Le travail des remarqueurs sur la langue française : lumières sur un genre incontournable
1Présenté dès son quatrième de couverture comme « la première monographie » consacrée au « genre » des remarques et observations sur la langue française, cet ouvrage ne manquera certainement pas de s’inscrire dans la liste des études incontournables portant sur cette question. Avec un souci constant de la pédagogie, l’étude proposée ici par Wendy Ayres-Bennett et Magali Seijido offre en effet aux historiens de la langue, aux linguistes et aux étudiants, un accès précieux non seulement à des textes, à des auteurs mais aussi à tout un pan de l’histoire des analyses linguistiques livrées sur la langue française.
Un ouvrage en adéquation avec son temps
2D’un point de vue purement formel, plusieurs initiatives intéressantes méritent d’être saluées au sein de cet ouvrage. Celles‑ci font en effet de ce répertoire à la fois un véritable outil de référence pour cerner le genre des Remarques et un objet scientifique en adéquation parfaite avec les méthodologies modernes de recherche en Linguistique.
3La structure retenue par les auteures nous interpelle tout d’abord. Composée de 6 chapitres, cette monographie semble bâtie toute entière autour du chapitre III, véritable « cœur » de la réflexion, à la périphérie duquel gravitent d’autres chapitres moins conséquents. Un examen strictement comptable confirme notre propos dans la mesure où le chapitre central totalise pas moins de 131 pages alors que les deux chapitres qui le précèdent n’en comptent respectivement que 53 et 35. Les chapitres IV, V et VI — ce dernier n’étant en fait que la conclusion — ne sont quant à eux respectivement constitués que de 20, 17 et 10 pages.
4Sobrement, peut‑être trop sobrement d’ailleurs, le chapitre I est intitulé « Introduction ». Ce dernier constitue en fait bien plus qu’une traditionnelle introduction dans la mesure où il explicite à la fois la méthodologie de constitution et d’exploitation du corpus d’étude et qu’il fournit une cartographie synthétique du genre même des Remarques.
5À l’image de la situation que nous connaissons depuis une grosse décennie maintenant en ce qui concerne le corpus informatisé des dictionnaires anciens, le travail proposé par les deux auteures s’appuie sur l’existence d’une ressource désormais incontournable pour les chercheurs : le corpus électronique des Remarqueurs publié chez Classiques Garnier Numérique. En combinant le recours à la base de données intitulée Corpus des remarques sur la langue française (xviie siècle) et l’utilisation d’un corpus de textes et commentaires critiques, les auteures ont pu livrer ici une analyse qui — en admettant qu’elle soit réalisable autrement — aurait certainement pris des années par le biais d’un dépouillement exclusivement manuel.
6Associé aux quatre appendices proposés en fin d’ouvrage, le chapitre I brosse une synthèse vers laquelle de futures études pourront légitimement se tourner. Les appendices II, III et IV, présentant successivement les « auteurs cités par les Remarqueurs », la « liste des langues étrangères citées » et la « liste des dialectes et des variétés régionales du français citées », se présentent à ce titre comme de ressources précieuses1.
Des repères bien utiles
7La première de ces listes permet de mesurer l’ « horizon de rétrospection » des Remarqueurs et donc de mieux mettre en évidence le fait que ces derniers s’inscrivent au sein d’une véritable tradition grammaticale qui s’appuie — comme d’autres auparavant — sur des écrits et des auteurs antérieurs. Le chapitre V, intitulé « Évolution et développements du genre à partir du xviiie siècle » boucle en quelque sorte cet horizon en examinant « quelques prolongements et échos du genre des remarques sur la langue française du xviiie siècle jusqu’à nos jours ». Même si les avis des spécialistes restent partagés à propos de la vitalité des chroniques de langue qui se sont multipliées en France depuis le xxe siècle, il semblerait bien que celles-ci soient une forme de continuité des remarques. Dans cette perspective, aux noms des Remarqueurs modernes cités par W. Ayres-Bennett et M. Seijido, nous rajouterions bien volontiers ceux de Bernard Cerquiglini, de Jean Pruvost et d’Alain Rey, tous trois auteurs modernes de chroniques à succès.
8La liste des langues étrangères citées par les Remarqueurs constitue un outil linguistique de premier intérêt qui permet de mesurer l’importance d’autres modèles linguistiques dans la description du français. Outre la place prépondérante et logique du latin et du grec, nous pouvons, chiffres à l’appui, constater ainsi la prise en compte de langues romanes comme l’italien et l’espagnol tout en relevant en même temps l’influence plus limitée de langues germaniques comme l’anglais ou l’allemand. Les auteures de l’étude nuancent toutefois ces chiffres en montrant les divergences très fortes pouvant exister entre les Remarqueurs.
9La liste des dialectes et variétés régionales du français citées est elle aussi particulièrement instructive. Elle permet notamment de se rendre compte que chez les Remarqueurs l’évocation des langues régionales est loin d’être insignifiante. Plusieurs langues comme le « gascon », l’« angevin », le « français de la Loire », le « normand », le « français du Midi », le « picard/belge » ou encore le « bourguigon », sont notamment citées à de nombreuses reprises. Quelle que soit la nature du discours véhiculé sur ces langues, il ne fait nul doute que ce genre de données statistiques intéressera, ou devra intéresser, les sociolinguistes.
10Ces deux dernières listes sont d’ailleurs à relier directement au chapitre IV de l’ouvrage, chapitre intitulé « exemples et citations : les sources métalinguistiques et littéraires des Remarqueurs ». Les auteures mettent là encore en évidence des disparités plus ou moins fortes entre Remarqueurs, voire entre groupes de Remarqueurs.
Une dimension sociolinguistique omniprésente
11Évoquée ci-dessus, la dimension sociolinguistique du travail des Remarqueurs est explicitement mise en valeur dans le deuxième chapitre de l’ouvrage, titré « bon usage et variation sociolinguistique ». Après avoir présenté le concept fondamental de « bon usage », les relations entre « usage » et « raison » ou encore les rapports entre « usage douteux » et « analogie », W. Ayres-Bennett et M. Seijido s’attellent à la présentation de la place qu’occupe la « variation sociolinguistique » dans les remarques.
12Toutes deux présentes chez chacun des Remarqueurs, les dimensions « prescriptive » et « sociolinguistique » semblent aller de pair dans cette tradition grammaticale, bousculant ainsi les idées préconçues sur un genre perçu avant tout comme normatif. À cette occasion, les auteures montrent une nouvelle fois l’absence d’une véritable homogénéité au sein de ce groupe d’auteurs, où certains sont davantage prescriptifs et d’autres davantage ouverts à la variation. En tant que porte‑parole de l’Académie Française, Tallemant apparaît ainsi comme plus prescriptif qu’un Andry de Boisregard.
Le cœur de l’ouvrage
13Le Chapitre III, épicentre de cette étude, est construit autour d’un découpage thématique isolant successivement les parties « prononciation et orthographe », « morphologie », « syntaxe », « lexique » et enfin « style ». Avec en filigrane toujours le même souci pédagogique, chacune de ces parties — le plus souvent agrémentées de tableaux bien utiles — s’achève par une conclusion qui dresse une synthèse des informations les plus saillantes.
14Alors que la contribution des Remarqueurs sur les questions d’orthographe est présentée comme « assez négligeable », l’étude du traitement des aspects phonétiques permet en revanche de mettre en évidence chez ces derniers l’existence d’un discours non seulement exclusivement synchronique — hormis chez Ménage — mais le plus souvent assez peu cohérent, teinté d’arbitraire et où l’existence de variantes libres est gommée par des critères sociolinguistiques. Le recours au « jugement de l’oreille » — thématique réinvestie par des analyses linguistiques récentes —, permettant de trancher entre la « douceur » d’une prononciation et la « rudesse » d’une autre, illustre toute la subjectivité de ces grammairiens à propos des critères phoniques de la langue.
15La question de la morphologie, tant lexicale que verbale, est l’occasion pour les Remarqueurs de commenter surtout les « zones de variation et d’évolution » de la langue. Même si une homogénéité semble là aussi impossible à dégager entre les différents acteurs, notamment trop embarrassés par les exceptions pour pouvoir ébaucher des règles simples, les réflexions livrées par ces derniers concourent à l’élaboration de notre norme et de nos usages actuels.
16Confirmant l’intérêt croissant des grammairiens français, à partir du xviie siècle, pour cette dimension métalinguistique, la partie du chapitre III consacrée à la syntaxe est de loin la plus conséquente. De l’aveu même des deux auteures — qui confirment ainsi les propos de la communauté scientifique —, la contribution des Remarqueurs à la description des adverbes, des prépositions, des conjonctions ou enfin de l’auxiliation, reste relativement pauvre. Sur ces points précis, ces derniers ne font en effet qu’« examiner les particularités de l’usage ».
17Leur véritable originalité, ou tout au moins leurs contributions scientifiques les plus significatives, portent sur la description des relatifs, sur la coordination et enfin sur l’accord et l’ordre des mots. Concernant ces différents points, à travers l’énonciation de règles générales, les Remarqueurs auront ainsi marqué de leur empreinte l’histoire des descriptions syntaxiques.
18Sur la question du lexique, jugée par les auteures comme la plus discutée par les Remarqueurs, — en particulier à travers le traitement avant‑gardiste qu’ils proposent de la synonymie — cette monographie met une fois encore en évidence l’absence d’homogénéité théorique au sein de cette tradition grammaticale. Elle permet également de faire tomber le préjugé selon lequel le purisme des Remarqueurs les rendraient nécessairement hostiles à la néologie. Il n’en est en fait rien, pourvu que les néologismes « soient jugés nécessaires et bien formés ».
19En conclusion de cette section de leur travail, les deux auteures nous rappellent que loin d’avoir constitué un écueil, la pluralité des approches théoriques livrées par les Remarqueurs sur le lexique a servi de terreau fertile pour l’émergence des premiers dictionnaires monolingues de langue française et pour les premiers dictionnaires de synonymes.
20Le dernier point de ce troisième Chapitre est celui consacré au « style ». Relativement peu représentées dans les remarques, les questions consacrées à ce sujet semblent avoir été tracées dans leurs grandes lignes par Vaugelas en 1647.
Un ouvrage de référence
21Grâce à ce travail de synthèse remarquable, Wendy Ayres-Bennett et Magali Seijido contribuent incontestablement à mieux faire connaître le travail des Remarqueurs sur la langue.
22Jusqu’alors considérées à tort comme les théories de savants prescriptifs et puristes, les réflexions livrées par les acteurs de ce « genre métalinguistique » typiquement français se caractérisent par un travail à la fois « cumulatif » et « polyphonique ». En montrant les continuités et les discontinuités entre les analyses de ces différents grammairiens, cette monographie remplit sans aucun doute l’un de ses objectifs prioritaires. Elle rend ainsi l’hommage nécessaire à un genre qui au-delà de sa contribution à l’établissement de règles linguistiques modernes et de son rôle important dans la stabilisation de l’usage, est également — et le recours au « jugement de l’oreille » en est une bonne illustration — toujours resté ouvert à la variation.
23Corpus privilégié pour la datation des changements linguistiques et pour l’étude de la variation sociolinguistique au xviie siècle, le travail des Remarqueurs possède désormais à travers cet ouvrage un outil de valorisation supplémentaire.