La littérature africaine entre épique & antique
1Depuis quelques années déjà les études en littératures francophones connaissent une croissance exponentielle, au point de faire penser, avec un peu de mauvais esprit, qu’il s’agit là d’une mode. Sont parus coup sur coup en ce début d’année 2011, deux ouvrages au premier abord très différents concernant la littérature d’Afrique subsaharienne d’expression française. Le premier, celui de Bernard Mouralis, Littératures africaines et antiquité. Redire le face‑à‑face de l’Afrique et de l’Occident, est un ouvrage de synthèse, une étude globale. Le second ouvrage, De l’épopée au roman. Une lecture de Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma, de Laure‑Adrienne Rochat est à l’inverse une étude très spécifique, concernant non seulement un seul auteur, mais encore un seul roman de cet auteur, analysé sous un angle très précis. Leurs auteurs sont également assez dissemblables : si L.‑A. Rochat est, elle, on peut dire, une débutante puisque cette étude sur Kourouma qu’elle publie est un récent mémoire de maîtrise, B. Mouralis, en revanche, fait presque partie de la première génération de critiques spécialistes de littérature francophone africaine. Son ouvrage s’inscrit donc dans la suite de nombreuses publications qui auscultent et démêlent les relations littéraires entre l’Afrique et l’Europe.
2Toutefois, on peut également soulever deux points communs entre ces deux ouvrages, points communs qui me semblent tout à la fois plus intéressants et davantage porteurs de sens que leurs trop massives différences. Ils adoptent en effet tous deux un point de vue qui est un peu décalé par rapport au point de vue traditionnel des études francophones qui cherche à marquer la spécificité de ces littératures contre la littérature dominante, la littérature de l’ancien colon. Le deuxième aspect — qui est lié au premier de toute évidence — est le fait que les deux auteurs analysent leur corpus depuis une littérature des origines en quelque sorte, depuis des genres ou des notions littéraires que l’on rattache plus volontiers à l’Antiquité.
Kourouma et l’épopée
3L’ouvrage de L.‑A. Rochat n’est en aucun cas une étude de synthèse sur le deuxième roman de Kourouma, Monnè, outrages et défis. Il suit au contraire une problématique très rigoureuse et posée d’emblée : interroger le rapport de ce roman à l’épopée et confronter ainsi le roman en question aux propos de Kourouma lui‑même qui en a parlé à plusieurs reprises comme d’une « épopée1 ». Pour mener cette recherche, L.‑A. Rochat procède en deux étapes : la première partie de son ouvrage, assez courte, se focalise uniquement sur la notion d’épopée et celle, conjointe, d’épique. La seconde porte plus directement sur le roman de Kourouma. Ce second roman de Kourouma raconte l’histoire de Djigui, roi du royaume fictif de Soba, sa lutte avortée et son comportement catastrophique vis‑à‑vis de la colonisation française.
4Dans sa première partie, l’auteur compare principalement trois discours critiques, ceux de Bakhtine, de Lukács et de Florence Goyet2. C’est sans surprise sur les travaux de cette dernière que L.‑A. Rochat s’appuie principalement. La définition plus souple que propose Fl. Goyet de même que sa notion de « travail épique » permet de prendre en compte une gamme de textes beaucoup plus large que ne le font les travaux de Bakhtine et de Lukács. Elle prend notamment plus en compte la dimension politique de ces textes à caractère épique.
5À partir de cette mise au point terminologique, l’analyse du second roman de Kourouma va mettre en lumière deux idées principales, qui s’articulent autour de la double identité générique assumée par Monnè : roman et épopée. Monnè est construit comme une reprise littéraire de l’épopée traditionnelle africaine — plus précisément de Soundjata — avec une dimension parodique pour montrer la faillite du système politique traditionnel africain qui cherche à se maintenir. Djigui, le « héros » du roman de Kourouma, n’est pas un Ceddo — chef et héros de l’épopée traditionnelle dont le modèle-type est Soundjata — ni même Samory, personnage historique qui s’est rebellé contre la colonisation française. Djigui n’a plus d’épique et de grandiose que ce que son griot dit de lui malgré la réalité.
6Par le biais du personnage de Djigui s’exprime la singularité du regard porté par l’écrivain sur la tradition africaine. Contrairement à la plupart de ses précurseurs, qui faisaient de la tradition un dispositif de sens idéalisé face aux ruptures sociales et morales apportées par la colonisation, ou insistaient — sous l’égide de Senghor et du mouvement de Négritude — sur la valeur de la tradition orale africaine, Kourouma n’hésite pas, afin de traiter son sujet politique et d’interroger la responsabilité de l’Afrique quant à sa propre histoire, à désidéaliser les modèles héroïques de la tradition orale3.
7Dès lors, le poids de la tradition épique semble peser comme un fardeau sur l’Afrique noire contemporaine :
Selon Kourouma, en effet, la référence à l’épopée est encore un élément clé de la politique africaine, où l’élévation des dirigeants des « partis uniques » au rang de héros épiques — pourvus de la grandeur de « demi dieux » — sert à légitimer un pouvoir caractérisé (contrairement à celui de Djigui) par un impact bien réel sur l’ensemble de la société africaine4.
8La problématique politique qui s’exprime à travers le « travail épique » pour reprendre l’expression de Fl. Goyet amène à une conclusion qui surprend et s’inscrit en contre de ce que l’on a l’habitude de lire dans les études post-coloniales. En effet l’analyse de la dimension épique « permet de mettre en évidence une continuité entre les époques pré-coloniale, coloniale et post-coloniale5. » À l’intérieur du roman, le discours épique apparaît comme une forme de citation dont le roman précisément montre l’incongruité dans la situation qu’il décrit. Le roman développe alors un caractère de parodie de l’épopée, non pas en la travestissant, mais en juxtaposant le discours épique (c’est‑à‑dire les discours louangeurs du griot) à la « réalité » décrite par le roman pour montrer que son discours se structure surtout sur l’excès.
9Si la démonstration de L.‑A. Rochat est cohérente, on regrettera tout d’abord que la bibliographie soit réduite au strict minimum et surtout qu’elle n’ait pas été actualisée entre le temps de la soutenance du mémoire et celui de sa publication. De nombreuses publications sur Kourouma sont parues ces dernières années, dont certaines allaient dans le sens du propos de l’auteur6.
10On regrettera également peut-être ce parti-pris d’ultra spécialisation du propos. En effet, on aurait pu attendre davantage de prise en compte du reste de l’œuvre de Kourouma, plus de parallèles avec ses trois autres romans. Les contrastes dans le traitement des différents personnages de dirigeants mis en scène dans les romans montrent les nuances dont fait preuve Kourouma dans le regard qu’il porte sur l’Histoire de son continent : « Très sévère avec Djigui Keita, le roi de Soba dans Monnè [...] ou encore avec le prince malinké des Soleils, il manifeste une certaine indulgence pour Koyaga7 », le personnage de En attendant le vote des bêtes sauvages.
11D’autre part, la notion même d’épopée pouvait éventuellement servir pour appréhender les autres romans. Dans un entretien avec Kourouma, Thibault Le Renard et Comi M. Toulabor décrivent En attendant le vote des bêtes sauvages — auquel l’entretien est principalement dédié — comme ayant la forme « d’un récit épique qui se déroule en six veillées8 ». Kourouma, pourtant sensible à la notion d’épopée et à celle d’épique, comme l’a souligné L.‑A. Rochat, ne contredit pas du tout cette affirmation. La notion d’épique — et plus encore celle de travail épique (Fl. Goyet) — pourrait se révéler être une notion opérante pour l’analyse de l’ensemble de l’œuvre romanesque de Kourouma et pas seulement de Monnè.
12Pour en rester à cette notion d’épique, un autre article de Fl. Goyet aurait sûrement été le bienvenu dans la réflexion de L.‑A. Rochat : celui qu’elle a donné pour la Bibliothèque comparatiste du site Vox poetica9. Cet article offre peut-être une perspective plus large encore que les autres travaux de Fl. Goyet et s’applique plus aisément semble‑t‑il aux épopées non européennes.
L’Afrique Noire, les Grecs et les Latins
13On ne présente plus B. Mouralis dans le milieu des études francophones tant ses travaux dans le domaine sont nombreux. Son dernier ouvrage, Littératures africaines et antiquité. Redire le face‑à‑face de l’Afrique et de l’Occident, s’inscrit dans la continuité de ce travail mené depuis une quarantaine d’années. Continuité disciplinaire et thématique tout d’abord, certes, mais aussi méthodologique si l’on veut. Le travail de B. Mouralis ne se situe pas sur le plan strict de la critique littéraire mais plus largement sur celui des sciences humaines et sociales dans leur ensemble. La préoccupation littéraire est chez lui très souvent articulée avec d’autres éléments qui ressortent plus de la sociologie ou de l’histoire par exemple.
14La perspective d’étude est clairement définie dès le départ et frappe par son ambition : réanalyser les références à la littérature antique dans son ensemble chez les écrivains d’Afrique Noire. Le corpus sur lequel travaille B. Mouralis est un corpus pluriel, voire hétérogène, pour trois raisons principalement.
15Si le corpus est majoritairement francophone, il ne l’est pas exclusivement et quelques textes de langue anglaise viennent s’agréger aux nombreux ouvrages francophones qui sont étudiés. Toutefois, l’auteur construit la première partie de son ouvrage en retraçant le système de formation colonial français mais sans le confronter à celui qui était en vigueur dans l’Empire britannique. On ne peut donc pas vraiment parler de perspective comparatiste. La deuxième raison pour laquelle le corpus est hétérogène tient au fait que les textes qui en font partie ont été écrits par des écrivains de générations différentes, qui n’ont donc pas eu le même rapport à la culture antique, qui n’ont pas vécu dans les mêmes cadres institutionnels ni connus les mêmes réalités historiques, ni expérimenté le même rapport à la métropole coloniale (ou à l’ancienne métropole coloniale). Enfin, les textes ont des appartenances, non seulement génériques, mais aussi disciplinaires très variées : romans, poésie, essai, histoire, littérature, littérature secondaire, philosophie, textes scientifiques et académiques issus des sciences humaines (il peut alors s’agir tout aussi bien d’articles que d’ouvrages). Le corpus ainsi constitué compte plusieurs dizaines de références qui s’étalent des années 1920 aux années 2000 et compte des noms aussi divers que Senghor, Mongo Beti, René Maran, Kagame, Cheikh Anta Diop, Mudimbe ou encore Wole Soyinka pour le monde anglophone.
16B. Mouralis part d’une notion de « bibliothèque antique10 », évidemment « très variable d’un auteur à l’autre11 », qu’il cherche à mettre en lumière chez les différents auteurs de son corpus. On note très explicitement de la part du critique, une volonté d’explorer des problématiques générales, universelles à la littérature, mais, dans le cas présent, appliquées à ces littératures sub‑sahariennes. Ce sont donc des interrogations sur les notions d’intertextualité, de bibliothèque, sur le rapport entre le réel et la fiction que le lecteur retrouve dans cet ouvrage.
17B. Mouralis choisit de répartir les différents usages qui sont fait des références antiques et classe les types d’utilisations de ces références en trois catégories : usage rhétorique et esthétique, usage historique et usage philosophiques, qui correspondent aux chapitres II, III, et IV de l’ouvrage (le premier chapitre, à la fois historique et conceptuel, pose la notion de bibliothèque antique chez les écrivains africains). Chaque chapitre est assorti d’analyses d’auteurs plus développées.
18Globalement, on peut affirmer que le point commun de ces usages et d’opérer, à partir de l’Antiquité, un retour sur l’Afrique : la référence antique semble servir à penser le continent africain.
19Le deuxième chapitre étudie les usages esthétiques et rhétoriques de la référence antique : ce sont plutôt des textes littéraires qui illustrent le propos. B. Mouralis définit ainsi l’idée directrice de ce chapitre :
Plus généralement, nous observerons une rhétorique de la citation empruntée à tel ou tel texte antique et dont la fonction peut être soit d’exprimer un certain climat de gravité et de solennité, soit de souligner, de façon plus ou moins explicite, que la référence à l’Antiquité grecque et romaine a cessé d’être le monopole de l’Occident12.
20L’auteur s’appuie sur deux exemples principaux : celui de René Maran, tout d’abord, chez lequel la référence antique sert à donner du poids au discours, à lui donner de la gravité. L’exemple de Senghor, lui, sert à illustrer un autre type de référence : l’homme d’État sénégalais, outre sa pratique du latinisme (qu’il soit grammatical ou lexical), se sert des motifs antiques pour évoquer le présent. Dans l’une de ses Élégies majeures, il retrace les guerres puniques, et convoque, entre autres, les figures d’Hannibal ou de Bourguiba.
21On constate ainsi, tout au long de cette Élegie, marquée par le souvenir des lectures de l’Énéide de Virgile, du Jugurtha de Salluste et de l’Histoire romaine de Tite‑Live, un fil conducteur constitué par le thème de la résistance de l’Afrique à l’Occident, hier comme aujourd’hui. Cette violence de l’histoire antique fait écho parallèlement à la violence coloniale d’aujourd’hui, fréquemment évoquée dans les recueils précédents13.
22B. Mouralis conclue ainsi à propos de cette culture classique : « Cette culture ne prend en fait toute sa signification que par la façon dont Senghor, à travers la ruse et le jeu, ne cesse de la mettre en perspective avec le monde négro-africain14. » Un écrivain comme Mongo Beti, quant à lui, ne recherche pas le même effet de solennité que René Maran : au contraire, il veut donner une dimension polémique ou comique à ces références.
23L’auteur aborde ensuite ce qu’il nomme les usages historiques de la référence antique. Si Mudimbe et Senghor servent également à illustrer ce chapitre, c’est la figure de Cheikh Anta Diop qui en constitue l’exemple principal. B. Mouralis montre comment celui‑ci utilise les textes antiques de manière scientifique, universitaire, pour réévaluer la place de l’Afrique Noire dans l’histoire du développement de la culture universelle. Sa grande thèse est que la culture égyptienne aurait pour origine l’Afrique Noire et il se sert par exemple des témoignages des historiens et voyageurs grecs qui mettaient en évidence l’importance de la population noire en Égypte pour étayer son argumentation. Il cherche véritablement à réexaminer l’histoire du continent africain en revenant aux sources antiques.
24L’avant-dernier chapitre est consacré aux usages philosophiques. B. Mouralis y met en avant le fait que les philosophes africains s’appuient sur les philosophes antiques pour développer leur pensée. En soi, ce n’est guère étonnant pour des penseurs qui pratiquent la discipline à l’occidentale. Mais l’intitulé du chapitre est peut-être un peu réducteur par rapport à son champ d’investigation. Plus que les seules pratiques, il traite plus largement de toutes les questions de méthodologie de la recherche en sciences humaines et sociales, dans différentes disciplines. La philosophie est abordée bien sûr, mais également la sociologie, l’ethnologie, etc.
25Le dernier chapitre, en quelque sorte conclusif de l’ouvrage, concerne ce que B. Mouralis nomme les intersections de textes entre l’Afrique et l’Antiquité gréco-latine.
Précisons le sens que nous donnons à ce terme d’intersection : alors que l’intertextualité, en règle générale, revoie à un travail conscient de l’écrivain sur les textes qui le précèdent ou l’entourent, l’intersection correspond plutôt à un processus de rapprochement qui n’est pas nécessairement voulu ou souhaité par celui-ci mais qui est susceptible d’éclairer l’œuvre analysée en faisant apparaître des similitudes avec d’autres œuvres, au niveau de l’écriture, des thèmes ou, encore, du contexte d’énonciation15.
26Cette notion d’intersection paraît assez peu différente de celle d’intertextualité : B. Mouralis semble partir du principe que l’intertextualité est un phénomène conscient de l’auteur, mais ce n’est pas obligatoirement le cas — il suffit de revenir aux définitions de Kristeva ou de Genette. En réalité l’intertextualité est tout autant un phénomène de lecture que d’écriture ; dès lors, la question de l’action consciente ou inconsciente de l’auteur n’est plus au cœur de la problématique. De fait, la notion d’intersection que B. Mouralis veut mettre en avant recouvre exactement celle d’intertextualité.
27Dans ce dernier chapitre, l’auteur rapproche la situation des auteurs africains pris dans une relation complexe entre fascination et rejet de la culture classique occidentale et la situation qui liait Grecs et Romains, notamment après la conquête militaire de la Grèce par Rome à laquelle a succédé la conquête culturelle de Rome par la Grèce pour le dire rapidement.
28Le travail de B. Mouralis est un travail global et qui se veut global. L’hétérogénéité du corpus — et d’autres éléments probablement — font que les conclusions que l’on peut tirer de cette enquête ne peuvent être elles aussi qu’assez générales. Cela nous conduit, premièrement, à affirmer que l’Afrique maîtrise le corpus classique. Deuxièmement, à montrer que les écrivains africains se réapproprient cette culture classique. Enfin, à mettre en évidence le fait que la culture gréco‑latine leur sert principalement à parler de l’Afrique, à opérer un retour sur l’Afrique, depuis la Méditerranée antique. En somme, il se passe avec ces littératures africaines exactement ce qui se passe avec toutes les littératures contemporaines. Il n’y a pas de spécificité africaine dans l’utilisation de la référence antique. On aurait pu tracer probablement les mêmes conclusions en travaillant à partir d’autres littératures, asiatique ou latino-américaine par exemple. Les lecteurs, au final, ne peuvent tirer d’autre conclusion que celle visant à reconnaître les littératures d’Afrique comme des littératures qui fonctionnent exactement comme les autres, pour ceux qui en doutaient encore. On aurait peut-être espéré des résultats plus surprenants et plus spécifiques à ces littératures, qui ne soient pas transposables à n’importe quelle littérature, car ce sont des caractéristiques presque universelles du discours littéraire.
En guise de conclusion
29En somme, Laure‑Adrienne Rochat et Bernard Mouralis mettent tout autant en évidence l’universalité de ces littératures que leur identité francophone ou post‑coloniale. La notion de « travail épique » est une notion universelle qui s’applique à l’ensemble de la littérature comme l’a démontré Florence Goyet. De même, toutes les littératures contemporaines se sont emparées, à un moment ou à un autre de la culture classique.
30Comme l’annonce, dès le début de sa thèse, Parfait Diandue Bi Kacou (thèse à laquelle L.‑A. Rochat fait régulièrement référence), il faut peut‑être que le regard que la critique porte sur la littérature africaine change — et par conséquent que les problématiques qui animent cette critique évoluent aussi :
Ainsi, la critique littéraire africaine devra-t-elle, peut-être, dorénavant admettre que la notion fondamentale de quête identitaire qui a pendant longtemps été son objet d’intérêt semble être aujourd’hui, avec l’écriture d’Ahmadou Kourouma dépassée. L’auteur exprime son identité à travers l’expression ouverte d’une culture hybride qui mêle la culture Occidentale et la culture malinké16.
31On peut voir dans le fait que la préoccupation identitaire francophone ou post‑coloniale n’occupe plus la totalité du discours critique, le signe d’une nouvelle perception des littératures francophones par cette même critique, d’une nouvelle appréhension de ces corpus littéraires qui seraient alors conçus avant tout comme des objets littéraires sans que leur portée politique et/ou idéologique soit leur intérêt premier.
32Bien entendu, cette dimension identitaire et politique ne disparaît pas totalement : les traces d’un affrontement entre les deux continents africains et européens sont présentes dans l’ouvrage de B. Mouralis, et L.‑A. Rochat rappelle qu’il y a « un projet qui fonde toute l’œuvre de Kourouma : penser l’évolution des structures politiques en Afrique noire17. » La notion de travail épique qu’elle utilise est indissociable de celle de politique. Mais cette dimension n’est plus seulement décrite en termes d’opposition frontale et irrémédiable entre Europe et Afrique, cette dernière subissant les volontés de la première et cherchant à devenir indépendante, politiquement et culturellement. Désormais, cette indépendance est actée et l’Afrique redevient, comme le montrent ces deux ouvrages, maîtresse de ses actions, et surtout de ses discours.