La Littérature et le mal, ou encore Les Larmes d'Eros ; 2°) à la Somme athéologique en particulier, dans laquelle L'Expérience intérieure est toujours l'objet d'une attention hypertrophiée, au détriment des deux autres volets, Le Coupable et Sur Nietzsche.

17Enfin, outre l'érudition et la nouveauté herméneutique de la plupart des contributions, ces actes de colloque ont le mérite de rappeler, à l'instar de Foucault, que « nous devons à Bataille une grande part du moment où nous sommes ; mais ce qui reste à faire, à penser et à dire, cela sans doute lui est dû encore, et le sera longtemps. »18