Le nouvel éclat de L’Astrée
1Lorsque Delphine Denis et son équipe1 ont relevé le défi d’entreprendre une édition critique de L’Astrée d’Honoré d’Urfé, il leur incombait de rendre ce texte accessible, aussi bien dans un sens matériel que philologique. Si Hugues Vaganay, vers 1925, a offert de grands services aux lecteurs de naguère en publiant la seule édition intégrale du roman depuis l’Ancien Régime, ses travaux souffrent aujourd’hui de leur âge et de leur manque de rigueur scientifique. Son texte se révèle être un assemblage d’éditions disparates apparemment sélectionnées davantage en fonction de leur disponibilité qu’en vertu de l’image fidèle qu’elles donnaient de L’Astrée. Le chercheur qui souhaitait contourner cette édition imparfaite n’avait alors d’autre choix que de consulter les imprimés du xviie siècle, mais il se trouvait confronté à un nombre élevé d’éditions anciennes et devait, dès lors, effectuer un travail fastidieux de sélection avant de mener à bien sa propre recherche.
2Ces temps sont dorénavant révolus. L’équipe éditoriale de D. Denis a souhaité « donner à lire L’Astrée à la lumière de son propre temps pour mieux en saisir les significations et les enjeux » (p. 8). Ce projet tient compte de la distance historique qui sépare le lecteur moderne de la culture du premier xviie siècle et fournit à celui-ci des outils fiables afin d’améliorer la lisibilité du texte présenté. Selon cette optique, une « Introduction générale » d’une centaine de pages dessine le panorama historique et littéraire dans lequel l’œuvre s’inscrit.
Les textes introductifs
3Si cette vaste entrée en matière entend familiariser le lecteur à l’univers de L’Astrée, il répond néanmoins au désir de se défier « de la tentation qui viserait à moderniser ou à faire valoir la caractère intemporel des chefs-d’œuvre » (p. 8). Les éditeurs se livrent à un état des lieux de la recherche qui commence par esquisser la figure de l’auteur et son « climat » par quelques « repères biographiques et sociologiques » (p. 9). Cette section rappelle que l’appartenance de l’écrivain forézien à la noblesse doit enjoindre le lecteur à considérer L’Astrée comme un reflet de l’idéal aristocratique de l’époque qui tendait « vers la recherche plus particulière des antiquités du royaume de France » et « à fonder la volonté d’héroïsation non plus sur le mythe, mais sur une enquête historique » (p. 10). Nous retrouvons ici les conclusions récemment exposées par Laurence Giavarini dans La distance pastorale2: le roman d’Urfé est autant l’œuvre d’un ancien Ligueur vaincu lors des guerres de religion que d’un érudit humaniste dont l’éducation a précisément été retracée par Maxime Gaume en 19773. Nourrie des derniers acquis de la recherche, cette section donne la première « clé » pour comprendre l’œuvre et son assemblage de récits chevaleresques et pastoraux qui se déroulent dans la Gaule historique du ve siècle apr. J.‑C.
4La section suivante, intitulée « La tradition pastorale », étudie le versant bucolique de L’Astrée et expose aussi bien les origines de l’imaginaire pastoral que les infléchissements apportés par Urfé aux œuvres qui l’inspirent. S’écartant du modèle italien de l’Arcadia de Sannazar puisque « le Forez n’a pas pour principale fonction d’abriter la parole poétique » (p. 15), l’œuvre ne rejoint pas non plus les pastorales dramatiques du Tasse ou de Guarini peuplées de satyres et autres créatures mythologiques. L’Astrée se révèle plus proche des romans espagnols comme la Diana de Montemayor qui transforment durablement le territoire pastoral — anciennement poétique et mythologique — en un lieu romanesque et historique selon un mécanisme qu’avait décrit Françoise Lavocat dans ses Arcadies malheureuses4. D’ailleurs, l’élection du Forez comme « lieu » du roman provoque la célébration de la patrie d’Urfé et de son histoire. La section suivante, « Territoires de L’Astrée », explore la fictionnalisation d’une terre attachée à l’enfance de l’auteur où « ancrage référentiel et symbolique spatiale sont […] fortement corrélés » (p. 21). Le roman, construit en partie sur l’attachement sentimental de l’auteur envers sa région et retraçant à plusieurs reprises l’histoire de cette terre, transforme donc des lieux véritables en lieux romanesques. Le décor astréen se révèle protéiforme, pouvant tantôt s’ouvrir sur des villes historiques (Lyon, Arles, Avignon, Rome), ou tantôt se replier sur quelques lieux chargés de symbolique romanesque (le fontaine de la Vérité d’amour, le temple d’Astrée, le tombeau de Damon et Fortune, etc.). Le roman d’Urfé réserve un traitement particulier aussi bien aux idéaux aristocratiques, à la tradition pastorale ou au décor romanesque.
5Les premières sections de l’« Introduction générale » ayant retracé avec clarté et concision les rapports qu’entretient L’Astrée avec son contexte culturel ou géographique, les parties qui suivent plongent au cœur du roman. Dans « Le traitement romanesque », les auteurs exposent les différents fils narratifs de l’œuvre et donnent un aperçu des différentes histoires qui s’entrecroisent. Bien qu’un « résumé sommaire est loin de refléter la richesse et la complexité de la structure narrative de L’Astrée »(p. 28), l’équipe de D. Denis parvient avec aisance à présenter les principaux mécanismes de composition qui informent l’œuvre : début in medias res, irruptions d’événements spectaculaires précédant l’exposition de leur explication ou enchâssements de nombreuses histoires secondaires dont seuls quelques chapitres sont dépourvus. Soulignant à la fois la diversité du roman ainsi que le « souci de cohérence » qui guide l’auteur (p. 31), cette section rappelle « qu’il faut chercher […] près de l’actualité littéraire d’Urfé le modèle qui semble avoir guidé la construction de son œuvre » (p. 29). Un détour par Les Bergeries de Julliette de Montreux montre toute la liberté d’Urfé qui emprunte à cette œuvre des éléments de structure (dont l’insertion d’histoires secondaires) mais qui les reformule en multipliant notamment les interactions entre les différentes intrigues ou en refusant une découpe de l’œuvre en « journées » chapitrales qui se dérouleraient toutes selon un schéma répétitif.
6Au regard de cette construction narrative, l’introduction aborde le problème de l’inachèvement de l’œuvre à la mort d’Urfé en 1625. Le chapitre « Finir L’Astrée » oppose la fin proposée par Gomberville, qui ne désirait pas conclure toutes les intrigues lancées par Urfé, à celle de Baro qui se voulait définitive. La question de l’achèvement du roman reste épineuse en l’absence de documents contenant les dernières intentions de l’auteur quant à son œuvre. Toutefois, il est rappelé prudemment au lecteur que, malgré les positions multiples tenues par la critique – divisée entre les contempteurs des solutions proposées par Baro et leurs défenseurs –, « il est difficile de prendre un parti sûr dans ce débat largement ouvert » (p 38). Avec hauteur de vue, ces pages avancent deux des « hypothèses les plus plausibles » (p. 38), à savoir que L’Astrée n’était pas un roman destiné à rester inachevé et que sa fin aurait été probablement heureuse. Ce consensus — qui n’a rien de tiède — est d’autant plus louable que chaque membre de l’équipe éditoriale s’est certainement forgé, au fil des recherches, une opinion sur cette question.
7Les auteurs de l’introduction parcourent ensuite la dimension « anthologique » du roman (« Le roman comme recueil : poésies, lettres, sentences »). S’appuyant notamment sur les travaux de Stéphane Macé en ce qui concerne les poèmes de L’Astrée5, cette section récapitule les formes poétiques présentes dans l’œuvre (sonnets, stances, chansons, madrigaux). La question est abordée de savoir si ces pièces ont été composées pour le récit ou insérées par la suite, bien qu’« il serait imprudent de considérer uniquement L’Astrée comme un point d’aboutissement, car le roman constitue aussi à l’évidence un lieu privilégié d’expérimentation poétique » (p. 43). De plus, si les lettres valent davantage comme « catalyseurs » de l’action que par leur virtuosité, les énoncés sentencieux disséminés tout au long du récit attestent d’une tradition humaniste dans la pratique de l’écriture et de la lecture. Peu à peu se dessine l’image d’une Astrée qui serait une chambre d’écho aux pratiques littéraires et culturelles de son époque, un répertoire de « lieux communs » que partagerait l’auteur avec son lectorat. Les deux sections suivantes (« La matière historique » et « Philosophie et discours de l’amour ») poursuivent l’exploration du savoir présent dans le roman. Si les sources de ces connaissances sont identifiables dans les parutions récentes de l’époque d’Urfé (cf. les travaux de Maxime Gaume6), il n’en reste pas moins que l’auteur se réapproprie ces savoirs au travers de la fiction. En effet, les connaissances historiques nourrissent l’œuvre autant pour conférer au récit les couleurs typiques de la Gaule du ve siècle que pour inviter le lecteur à une réflexion morale sur les vices et les vertus des grandes figures historiques dépeintes dans le roman. Quant aux débats sur l’amour qui jalonnent ce dernier, ils introduisent certes une axiologie ouverte à la diversité (le platonisme de Sylvandre côtoie l’hédonisme d’Hylas) mais cette dernière se résout dans l’affirmation d’« un univers de normes et de biens hiérarchisés » (p. 57). Et si l’œuvre a été le « vade mecum de l’honnête homme ou un miroir de la culture du courtisant », c’est certainement parce que, au delà de la variété de ses sources, jamais L’Astrée n’apparaît comme « une marqueterie mal jointe ou un tissu de citations et de paraphrases » (p. 51).
8L’introduction enchaîne alors sur la réception et la fortune de l’œuvre (« Lectures de L’Astrée »). Interrogeant la validité d’une lecture « à clés » du roman qui a longtemps prévalu dans l’histoire littéraire, les auteurs rappellent que L’Astrée n’est ni une peinture des contemporains d’Urfé en habits de bergers ni l’allégorisation d’une société de poètes (comme c’était le cas dans l’Arcadia de Sannazar). Plutôt pétrie d’imaginaire que d’anecdotique, l’œuvre a d’ailleurs été rapidement considérée comme le « roman des romans » pour reprendre les mots de Gérard Genette7. Par exemple, Sorel et Furetière ont utilisé L’Astrée pour souligner les dangers du romanesque dans Le Berger extravagant ou Le Roman bourgeois tandis que Huet considérait ce texte comme « l’ouvrage le plus ingénieux et le plus poli, qui eût jamais paru en ce genre » (p. 61). Par contraste, l’équipe de D. Denis rappelle que le succès de L’Astrée n’a pas survécu à la Révolution, alors qu’aux xviie et xviiie siècles, l’œuvre était une « référence commune », une « fable archétypale » (p. 63) dans laquelle les auteurs puisaient personnages ou intrigues. Camille Esmein-Sarrazin a, par ailleurs, démontré comment le roman d’Urfé constituait une référence littéraire commune qui, au fil des décennies, n’était plus connue qu’au travers d’un « souvenir sélectif et appauvri »8. Le temps aura fait très lentement son ouvrage et c’est pourquoi la section introductive consacrée à la fortune de L’Astrée s’achève en affirmant que « les éléments de sa poétique ne sont plus aujourd’hui saisissables en-dehors de la patine d’histoire dont ils se sont recouverts » (p. 73). Avant d’entamer les deux dernières sections de l’introduction, les éditeurs scientifiques de L’Astrée rappellent par ces lignes leur projet initial qui était de fournir les clés pour comprendre l’œuvre par rapport à son contexte. Le pari est largement atteint. À ce point, le tour d’horizon des acquis de la recherche urféenne est complet en ce qui concerne l’histoire des idées et des formes littéraires présentes dans L’Astrée. Ne taisant rien ni des débats qui opposent les spécialistes, ni des paradoxes qui ne manquent pas d’apparaître dans cette vaste composition, les auteurs auront accompli un travail remarquable de synthèse et clarification qui servira à la fois aux curieux qui ouvrent L’Astrée pour la première fois et aux chercheurs qui y trouveront une mise au point (salutaire ?) des différentes hypothèses avancées par la critique littéraire.
9L’avant-dernière section, « La langue de L’Astrée » — écrite avec la contribution de Mireille Huchon (Université Paris-Sorbonne) —, offre au lecteur une radiographie linguistique du roman. La difficulté d’une telle étude était certainement d’établir que L’Astrée est une lecture « aisée, au regard de textes de la même période » (p. 74) tout en se gardant d’exagérer la modernité du langage d’Urfé. En effet, l’écrivain ne fait que prolonger le souhait du xvie siècle d’« illustrer » la langue vernaculaire en affectant un style simple, proche de l’usage de cour, et en désirant « saisir l’essence du français, dans sa singulière “douceur” et son élégance “naturelle” » (p. 77). Anne Sancier-Chateau, dans Une esthétique nouvelle9, avait minutieusement retracé le travail incessant de correction qu’apporta Urfé au fil des éditions de L’Astrée. Or, les modifications qui furent apportées alors n’ont pas suffi pour réduire, aux yeux du lecteur moderne, l’écart qui sépare la langue astréenne du français des textes classiques. D’ailleurs, les remarqueurs du xviie siècle ont parfois préconisé des leçons bien différentes de celles adoptées par Urfé. Sans doute la langue de L’Astrée reste-t-elle lisible aujourd’hui davantage en raison d’une volonté de l’auteur de « recus[er] la pédanterie », d’abandonner les « ressources émoussées de l’art de la pointe ou des métaphores hardies », bref, de bannir « une virtuosité ostentatoire » (p 80). La mise au point linguistique réalisée dans ces pages introductives permettra au lecteur de prendre la mesure exacte de la langue d’Urfé et de l’esthétique qui la sous-tend.
10Après une « Chronologie de la vie d’Honoré d’Urfé » sous forme de tableau, l’introduction s’achève sur l’histoire éditoriale de L’Astrée et de la première partie en particulier (« Histoire éditoriale de L’Astrée (1607‑1647) »). Le choix des éditeurs scientifiques a été d’éviter les textes négligés des trois éditions intégrales du roman, parues de façon posthume en 1627, 1633 et 1647. Un tableau récapitulatif des différentes éditions divise l’histoire éditoriale du roman en trois périodes : la première s’étend de 1607 à 1623 et correspond à l’âge « d’une montée en puissance de l’œuvre » (p. 91) ; la seconde va de 1623 à 1627, période durant laquelle ont été publiés des volumes sans l’assentiment de l’auteur et qui s’achève par le triomphe de la conclusion de Baro ; et, enfin, la troisième où furent publiées les éditions intégrales susmentionnées. Puisqu’Urfé n’a possédé la mainmise sur son œuvre que durant la première période, c’est dans cette dernière que les éditeurs scientifiques ont sélectionné le texte de la première partie de L’Astrée présentée dans ce nouveau volume. L’édition remaniée par Urfé en 1612 fut choisie non seulement en raison de ses qualités philologiques mais également parce que les modifications peu soignées apportées au texte après 1618 peuvent apparaître comme des manœuvres « commerciales » d’un auteur « sans véritable autorité littéraire » (p 99). L’argumentation est implacable et le choix judicieux.
La nouvelle édition de L’Astrée
11Établie sur l’édition de 1612 parue chez Toussaint du Bray, la nouvelle édition de la première partie de L’Astrée est aussi remarquable que l’introduction le laissait présager. Les principes d’édition veillent à modifier le moins possible le texte source : respect des graphies, de la ponctuation, de la disposition du texte et du marquage des passages sentencieux présents dans les éditions anciennes. Dès les premières pages, le lecteur qui connaît l’édition d’Hugues Vaganay peut témoigner de la distance parcourue depuis bientôt un siècle dans le monde de l’édition universitaire. En effet, l’ancien éditeur modifiait à peu près tout ce que la nouvelle équipe a eu à cœur de maintenir : ponctuation, orthographe, disposition du texte. Nous reproduisons en guise de comparaison un même passage dans l’une et l’autre éditions. Les textes sources sont certes différents, mais notre but est de souligner le respect de la récente publication envers les pratiques littéraires et éditoriales de l’époque d’Urfé.
Éd. Vaganay, p. 12. Quel devint alors ce fidelle berger ? celuy qui a bien aimé le peut juger, si jamais tel reproche luy a este faict injustement. Il tombe à ses genoux pasle et transi, plus que n’est pas une personne morte : Est-ce, belle bergere, luy dit-il, pour m’esprouver, ou pour me desesperer ? — Ce n’est, dit-elle, ni pour l’un, ni pour l’autre, mais pour la verité, n’estant plus de besoin d’essayer une chose si recogneue. — Ah ! dit le berger, pourquoy n’ay je osté ce jour malheureux de ma vie ?
Éd. Denis, p. 124. Quel devint alors ce fidelle Berger, celuy qui a bien aimé le peut juger, si jamais telle reproche luy a esté faite injustement : Il tombe à ses genoux pasle & transi, plus que n’est pas une personne morte. Est-ce, belle Bergere, luy dit-il, pour m’esprouver, ou pour me desesperer ? Ce n’est, dit-elle, ny pour l’un ny pour l’autre : mais pour la verité, n’estant plus de besoin d’essayer une chose si recogneuë. Ah ! dit le Berger, pourquoy n’ay-je osté ce jour mal-heureux de ma vie ?
12La version de Vaganay sonne faussement actuelle au regard de l’authenticité de la nouvelle édition. Le but des nouveaux éditeurs n’est pas seulement de donner à lire L’Astrée mais de permettre « des enquêtes sur l’état de langue du roman » (p. 101). Les préoccupations philologiques à l’œuvre sont aussi rigoureuses qu’étaient soignées les conclusions historiques de l’introduction. Il en résulte un établissement irréprochable du texte. Toute modification dans le récit est indiquée par des crochets. Dans l’exemple qui suit, une note de bas de page vient mentionner la portion de texte modifiée et justifie également la nouvelle leçon par une comparaison avec les autres éditions de l’époque.
Et voyons la, Belle [Bergere]47, dit Amidor, si ce ne vous est peine, comme vous vous démesleriez d'une telle entreprise ? (p. 386)
47 L’édition de 1607 porte : « Et voyons dit Amidor, se ce ne vous est peine, comme belle Bergere, vous vous démesleriez… ». En 1610 (f. 178v°) : « Et voyons la belle, dit Amidor, si ce ne vous est peine ». Cette dernière leçon, très certainement corrompue, est reprise en 1612, aggravée par une ponctuation fautive (« Et voyons la, Belle, dit Amidor… »). On peut donc penser qu’en 1610, la correction souhaitée était : Et voyons là, belle Bergère… Telle est la leçon ici adoptée.
13L’exemple rend compte du travail minutieux d’enquête réalisé mot à mot.
14L’apparat critique fourni par les notes de bas de page est une mine d’informations qui équivaudrait, à elle seule, plusieurs publications à part entière. Ces notes explicitent, entre autres, le vocabulaire difficultueux et l’onomastique ; elles renvoient le lecteur vers d’autres épisodes passés ou à venir du roman ; elles élucident les références mythologiques, historiques, géographiques et littéraires qui pourraient obscurcir le texte ; elles exhument les sources d’inspirations d’Honoré d’Urfé ; et, enfin, elles s’attachent, nous l’avons vu, à exposer certaines leçons fautives ou particularités de l’édition présentée (notamment en ce qui concerne les graphies). La force de l’équipe réside dans la complémentarité des spécialistes qui la composent et qui apportent chacun leurs connaissances à l’explication du texte. Le résultat est que peu de questions demeurent sans réponse à la lecture de L’Astrée. L’œuvre ancienne devient accessible par les explications fournies tout en se révélant riche des intertextes mentionnés. Par exemple, lorsque apparaît la fontaine de la Vérité d’amour dans le roman, l’annotateur explique aussi bien la fonction de celle-ci dans l’univers astréen que ses antécédents littéraires :
Miroir qui ne reflète pas les apparences mais révèle la vérité des cœurs, cette fontaine enchantée remplit une fonction analogue au rôle probatoire que joue « l’arc des loyaux amants » placé à l’entrée du palais d’Apolidon dans Amadis de Gaule, qu’Urfé évoque d’ailleurs dans son épître à Céladon en tête de la deuxième partie de L’Astrée : seuls les « loyaux amants » pourront le franchir, et ils y découvriront alors « leurs noms escriptz en ce jaspe et ne sçauront qui les y a gravez » (Le Second Livre de Amadis de Gaule, trad. N. Herberay des Essarts, Paris, J. Longis, 1541, f. 2v°). La fonction de « miroir du cœur » constitue aussi la fontaine d’amour en une allégorie du désir tel qu’il est défini par Maurice Scève dans les premiers vers du dizain XLVI de la Delie […]. Cette signification allégorique s’inspire des spéculations de Ficin sur l’amour réciproque […]. Voir É. Henein, La Fontaine de la vérité d’amour ou les promesses de bonheur dans l’Astrée d’Honoré d’Urfé, Paris, Klincksieck, 1999. (p. 160-161)
15Toujours érudites mais jamais obscures ou vaines, les explications de texte sont rigoureusement établies et couvrent l’ensemble des difficultés qui peuvent se présenter au fil de l’œuvre.
16Lorsqu’il aura achevé le présent volume, le lecteur pourra se rapporter au site internet Le Règne d’Astrée qui accompagne la présente édition10. Il y trouvera, outre la version de 1612, le texte de la première partie de L’Astrée paru en 1607 ainsi que celui de la deuxième partie du roman dans les éditions de 1610 et de 1614. Notons que cette dernière version de 1614 sera à la base de la future édition critique de la deuxième partie. Les textes répondent en tous points aux principes d’édition de la version « papier » et constituent donc une source fiable pour le chercheur s’intéressant à L’Astrée. De plus, on trouvera également sur ce site quelques adaptations du roman datant des xviie et xviiie siècles, une bibliographie critique régulièrement mise à jour ainsi que la version électronique des gravures de l’édition de 1644 qui ont été insérées en tête de chaque chapitre de la nouvelle édition.
17Grâce à Delphine Denis et à son équipe, L’Astrée semble plus accessible que jamais. La mission qu’ils se sont fixée est accomplie : le roman d’Honoré d’Urfé est enfin diffusé dans une édition irréprochable et le lecteur pourra y trouver toutes les clés afin d’accéder au sens du texte sans négliger la distance historique et culturelle qui l’en sépare. Les quatre autres volumes que comporte le roman restent à paraître mais, déjà, cette première partie de L’Astrée compte parmi les travaux les plus aboutis de l’édition scientifique.