Identité et citoyenneté : la voie romaine ?
1Ce livre est le fruit d’un agacement : celui éprouvé par l’auteur face à la réactivation ces dernières années, en France, du concept d’identité nationale. Pour Florence Dupont, il n’est pas besoin d’identité nationale. Des sociétés complexes surent et purent, par le passé, se construire, évoluer et durer sans y recourir. Le propos vise donc à déconstruire cette notion à partir de l’idée romaine de citoyenneté et de l’Énéide de Virgile, souvent qualifiée à tort de « poème national » romain. Car la citoyenneté romaine, à l’inverse de celle de la plupart des pays européens actuels, serait vide de toute définition identitaire ou ethnique. Être citoyen romain c’était venir d’ailleurs et le cas romain est ici appelé à servir de contre-exemple.
2Découpé en six chapitres, le propos se fonde en réalité sur deux dimensions principales, bien distinctes. Dans un premier temps, l’auteur réfléchit sur la spécificité de l’identité romaine à partir de la notion d’origo, empruntée à Yan Thomas, laquelle démontrerait l’ouverture de la cité romaine. Les chapitres un à trois entendent ainsi revenir sur des problématiques proprement historiques ayant trait à la définition de la citoyenneté dans le monde romain. Dans un second temps, les chapitres quatre à six interrogent l’Énéide comme poème de l’origo, comme le texte qui incarnerait dans sa trame même la spécificité des conceptions romaines sur ce sujet. Enquête à deux dimensions donc : sur le droit romain et sur un texte littéraire pour écrire une anthropologie de l’imaginaire romain de la citoyenneté (p. 18). Si l’idée n’est pas inintéressante, sa mise en œuvre soulève un certain nombre de problèmes et de questions.
Citoyenneté et origo : l’originalité de Rome
3Quel meilleur point de départ pour comprendre le rapport romain à l’autre et à l’identité que la légende de la fondation, telle qu’elle fut canoniquement fixée à la fin du ier siècle avant J.‑C., au moment de la crise de la République romaine et du passage à l’Empire ? La plus célèbre version de cette fable fut en effet le fruit d’une élaboration sur le temps long de l’histoire et n’était que l’une de celles existantes. Fl. Dupont rappelle à juste titre qu’il s’agit d’une construction mythographique dont des versions divergentes coexistèrent (les p. 26-32 rapportent certaines des variantes de cette légende). Elles ne prirent une forme unifiée que dans un contexte idéologique particulier : celui de la fin de la République et de l’avènement du principat augustéen (p. 26). On regrettera ici que l’auteur ne souffle mot de ce contexte, laissant ainsi démuni le lecteur moins informé. C’est d’autant plus dommageable que nombre de travaux récents ont affiné notre connaissance de l’idéologie du principat augustéen et qu’une bonne part du propos de Fl. Dupont ne prend en réalité sens que rapportée à ce contexte1.
4Fl. Dupont relève ensuite que se doter de récits de fondation, c’est se doter d’un élément nécessaire de la panoplie qui fait d’une simple implantation humaine une cité (p. 34). Le récit de fondation était une pratique discursive interne à l’hellénisme qui permettait à une collectivité de s’y affirmer comme polis. Il est incontestable que, ce faisant, Rome s’inscrivait dans un contexte culturel plus ample et Fl. Dupont réutilise ici une thèse récente de Michel Humm qui, à propos de Rome, propose de parler d’hellénisme « organique ». Contrairement aux idées encore parfois répandues d’une progressive hellénisation de Rome, particulièrement à partir de la deuxième guerre punique, cet historien a montré combien l’Vrbs s’est continument développée au contact de la sphère culturelle grecque. En revanche, Rome créa plus tardivement une altérité romaine fondée sur l’invention concomitante de la Graecia (p. 48‑49). L’identité romaine se serait ainsi construite tardivement en s’opposant à une identité grecque réinventée par Rome2. Sur cette base, Fl. Dupont rappelle la thèse paradoxale développée par l’historien grec Denys d’Halicarnasse — encore d’époque augustéenne ! — qui cherchait à démontrer l’origine grecque des Romains. Pour elle, l’intérêt de Denys tient moins à cette thèse iconoclaste qu’à ce qu’il isole d’original dans la civilisation romaine : la façon dont elle eut tendance à accorder très facilement sa citoyenneté (p. 46).
5Si nous ne pouvons qu’assentir aux thèses exposées, plusieurs points n’en demeurent pas moins problématiques. Le premier est une tendance à la polémique inutile, en particulier avec les archéologues. Fl. Dupont critique en effet, à plusieurs reprises, ceux qui s’acharnent à lire un fond de vérité dans les légendes de fondation de Rome, notamment les historiens et les archéologues (p. 18‑20, p. 24‑25 ou encore p. 92). Les personnes visées sont en particulier l’archéologue italien A. Carandini, son principal passeur en France A. Grandazzi et, au travers d’eux, leurs interprétations des fouilles conduites ces dernières décennies sur le Palatin, à Rome, qui ont mis au jour une muraille particulièrement ancienne et ce qui est présenté comme la grotte des Lupercales. Exploitant habilement l’impact médiatique de ces travaux3, ils se sont acquis une posture hégémonique sur ce champ de recherche. Toutefois, en se contentant de dénoncer, à juste titre, le caractère souvent fallacieux de cette approche, Fl. Dupont laisse accroire qu’elle est la seule existante, ce qui est faux : les fouilles archéologiques en cours à Rome et leurs interprétations font l’objet d’âpres discussions qui ne méritent pas cette caricature4. Ce faisant, elle laisse de côté un ensemble considérable de travaux qui apporteraient des éléments pertinents à son propos, en particulier le fort courant d’étude sur la mobilité des personnes et la constitution des peuples italiques. À ce titre et sans avoir besoin d’interpréter la tradition de l’asylum romuléen comme la trace métaphorique et symbolique d’une réalité archaïque, la Rome des premiers temps y apparaît effectivement comme une société ouverte, ce qui pouvait fournir des pistes d’explications quant à la façon dont l’octroi de la citoyenneté et la notion d’identité s’y développèrent par la suite5. Il y avait là, à tout le moins, d’intéressants contrepoints qui valaient mieux que les quelques lignes qui y sont consacrées.
6Son point de vue sur Rome et l’hellénisme soulève d’autres difficultés. Affirmer que Rome, depuis qu’elle naquit et crût sur les bords du Tibre, baigna dans une koiné hellénique méditerranéenne est une chose ; en tirer la conclusion qu’il s’agissait d’une cité grecque en est une autre (p. 47). L’influence grecque se fit sur un substrat italique bien réel, même s’il ne saurait être conceptualisé en terme d’identité ethnique ou nationale6. Ces aspects sont aujourd’hui de mieux en mieux connus et il aurait été utile de comparer ce que, indépendamment des récits mythologiques, la recherche archéologique et historique a montré et qui va dans le sens de l’origine mêlée de la population romaine. Cet oubli affaiblit un propos qui se cantonne à un plan épistémologique unique.
7Les chapitres deux et trois approfondissent ce sillon fondateur en revenant sur la notion d’origo. Fl. Dupont y synthétise des propositions de Yan Thomas — juriste et anthropologue du droit disparu récemment —, et notamment celles d’un ouvrage paru en 19957. Comprendre le propos de Fl. Dupont suppose de rappeler brièvement celui de Thomas, lequel s’attachait à l’appartenance administrative et citoyenne des Romains. Dans ce livre, Thomas établit une distinction entre le domicilium (lieu de résidence) et l’origo (lieu d’origine, citoyenneté d’origine indépendante du lieu de résidence). Son but est de montrer l’utilisation rationnelle de cette origo comme point d’ancrage des hommes et critère de citoyenneté : il s’agit de souligner que le citoyen romain se caractérise à la fois par sa citoyenneté romaine et par la citoyenneté de son origo et qu’elle mêle ainsi une logique de filiation (l’origo transmise par le père, qui repose en partie sur un lien généalogique) à une logique territoriale devenue fictive (on n’a pas forcément à habiter sur son lieu d’origo) mais qui perdure. Seul le pouvoir central pouvait modifier l’origo. L’ensemble du système ne fut jamais théorisé et, si on le repère, comme bien souvent à Rome, c’est principalement au travers des rites et des cultes publics.
8Fl. Dupont se trouve en parfait accord avec cette idée et en veut pour preuve, comme Thomas, le rituel de début d’année qui rend hommage aux pénates de Rome à Lavinium, ville prétendument fondée par Énée. Les Romains s’y rendaient pour sacrifier aux pénates de leur « père ». Derrière cette localisation curieuse (les pénates de Rome ne sont pas à Rome), ce rituel signifierait le rapport origo/citoyenneté romaine (p. 60‑61). Elle y ajoute que cette extériorité des pénates par rapport à Rome même est aussi ce qui ouvre Rome sur elle‑même et qui la différencie des cités grecques. Dans la continuité de ce propos, elle revient sur les féries latines : fêtes sacrées de la ligue latine que Rome s’appropria. Un romain représentait Lavinium lors de ces cérémonies. Puis, dix jours plus tard, il était procédé au renouvellement du traité qui unissait Rome à Lavinium. Or, Lavinium était une cité fictive recréée le temps du rite. Reprenant là aussi l’idée de Thomas, Fl. Dupont constate que Lavinium est présente à deux moments rituels sous deux formes différentes : comme cité romaine où se trouvaient les pénates du peuple romain dans un cas, comme cité autonome et indépendante dans l’autre (p. 71), manifestant ainsi le système romain qui combine origo et commune patrie (la ciuitas romana). Albe et Lavinium étaient donc des fictions juridiques, « la représentation fictive des deux altérités incluses qui constituent la ciuitas romaine » (p. 78). Ces fictions prennent aussi place sur l’autel de la paix (ara pacis) érigé par Auguste. Fl. Dupont y ajoute une analyse du nomen latinum et du droit latin comme étape vers la conceptualisation de l’origo. S’il est chronologiquement exact que l’utilisation du droit latin précéda celle de l’origo, c’est conceptuellement plus discutable, même si le droit latin servit longtemps, sous la République, d’« antichambre de la ciuitas Romana8 ».
9Or, ces rites et ces cultes furent précisément remis en vigueur par Auguste, celui‑là même qui commanda à Virgile la rédaction de l’Énéide. De la sorte, si la démonstration emporte l’adhésion, un nouveau non‑dit du texte apparaît ici : l’espace chronologique dans lequel se situe Fl. Dupont. Sur le temps long de l’histoire romaine, la mise sur pied de ce système fut très tardive : le ier siècle avant J.‑C. et la fin de la République. Avant la guerre sociale (91‑88 avant J.‑C.), la concession de la citoyenneté romaine obéit à des temporalités et à des modalités bien différentes. Plus encore, l’ouverture romaine demeurait somme toute relative car, pour prendre un exemple, le cas de la citoyenneté sans suffrage ne saurait que fort difficilement entrer dans les cadres conceptuels ici exposés. Elle servit pourtant durant près de deux siècles aux Romains dans leur entreprise de domination de l’Italie centrale9. Les analyses de Fl. Dupont s’accordent plus à la situation de la fin de la République et de l’Empire lorsque toute l’Italie, suite à la guerre sociale, acquit la citoyenneté avant que, bien plus tard, en 212, l’édit de Caracalla, ne l’étendît à tous les hommes libres. Elle s’inscrit donc dans un arc chronologique qui apparaissait explicitement dans le titre du livre de Thomas ! Or, ces questions temporelles ne sont jamais évoquées, alors qu’elles ne sont pas de pures formes : elles trahissent des évolutions dont l’auteur ne dit rien. Certes, il s’agit ici d’un essai et non d’un livre d’histoire à proprement parler, mais le lecteur mal informé pourrait alors se faire de fausses idées.
L’Énéide et l’identité romaine
10Le passage à l’analyse de l’Énéide se comprend eu égard aux développements précédents et Fl. Dupont se retrouve ici sur un terrain qu’elle domine particulièrement bien. Là aussi, elle rappelle qu’il faut se débarrasser de certaines préconceptions. Contrairement aux apparences et aux idées reçues, l’Énéide n’est pas une épopée décalquée du grec, ce « poème national » qu’on lit le plus souvent en elle. C’est du faux Homère (p. 94). Certes, Virgile s’inspire d’Homère (p. 94‑98), mais tous les épisodes homériques sont détournés de leur sens. Virgile fait un remake (p. 103‑104, avec la notion de patchwork) qui dévoile le destinataire réel du texte (p. 107 et p. 108‑109 sur le contrat de lecture de ce texte hybride). De la sorte, l’Énéide apparaît comme un texte mêlant trois temporalités différentes que la lecture par un Romain de l’époque d’Auguste reliait entre eux : l’époque de l’odyssée d’Énée ; l’époque augustéenne et un archaïsme romain entièrement factice que Fl. Dupont nomme l’« archasie ».
11Elle étudie aussi la façon dont Virgile reprend et transforme les généalogies mythiques présentes chez Homère pour en faire des généalogies « descendantes », à valeur étymologique qui expliquent le nom des grandes familles aristocratiques romaines. Ce catalogue énumère des origines car il ne s’accompagne pas d’une succession généalogique. Le lien avec l’ancêtre n’est plus généalogique mais étymologique, ce qui induit une temporalité absente, nouveau détournement du substrat homérique. Or, il ne semble pas que cette association s’accompagne de la transmission supposée d’un élément identitaire quelconque (p. 119-120). On se retrouve ainsi au cœur de la fabrique de l’origo familiale et le rapport au temps qui s’instaure ici s’illustre par le fait que les Romains placent systématiquement leur origo dans un temps d’avant définitivement inaccessible (p. 124). Cette idée empruntée aux travaux de M. Bretin‑Chabrol se retrouve même dans le cas d’Énée et de sa descendance mixte. Seul Latinus fait exception (p. 131-132)10.
12L’analyse s’achève par un sixième chapitre consacré à Énée. L’histoire de ce personnage peut se prévaloir de traditions grecques puisqu’on le voit survivre dès l’Iliade et qu’il était revendiqué comme héros fondateur par nombre de cités. Virgile dut donc arracher Énée à l’épopée homérique, ce qui se manifeste au fait que le poème commence lors de son arrivée à Carthage : l’avant est raconté par le héros lui‑même lors d’un banquet (technique reprise de l’Odyssée). Ce discours fournit l’occasion d’insérer une mini Iliade dans le récit et c’est là que se situe la brisure avec Homère (p. 136). Le récit des événements antérieurs permet de les congédier et de congédier l’épopée traditionnelle par l’introduction d’un certain nombre de variantes : Énée quitte Troie de façon originale, sur l’ordre de Vénus (p. 139) et part chercher un lieu où fonder une nouvelle Troie. Fl. Dupont rappelle les différents échecs de fondation. Dans une de ces dernières tentatives, les Troyens se séparent des femmes qui les accompagnaient, ce qui condamne le groupe restreint restant au mélange avec des populations locales (p. 144‑145). En Italie, il devient un étranger et est perçu comme tel. Le texte virgilien construit ainsi l’extériorité des Troyens et leur étrangeté (p. 148 et suivantes) tout en les situant dans cette archaïsme romain réinventé : l’« archasie » (p. 150). Dans le même temps, avec l’histoire de Dardanos11, il peut aussi présenter l’arrivée d’Énée comme un retour. Énée apparaît alors comme une figure ambiguë, à la fois italienne et étrangère (p. 154‑156), manifestant à nouveau cette double appartenance constitutive de Rome.
13Autrement dit, Virgile invente un temps particulier, un peuple (les Latins pour accueillir les Troyens sur place) et met en scène la double dimension du héros troyen. Toutefois, le peuple issu du mélange des Troyens et des Latins demeura Latin. En terme moderne, il y a bien une forme de métissage mais non cohérente et l’Énéide joue le rôle de symbole de la double patrie, qui vient expliciter la pratique romaine mise au jour dans les premiers chapitres. De ce point de vue l’extériorité n’est pas porteuse d’une altérité radicale. Par là, Fl. Dupont cherche à mettre en avant l’intérêt d’une conception romaine non culturaliste. Elle se positionne alors implicitement du côté des partisans d’une romanisation en douceur, non forcée, qui se serait faite par le bas (p. 171)12. Ses analyses impliquent une Selbsdarstellung romaine qui suppose toujours une part d’ailleurs mais qui ne fut cependant jamais théorisée à Rome où l’origo demeura un réseau de pratiques (p. 174).
Identité, citoyenneté et histoire : les angles morts d’un essai
14De façon générale, l’ambition de l’auteur de montrer que d’autres modèles sont possibles est atteinte, même si plusieurs points demeurent équivoques. Tout d’abord, alors même qu’elle entend déconstruire la notion d’identité nationale par le recours à la comparaison avec la citoyenneté antique, au moment où elle achève de présenter le cas romain, la comparaison et la critique de la situation contemporaine n’apparaissent pas. Il est dommage que Fl. Dupont n’engage pas cette discussion car, en s’en tenant au cas romain, il serait possible d’objecter que se présenter comme métissé est une forme d’identité. En outre, comme Fl. Dupont le reconnaît elle‑même, elle ne fait à aucun moment l’histoire de la notion d’origo (p. 174‑175). Or, cela fige son propos dans une atemporalité qui ne correspond en rien à une réalité historique évolutive. De façon plus problématique, elle fonde la spécificité romaine sur la notion d’origo mais aussi sur son exceptionnalisme supposé en matière de collation du droit de cité. Elle pose d’emblée l’intérêt du cas romain par rapport à celui des Grecs du fait de l’ouverture de la cité romaine (p. 10-13). Ce faisant, Fl. Dupont reproduit et perpétue un topos antique qui méritait à tout le moins d’être interrogé. Denys d’Halicarnasse fut en effet loin d’être le seul à le mettre en avant : des lettres du roi Philippe V de Macédoine adressées à la cité de Larissa, datables d’environ 215 avant J.-C., évoquent la facilité avec laquelle les Romains donnaient leur citoyenneté, même aux esclaves13. Cette opposition à valeur axiologique pose cependant deux problèmes.
15Le premier, d’ordre épistémologique tient au fait qu’à aucun moment n’est précisé le lien qui unit citoyenneté et identité, alors même que ce lien ne va pas forcément de soi. Le second, d’ordre historique, concerne la pertinence de cette opposition canonique entre générosité romaine et avarice grecque en la matière14. Cet antagonisme présumé repose sur une méconnaissance des différences entre ces deux types de citoyenneté. Le comprendre implique toutefois précisément de réinsérer les analyses de Fl. Dupont dans une temporalité qui a son sens. Nous l’avons dit, la conception de la citoyenneté mêlant origo et ciuitas romana prit forme sans doute à la fin de la République, c’est-à-dire à un moment où le contenu même de cette citoyenneté évolua. Les premières collations massives de la citoyenneté aux alliés de Rome eurent lieu après la guerre sociale, par une série de lois15. Toutefois, avant le recensement de 70 avant J.‑C., les nouveaux citoyens, non recensés, ne purent voter. À partir des années 70 avant J.‑C., la crise de la République s’accéléra pour céder la place, à partir de 31 avant J.‑C. au régime impérial : le principat. Pour autant, dès avant la guerre sociale, du fait d’un système de vote propre à Rome, le rôle effectif des comices électoraux et judiciaires était fortement encadré : la République ne fut jamais démocratique16. Avec le passage au principat, cet effacement politique du peuple s’accentua par la ritualisation puis par la disparition progressive de ces comices17.
16Le système vanté par Fl. Dupont prit donc place au moment où le contenu politique de la citoyenneté romaine s’étiola puis disparut, phénomène qui n’a pas son pendant dans la cité grecque classique. Opposer de façon frontale ces deux systèmes ne peut donc se faire qu’au prix de l’évacuation radicale du problème du contenu empirique de la citoyenneté. Or, ce n’est pas la même chose de conférer à des populations entières une citoyenneté sans conséquences politiques fortes et une qui donne accès à la décision populaire.
17Le projet initial est donc salutaire tant il est vrai que les débats actuels sur l’identité nationale prennent souvent un tour particulièrement rance. Il aurait sans doute dû faire un pas de plus pour questionner en profondeur les notions d’identités et de citoyenneté. À ce titre, intégrer la Grèce à la réflexion eut été des plus pertinent puisque citoyenneté et droits politiques y sont plus intimement mêlés, ce qui est le cas des démocraties européennes aujourd’hui18.