Acta fabula
ISSN 2115-8037

2014
Avril 2014 (volume 15, numéro 4)
titre article
Sarah Delale

Pour un manuel de construction d’auteur à l’usage des christiniens

Claire Le Ninan, Le Sage Roi et la clergesse. L’Écriture du politique dans l’œuvre de Christine de Pizan, Paris : Honoré Champion, coll. « Études christiniennes », 2013, 434 p., EAN 9782745324313 & Danielle Roch, Poétique des ballades de Christine de Pizan (1363‑1430), Paris : Honoré Champion, coll. « Champion Essais », 2013, 232 p., EAN 9782745325747.

1La faveur critique de Christine de Pizan ne semble pas devoir faiblir : c’est ce dont témoignent deux ouvrages sortis en 2013 et issus de thèses de doctorat, l’une soutenue en 2004 à l’université Paris 3‑Sorbonne Nouvelle (Claire Le Ninan, sous la direction d’Emmanuèle Baumgartner), l’autre interrompue par la mort de son auteur (Danielle Roch) et publiée par les soins de ses proches et de sa directrice de recherche, Jacqueline Cerquiglini‑Toulet. Malgré les nombreux points qui les opposent (notamment leur longueur — 434 pages contre 232 — et leur approche critique, l’ouvrage de D. Roch prenant certaines libertés avec le modèle universitaire de la thèse dont Cl. Le Ninan fournit un bon exemple), ces deux travaux sont réunis par une même visée : cerner l’œuvre de Christine de Pizan sur un plan littéraire, voire formaliste, comme l’indiquent le sous‑titre du premier (L’Écriture du politique dans l’œuvre de Christine de Pizan) et le titre du second (Poétique des ballades de Christine de Pizan). Tous deux présentent en outre une progression similaire, partant d’une analyse de la figure de l’auteur pour envisager l’œuvre et ses structures littéraires, stylistiques et rhétoriques.

2Cette progression fonde le plan bipartite de l’ouvrage de Cl. Le Ninan : la première partie, « Représentation de l’écrivaine en clergesse : présence du “moiˮ et construction de l’autorité », est suivie d’une seconde, « La clergesse et son texte : rhétorique et leçon politique », consacrée aux procédés d’écriture destinés à toucher les destinataires des œuvres. La bipartition se retrouve dans une certaine mesure chez D. Roch, qui consacre un préambule à la figure féminine d’auteur et aux interprétations misogynes que celle‑ci a engendrées. L’introduction et les chapitres suivants semblent découler de la dénonciation des écueils méthodologiques que ces préjugés entraînent dans la compréhension d’un style d’auteur. Bien que les deux études portent sur des corpus très différents (la majorité de l’œuvre lyrique de Christine d’une part, les œuvres en prose à sujet « politique » d’autre part, ce qualificatif faisant l’objet d’une définition dans l’introduction de Cl. Le Ninan), la figure d’auteur de Christine de Pizan apparaît dans les deux cas comme une hypothèse interprétative de l’œuvre1, comme un élément nécessaire à la compréhension et à la cohésion du corpus et de l’œuvre complète. Ces études permettent ainsi de réfléchir à la spécificité de la notion d’auteur dans le corpus christinien et aux conséquences de son usage dans l’analyse littéraire.

L’hypothèse d’auteur comme symbole d’une bibliothèque

3Comme le rappelle D. Roch dans son préambule, la redécouverte des textes littéraires médiévaux au xixe siècle, parce qu’elle s’inscrivait dans une logique qu’on pourrait qualifier d’héritage interrompu (on avait cessé de se réclamer de ces textes depuis des siècles et on recommençait à peine à le faire), nécessitait d’interpréter la rupture entre deux époques littéraires. Cette interprétation s’employa à rejeter le principe de continuité qui fondait la méthode historique. L’histoire de la philologie médiévale est uniformément marquée par la reconnaissance d’un handicap dont le texte de Gaston Paris cité par Danielle Roch constitue un excellent exemple :

[L]a plus importante de toutes les causes qui expliquent la rupture de la littérature du xvie siècle avec celle du moyen âge est dans le fait que [...] la seconde, à vrai dire, depuis longtemps n’existait plus. Ce qui l’avait remplacée était une littérature bâtarde, sorte de Renaissance avortée, [...] incertaine de forme, incapable de grandeur et d’énergie, et tout aussi incapable de vraie beauté. [...] Par derrière, loin par derrière, le vrai moyen âge, enfoui dans des manuscrits qu’on avait cessé de lire et dans une langue qu’on ne comprenait plus, était aussi profondément inconnu que s’il n’avait jamais existé2.

4La réhabilitation du Moyen Âge (les xiie et xiiisiècles) réclamait la construction d’un nouveau Moyen Âge (les xive et xve siècles), d’un entre‑deux créateur de discontinuité littéraire. La littérature des xive et xve siècles eut des difficultés à se relever de cette condamnation ; a fortiori Christine de Pizan, figure d’une dés‑habilitation au carré, celle d’une femme écrivant à la fin du Moyen Âge.

5On formule contre Christine plusieurs griefs au cours des xixe et xxe siècles. D’une part, son but pratique : elle écrit pour gagner sa vie, ce qui heurte la conception moderne de la gratuité de l’art (Danielle Roch, p. 29). D’autre part, on lui reproche son style. L’œuvre de Christine reçoit des qualificatifs liés moins à sa nature qu’à la féminité de son auteur : elle est « tristement raisonnable », « froide et laborieuse » ou « austère et plus pédante » (Danielle Roch p. 30‑31). D. Roch remarque avec justesse que Gaston Zink3 identifie chez Christine la structure de la phrase en moyen français à une structure féminine de pensée (p. 25). Le style étant ce qui confère le statut d’écrivain (p. 22) et devant être rapporté à l’auteur, celui‑ci symbolise son époque qui le condamne en retour. Pour étudier l’œuvre, il faut alors commencer par réhabiliter l’auteur et son style.

Christine réhabilitée

6Christine de Pizan apparaît en effet aux critiques comme le seul principe unificateur de son œuvre. Ce corpus vaste et hétérogène de forme et de sujet gravite autour d’un nom assorti d’un fond biographique presque entièrement issu des textes. On conserve très peu de sources documentaires sur Christine de Pizan en tant que personne historique4, surtout si l’on exclut les documents qui la désignent en tant qu’auteur empirique, pour reprendre la terminologie d’Umberto Eco5, c’est‑à‑dire les comptes qui mentionnent les sommes versées par les princes en rétribution des manuscrits qu’elle leur avait offerts. Christine est avant tout une manifestation du texte, une voix qui se distingue dans presque toutes les œuvres comme parlant en son nom (Cl. Le Ninan p. 37). Apparaît ainsi ce qu’on a appelé faute de mieux une « écriture autobiographique » (Cl. Le Ninan p. 27‑28) :

les différentes postures adoptées par Christine offrent l’image d’une identité éclatée [...] : rassemblés, les morceaux ainsi dispersés dans les œuvres [...] forment une seule figure [...]. Ces représentations trouvent leur unité dans la pratique littéraire. (p. 224)

7Christine constitue donc un cas intéressant d’auteur restant pour nous, lecteurs modernes, totalement interne au texte (elle n’existe presque qu’à l’état d’Auteur Modèle, selon l’expression d’Umberto Eco). La cohérence interne de l’œuvre repose à la fois sur l’auto‑représentation de l’écrivain dans son œuvre et sur la citation de titres et de passages de ses autres textes dans nombre de ses ouvrages. Cette pratique, qui permet de reconstruire une chronologie relative assez précise de l’œuvre, unifie celle‑ci « en soulignant la cohérence idéologique des différents traités » (Cl. Le Ninan p. 177) ; ces « “marques de fabriqueˮ [...] soulignent l’existence d’une œuvre unique », « l’interdépendance des textes entre eux » et « la conscience qu’a Christine de la valeur de son travail » (p. 382). Ces raisons expliquent qu’à tout critique qui souhaite proposer une interprétation s’appuyant sur la cohérence et la non‑contradiction des textes, il paraisse essentiel de reconstruire une figure d’auteur opérationnelle, c’est‑à‑dire de réhabiliter Christine en tant qu’auteur.

8Réhabiliter Christine consiste surtout à surmonter son handicap auctorial en la déclarant habile. Nos deux critiques (Cl. Le Ninan p. 278, Danielle Roch p. 153) s’emploient ainsi à contredire l’article de Gaston Zink, fondé sur une vision péjorativement genrée de l’écriture de Christine (il voulait « saisir la démarche d’une pensée féminine confrontée à un sujet aride de morale politique », D. Roch p. 22‑23). Quant au reproche fait à la visée pratique de l’écriture, il peut être facilement renversé en convoquant une posture d’auteur qui rapproche Christine des lecteurs modernes : celui d’un écrivain en quête de reconnaissance personnelle. Une des « préoccupations majeures de Christine » serait d’être « reconnue à sa juste valeur intellectuelle » (Cl. Le Ninan, p. 12). Il existerait donc un but personnel et immatériel à l’écriture, et les textes permettent d’ailleurs d’appuyer cette vision d’auteur : Christine formule à plusieurs reprise l’espérance que ses œuvres rencontrent un lecteur capable d’en saisir la portée au point de désirer rencontrer leur auteur6. Ce désir de renommée par‑delà la mort contribue à forger un statut d’écrivain, à placer Christine dans une attitude que nous reconnaissons comme celle d’un auteur.

De l’auteur interne au texte à l’auteur externe

9En raison de la rareté des sources externes à l’œuvre, les biographies de Christine de Pizan, qui se sont multipliées depuis le début du xxe siècle7, s’appuient essentiellement sur les textes (et en particulier sur L’Advision Cristine) pour construire leur récit. Mais par suite, ces biographies ont mis à notre disposition un auteur externe au texte (ou auteur empirique). Christine de Pizan est devenue assez naturellement un principe extérieur à son œuvre, aidée en cela par les très nombreuses interventions métatextuelles que contiennent ses textes.

10D. Roch ne peut échapper à cette externalisation de l’auteur dans la mesure où elle cherche à déconstruire une image biographique d’auteur dont la féminité est par essence extérieure à l’œuvre. Cl. Le Ninan, dont la visée n’est pas polémique, reste quant à elle assez proche de l’objectif de Gaston Zink : elle souhaite toujours « examiner la façon dont Christine s’impose dans un rôle si incompatible avec sa condition féminine » (p. 13). Pourtant, ce qui l’intéresse est moins un auteur empirique que l’Auteur Modèle, même si ce dernier reste construit par les intentions de l’auteur empirique. Elle parle de cette figure construite par le biais de la notion rhétorique d’ethos. La première partie de son ouvrage est entièrement consacrée au fonctionnement des dispositifs éthiques qui portent le message politique : l’Auteur Modèle se construit autour de traits spécifiques et récurrents, la figure de la veuve (chapitre I), celle de l’historienne (chapitre II), celle de la philosophe et préceptrice (chapitre III) et celle de la prophétesse (chapitre IV), figures révélant dans leur coexistence ou le passage de l’une à l’autre la visée des ouvrages et l’évolution d’une pensée politique. En d’autres termes, l’ethos (équivalent à un Auteur Modèle) que Christine‑auteur empirique construit dans ses textes, et qui ne correspond pas toujours à une position que l’auteur empirique pouvait occuper dans la société (p. 27), n’est présent que pour servir le texte et pour en assurer le fonctionnement.

11Pour D. Roch et Cl. Le Ninan, Christine de Pizan est donc une voix dont les textes transcrivent les paroles et pensées. Chaque texte constitue un discours de persuasion auquel l’ethos de l’orateur confère un caractère authentique et incarné (D. Roch évoque ainsi p. 203 la « vérité charnelle » qui habite le je de Christine). La notion d’auteur recouvre à la fois l’idée d’un orateur porté par un objectif précis et celle d’un ethos construit en vue de cet objectif (Cl. Le Ninan p. 25). L’ethos ou l’Auteur Modèle a alors une vertu performative dont bénéficie l’orateur ou l’auteur empirique, source et fin de tout discours. Que l’on pense la figure de Christine en termes rhétoriques ou narratifs, l’analyse de Cl. Le Ninan parvient toujours à la conclusion que le texte naît du contexte et cherche nécessairement, par sa visée pragmatique, à y retourner.

Christine ou Christines ?

12Il est pourtant difficile aux deux critiques d’unifier l’œuvre de Christine autour d’une unique posture éthique, ou d’un seul Auteur Modèle : comment parvenir à ramener à un même principe auctorial des recueils de poésie lyrique, des textes narratifs en vers, des traités didactiques en prose ou des textes à sujet religieux ? La réponse est le plus souvent d’ordre biographique : l’hétérogénéité de l’œuvre, mise en ordre par la chronologie, reflète l’évolution d’une carrière et les préoccupations d’un auteur aux différentes époques de sa vie.

13C’est un passage de la vox poetica à la vox politica8 que Cl. Le Ninan cherche à découvrir dans les textes politiques les plus anciens de Christine (p. 43). Se superpose à la chronologie des œuvres une évaluation qualitative de leur contenu : la sagesse gagnant peu à peu l’auteur, l’œuvre va nécessairement en s’améliorant. Cette amélioration, Christine la revendique d’ailleurs elle‑même dans L’Advision Cristine (p. 68‑69)9 : la progression vers une « plus grant soubtilleté » mène à « une carrière d’écrivaine politique » dont « Le Livre de paix apparaît [...] comme le point d’orgue » (p. 154).

14La valorisation de cette seconde carrière repose ainsi sur la dévalorisation de la première : « désormais finies les chansonnettes, les ballades amoureuses et la poésie courtoise », écrit François Autrand (Cl. Le Ninan p. 11).

L’écrivaine ne renie pas son œuvre poétique, bien au contraire ; mais elle souligne le parcours accompli entre la « légèreté » de ses premières compositions et la « subtilité » des dernières.

15Une image « déjà utilisée [...] de façon plus grossière » dans une œuvre antérieure possède dans le Livre de paix « une polysémie riche » (p. 136). Pour le critique, l’écrivain doit maîtriser de mieux en mieux l’écriture.

16La plus grande subtilité des œuvres de la seconde Christine se marque pourtant par un passage du plaisant à l’aride et à l’ardu : « à mesure que les textes politiques de Christine s’accumulent, la leçon s’enrobe d’artifices de plus en plus rares. [...] Dans le Livre de paix, les propos sont plus âpres ». L’Advision Cristine constituerait alors un manifeste sur lequel appuyer une vision globale de l’œuvre. Si l’idée d’une progression vers la sagesse a tant d’importance, c’est qu’elle autorise l’Auteur Modèle des écrits politiques en le coupant entièrement des productions lyriques et courtoises de Christine. Si l’on veut faire de Christine l’orateur crédible d’un discours politique, cet orateur ne peut endosser l’ethos d’un auteur lyrique.En revanche, les talents stylistiques de la première Christine perdurent dans ses œuvres plus tardives, et même grandissent.

17D. Roch, qui travaille sur la première « manière » de Christine de Pizan, conteste cette pensée évaluative : pour elle, « l’opposition entre les “choses légèresˮ de Christine et les plus “soubtilesˮ n’est peut‑être pas aussi tranchée qu’elle le paraît et ne correspond peut‑être pas à une répartition poésie/prose » (p. 48‑49). La profondeur morale du sens dans la production lyrique justifie le rejet des chronologies évaluatives. La vision d’auteur qui se dégage de l’étude de D. Roch est toujours attachée à un contexte : Christine est un auteur de cour qui suit les usages littéraires de son temps. Mais la virtuosité stylistique est étudiée sous un angle presque purement formel, comme située hors du temps. L’auteur se manifeste non plus dans un contexte réel mais dans un corps idéal, presque désincarné, celui d’une pure voix lyrique :

On notera enfin une différence frappante entre Christine et ses contemporains poètes : le passage du temps ne laisse aucune trace sur le corps et le visage de Christine. Il est ressenti, il est pensé, il est exclusivement vécu comme temps de l’histoire et durée intérieure. (p. 180‑181)

18Christine apparaît comme un être prototypique, celui représenté dans les miniatures des manuscrits originaux. Que ses traits soient ou non réalistes, la femme qui remplit symboliquement la fonction d’auteur dans ces portraits ne vieillit pas entre 1399 et 1414. Sa mort apparaît comme une disparition qui reste mystérieuse (et non comme le fait d’un vieillissement porteur de sagesse), elle se confond avec le silence qui suit la fin du manuscrit de la reine (dernière copie des ballades de Christine s’achevant sur une pièce lyrique, le lay mortel d’une voix féminine), elle est la marque ultime d’un auteur envisagé avant tout sous l’aspect de la voix. La pensée musicale de D. Roch (voir par exemple p. 92‑93) informe également la construction de l’hypothèse d’auteur.

Le sens de la forme

19La figure d’auteur sert d’appui à nos deux critiques pour une interprétation formelle des œuvres. Du fait des deux corpus étudiés, Christine est moins le principe synthétique d’une œuvre narrative que la source d’un discours : c’est la structure et la portée de ce discours que les critiques se doivent de déterminer et d’analyser. Le privilège donné à l’auteur externe au texte s’explique par le fait que l’œuvre, si elle a une portée pragmatique (si elle veut modifier sa situation d’énonciation), doit toujours trouver sa source et sa fin en dehors de l’œuvre.

La traversée du labyrinthe

20D. Roch cherche à dégager la structure, l’organisation présente en toute œuvre pour en servir le sens (p. 203 et p. 146). La méthode adoptée pour mettre en relation structures et sens est celle de Robert Guiette dans L’Éloge de la lecture :

« Le critique n’est pas un juge, mais quelqu’un qui, par son adresse et son industrie, a trouvé l’entrée d’un édifice, le chemin dans le labyrinthe qui permet d’arriver au trésor, de l’emporter avec soi, ou – plus modestement – de prendre plaisir à la route et à la découverte. » [...] Outre l’étude de la structure de chaque recueil, s’imposait celle, attentive de chaque poème, sans pour autant se perdre dans la minutie d’analyses systématiques. La gageure était le repérage d’éléments prosodiques et stylistiques concourant à cette lecture du « labyrinthe » (D. Roch p. 12‑13).

21D. Roch suit cette méthode dans le plan même de son ouvrage qui, au fil des quatre premiers chapitres, s’enfonce progressivement dans les ballades. La forme de la ballade envisagée abstraitement et dans l’ensemble du corpus fait l’objet du premier chapitre (« Le choix d’une forme »), le second (« L’insertion lyrique ») est consacré aux ballades insérées et donc isolées dans un contexte hétérogène, en vers ou en prose. Le troisième (« La mise en recueil ») analyse la construction des recueils de ballades, le quatrième (« Le moirage du sens ») la structure interne de chaque ballade. Suivent enfin deux chapitres sur le temps dans les ballades et sur les Cent Balades d’amant et de dame.

22S’enfoncer dans le labyrinthe des ballades, c’est moins juger que cheminer : d’où peut‑être le caractère allusif de l’ouvrage et de la méthode d’analyse. Les notes bibliographiques se font souvent rares (à regret pour le lecteur), les chapitres ne présentent que très rarement des conclusions récapitulatives, donnant le sentiment que leur ordre aurait pu varier. Leur assemblage ressemble à celui de leur objet d’étude : le recueil de ballades, où les rapports de sens naissent par juxtaposition. Au sein des chapitres, l’analyse reste parfois en surface, comme dans les pages consacrées aux « petits recueils » (p. 125‑127) où l’on a du mal à saisir son point d’aboutissement.

23Sur le plan poétique, l’analyse des textes met au jour des formes qui sont toujours au service d’une expressivité. Le texte se préoccuperait moins de son lecteur que de l’authenticité de la voix lyrique, qui doit reproduire et exprimer les sentiments de la manière la plus réelle possible. Dans la quinzième des Cent balades d’amant et de dame par exemple, « L’envoi de quatre vers et le mélange de mètres 7/4 traduisent les pulsations d’un désir » (p. 194). Ce travail consiste en une investigation esthétique : trouver et identifier le style de Christine (p. 21‑22). Le style, correspondant à la versification et à la dimension linguistique de la ballade, mais également à l’organisation des ballades (juxtaposition, effets d’échos et de rupture), n’est plus, comme l’écrivait Daniel Poirion, une « virtuosité », un « jeu gratuit » (D. Roch p. 28).

[Les formes] apportent, à chaque moment où elles apparaissent un supplément de sens ou d’expressivité. La forme devient alors un élément du récit. Plus encore, la suite des mètres et des structures qui défile tout au long du livre génère une sorte de doublure chatoyante au texte, qui le colore et le renforce (p. 199).

24Le style de la ballade est bien un outil pragmatique du texte littéraire : situé entre l’auteur et le lecteur, il permet au sens de se développer à la fois dans un fond et dans une forme, de guider le lecteur vers une appréhension morale du monde à travers l’expression de la voix lyrique.

25Cette dimension purement pragmatique de la ballade (toucher le lecteur, lui proposer une vision moralisée du monde) n’est cependant que très peu développée dans l’étude. Peut‑être cette analyse de poétique néglige‑t‑elle un peu trop l’effet de sens recherché par chaque structure textuelle, la seule visée de Christine en tant qu’auteur lyrique semblant correspondre à une volonté d’expressivité. Ce désintérêt pour la portée de la stylistique sur le lecteur fragilise certaines analyses, comme celle très abstraite de la structure des Autres balades qui repose trop peu sur des éléments para‑ ou intertextuels pour emporter l’adhésion du lecteur. Il faut également citer une erreur d’analyse à propos de l’alternance entre octosyllabes et heptasyllabes dans Le Chemin de lonc estude (p. 61‑64). Contrairement à ce qu’écrit D. Roch, le récit repasse définitivement à l’octosyllabe à partir du vers 253, ce qui invalide son analyse stylistique des valeurs de ces deux mètres. Ce n’est pas « le mètre impair » qui « endosse le récit, tandis que l’octosyllabe traduit les plaintes et la détresse de l’auteur » (p. 64), mais bien l’inverse.

La leçon politique

26Concernant la portée pragmatique des textes, l’ouvrage de Cl. Le Ninan adopte la position inverse : dans son approche, l’œuvre politique de Christine tend à posséder un caractère essentiellement utilitaire. Cl. Le Ninan cherche à synthétiser, après l’analyse des dispositifs éthiques du corpus, les dispositifs structurels au service d’une leçon politique. Trois principes se dégagent des œuvres politiques de Christine : la compilation (chapitre V), l’allégorie (chapitre VI) et l’exemplum (chapitre VII). Ces techniques rhétoriques « héritées des discours cléricaux » (p. 28) servent à « se faire entendre et apprécier des princes », la « démonstration de la maîtrise des formes littéraires en vogue » permettant d’« assurer l’efficacité rhétorique du message politique » (p. 29).

27Les procédés d’écriture « sont autant de tentatives de stimuler la faculté de raisonnement du lecteur, de lui faire saisir par la déduction le mécanisme de l’histoire et lui faire prendre conscience qu’il est en son pouvoir d’en modifier le cours » (p. 351). Pour ce faire, Christine utilise toutes les ressources du pathos : la parole politique se charge d’émotion (p. 94‑97 et p. 104‑105). L’implication affective permet au texte d’acquérir une dimension supplémentaire, propre à persuader le lecteur : elle « donn[e] à ses œuvres l’authenticité d’une voix qui s’engage en faveur d’un pouvoir royal en difficulté » et « nourrit des textes qui ne seraient sans elle que théorie et évocation du passé » (p. 223). On n’est pas très loin ici de la « vérité charnelle » que Danielle Roch attribuait au je des ballades.

28L’approche pragmatique des œuvres politiques induit chez Cl. Le Ninan une étude thématique du corpus. Les principes rhétoriques évoluant d’œuvre en œuvre ne sont pas envisagés pour leur spécificité, mais comme topiques. L’originalité de Christine, pour assurer la force du discours politique, ne doit se manifester que dans ses idées (p. 29, voir aussi p. 375). Il faut donc étudier l’originalité de la pensée politique telle qu’elle se manifeste dans un stéréotype formel.

29C’est également l’approche pragmatique qui justifie la préférence donnée à un auteur externe au texte. L’auteur empirique écrit pour les princes qui l’entourent, ses lecteurs empiriques ; le texte doit toujours retourner à cette extériorité qu’est le monde dont il parle et qu’il cherche à modifier. L’auteur empirique constitue un mode d’interprétation courant et parfois maladroit : ainsi, telle scène du Charles V faisant une « description émerveillée des attributs royaux » « semble tout droit sortie des souvenirs d’une enfant éblouie par le spectacle auquel elle assiste » (p. 107).

30L’analyse pragmatique et thématique contient en effet un écueil : celui de limiter l’interprétation en limitant les capacités de l’auteur (dont le handicap, bien que justifié, reste effectif pour les critiques). Ramené à son contexte empirique, l’auteur permet des interprétations qui sont souvent des constats d’échec : Christine, en élevant Charles V au statut de modèle royal, « a sans doute conscience que jamais, malgré ce qu’elle soutient dans son panégyrique, Charles V ne détrônera Trajan comme symbole de la justice » (p. 368). La visée pragmatique tend à favoriser chez les critiques des interprétations dysphoriques (celles qui constatent l’échec d’une modification du réel par le texte) plutôt qu’optimistes (celles qui mettent en valeur ce qui fonctionne à l’intérieur du texte). L’œuvre semble ainsi échapper au contrôle de l’auteur plutôt que suivre une logique maîtrisée : Christine fait évoluer la figure de Charles V « sans l’exprimer clairement et de façon peut‑être inconsciente » (p. 277) ; « face à la dégradation de la situation » politique, elle « oublie son rôle d’architecte, créateur d’une construction maîtrisée » (p. 176). Si le style, compris comme l’implication de l’écrivain dans son œuvre, n’est plus maîtrisé, permet‑il encore de conférer à l’auteur le statut d’écrivain (D. Roch p. 22) ?

31Informer l’œuvre par la biographie, dans le cas d’un auteur dont la biographie est déduite de l’œuvre, pose aussi un problème spécifique auquel les études christiniennes seront bientôt constamment confrontées : la biographie reconstruite finit par se figer, puis par figer l’œuvre et son interprétation. Comment traiter les remarques sur la force de l’engagement de Christine qui « expliqu[e] qu’elle ait été persécutée lors de l’entrée des Bourguignons dans la capitale en 1418 » (Cl. Le Ninan p. 379) et la lecture du Ditié de Jehanne d’Arc comme œuvre de propagande commandée par les Valois, « L’abbaye royale de Poissy, dans laquelle vit Christine », étant en étroite relation avec eux (p. 186, voir aussi p. 185) ? De déductions biographiques (la mention de « XI ans » passés « en abbaye close » par Christine au début du Ditié en 142910, celle d’une fille religieuse à l’abbaye de Poissy dans Le Dit de Poissy et L’Advision Cristine11), on passe à des assertions qui constituent les soubassements idéologiques ou les représailles de textes12. Ce passage du probable à l’être n’est pas sans danger pour les lecteurs futurs : il risque de transformer pour eux une hypothèse de lecture en vérité factuelle.

32Le Sage Roi et la clergesse présente néanmoins de très belles analyses formelles du fonctionnement des exempla ou de l’autocitation dans les traités de Christine. Complétant avantageusement les études politiques sur Christine de Pizan (attachées à commenter surtout les idées et plus rarement la structure rhétorique et littéraire des textes13), ce travail montre toute sa subtilité dans ce que Cl. Le Ninan appelle « la loi des séries » (voir les p. 346‑360 sur l’effet littéraire et politique de la confrontation des exempla) et dans l’analyse de la réécriture du Charles V dans le Livre de paix (p. 268‑279), qui envisage l’œuvre comme réalisation d’un texte en puissance et comme choix parmi des potentialités textuelles, et lui confère donc, à défaut d’une originalité, une particularité littéraire.

L’héritage interrompu

33Face à la littérature classique dont la postérité a hérité sans interruption, le Moyen Âge constitue encore aujourd’hui un héritage discontinu. S’opposent sur le plan critique deux régimes de lecture des textes du passé : l’un envisage ces textes comme la lignée dont est directement issue la littérature contemporaine, l’autre, qui s’applique aux œuvres coupées du présent par une transmission interrompue, doit toujours réinventer sa légitimité. Le second régime suppose nécessairement une part d’irrationnel dans le rapport qu’il fait naître entre le lecteur et le texte, la lecture ne correspondant à aucune norme. Les lecteurs du xxie siècle ont ainsi besoin d’outils épistémologiques sur lesquels appuyer les analyses menées sur ces textes dés‑actualisés. Nos deux ouvrages reposent sur deux méthodes très différentes cherchant à créer pour l’œuvre de Christine un cadre conceptuel qui nous la rende lisible.

L’identification comme méthode critique

34La démarche critique de D. Roch repose sur une identification avec l’auteur et favorise ainsi une approche achronique des textes14. Cette identification entre auteur et lecteur ne se fait pas par empathie, « le plus pernicieux des arguments pour décider de la qualité d’une œuvre » (p. 27, encore qu’il ne soit pas sûr que D. Roch parvienne totalement à éviter cette position sur un plan personnel15). Elle se situe plutôt dans la genèse textuelle. Une telle identification suppose de faire le pari d’une possible substitution du lecteur à Christine en tant que créateur textuel grâce à « une universalité transhistorique de certaines catégories »16 (notamment celles de femme et d’écrivain, et c’est le pari que faisait déjà en partie Cl. Le Ninan en proposant d’envisager Christine comme un auteur en quête de reconnaissance personnelle, soit en recourant à une conception toujours valide de l’écrivain).

35L’œuvre est envisagée par le lecteur depuis la fonction d’auteur comme un objet esthétique à visée morale, cette visée pouvant avoir le même effet sur les lecteurs de toutes époques pour peu qu’ils saisissent le style, la singularité et la beauté de l’ouvrage (qui ne contiendrait que secondairement une visée pragmatique spécifique aux lecteurs du xve siècle). Le texte échappe à la durée en étant étudié dans la virtualité de l’avant‑publication, selon « une poétique de la puissance », une analyse « qui chercherait à lire dans le texte ce qu’il aurait pu être, qu’il n'est pas mais dont il conserve la trace »17. D. Roch s’appuie sur Jean Rychner pour développer cette lecture des possibles du texte :

« Lorsqu’un auteur écrit en vers, les unités métriques et strophiques qui s’imposent à lui comme des “formesˮ à remplir fournissent une bonne base à l’étude de sa technique. Comment tel auteur utilise‑t‑il la laisse ou le couplet d’octosyllabes, voilà une question simple à laquelle il est assez facile de répondre... »
Nous allons donc nous employer à répondre à cette « question simple » et voir comment Christine de Pizan « remplit » les formes. La forme à remplir est ici la ballade (p. 147).

36C’est pour cette raison que Christine doit nécessairement apparaître comme un archétype auctorial : en tant qu’écrivain en train de créer, choisissant parmi les possibles du lyrisme la forme la plus expressive, l’auteur s’extrait du temps. C’est également pour cette raison que l’étude neutralise dans une large mesure la portée pragmatique du texte : dépassant la genèse de la ballade, la visée morale est l’affaire d’un contexte de réception. Un symptôme de cette neutralisation réside dans l’abandon des analyses en polyphonie des ballades, et particulièrement du recueil des Cent balades. A contrario de la majorité des études récentes18, D. Roch subsume la totalité des discours lyriques sous l’expressivité d’une voix unique, celle de l’auteur. On rencontre une assimilation curieuse des ballades dites de personnages aux ballades de deuil attribuables à la voix d’auteur : il y aurait dans ce recueil « une sorte de transposition de l’amour conjugal à l’amour courtois » (p. 173). Cette interprétation compromet une partie de la portée morale des Cent Balades constituée par la condamnation de l’amour courtois. Reconnaître l’existence d’une polyphonie aurait pour effet d’introduire une narration au cœur des ballades, or la préséance donnée à l’expression d’une émotion face au monde nécessite d’abandonner toute étude narrative de la ballade.

Jeunesse & vieillesse de l’œuvre littéraire

37La solution de Cl. Le Ninan face au corpus christinien est au contraire d’en proposer une vision organique à travers une comparaison anthropomorphe. Organisée en trois périodes (les textes politiques, ce qui les précède et ce qui les suit), l’œuvre devient lisible sous le jour de la vie humaine : à l’enfance et sa légèreté succèdent le temps de la sagesse (celui de l’âge mûr, considéré comme « l’apogée » de l’œuvre p. 269) puis celui de la vieillesse (compris comme un déclin). C’est déjà de cette manière que Cl. Le Ninan proposait d’envisager la structure du Charles V : le livre dessinerait « une trajectoire ascendante dont l’apogée réside dans la visite de l’empereur Charles IV [...]. Puis les morts successives et le Grand Schisme qui divise la chrétienté sont autant d’étapes vers le déclin et la mort » (p. 355).

38La troisième période de Christine, constituée d’œuvres religieuses (« aussi rare[s] que son œuvre didactique était prolixe », p. 185), correspond à un renoncement ou à un passage de l’action à la méditation (p. 183‑184). Le déclin se pressent déjà dans le dernier ouvrage politique : le Livre de paix témoigne « de la fragilité du discours didactique et de son échec » (p. 183), d’un « désenchantement du monde » (p. 376) et étonne par « la noirceur de son regard critique » (p. 380). « Le monde de Christine est devenu incompréhensible, à cause d’une fuite des valeurs » (p. 377). Comme le Grand Schisme dans le Charles V, la vieillesse de l’art est marquée par la séparation des parties autrefois solidaires, par la désunion du signe et du monde. Et Cl. Le Ninan d’ajouter :

Dans ce contexte, le Ditié de Jehanne d’Arc [...] fait l’effet d’une renaissance et sa composition paraît aussi miraculeuse que l’événement qu’elle célèbre. (p. 185)

39La carrière de Christine rejoint ainsi le parcours de l’hagiographie : une succession de tribulations s’achève sur une illumination finale, celle de l’apparition de Jeanne d’Arc qui constitue comme la rétribution des malheurs endurés. Il est intéressant de remarquer que plutôt que d’unifier l’œuvre complète (comme le fait la figure d’auteur de Christine de Pizan), cette image anthropomorphe de la bibliothèque justifie et motive un manque apparent de cohérence en lui inventant une histoire. Par ailleurs, cette méthode reste toujours en partie axiologique, puisqu’elle suppose en toute entité une aube et un déclin (elle correspond en fait à la théorie winckelmanienne du beau dont parle Danielle Roch p. 28) et jette toujours dans l’ombre une partie de l’œuvre afin d’en éclairer une autre.

L’ère du soupçon

40L’ouvrage de D. Roch, malgré ses interprétations qui restent parfois en surface, constitue un bon manuel de prévention à l’usage des spécialistes de Christine de Pizan qui voudraient construire un auteur capable d’éclairer leurs interprétations. Cette thèse leur propose d’entrer dans une nouvelle ère de lecture, celle du soupçon. La défiance constante envers la féminisation de l’écrivain bouscule les données préconstruites sur lesquelles les universitaires ont l’habitude de s’appuyer dans leurs analyses.

41Lire l’ouvrage de Cl. Le Ninan à l’aide de cette méthode permet de faire ressortir l’originalité de ce second livre : celle d’une étude de l’œuvre politique de Christine de Pizan qui s’appuie jusque dans son plan sur une analyse formelle des textes. Il s’agit moins pour Cl. Le Ninan de mettre à jour les structures d’un idéal de la royauté et de la justice que de comprendre comment cet idéal se construit et évolue dans les textes, et comment il cherche à emporter l’adhésion de son lecteur par des biais littéraires. Christine, ethos construit par les figures du discours, est un de ces biais ; elle constitue moins, dans la première partie du Sage Roi et la clergesse, la source et le garant des idées que leur véhicule rhétorique.

42Cette étude, dont on ne peut que regretter la publication tardive qui lui fait perdre ses prérogatives sur un certain nombre d’idées innovantes, aurait gagné à aller plus loin dans sa démarche en abandonnant le recours systématique à une biographie externe à l’œuvre19. Aucun christinien ne peut profiter réellement des théories sur la mort de l’auteur dans la mesure où Christine existe dans son texte et n’existe qu’au sein de son texte — c’est là le paradoxe du corpus, et aussi son attrait pour les critiques modernes à une époque marquée, dit‑on, par un retour de l’auteur dans les études littéraires20. Les études christiniennes vivent cependant une période dangereuse de leur histoire : celle du figement définitif de la biographie d’auteur. Le critique ne doit donc jamais oublier que la Christine qui apparaît dans l’œuvre n’a jamais que partiellement existé et qu’elle est une construction du texte, c’est‑à‑dire un dispositif plurivoque et capable d’auto‑contradictions, même si cette Christine textuelle est pratiquement tout ce que l’on conserve de la vraie Christine de Pizan, auteur empirique. Or le critique doit reconnaître aussi qu’à travers la Christine textuelle, c’est bien la Christine réelle qui l’attire et le fascine en tant que lecteur21. Rendre hommage à la Christine réelle nécessite forcément de construire une hypothèse d’auteur comme principe symbolique et cohésif de son œuvre, mais aussi de ne jamais figer ni uniformiser l’enveloppe mouvante de la Christine textuelle, retaillée à la mesure de chaque texte, dans un individu réel et univoque, soumis à l’insouciance de la jeunesse et à la décrépitude des vieux jours.