Dé-faire la femme ; du Rêve à son ethnocritique
1Depuis la publication de ses Carnets d’enquête1, les apports de Zola à l’ethnographie de la France ne sont plus à prouver. Certes il y a un ancrage documentaire marqué dans tous les romans de l’écrivain naturaliste. Pourtant, c’est d’autre chose dont il est question ici, presque de l’inverse. Car Le Rêve, publié en 1888, présente ce paradoxe d’appartenir au cycle des Rougon-Macquart, à leur « histoire naturelle et sociale », tout en répondant à l’exigence, nouvelle de la part de l’écrivain, d’écrire un livre « simple », un conte bleu, une « idylle » à « mettre entre toutes les mains2. » Entre La Terre et La Bête humaine, Le Rêve se rêve en livre pur, éthéré, au réel idéalisé.
2Le naturalisme zolien semble donc pour un temps en attente, et l’ethnographe au repos. Mais l’approche que propose Marie Scarpa, parce qu’elle inverse les termes de l’enquête, vise justement à retrouver, dans la fiction et non sous elle, les implications culturelles et les pratiques à l’œuvre, que le roman met en scène et dont il procède. La posture ethnocritique, considérant le roman comme objet culturel tributaire d’un réel irréductible mais aussi toujours comme œuvre de fiction, parce qu’elle ne considère que cela — le roman comme texte, ne cherche pas tant la vérité ethnographique derrière l’œuvre. Dans un mouvement inverse, l’ethnocritique part du récit achevé, et, « reculturant3 » sa lecture, veut comprendre comment est réélaboré le réel de manière créative, laissant alors aussi la place au travail d’une ritualité proprement littéraire.
3Il ne s’agit pas tant d’analyser « la culture dans le texte » que « la culture du texte4 » dans Le Rêve, et M. Scarpa n’en est pas à son coup d’essai, qui publiait il y a neuf ans une ethnocritique du Ventre de Paris5. Comme « roman de la matière6 », le Ventre fait contrepoint au Rêve et déploie, dans un espace ouvert, un foisonnement d’univers sociaux et culturels, de pratiques en acte, de personnages aux parcours démultipliés, propice à « l’étude de la polyphonie culturelle de l’œuvre littéraire7. » L’arrière-plan méthodologique était en 2000 explicitement bakhtinien, et la perspective critique se déployait à partir du paradigme bien connu aujourd’hui du carnavalesque. Rien de tel ici. Et la diégèse semble moins que toute autre favoriser la prise ethnocritique.
4Que dit le texte ? « C’est l’histoire d’Angélique Rougon, abandonnée à sa naissance et qu’un couple de brodeurs-chasubliers, les Hubert, trouvent dans la neige, alors qu’elle a neuf ans, le lendemain de la Noël 1860, sous la porte Sainte-Agnès de la cathédrale de Beaumont8. » Le récit se concentre ensuite sur la seizième année de la jeune fille qui, adoptée, devenue brodeuse de génie, tombe alors amoureuse d’un peintre de vitrail qui s’avère être prince et fils d’évêque. Le mariage, mésalliance, est d’abord refusé. Elle se meurt. Finalement revenue à la vie, elle se marie donc d’amour au moment-même où elle rend son dernier souffle. L’atmosphère est au mystique et au merveilleux. Angélique, s’ignorant Rougon, se prend pour la sainte Agnès de la cathédrale, apprend à lire dans La Légende dorée, se berce de chimères, cultive son jardin, et brode, brode, croit tomber amoureuse du Christ. Le lecteur la voit évoluer de l’enfance tardive à la fin de l’adolescence, apprendre, se former, développer ses dons manuels et imaginatifs, dans un milieu confiné, la maison des Hubert, vieux couple stérile.
5De fait, M. Scarpa choisit de focaliser sa recherche non sur un lieu ni sur un usage mais sur le seul personnage de la jeune fille. L’hypothèse est la suivante : ce à quoi se heurte Zola dans son laboratoire est l’éducation des filles telle que pratiquée dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Soit : comment opérer le passage qu’est la puberté, de l’enfance au mariage, passer de la filiation à l’alliance, tout en préservant au mieux l’idée de pureté. À la suite de Van Gennep, M. Scarpa inscrit ce qui n’est pas encore nommé adolescence dans le processus rituel et les rites de passage, dont elle ne manque pas de rappeler, un peu tard, les principales caractéristiques. Angélique jeune fille est donc en marge de par son âge, ce que traduit aussi son enfermement à des échelles multiples (le bourg, la maison, la chambre). L’enjeu du récit est de négocier le dernier passage, la réagrégation à la communauté après la marginalisation initiatrice — l’éducation des Hubert. Chez les jeunes filles, c’est bien sûr le mariage qui est instaurateur du statut de femme. Elles quittent la maison des parents pour celle du mari. Et si l’initiation des garçons a lieu dans une confrontation au monde extérieur, au sauvage, un côtoiement de la mort et du sang, l’idée du féminin en 1860 impose à la fille une domestication du corps par le travail d’aiguille et l’enfermement domestique. Angélique semble bien obéir à la coutume. Alors pourquoi sa mise à mort, et ce dans un roman qui se rêverait sain/saint ?
6C’est par le prisme de ce décès singulier que M. Scarpa tente de saisir la logique ethnologique à l’œuvre dans Le Rêve et par là, la logique culturelle propre au roman. Pourquoi ce « destin de femme » reste exemplaire alors même qu’il est exceptionnel ? Car Angélique est une virtuose de l’aiguille. Et en cela, elle correspond à la norme sociale : « […] le point de départ de notre réflexion a été le constat que la critique zolienne ne dit presque rien du fait qu’Angélique est une brodeuse. […] Pour l’ethnologue, la configuration puberté/travaux d’aiguille/rêverie est tout à fait caractéristique de la manière dont nos sociétés occidentales et chrétiennes ont longtemps “fait” leurs filles et dont Zola nous semble proposer une variante propre9. » Ainsi, déployer l’anthropologie de ce « réseau culturel du fil et de l’aiguille » constitue une première étape pour démêler l’écheveau des contradictions apparentes du texte — soulevées d’ailleurs dès l’origine de sa réception. La partie inaugurale de l’essai est donc consacrée à l’étude des travaux d’aiguille en Europe, au XIXe siècle et au-delà. L’ethnologue trace comme une généalogie du motif sur le temps long et met en évidence la prégnance de cette activité dans la formation des femmes dès l’Antiquité. Dans le contexte zolien, les travaux de couture connaissent plus particulièrement un regain d’intérêt. Mais, réservés à la sphère du privé, du marquage du linge à l’occasion des premières règles à la confection du trousseau, ils se distinguent des métiers d’art tels que pratiqués par les Hubert, qui eux gagnent à la même époque leurs lettres de noblesse, dans la valorisation par la bourgeoisie des Arts and Crafts. Si la couture, dans la logique d’initiation féminine, représente le moyen de domestiquer les pulsions et les puissances néfastes du sang qui arrive, Angélique s’écarte d’autant plus de la norme qu’elle réalise de véritables œuvres d’art, figure de peintre, d’écrivain de génie, plus que jeune fille modèle de la société bourgeoise. Malgré elle, l’ange reste la rouge, Rougon, marquée par l’emportement.
7S’interrogeant sur les ressorts narratifs et anthropologiques du personnage de la jeune fille, M. Scarpa en vient alors à questionner les principes génériques à l’œuvre. Fable, conte, légende, beaucoup a été dit d’un récit qui, avant de s’inscrire dans un monde, revendique un intertexte. Comment faire une femme ? C’est le conte qui, traditionnellement, répond le mieux à cela, proposant des modèles de résolution des conflits intergénérationnels. Le chercheur se situe explicitement dans la filiation de Nicole Belmont, des études de littérature orale, et surtout d’Yvonne Verdier qui, à la suite de travaux sur l’œuvre de Thomas Hardy, en est venue à postuler une continuité structurelle entre mythe, conte et roman quant à l’appropriation des rites par le héros. Le conte, comme récit exemplaire, aboutit à l’installation du personnage dans son propre foyer, moyen pour lui de réintégrer la société par le mariage, après avoir quitté la parentèle initiale. Et certes, les parallèles sont nombreux entre Angélique et Peau d’Âne, la Belle au bois dormant, ou encore Cendrillon. La claustration dans l’univers du domestique, le motif des souliers, l’inceste, le fil, le rêve du prince charmant ne sont que les principaux. De manière plus générale, c’est la question du passage de la maison des parents à celle de l’amant, accentuée par les tonalités du merveilleux féérique qui guident sur la voie. Seulement, dans le conte populaire, la mort n’est qu’une étape vers la résolution heureuse. Initiatrice, elle ouvre sur une renaissance du héros transformé. Or rien de tel n’a lieu ici, de ce désastre final. De même, le prince fait pâle figure, incapable de revendiquer son désir, de tuer métaphoriquement le père. Comme si ces deux jeunes gens trop sages n’arrivaient pas à renverser l’ordre ancien des aînés. M. Scarpa parle pour Angélique d’hyper-régulation, elle en qui le don de broderie témoigne d’une obéissance ambivalente aux codes. Dès lors, l’initiation, minée, ne peut être achevée. Le personnage reste « bloqué », en marge, « liminaire » de l’ensemble du personnel romanesque.
8Un autre archétype, celui-ci explicite, auquel emprunte la narration reste la légende, légende hagiographique, dont les références insistantes à Jacques de Voragine ne peuvent manquer de rappeler l’importance dans une herméneutique du récit zolien. Si Angélique n’est pas femme, est-ce pour autant qu’elle devient sainte ? Car enfin, l’impossible mariage et la mort quasi-sacrificielle ne visent qu’à masquer le motif décisif de l’affaire : l’entrée des jeunes filles dans la sexualité. Angélique, comme Agnès, comme les mortes heureuses, reste vierge, donc pure. Dès l’ouverture d’ailleurs, l’enfant trouvée est placée sous le double signe de la statue tutélaire d’Agnès et de la blancheur, mais une blancheur mortifère qui lui coûte presque déjà la vie. Le paradigme hagiographique permet d’interroger les motifs du livre sacré, de l’image et du religieux. Il rend pensable l’identification de l’héroïne à des figures modèles, lui donne accès à un savoir de l’histoire, même si miraculeuse. Le constat de l’ethnocritique, selon lequel « si ce modèle est bien plus affiché, bien plus explicite que celui du conte merveilleux, c’est pourtant la logique profonde de ce dernier qui nous a semblé jusqu’ici la plus opératoire10 », paraît de ce point de vue contestable. Et ce, d’autant plus que c’est par le légendaire religieux et le mystique, que les rites sont introduits dans le roman. C’est aussi par La Légende dorée que la jeune fille entre en littératie et la perspective aurait méritée d’être travaillée dans une plus grande proximité au(x) texte(s). N’est-ce pas de là plus que de la broderie, qui finalement en dérive, que provient l’excès de rêverie ? De plus, toujours opérant en « historien » de son temps, Zola ne fait que soulever un mouvement général de retour à l’irrationnel auquel l’époque est propice. Claude Millet11 l’a très bien démontré, et l’étude de M. Scarpa n’aurait rien perdu d’une mise en contexte plus fine de l’œuvre dans son temps. Finalement, c’est presque en précurseur de Freud que le romancier fait intervenir la merveille comme symptôme d’un déni de réalité.
9Quoi qu’il en soit, si la légende comme forme ne manque pas ici de fondements anthropologiques, elle n’explique pas non plus le blocage du personnage liminaire. Angélique ne meurt pas en martyre. Les rites sont respectés, de la communion au mariage. Mais ici encore des entorses. Sur le fond, l’extrême onction vient avant le mariage. Sur la forme, les cérémonies majeures du parcours de la jeune chrétienne sont escamotées (communion et mariage, soit les rites d’agrégation par consommation) alors que d’autres, secondaires comme la procession, ou déplacées, sont décrites avec force détails. Dysmorphiques, les rites évoqués deviennent par là-même inefficaces. Ce n’est plus l’intervention divine qui opère ni la société qui réintègre mais bien le jeu des pulsions inconscientes. Angélique revient ainsi à la vie après l’onction aux malades, grâce au contact physique avec le père de son prétendant.
10Marquée par l’excès de corps, la jeune fille tend à lire trop littéralement des textes chimériques. Elle « incorpore » la lettre mais reste incapable d’écrire correctement. Cette incomplétude est nettement mise en avant par le chercheur qui l’associe à ce que provoque un autre livre, le livret de l’assistance publique. La manière qu’a l’enfant d’abord de le porter tout contre elle la handicape physiquement dès l’ouverture du récit, à tel point que les Hubert la croient d’abord réellement infirme. Les deux imprimés la tiennent donc enchaînés, physiquement et moralement, en même temps qu’ils permettent la constitution d’une identité en autodidaxie. Seulement, marquée par le sceau du déséquilibre, celle-ci ne peut être que tronquée : on ne fait pas ainsi les filles. La Légende dorée n’est pas la Bible, ni le livret de l’assistance un livret de famille. L’écrit, s’il intervient dans son « rôle instituant », se heurte à un réel (la lettre du catholicisme, l’ascendance) qu’il ne peut remplacer. Et là, plus que nulle part ailleurs, s’explique mieux l’échec des rites et de l’éducation des Hubert à achever ce destin de femme.
11Comme Emma Bovary, Angélique est donc une mauvaise lectrice. Mais, parce que jeune fille et non femme, soumise à un apprentissage strict et confiné, la rêverie comme émanation des pulsions va jouer contre la réalisation de sa féminité, c’est-à-dire contre l’incarnation terminale en un corps sexué. Ce n’est pas le moindre mérite de M. Scarpa que de mettre en avant dans son étude la dialectique du pur et de l’impur à l’œuvre, du blanc et du rouge, équivalente sur le plan symbolique à l’opposition incarnation/désincarnation qui gouverne le destin de l’héroïne. Tout se passe dans le drame d’une intégration de la chair impossible dans le cas d’Angélique. L’onomastique le programme d’emblée et l’insistance sur le motif des seuils matériels et temporels (porches, balcons, portes, fêtes de Pentecôte et de la Noël) installent la topique des passages interrompus, des changements d’état indispensables à l’effectuation de la phase d’agrégation mais impossibles ici. La thèse forte de M. Scarpa, ce qu’elle veut démontrer — et qui explique que son ethnocritique reste un tant soit peu parcellaire12, est celle d’une « homologie structurelle et fonctionnelle entre rite de passage et narration littéraire13. » Si là encore la démonstration manque parfois de précision (qu’est-ce qu’une narration littéraire ? quelles particularités de l’écrit quant aux formes orales ? du roman sur d’autres genres de récits ? et quid des genres non-narratifs ?), il n’en reste pas moins vrai que l’incarnation du héros, soit sa vraisemblance, reste un enjeu majeur du romanesque.
12La dernière section de l’ouvrage s’attache donc à lire « le rite dans le récit » et « le récit comme rite » en vue de l’institution du personnage. Ce n’est qu’alors que des notions aussi cruciales et discutées que celles d’initiation et de ritualité sont épistémologiquement prises en compte. À cette occasion, le texte est envisagé dans son détail, comparé aussi à d’autres descriptions du corpus zolien, notamment celle de la communion de Nana qui, elle, avale réellement le corps du Christ et peut passer à l’état de jeune femme. Dans Le Rêve, du rite, ne reste que la « forme »14, inefficiente, presque de l’ordre du folklore — au sens péjoratif du terme, de la survivance, du kitsch. C’est de la répétition de l’ancien plus que de l’instauration du neuf que les pratiques relèvent à Beaumont. La « passante » n’est pas de son temps. Déplacée, adoptée, elle reste cependant en marge, incapable de fonder sa propre lignée, de perpétuer la vie. Son lieu est donc bien le rêve, l’imaginaire, les mirages de l’art et de la légende, comme derniers refuges. Le propre d’Angélique, ce pourquoi M. Scarpa en fait une figure paradigmatique, celle du « personnage liminaire » féminin, de « l’éternelle jeune fille », réside en ceci que, seule, marginalisée, elle ne peut pas changer d’état. Le rite ici ne socialise plus et Le Rêve devient comme un « roman-musée15 » d’archaïsmes.
13Alors, ce que le personnage n’accomplit pas, le roman, lui, le réalise. Si, évoquant Blanchot, l’ethnologue pense qu’écrire « c’est entrer dans un templum16 », effectivement ici l’homologie est forte entre seuils et passages du récit et leurs équivalents symboliques convoqués par la fiction. L’entée inaugurale de l’enfant dans la cathédrale, à la fin du premier chapitre, reprend la pénétration annonciatrice chez les Hubert, ouvrant en même temps le récit de son initiation et, matériellement, le texte. « Ces franchissements signalent à la fois la fin d’un premier processus, l’entrée d’Angélique dans la fiction et dans sa nouvelle vie, et le début d’un autre, puisque, ce faisant, l’enfant se sépare de sa vie antérieure pour connaître une seconde phase de marge : elle pénètre dans le “ventre/antre” de la mère (Hubertine et la cathédrale), lieux clos où se joueront les principales métamorphoses de l’adolescence17. »
14Pourquoi donc, dans l’économie narrative, la nécessité d’une jeune fille éternelle ? D’abord parce que, hybride, Rougon dans son sang, Agnès en esprit, Angélique représente comme un monstre fictionnel, à la fois sur- et sous-initiée et, comme telle, incapable de réintégrer la communauté du bourg. En même temps, figure du manque et de l’excès, elle intervient dans un univers bloqué : stérilité des Hubert, mariage de Félicien en attente, traditions artisanales en voie de disparition. Le trop plein rituel représente comme une « compensation18 » vaine de ces déséquilibres. Symboliquement, Angélique trépasse par trois fois, la nuit de son apparition sous un froid glacial, lors de sa maladie d’amour, à la sortie de la cérémonie du mariage. Elle fait partie des « tré-passés » et la disparition finale n’est que la forme ultime, pour elle, de réintégration et de retour à son ordre initial. « […] Est liminaire un personnage bloqué dans un état intermédiaire au cours de son “initiation” (soit dans la construction de son identité individuelle, sexuelle et sociale). De ce point de vue, c’est un “inachevé”, gardant de sa situation d’entre-deux états une ambivalence constitutive19. » Et c’est justement cette ambivalence qui va permettre au personnage d’opérer comme passeur sur les plans sémantiques et narratologiques. C’est lui qui prend en charge, comme un bouc émissaire, les conflits de cosmogonies. Pivot, il permet leur résolution ; mais cela se paie de sacrifice.
15En replaçant finalement le roman et ses procédés narratifs dans le temps long de l’anthropologie culturelle, en éclairant Le Rêve à partir d’un corpus ethnographique exogène mais appelé par des indices textuels latents, Marie Scarpa, en ethnocritique, défend l’idée de la pertinence exégétique d’une catégorie mixte, ethnologique et narratologique, le « personnage liminaire » comme pendant littéraire du trickster des mythologies, du fou, du boiteux, de l’enfant ou du mort reconnaissant, qui tous interviennent dans la pensée “sauvage”, comme Angélique, en tant qu’opérateurs efficients parce qu’êtres ambivalents de la marge. La prégnance culturelle d’une telle catégorie n’est pas contestable. Et l’étude a le mérite d’inscrire le roman dans une généalogie de pratiques culturelles longtemps perçues comme mineures, populaires, voire archaïques (conte oral ou légende, coutumes locales, etc.). Les perspectives ouvertes par une telle « reculturation » de la littérature légitime20 demeurent séduisantes. Reste à prendre la mesure de l’hypothèse d’une « homologie structurelle » pour l’ensemble des types narratifs, au-delà du seul corpus réaliste-naturaliste et du romanesque. L’étude gagnerait à un comparatisme élargi alors même que l’auteur laisse entrevoir la possibilité pour l’ethnocritique de penser autrement, ethno-logiquement, des classifications qui, telles les genres littéraires, restent souvent perçues comme artificiellement construites. Le programme ne manque pas d’ambition.