Quoi de neuf sur les vampires ?
1De Jean Marigny, on connaissait la thèse Le Vampire dans la littérature anglo-saxonne, publiée en 1985, et deux anthologies, Histoires anglo-saxonnes de Vampires (Librairie des Champs-Élysées, 1978) et Les Vampires: Dracula et les siens en collaboration avec Roger Bozzetto (Omnibus, 1997), mais aussi Sang pour sang: le réveil des vampires (Découvertes/Gallimard, 1993) et, dans la collection Figures mythiques des éditions Autrement, un ouvrage collectif sur Dracula à l'occasion du centenaire du roman de Stoker (1997). Fondateur et président du GERF (Groupe d'Études et de Recherches sur le Fantastique) pendant de nombreuses années à l'Université Stendhal, membre de la branche canadienne de la Transylvanian Society of Dracula, il a fait récemment (2003) paraître Le Vampire dans la littérature du XXe siècle.
2Ce livre s’inscrit donc dans un mouvement de recherches sur un thème en expansion tant sur le plan littéraire qu’artistique ou médiatique. Il s’agit d’un ouvrage que l’on pourra qualifier de référence puisque qu’environ 600 titres sont cités. Deux objectifs principaux se dégagent de cet ouvrage, d’une part celui de faire état de l’étendue du thème du vampire dans les littératures d’autres pays que les pays anglo-saxons (Allemagne, Hollande, Espagne, Italie, Russie, Tchécoslovaquie, France, Chine), mais force est de constater que la production anglo-saxonne reste majoritaire ; d’autre part celui d’établir un bilan des différentes directions stylistiques, génériques que le thème du vampire a suscitées. L’ouvrage se divise en deux parties, la première descriptive, la seconde analytique.
3Dans le premier chapitre, l’auteur constate que l’on trouve le vampire partout au XXe siècle : dans la littérature, à la fois dans les romans et les nouvelles, et dans les médias : au cinéma, à la télévision et dans les jeux de rôles. Jean Marigny ne s’intéresse visiblement pas aux jeux vidéo et ne perçoit pas le prolongement du mythe dans ce domaine. Il pense au contraire que le XXIe siècle risque de le renvoyer aux oubliettes.
4Dans le second chapitre, il remarque que les auteurs s’amusent à surprendre le lecteur en jouant sur les variations d’un genre largement stéréotypé. Du récit linéaire au récit éclaté, en passant par le récit dialogué à visée psychanalytique, le personnage du vampire suit deux voies, l’une traditionnelle, l’autre volontairement plus moderne. L’ouverture du mythe à un nouveau lectorat, celui des enfants, engendre un type de récit interactif et éthique.
5Le troisième chapitre s’intéresse aux genres dans lequel le vampire s’est inséré : fantastique, gore, science-fiction, fantasy, littérature policière, romans historiques et uchronies, roman sentimental, littérature érotique, littérature pour la jeunesse et enfin dans l’humour, l’ironie ou le nonsense. Autrement dit, le personnage du vampire change de statut par rapport au XIXe siècle. Il n’est plus un épouvantail, mais il acquiert une densité, jusqu’à devenir un véritable héros. C’est parce que les genres littéraires se décloisonnent que le personnage et le thème ont pu se complexifier.
6On peut toutefois exprimer une réserve quant au rôle de l’humour dans les récit terrifiants lorsqu’ils ne sont pas parodiques, catégorie que Jean Marigny a volontaire exclue de son corpus, (comme dans le film Les Temps sont durs pour les vampires1) car l’humour peut servir à la terreur autant que le tragique. Le tragique à outrance peut se révéler grotesque, tandis que l’humour bien dosé permet une rupture de l’angoisse, une pause pour détendre le spectateur qui, baissant sa garde, se laisse d’autant plus surprendre. C’est ce que Roman Polanski a réussi dans son film Le Bal des vampires2 et on peut s’étonner que cette œuvre ne soit pas mentionnée, car outre sa dimension parodique, elle respecte les règles du genre et, à bien des égards, elle est terrifiante.
7Au chapitre quatre, Jean Marigny cherche à dresser une fiche signalétique du vampire.
8Dans la première moitié du XXe siècle, le vampire est surtout masculin, il se féminise après le seconde guerre mondiale3. La figure féminine devient majoritaire dans les œuvres récentes. Le vampire du XXe siècle utilise toute la pyramide des âges : « depuis la gestation jusqu’à l’extrême vieillesse » (124). Les stéréotypes concernant la beauté juvénile, la prestance élégante, la séduction du vampire disparaissent. D’innocentes vieilles femmes sont des vampires psychiques comme dans La Tante de Seaton de Walter de la Mare, ou La Dame aux biscuits de Philip K. Dick. Autre nouveau personnage de vampire l’enfant, du bébé (Le jeune vampire de J.H. Rosny Aîné, 1935) à la petite fille (Claudia dans Entretien avec un vampire d’Anne Rice) jusqu’aux adolescents et leurs crises identitaires.
9Le statut social du vampire s’est aussi largement diversifié ; certes, il reste beaucoup d’aristocrates, dans des manoirs ou des châteaux, mais la tendance est à l’urbanisation du cadre dans lequel il évolue. Souvent artiste (peintre, sculpteur, écrivain), il utilise son art pour mieux arriver à ses fins mais on le rencontre aussi dans les milieux médicaux, universitaires (sic) et même religieux où son statut honorable sert de couverture à ses pratiques et enfin, dans des milieux tout à fait sordides comme la pègre ou la politique dictatoriale. Le vampire a tendance à se fondre dans la masse et à être plus redoutable de ce fait.
10Jean Marigny s’intéresse ensuite au vampire traditionnel et à ses variantes. En partant des caractéristiques du personnage de Stoker, Dracula, il en déduit que le vampire au XXe siècle s’est banalisé, démythifié et humanisé.
11D’autres catégories de vampires apparaissent. Se démarquant du surnaturel, le vampire psychique ou énergétique est un parasite qui a le pouvoir de transférer l’énergie vitale des autres pour allonger indéfiniment sa vie ou pour l’utiliser comme élixir de beauté et de jeunesse. La première nouvelle qui utilise ce type de vampire s’intitule Luella Miller (Mary Wilkins Freeman, 1903). Puis, le vampire humain, plus proche du psychopathe, le vampire animal, végétal, minéral et enfin, les éléments, les lieux et les objets vampires, sont des exemples des métamorphoses profondes qu’a subi l’image du vampire traditionnel.
12Dans la partie analytique de son ouvrage, Jean Marigny s’intéresse à la portée symbolique du mythe du vampire et à son évolution.
13Tout d’abord, la thématique du sang exprime à la fois le désir d’immortalité et la peur devant la maladie et la mort mais met aussi en avant la peur des épidémies et des conduites addictives. Il évoque ensuite la relation entre la vie et la mort : l’immortalité est un rêve qui peut tourner au cauchemar.
14Le chapitre trois s’intitule « Eros et agape ». Les vampires se divisent en deux catégories : ceux dont la sexualité est essentiellement sensuelle et orale et ceux dont la sexualité est semblable à la sexualité humaine, avec la possibilité de procréer. La sexualité humaine comprend l’homosexualité et la bisexualité, cela va sans dire, sans oublier les pratiques « fetish » et sado-masochistes. Ce que ne dit pas Jean Marigny, c’est que finalement, le vampire moderne est le modèle type du libertin qui s’adonne à toutes les gammes de plaisirs possibles, même si Anne Rice cherche à convaincre ses lecteurs que ces plaisirs sont refusés aux simples mortels.
15Après avoir considéré les thèmes d’« Eros et Thanatos » et « amour, délices et vampirisme » dans les parties suivantes, Jean Marigny explore la littérature rose et conclut que le vampire monstrueux sous l’époque victorienne perd son statut monstrueux grâce à l’amour, et qu’il n’est plus cantonné à la littérature fantastique.
16Dans le chapitre quatre, « Le vice et la vertu », Jean Marigny explique que les notions de bien et de mal s’inversent au cours du XXe siècle et que le vampire peut être victime (il est capable de souffrir) ou devenir héroïque (un vampire psychique débarrasse les hommes de leurs angoisses dans la nouvelle Warm Man de Robert Silverberg). Le vampire est considéré davantage comme un surhomme qui continue à fasciner même si « leur réhabilitation ne va pas jusqu’à les disculper totalement de leur tare originelle : ce sont des tueurs nés. (264) ». Cette affirmation peut laisser perplexe. En effet, l’ambivalence fait partie intrinsèque du personnage du vampire, l’inversion que note Jean Marigny existe déjà en puissance dès l’origine. N’est-il pas normal que le paradoxe du personnage évolue parallèlement à son rôle ?
17Dans le dernier chapitre, « Vampirisme et société », on s’intéresse à la place du vampire en tant qu’individu dans la société. Il est vrai qu’il est le personnage « autre » par excellence, celui sur qui la xénophobie peut se transférer sans scrupules. Les deux romans qui illustrent le mieux cette haine sont ceux de Richard Matheson, Je suis une légende et de Stephen King, Salem puisqu’ils renversent les valeurs de la monstruosité : la majorité des personnages sont des vampires sur terre, le rescapé humain cherchant à les détruire, à empêcher toute organisation devient leur vampire.
18Jean Marigny dans sa conclusion se demande ce que deviendra le personnage du vampire lors du troisième millénaire. « le vampire humanisé, mais humain trop humain, symbole de nos vices, de nos imperfections et de notre ambiguïté, n’est-il pas devenu un bouc émissaire ? A moins que, dans une société en décomposition, il ne soit le dernier parangon offert aux générations montantes. Selon la formule de Nietzsche, « à force de chasser le monstre, nous sommes devenus monstres nous mêmes. (292) »
19Aborder le problème du monstre uniquement sous l’aspect du transfert du monstrueux vers l’extérieur, c’est oublier que le monstrueux existe dans l’être humain depuis sa naissance. C’est du moins ce dont la psychanalyse, tout à fait éludée dans ce travail, a réussi à nous convaincre. Les auteurs du XXe siècle, écrivains ou réalisateurs, ont largement utilisé la psychanalyse pour faire évoluer le personnage du vampire mais aussi toutes les autres catégories de monstres. Si l’on considère par exemple la série Buffy contre les vampires qui peut paraître au premier abord artificielle, on remarque, outre le jeu sur les stéréotypes, certains écarts dignes d’intérêt. Buffy, l’héroïne, passe ses nuits à traquer les vampires qui semblent plus grotesques que dangereux. Elle les touche d’un pic en bois et ils s’évanouissent, s’évaporent. Contre quoi, lutte cette adolescente, sinon contre ses pulsions refoulées ? N’est-ce pas d’ailleurs son professeur, substitut du père absent, qui lui donne les armes pour combattre ces conflits ? La découverte de l’amour et de la sexualité avec un vampire, qui s’appelle Ange, vient ajouter d’autres pistes à explorer, notamment celle de l’introjection, car la fascination pour le vampire réside dans cette possibilité et ce désir de devenir lui afin d’atteindre la fusion suprême. L’analyse des symboles dans cette seconde partie de l’ouvrage de Jean Marigny aurait peut-être gagné à s’ouvrir vers les découvertes de la psychanalyse.
20Le livre de Jean Marigny est agréable à lire, très documenté. On peut cependant être déçu par l’absence de résumé de certaines œuvres qui ne sont plus dans le circuit éditorial. Les listes d’œuvres ne permettent pas à elles seules de montrer les nuances de l’évolution du mythe. Certains textes ont été analysés en profondeur, mais souvent les plus connus, du moins par un public averti. C’est un excellent ouvrage de classification, cependant, l’objectif de départ n’a pas tout à fait été atteint car ce sont les œuvres anglo-saxonnes qui sont le plus souvent utilisées et commentées. Enfin, la part réservée au cinéma et aux séries télévisées qui ont pourtant marqué la fin du XXe siècle, et qui ont relancé le goût du mythe du vampire et de sa littérature, reste assez minime.