L’imaginaire de la catastrophe dans les fictions écologiques
1La préservation de l’environnement est assurément l’une des préoccupations les plus importantes du monde contemporain. La chute du Mur de Berlin ayant fait disparaître le spectre d’une guerre nucléaire imminente, la terreur atomique a été supplantée par l’angoisse écologique. Cette dernière fait partie des motifs privilégiés de l’imaginaire de la fin, dont on « trouve l’écho dans les discours alarmistes de toutes sortes qui s’alimentent, au gré de l’actualité, de développements scientifiques inquiétants, de catastrophes médicales, écologiques et planétaires, d’impasses collectives, sociales et privées, d’une résurgence des sectes et des religions, de l’intégrisme et du terrorisme1 ». Selon Christian Chelebourg, la crainte de la catastrophe écologique façonne l’imaginaire collectif, au point où elle fait de nous les acteurs d’une aventure humaine qui donne sens à notre existence et dont l’enjeu n’est rien moins que le salut de la planète. Certes, le topos de l’humanité menacée n’est pas nouveau : il a déjà servi, particulièrement dans la seconde partie du xxe siècle, à fédérer les membres d’une communauté face à un même péril (les envahisseurs extraterrestres, par exemple). Toutefois, aujourd’hui, la porosité des discours fictionnels et scientifiques fait en sorte qu’en investissant les champs politique et scientifique, les productions hollywoodiennes et la littérature science‑fictionnelle, l’imaginaire de la catastrophe environnementale s’est doté d’une puissante caisse de résonance. C’est précisément pour rendre compte de cette confusion des « genres » que C. Chelebourg a forgé le concept d’« écofiction », qui désigne « les produits de ce nouveau régime de médiatisation des thèses environnementales. Leur champ ne se limite donc pas aux seules œuvres de fiction : il englobe l’ensemble des discours qui font appel à l’invention narrative pour diffuser un message écologique2. » (p. 11)
La revanche de Gaïa
2La culpabilisation est l’un des ressorts bien connus de la persuasion. Le premier chapitre de l’ouvrage de C. Chelebourg s’ouvre précisément sur le rappel de la déclaration d’un prélat du Vatican, chargé des questions de moralité, assimilant la pollution à un péché contre son prochain. Chacun est désormais responsable de tous et cette responsabilité incombe plus particulièrement aux femmes, puisqu’en en rejetant des résidus d’hormones contraceptives, elles contribuent activement à la pollution de l’eau. Selon cette logique métonymique, associé à ce qu’il rejette, chaque individu est imputable de ses fautes, qui affectent l’ensemble de la collectivité.
3Ce fléau représente une menace d’autant plus dangereuse qu’il ne peut être maîtrisé : une fois amorcé, le processus est promis à une croissance exponentielle. Cette idée se retrouve au cœur du dispositif fictionnel déployé dans une publicité de l’Agence française de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (avec la figure du détritos) comme dans le film Wall‑E (représentant un monde recouvert de déchets et d’ordures ménagères). Elle émane aussi implicitement des discours comparant la vaste étendue de rebuts dérivant dans le Pacifique (Pacific Trash Vortex) à un sixième continent. Dans tous les cas, la pollution est un phénomène qui « suscite un imaginaire de l’expansion, de l’invasion » (p. 22). Il suffit alors qu’elle devienne invisible pour revêtir sa forme la plus pernicieuse, ainsi que l’illustre Erin Brockovich, un filmde Soderbergh, inspiré de faits vécus, dans lequel l’héroïne éponyme se bat en faveur des familles condamnées à une mort lente par les rejets toxiques d’une usine. La pollution est alors assimilée à une forme de violence, de domination. À ce titre, on peut y voir la métaphore des rapports de classes dans une société capitaliste.
4Néanmoins, par une cruelle ironie du sort, la logique expansionniste de la pollution la conduit ultimement à se retourner contre celui‑là même qui l’a engendrée :
Ce n’est plus seulement la nature qui est souillée, les paysages qui sont gâchés : l’homme lui‑même est infecté. (p. 25)
5Ce constat a valeur de leçon. En devenant victime de ce qu’il a activement souillé, l’être humain se découvre soumis à un environnement qu’il a l’illusion de dominer. À cet égard, note C. Chelebourg, certaines écofictions ne se satisfont pas de rappeler à l’Homme l’humilité de sa condition. Elles mettent en scène son « humiliation » (p. 31), au motif que l’action de ce dernier est attentatoire à la Vie elle‑même. S’il peut sembler incongru de ne pas considérer l’être humain comme une entité à part entière de la biosphère, c’est parce que l’Homme lui‑même s’est coupé du lien organique qui le lie à la Terre Mère. Une telle idée, présentée par James Lovelock dans les années 1970 sous le nom d’« Hypothèse Gaïa », postule que l’ensemble des êtres vivant sur la Terre forme une sorte de macro‑organisme. C. Chelebourg rappelle que cette théorie puise essentiellement dans des sources philosophiques et mystiques. Il omet de dire qu’elle s’appuie également sur de nombreux travaux scientifiques (ce qui ne présume pas pour autant de sa validité) et qu’elle inspire des auteurs de science‑fiction comme Isaac Asimov3. Le succès des propositions de Lovelock s’explique en grande partie par le fait qu’elle réactualise le vieux mythe de la Mère Nourricière, célébrée depuis l’Antiquité et aujourd’hui encore dans différentes formes de paganisme et dans les « philosophies » new age.
6Sans doute faut‑il y voir l’une des raisons de la fascination exercée sur des millions de spectateurs par Avatar, la fable écologique de James Cameron. Toutefois, tandis que Lovelock relativise le degré de nocivité de l’activité humaine, Cameron met en scène l’opposition conflictuelle entre des humains aux prises avec une crise énergétique et les Na’Vi, créatures vivant en parfaite symbiose avec leur écosystème. D’un côté, une population d’individus ayant conservé un lien organique avec leur planète (l’exolune Pandora) ; de l’autre, des Terriens « qui ont tué leur Mère », selon les mots d’un des personnages du film (p. 30).
7Envisagée en ces termes, l’existence humaine est logiquement considérée comme nuisible à la survie de Gaïa. Il n’y a qu’un pas à franchir pour verser dans l’écologie radicale, intégriste et génocidaire :
La tentation est grande, pour certains, de répondre à cette brutalité imaginaire par une barbarie effective envers ses responsables réels ou supposés. Prendre le parti de Gaïa, c’est alors s’élever avec véhémence contre l’espèce humaine. (p. 32)
8C. Chelebourg pointe ainsi des dérives totalitaires, l’écocentrisme menant à des formes d’écofascisme. On aurait pu souhaiter que C. Chelebourg s’attarde un peu sur la réalité de cette dérive totalitaire et se montre plus nuancé. À ce propos, il n’est pas inutile de s’arrêter un moment sur la nature du corpus. À de rares exceptions près (dont Erin Brockovich et Avatar), la plupart des œuvres sont loin d’être des bestsellers ou des blockbusters. On peut, dès lors, se demander quelle est en la portée réelle et dans quelle mesure ils contribuent vraiment à façonner l’imaginaire collectif. Cette question apparaît d’autant plus pertinente que le ton polémique de l’essai conduit souvent à entretenir une confusion entre tous les discours écologiques, assimilés à des instruments d’une vaste entreprise de désinformation et de manipulation.
Le soleil ne se couche jamais pour les super‑héros
9« Imaginer la fin consiste d’abord à envisager un phénomène ontologiquement inadmissible, son propre effacement du réel4 ». D’où l’importance de tout mettre en œuvre pour que cet évènement n’ait pas lieu. L’une des caractéristiques des écofictions est précisément d’inciter au changement, de rallier à une cause commune, en rendant le désastre imminent et inéluctable. Ainsi, immergé ou ensablé, notre monde est voué à l’engloutissement en raison du dérèglement du climat. Là encore, le terme « science‑fiction » s’applique à merveille au produit du recyclage de thèses scientifiques par la vulgate médiatique. C. Chelebourg en offre un exemple convaincant grâce à l’essai The Coming Global Superstorm qui, sous couvert de présenter des faits scientifiques, relève plutôt du discours sensationnaliste. Il dévoile efficacement le caractère paradoxal d’un tel ouvrage, annonçant les pires cataclysmes, puis présentant une série de conseils irréalistes pour échapper à la catastrophe (comme creuser une tranchée de plusieurs kilomètres entre les deux parties du continent américain, qu’il faudrait ensuite relier par un pont…). Mettre en scène le cataclysme à venir a, en ce sens, une vertu pédagogique. Il s’agit ni plus ni moins que de créer un sursaut chez les lecteurs et de les sommer de choisir leur camp. Ce genre de discours en appelle implicitement au super‑héros qui sommeille en chacun de nous et qui n’attend que de pouvoir se mobiliser pour la bonne cause :
Le cauchemar du réchauffement climatique global propose en somme une forme de démocratisation des superpouvoirs qui verse dans l’injonction comportementaliste : sauvez la planète en triant vos déchets ! En prêtant à l’homme un pouvoir de nuisance superlatif, il le flatte par l’octroi d’une puissance contraire de remédiation. (p. 69)
Hercule contre Prométhée
10Les écofictions mettent en scène non seulement la dégradation de l’environnement, mais également celle des spécialistes chargés de le préserver : la complexité sans précédent des problèmes écologiques ne peut être envisagée que dans une perspective globale, holiste. Chaque phénomène est alors interprété en relation avec un ou plusieurs autres, selon une logique causale ou analogique qui repose, fondamentalement, sur la suprématie de la croyance : « Concernant les grands accidents de la nature, la perspective écologique n’est pas loin d’avoir habilement recyclé l’herméneutique de la foi » (p. 99). La catastrophe revêt une dimension métaphysique autant que poétique, aussi la raison se fait‑elle rêveuse et imaginative. Le voyant supplante le scientifique et les prophéties apocalyptiques fleurissent dans les médias, même les plus sérieux.
11Les récentes épidémies (SIDA, SRAS…), dont les effets ont été amplifiés par l’intensification des échanges contemporains et largement médiatisés, ont contribué à alimenter cette défiance à l’égard de la science. Cependant, à la différence des tsunamis ou des séismes, les maladies virales frappent moins l’imagination par leur violence soudaine que par leur rapidité et par la possible disparition de l’humanité qu’elles font redouter. Le film 28 Days Later, de Danny Boyle, illustre bien ce phénomène, pourtant déjà représenté par Jean Giono dans Le Hussard sur le toit : « La rapidité dont l’imagination crédite la contagion en fait une parfaite métaphore et un support privilégié de la terreur à l’état pur » (p. 142).
12Néanmoins, si certains continuent d’y voir une manifestation divine, d’autres accusent le milieu médical de ne pas parvenir à enrayer le fléau ou, plus grave, d’en être plus ou moins l’auteur. Les collusions entre la science, l’armée et l’industrie sont perçues comme des menaces et invitent à une méfiance généralisée. Alors que le scientifique a pu, par le passé, être considéré comme un nouveau Prométhée, il est aujourd’hui tenu en suspicion. On lui reproche volontiers, en effet, d’être enivré de sa propre puissance :
Les descendants de Pasteur ne rassurent plus ; ils nourrissent au contraire les pires visions d’extinction et de régression à l’état animal. Ils ne soignent plus guère la rage, ils la transmettent plutôt par imprudence et par folie. (p. 150)
13Faut‑il y voir, pour autant, un problème spécifiquement contemporain ? Il semblerait que chaque époque marquée par des crises sanitaires soit propice à l’exacerbation du ressentiment à l’égard des classes dirigeantes et des puissants. Gérard Fabre, notamment, a montré comment, jusqu’au xixe siècle, l’attitude des riches pendant les épisodes d’épidémies a contribué à faire émerger, dans la population, l’idée de « corruption » et même de « liquéfaction de l’ordre établi5 ». Il serait évidemment excessif d’établir une analogie formelle avec le contexte actuel. Toutefois, la révélation du poids des lobbys pharmaceutiques et les scandales sanitaires récents (encéphalite spongiforme bovine, Médiator, etc.) ont mis en lumière un manque flagrant de vigilance des autorités étatiques, voire une bienveillance coupable à l’égard d’une partie du milieu scientifique.
Panique dans l’éprouvette
14Le constat dressé par C. Chelebourg permet, cependant, d’entrevoir sans peine que l’essor de la génétique constitue une autre source de défiance à l’égard de la science. Certes, cette inquiétude n’est pas nouvelle si l’on en juge notamment aux hybridations monstrueuses de Wells dans The Island ofDoctor Moreau paru en 1896. La découverte de la structure de l’ADN, au milieu du xxe siècle, offre, toutefois, un nouveau support à l’imagination en dévoilant la manière dont le génome humain est organisé :
La métaphore qui présente les gènes comme les briques du vivant explique les fantasmes de reconstruction hasardeuse qu’entretient l’idée de leur libre manipulation. (p. 183)
15Ces fantasmes sont de plusieurs ordres : dans Oryx and Crake de Margaret Atwood, par exemple, l’idée de consommer de la viande de porcs génétiquement modifiés dans le but de fournir des organes compatibles pour une transplantation chez des humains éveille la peur de se livrer à du cannibalisme (p. 186.). La presse, quant à elle, contribue à alimenter l’idée, récurrente dans de nombreuses écofictions, que l’aboutissement des manipulations génétiques n’est rien d’autre que la création d’être hybrides : tandis qu’un article diffusé sur le site Figaro.fr est accompagné d’une image de centaure, un article du Monde est intitulé : « Cellules souches : le Royaume‑Uni autorise des chimères d’animal et d’humain » (p. 186). Le fait que moins de 0.1% de gènes de bovin soit impliqué montre bien, selon C. Chelebourg, à quel point les travaux scientifiques éveillent un ensemble de représentations, plus ou moins conscientes, et diffuses dans l’imaginaire collectif. Outre les peurs évoquées plus haut, il y a celle de voir l’être humain privé de ce qui fait sa spécificité et, implicitement, sa suprématie et sa « pureté » (p. 187).
16Si les arguments de C. Chelebourg sont, dans l’ensemble, convaincants, sa volonté de débusquer les interférences de l’imagination et de la démonstration scientifique le mène parfois à des conclusions pour le moins discutables, à l’instar de celle qui tient lieu d’explication à la réticence d’une vaste partie de la population à l’égard des OGM :
La référence aux chimères mythologiques révèle que l’imagination envisage ces questions en termes de pureté et d’impureté, selon un schéma qui ne tolère pas le plus léger mélange. En cela, le vivant — et plus particulièrement l’humain — est globalement appréhendé au rebours de la matière. (…) Que la moindre brique soit de broc et c’est l’édifice tout entier qui s’en trouve altéré. De là, sans doute, l’ardeur des préventions à l’égard des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés). (p. 187).
17Outre le fait que bien des incertitudes (sanitaires, écologiques et économiques) n’aient toujours pas été levées, l’explication de C. Chelebourg ne permet pas de comprendre pourquoi la production et la consommation d’OGM soulève beaucoup moins de résistances en Amérique du Nord, d’où proviennent pourtant la plupart des écofictions.
18Quoi qu’il en soit, le discours écofictionnel apparaît bel et bien nourri par une pensée conservatrice, hostile au rationalisme, et éprise de ce qui lui donne l’illusion de la maîtrise (des événements, du futur, etc.) :
À l’optimisme enchanté des généticiens, les écofictions, travaillées par la dévaluation herculéenne de la figure du biologiste, opposent une vision radicalement pessimiste de l’avenir de la discipline. (p. 188)
19Finalement, pour C. Chelebourg, loin d’offrir un lieu à partir duquel interroger la finalité des travaux scientifiques, les écofictions relativisent leur portée et minent leur crédibilité :
Qu’on ne se méprenne pas : il n’y a là nulle vérité en soi, mais un tissu de représentations qui caractérise une pente marquée de la pensée contemporaine et que les écofictions manifestent. Les polémiques sur la vaccination, les doutes récurrents sur les nouveaux sérums, les soupçons d’expérimentations hasardeuses, la vigilance à l’égard des firmes pharmaceutiques ou encore l’instauration de comités d’éthique en sont les conséquences directes dans la vie de tous les jours. (p. 164)
20En définitive, les mythologies contemporaines de la fin du monde dressent un constat sombre du devenir de la planète pour inviter l’humanité à effectuer les choix qui la sauveront du désastre. Comme si les annonces alarmistes n’étaient pas suffisantes, les écofictions assument une fonction de persuasion en n’hésitant pas, notamment, à culpabiliser les lecteurs ou les spectateurs. Dans le même temps, elles offrent à ces derniers la représentation d’une humanité capable de renverser le cours des choses et de se dresser avec succès contre ce qui la menace. Un redoutable mélange de culpabilité et de jouissance…
Écofictions ou écorécits?
21Le terme générique d’« écofictions » est appliqué à un ensemble hétérogène d’éléments sans tenir compte du fait qu’ils revendiquent, ou non, un ancrage fictionnel. Par là‑même, C. Chelebourg impose un pacte de lecture uniforme en invoquant le fait que toutes les productions qu’il analyse ont en commun de « faire appel à l’invention narrative ». Il omet de préciser que tout récit n’est pas nécessairement fictionnel et que la fiction n’est pas l’ennemie du « vrai ». La confusion est flagrante lorsque, pour dénoncer la dangereuse collusion entre science et fiction, C. Chelebourg fonde justement son argumentation sur le contenu d’un roman de Michael Crichton, State of Fear, qu’il qualifie d’« écofiction métaromanesque » (p. 78). Selon lui, l’auteur de Jurassic Park a le mérite d’user habilement de l’attrait exercé par le genre science‑fictionnel sur le grand public pour une juste cause : le rétablissement de la vérité scientifique. Il reconnaît du même souffle, mais de manière implicite, l’absence de critères permettant de définir clairement les caractéristiques d’une écofiction :
Quand d’autres confondent science et récit, Crichton les distingue nettement, mais fait servir la fiction à l’information scientifique. Quoi qu’il en soit, la forme qu’il imagine est symptomatique de la confusion qui règne dans le domaine des écofictions. (p. 79).
22Le choix des termes employés, en particulier les oppositions entre « science » et « récit », illustre bien le flou conceptuel évoqué plus haut. Le problème se complique, d’ailleurs, quand C. Chelebourg décide de mêler sa propre voix à celle de Crichton :
Or, pareille réalité [une phase de glaciation dans le contexte d’un réchauffement global] n’a aucun sens, nous dit‑on : « Il n’est pas logique de dire qu’un temps glacial est causé par le réchauffement global6 ». Si l’idée est convaincante, malgré son incongruité, c’est que, dans notre monde, « la réalité se résume à la réalité médiatique ». Ajoutons que, dans le contexte religieux créé par la communication écologique, l’efficacité d’un tel discours tient à ce qu’il redonne touteson actualité au célèbre proverbe des premiers chrétiens : Credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde. L’analyse du romancier ne fait que confirmer la pente mystico‑religieuse de la poétique du réchauffement climatique. (p. 82)
23Alors même que State of Fear est « un récit didactique, répondant aux canons de la vulgarisation scientifique » (p. 78), son contenu est « défictionnalisé » et nous est présenté comme une « analyse ». On veut bien croire que les propos de Crichton ont des assises scientifiques qui font défaut à d’autres écofictions, néanmoins on ne peut s’empêcher d’éprouver un certain malaise en constatant que la parole du romancier est complètement inféodée à celle de C. Chelebourg et apparaît, à ce titre, instrumentalisée.
24En dépit de ces réserves, on ne peut que saluer le travail mené par C. Chelebourg et son souci de réaffirmer le rôle que doivent jouer les études littéraires dans les débats sur les enjeux de société contemporains :
Si l’approche littéraire peut encore servir à quelque chose dans le monde pragmatique qui est le nôtre, c’est bien en mettant au service d’un décryptage des discours dominants son expertise en matière d’analyse des langages, des signes et des symboles, sa capacité à débusquer le sens des imaginaires dont la circulation façonne les mentalités. (p. 11).
25À cet égard la conclusion de l’essai de Christian Chelebourg établit un lien intéressant entre les écofictions et l’époque dont elles sont à la fois le reflet et le produit :
L’écofiction n’est pas un genre littéraire ou cinématographique, c’est une manière d’entrer en résonance avec l’imaginaire d’une époque fascinée par sa puissance et terrifiée par un avenir dans lequel elle ne sait plus lire que des promesses de déclin. (p. 229).
26Peut‑être bien, alors, qu’annoncer la fin du monde est une tentative, quelque peu désespérée, « de maîtriser le temps, de l’arrêter une fois pour toutes7 ».