Initials A.B.
Les (dé)raisons d’un dictionnaire
1Prenons le Dictionnaire André Breton et montrons‑le : nous découvrons un ouvrage d’envergure, comportant plus de mille pages et plusieurs centaines d’entrées, qui sont le fruit de treize collaborateurs réunis autour d’Henri Béhar, et dont les noms seront sans doute familiers aux lecteurs de la revue Mélusine : Elza Adamowicz, Michel Bernard, Marie‑Paule Berranger, Jean‑Claude Blachère, Michel Carassou, Stéphanie Caron, Jérôme Duwa, Jean‑Pierre Goldenstein, Catherine Marchasson, Françoise Py, Emmanuel Rubio, Maryse Vassevière et José Vovelle. Un monument d’érudition, donc, qui invite à redécouvrir le poète, le critique, le polémiste et le théoricien du surréalisme sous toutes ses facettes alphabétiques. Les lecteurs curieux (« étudiants », « amateurs » et « public éclairé », selon les termes de la présentation d’H. Béhar, p. 9) profiteront ainsi de la forme dictionnairique pour se construire un Breton délinéarisé, en multipliant les parcours thématiques. Parmi tant de richesses, un regret cependant : l’absence d’index et de table des notices, outils qui auraient permis non seulement de faciliter la navigation et la consultation mais aussi de mesurer toute l’ampleur et la variété de cet abécédaire bretonien.
2Si cet ouvrage s’inscrit dans le sillage des dictionnaires d’auteur qui fleurissent depuis quelques années (Beckett, Camus, Gide, Proust, pour ne citer que quelques écrivains du xxe siècle1), il faut reconnaître que l’instrument lexicographique s’avère particulièrement approprié au cas de Breton. Pour s’en convaincre, et pour peu qu’on se prête au jeu du hasard objectif, il suffit d’ouvrir le Dictionnaire Breton à l’article « Initiales » : on y apprend que « [t]rès tôt, André Breton s’est rendu compte que les initiales de son nom appelaient le dictionnaire » (p. 533). Certes, les affinités alphabétiques ne sauraient motiver à elles seules la réalisation d’une telle entreprise. Mais elles signalent plus profondément que la forme même du dictionnaire rencontre l’une des aspirations majeures de Breton comme du mouvement surréaliste : la tentation de l’encyclopédisme et de l’inventaire, instruments rationnels par excellence qu’il s’agit pour les surréalistes de détourner en parodie, ou de miner par une redéfinition subversive des canons esthétiques et des références morales2.
3La notice « Dictionnaire », rédigée par H. Béhar (p. 323‑325), apparaît à cet égard comme une justification interne de l’ouvrage, tant l’œuvre de Breton semble aimantée par un pôle lexicographique : lecteur du Petit Larousse illustré durant son enfance, l’auteur du Manifeste de 1924 pastiche l’article de dictionnaire dans sa célèbre définition du surréalisme (« Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur », etc.3), avant de contribuer lui‑même au Dictionnaire abrégé du surréalisme avec Éluard (1938), à la mystification collective de la fausse encyclopédie Da Costa (1947‑1949)4 et au Lexique succinct de l’érotisme (préface au catalogue de l’Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme, 1959). Bref, si pour Mallarmé le monde est fait pour aboutir à un beau livre, l’œuvre de Breton, elle, semble exister pour aboutir à un imposant dictionnaire.
Breton sans le surréalisme ?
4Mais si fondée que soit son existence, ce Dictionnaire André Breton n’arrive pas dans un champ vierge : il suffit d’ailleurs de consulter l’importante bibliographie rassemblée en fin de volume (p. 1033‑1048) pour s’en persuader. C’est dire combien l’ouvrage doit être, selon un adjectif prisé par Breton lui‑même, « situé5 », et en premier lieu par rapport à d’autres dictionnaires qui le recoupent : en premier lieu le Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs dirigé par Adam Biro et René Passeron6 (auquel avaient déjà collaboré H. Béhar et M. Carassou) ainsi que le Dictionnaire du surréalisme de Jean‑Paul Clébert7, et plus accessoirement le Dictionnaire de l’objet surréaliste, édité sous la direction de Didier Ottinger8 à l’occasion de l’exposition « Le surréalisme et l’objet » organisée en 2013‑2014 par le Centre Pompidou (on y retrouve les noms d’H. Béhar et de J. Duwa). Tout le défi de ce dictionnaire d’auteur réside en effet dans la difficulté à tracer les « limites‑non frontières » entre Breton et un mouvement surréaliste dont il a été le porte‑parole et le théoricien attitré, et dans lequel il n’a cessé d’inscrire ses pas, jusqu’à identifier sa trajectoire avec celle du surréalisme même — ses Entretiens avec André Parinaud en sont un témoignage flagrant9.
5Dès lors, comment faire un dictionnaire Breton qui ne soit pas un dictionnaire du surréalisme, (et vice versa) ? « Ceci n’est pas un dictionnaire du surréalisme mais bien d’André Breton », avertit la quatrième de couverture du livre, comme pour prévenir le risque du double emploi. La question est d’autant plus épineuse que, par exemple, J.‑P. Clébert avoue significativement dans la préface de son Dictionnaire du surréalisme avoir choisi de faire de Breton le centre de gravité de son ouvrage, délaissant les événements survenus après sa mort en 1966, trois ans avant la dissolution officielle du groupe surréaliste :
Le groupe s’ordonne évidemment autour de Breton […]. Le surréalisme porte son empreinte, son sceau et lui doit son existence même. L’amitié profonde dont il a fait preuve à l’égard de ses compagnons de route efface en grande partie l’intolérance (l’exigence plutôt) que certains ont pu lui reprocher. Avec lui naît et meurt le surréalisme10.
6Quant au Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs d’A. Biro et R. Passeron, il se prête sans doute moins à la confusion, dans la mesure où — le titre même l’annonce — son but est de présenter le surréalisme dans toute sa diversité et jusque dans ses marges, refusant précisément de réduire le mouvement au seul Breton. Parti pris qui est d’ailleurs également, sur un autre plan, celui du Surréalisme par les textes d’H. Béhar et M. Carassou, publié comme le Dictionnaire André Breton dans la collection « Dictionnaires et synthèses » des Classiques Garnier : les deux ouvrages forment ainsi un diptyque éditorial régi par des logiques différentes et complémentaires, avec d’un côté un dictionnaire d’auteur qui se propose de détacher la figure singulière de Breton de la mouvance surréaliste, et de l’autre une anthologie visant à restituer la pluralité du surréalisme au‑delà du seul Breton, en donnant la parole à ses acteurs, et parfois à ses détracteurs.
7La nécessité de distinguer ce dictionnaire Breton des entreprises précédemment citées conduit H. Béhar à expliciter ainsi la démarche adoptée (p. 8‑9) :
En dépit du grand nombre de poètes, d’artistes, de plasticiens ayant appartenu au groupe surréaliste qui sont ici traités, ce dictionnaire ne prétend pas rivaliser avec les dictionnaires du surréalisme ayant cours sur le marché […]. En effet, les noms des personnalités qui figurent ici n’ont été retenus que dans la mesure où celles‑ci avaient eu un rapport explicite avec André Breton, en l’accompagnant dans sa démarche, ou, inversement, parce qu’il s’est attaché à éclairer la leur.
8Toute ressemblance avec des dictionnaires existants n’est donc pas fortuite, mais le Dictionnaire Breton s’acquitte pleinement de sa tâche : rendre sensible la voie/voix spécifique de Breton à l’intérieur d’un orbe surréaliste dont il est sans doute le centre mais assurément pas le tout. À cet égard, on lira avec profit l’article « Surréalisme » (p. 949‑955), rédigé par M. Carassou, qui suit le fil des définitions proposées par Breton tout au long de son œuvre, de la première attestation dans « Pour Dada » en 1920 à « Perspective cavalière » en octobre 1963, livrant ainsi en diachronie la sédimentation intellectuelle à travers laquelle Breton a construit son surréalisme autant que le surréalisme. Il en va de même pour l’entrée « Groupe (surréaliste) » (p. 471‑475), où H. Béhar, au‑delà de la variation et de la recomposition des effectifs autour de Breton, étudie la manière dont celui‑ci n’a cessé de remettre en cause sa stature de chef de file (« je ne suis pas pour les adeptes », écrit‑il dans Pleine Marge en 1940) et de réfléchir à la nature problématique de l’association ainsi contractée :
Il propose donc (sans d’ailleurs s’y tenir) d’adopter le terme de Bund suggéré par Monnerot dans La Poésie moderne et le sacré, dont il reproduit la définition sociologique : « groupe dont les membres ne sont liés que par des liens d’élection » […]. (p. 474)
9De manière analogue, dans « Surréel, surréalité » (p. 962‑963), H. Béhar commente l’emploi prudent de ces termes par Breton, visiblement réticent à figer la dynamique surréaliste dans des substantifs définis, et les situe par rapport aux perspectives de Desnos ou d’Aragon (qui est d’ailleurs l’« inventeur du féminin surréalité »). Et si l’on rebondit précisément sur « Aragon » (p. 63‑67, sous la plume de M. Vassevière), on trouvera tour à tour une histoire des rapports entre les deux hommes, de leur amitié jusqu’à leur rupture définitive, une réflexion sur leurs trajectoires comparées (esthétiques autant que politiques) et un bilan sur leur vision respective du surréalisme : ici comme dans les notices consacrées aux compagnons ou aux ascendants surréalistes, le propos est orienté en fonction du filtre bretonien, ce qui permet de redessiner un surréalisme assurément bien peu dogmatique, et de faire justice de la caricature si souvent rebattue de Breton en « Pape du surréalisme ». L’article consacré à ce syntagme, dû à J.‑P. Goldenstein (p. 758‑759), en restitue d’ailleurs fort bien l’archéologie, tout en en désavouant l’usage, non sans piquant : « Pour toutes ces raisons, cette expression est bannie du présent dictionnaire ».
Vers la biographie d’une œuvre
10En détournant le sous‑titre qu’Yves Bonnefoy avait donné à son Alberto Giacometti en 1991, on pourrait dire que le Dictionnaire André Breton permet de ressaisir la « biographie d’une œuvre ». Dictionnaire d’un auteur et non d’un mouvement, cette imposante entreprise offre en effet des notices développées, proposant une efficace synthèse entre l’information factuelle (biographique, bibliographique, historique) et l’interprétation poétique, esthétique ou philosophique. La vie et l’œuvre de Breton se laissent ainsi appréhender à travers les trois grands types de savoirs convoqués par H. Béhar dans sa conception du dictionnaire d’auteur :
[…] l’encyclopédique, définissant les termes géographiques, historiques, les noms des personnages, réels ou fictifs, figurant dans l’œuvre de l’auteur étudié ; l’autre linguistique ou lexicographique, portant sur le vocabulaire spécifique de l’écrivain, ses formes‑sens poétiques, ses images, son glossaire en quelque sorte ; une dimension idéologique enfin, dégageant les concepts‑clés développés dans l’œuvre, leurs tenants et aboutissants philosophiques et politiques. (p. 7)
Une vie
11En réalité, ce Dictionnaire Breton ne comporte guère de notices encyclopédiques au sens où l’entend H. Béhar : dans la mesure où Breton entend reconduire l’art dans la vie, et où il ne s’intéresse « qu’aux livres qu’on laisse battants comme des portes, et desquels on n’a pas à chercher la clé11 », l’encyclopédique se rabat volontiers sur le biographique. De ce point de vue, l’ouvrage peut en effet être parcouru comme une biographie analytique, éclatée entre plusieurs entrées. Si l’André Breton de Mark Polizzotti (Gallimard, 1999) est bien mentionné en bibliographie, on ne s’étonnera pas de voir H. Béhar, auteur d’un André Breton le grand indésirable (biographie parue d’abord chez Calmann‑Lévy en 1990, puis dans une version revue et ressourcée chez Fayard en 2005), traiter la plupart des notices de cet ordre, comme celles qui concernent par exemple la famille de Breton (ses parents, ses femmes, sa fille), mais aussi les rencontres marquantes évoquées dans l’œuvre (comme la véritable Nadja, ou encore la voyante Angelina Sacco) ainsi que les lieux de vie du poète, pour le pire (voir l’article « Lorient », point d’ancrage familial d’une mère détestée) et le meilleur (voir « Bretagne », « Saint‑Cirq Lapopie », « Tour Saint‑Jacques », « Cafés » ou encore… « Marché aux puces »).
Un lexique
12Deuxième catégorie évoquée, les notices linguistiques ou lexicographiques constituent assurément l’un des aspects les plus originaux de ce dictionnaire. Pour faire émerger les termes clés du lexique bretonien ainsi que leur emploi en contexte, les auteurs se sont appuyés sur le traitement informatique du corpus numérisé des œuvres de Breton : « Aussi bien, les termes apparemment les plus abstraits sont‑ils systématiquement donnés dans leur environnement, et avec leur emploi particulier chez Breton », commente H. Béhar (p. 7‑8). Un tel parti pris rappelle la démarche anthologique du Surréalisme par les textes d’H. Béhar et M. Carassou, et plus encore des Pensées d’André Breton, répertoire de citations édité en 1988 par le Centre de recherches sur le surréalisme12. La méthode aboutit parfois à des notices en forme d’inventaire récapitulatif, qui encadrent et commentent un choix de citations (à l’article « Génie », par exemple). Le cas extrême, de ce point de vue, est représenté par l’article « Ville », qui se contente de juxtaposer deux citations de Breton ; gageons qu’il s’agit là d’un hommage au Dictionnaire abrégé du surréalisme d’Éluard et Breton (1938), dont les définitions consistaient précisément en collages de brefs extraits représentatifs.
13Mais le traitement lexicométrique du corpus bretonien offre surtout l’avantage de ramener constamment le lecteur au discours de Breton, de couvrir l’ensemble de l’œuvre en sortant des seules formules consacrées par les manuels ou les histoires du surréalisme, de livrer la cartographie thématique de certains motifs importants de l’œuvre (comme l’« Agate », le « Cristal », le « Château » ou les « Ruines ») et parfois de corriger certaines idées reçues. Loin d’accréditer l’idée d’un surréalisme dévoré par l’ambition prométhéenne ou entièrement livré aux forces de l’inconscient, l’emploi du terme « Démesure » (p. 308‑309, par M. Bernard) montre par exemple que Breton lui conserve « une connotation nettement péjorative », préférant la maîtriser plutôt que la subir.
Une philosophie
14Une large part des articles de ce dictionnaire est consacrée aux « concepts‑clés » qui traversent l’œuvre de Breton, tout en nourrissant les positions politiques et philosophiques du surréalisme. Parmi ces notices conceptuelles, beaucoup représentent des passages obligés, tant ils vont de pair avec l’aventure surréaliste (« Hasard objectif », « Humour noir », « Automatisme », « Communisme », « Psychanalyse », « Cadavre exquis », « Jeux », « Exposition », « Alchimie »…) ; d’autres proposent des angles d’attaque véritablement philosophiques qui, en s’appuyant toujours sur le corpus des textes de Breton, permettent de ressaisir les éléments de sa propre pensée (voir évidemment « Philosophie », en lien avec « Dialectique » ou « Matérialisme », mais aussi « Esthétique », « Génie », « Abstraction », « Bonheur », « Désespoir », « Mémoire » ou encore « Gestaltthéorie », moins attendu mais important pour sa démarche esthétique).
15La philosophie de Breton se dégage tout autant de ces concepts que des grandes références brassées par son œuvre ; d’où l’importance des notices consacrées aux ascendants de l’écrivain, qu’ils soient partagés avec l’espace du surréalisme (de Sade à Rimbaud pour la littérature, d’Héraclite à Hegel pour la philosophie) ou qu’il révèlent des inflexions plus personnelles, souvent liées à des fascinations de jeunesse (comme le rappellent les notices sur Mallarmé, Valéry, le symbolisme, ou encore Fénéon et Huysmans ; peut‑être aurait‑on pu de ce point de vue consacrer une entrée à Vielé‑Griffin). Ce panorama intellectuel est efficacement synthétisé par la notice « Auteurs de référence » (p. 96‑99) qui résume la bibliothèque de Breton en s’appuyant sur les inventaires dont lui‑même était coutumier (dans le Manifeste du surréalisme ou Qu’est‑ce que le surréalisme ?, entre autres). Dans le domaine plastique, si essentiel à Breton comme à la démarche surréaliste, le dictionnaire propose un parcours équivalent, avec les artistes tutélaires (Picasso, Duchamp), les peintres du mouvement, avec lesquels les relations furent plus ou moins houleuses (témoins Dalí, mais aussi Brauner, Miró ou Ernst), et les noms qui révèlent un attachement plus personnel (Derain pour un temps, Moreau durablement) ; quant à la synthèse sur les peintres de référence de Breton, on la trouvera dans la présentation du Surréalisme et la peinture par E. Adamovicz (p. 957‑961).
16Au‑delà de ces références idéologiques, toute une série d’articles, articulant la pensée et le vécu, l’intellect et la biographie, reconstituent une véritable Weltanschauung bretonienne. Ces notices, sans doute les plus révélatrices d’une éthique ou d’un « comportement lyrique » propres à Breton, s’organisent en réseaux sémantiques qui retracent moins l’histoire d’une vie qu’ils n’évoquent un rapport particulier à la vie — à ce « problème de la vie » qui ne cesse de hanter Breton et fait ainsi du surréalisme, avant tout, une attitude existentielle de refus comme de réenchantement du monde. C’est dans cette perspective qu’on pourra lire et lier les articles « École », « Éducation », « Enfance », « Enseignement » et « Jeunesse », qui dessinent un portrait de Breton en jeune homme tout en rappelant les fondements de son perpétuel appel à ce qu’il nommait dans Le Surréalisme et la peinture le « primitivisme intégral ». Autre réseau sémantique fondamental : la constellation « Amour », « Acte sexuel », « Sexualité » et « Érotisme », qui compose une érotique bretonienne tout autant qu’elle rappelle une part de la topique surréaliste sur ces sujets. Un effet analogue se dégage d’une autre famille de notices : celle qui concerne la série (négative) « Argent », « Profession » et « Travail », opposée à l’association (positive) « Loisir », « Voyages » et… « Marché aux puces ».
Des livres & des archives
17Pas de dictionnaire d’auteur, enfin, sans présenter les jalons de l’œuvre : aussi trouvera‑t‑on une entrée pour chacun des livres publiés par Breton. Ces notices bibliographiques, qui recoupent le travail effectué par Marguerite Bonnet et Étienne‑Alain Hubert pour l’édition des Œuvres complètes de Breton dans la Bibliothèque de la Pléiade, restituent les textes dans leur histoire (génétique autant que contextuelle) et en évoquent les lignes de force, en proposant pour certains recueils (de poèmes ou d’essais) d’utiles tableaux synoptiques qui permettent de faire le point sur la composition et l’évolution de chaque ensemble (voir Les Champs magnétiques, Clair de terre ou La Clé des champs).
18À côté de ces présentations bibliographiques, l’un des grands mérites du Dictionnaire Breton est de sortir du strict champ des œuvres publiées pour proposer des approches plus transversales, par exemple sur les différentes approches dont l’œuvre a pu faire l’objet (voir les entrées « Critique », « Critique génétique », « Critique psychanalytique », « Critique thématique » et « Critique stylistique », pas toujours amènes au passage), ou sur les pratiques éditoriales de Breton : la notice « Éditeur » montre ainsi les rapports houleux avec Gallimard et la continuité de la collaboration avec Le Sagittaire ; l’entrée « Revues » résume l’activité de Breton dans ces supports vitaux pour la démarche avant‑gardiste ; on la complètera utilement par les articles « Journalisme » et « Presse » pour avoir une idée des relations conflictuelles du poète avec la presse. La production paratextuelle de Breton est également rappelée à travers les « Préfaces » (quatre‑vingt‑dix, de 1919 à 1965), ou encore les « Dédicaces » (la notice étudiant ici les dédicaces proprement dites et certains envois manuscrits significatifs).
19Quant aux avant‑textes, ils ne sont pas négligés, et les curieux de génétique trouveront d’intéressantes synthèses sur les « Manuscrits » (point crucial, surtout dans le cas de l’écriture automatique), les « Carnets » (trois, en fait, datant des années 1920), la « Correspondance » (avec une mise au point sur la restriction de publication des lettres reçues par Breton dans un délai de cinquante ans après sa mort) ou les « Inédits » (dont le principal gisement semble précisément être la correspondance). Et au‑delà des archives littéraires de Breton, la composition et les tribulations de ses collections artistiques (en particulier avec la vente aux enchères controversée d’avril 2003) sont également rappelées à travers les notices « Atelier », « Mur de l’atelier » ou « Vente André Breton ».
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20Avec ce Dictionnaire André Breton, le lecteur tient un outil de référence — plus encore, une somme qui synthétise et redéploie les connaissances existantes (biographies, édition des Œuvres complètes, études monographiques ou sur le mouvement surréaliste, apport du Web avec le site de l’Association Atelier André Breton, archives répertoriées dans les institutions publiques, en premier lieu la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet) pour proposer une multitude de portes d’entrées dans l’œuvre, la vie et la pensée de Breton. Dès lors, le lecteur devient l’acteur d’un jeu de piste, la forme même du dictionnaire autorisant un potentiel presque infini de parcours et de navigations à travers les notices, que ce soit en suivant sagement les renvois proposés ou en rêvant au gré de ces associations libres que le surréalisme a si souvent sollicitées. Autant de chemins possibles, donc, que la curiosité stimulée du lecteur voudrait parfois prolonger par de nouvelles entrées (pourquoi pas « Traductions », par exemple, ou « Poème »), mais qui permettront de traverser et de retraverser l’œuvre de Breton en la situant au plus juste dans cet espace surréaliste qu’elle a si fortement construit sans, pourtant, se rabattre entièrement sur lui.