Acta fabula
ISSN 2115-8037

2016
Août-septembre 2016 (volume 17, numéro 4)
titre article
Isabelle Hautbout

Une révolution permanente

Vincenzo De Santis, Le Théâtre de Louis Lemercier, entre Lumières et romantisme, Paris : Classiques Garnier, coll. « L’Europe des Lumières », 2015, 728 p., EAN 9782812433122.

1Auteur de douze tragédies et d’autant de comédies, Louis-Népomucène Lemercier (1771-1840) méritait bien que l’on consacre une monographie à sa production théâtrale car, comme le rappelle Vincenzo De Santis, c’est un auteur omniprésent « dans les journaux, dans les mémoires, dans les « souvenirs » de ses contemporains : tout en faisant l’objet des critiques les plus sévères, son œuvre est effectivement lue et connue par une génération entière d’auteurs » (p. 360). Très peu d’études lui étaient pourtant consacrées ; un inventaire de ses œuvres — pas toujours imprimées, parfois perdues — était même nécessaire.

2V. De Santis s’est attelé à cette tâche dans le cadre d’une thèse de doctorat, menée à la Sorbonne en cotutelle, sous la direction de Pierre Frantz et de Maria Giulia Longhi, et soutenue en 2013.

3Son propos s’organise en trois parties, dont la logique gagnerait à être clairement exposée en introduction. C’est d’abord la première carrière tragique de Lemercier qui est examinée, depuis Méléagre, que le filleul de la princesse de Lamballe parvient à donner à 16 ans, en 1788. Suit le grand succès d’Agamemnon (1797), réédité en annexe, occasion d’un panorama de la tragédie et de la politique sous le Consulat et l’Empire. Pinto (1800), également édité en annexe, justifie un second développement d’envergure sur la comédie de l’époque. La fin de carrière de l’écrivain, devenu académicien, fait l’objet d’une partie spécifique, examinant son positionnement face au romantisme au moment de son retour à la comédie et à la tragédie.

4Au-delà des deux œuvres dont V. De Santis donne une édition critique, le volume tente donc de présenter la production théâtrale de Lemercier dans son ensemble, telle que la ponctuent d’autres publications, notamment poétiques, ainsi que les épisodes d’un Cours de littérature. L’œuvre dramatique est en outre confrontée aux modèles théoriques et aux productions de l’époque (de Chénier, Schiller, Mercier, Goldoni, Soumet …) mais aussi appréhendée dans sa réception par la critique ou les parodies. Les mises en scène, en particulier les apports de Talma ou de Boccage, sont également prises en compte pour mieux cerner, au delà du cas de Lemercier, un « moment de transition » (p. 10) à appréhender en termes de « continuité » et de « métissage » (p. 14).

5Il n’est malheureusement pas toujours aisé de suivre le fil de ce parcours ambitieux, qui gagnerait sans doute à s’organiser en sous-parties plus nombreuses et clairement architecturées, et dont certains développements contextuels pourraient être élagués : c’est remonter un peu loin que d’invoquer Montaigne à propos du rôle d’un enfant, et il semble inutilement scolaire d’invoquer les travaux de Jauss pour justifier l’importance des mises en scène et de la réinterprétation qu’elles supposent. Mais ce sont là les lourdeurs d’un travail académique, qu’il conviendrait toutefois de nettoyer de quelques coquilles.

6La bibliographie, quant à elle, pourrait s’enrichir d’une liste des éditions et des différentes représentations des pièces de Lemercier, ainsi que des comptes rendus auxquels elles donnèrent lieu dans la presse de l’époque. Tout comme les développements analytiques, les sections « livres anciens » (mêlant indifféremment fictions, articles critiques, ouvrages usuels …) et « éditions » modernes (où l’on est surpris de trouver une édition des Destinées de Vigny remontant à 1967 !) seraient plus lisibles si elles étaient redécoupées en catégories plus précises.

« Népomucène Le Bizarre » (p. 303)

7L’ouvrage de V. De Santis n’en demeure pas moins très précieux. D’abord car il offre un panorama chamarré des pièces de Lemercier, qui constituent toutes « une expérience différente » (p. 358), mais dont V. De Santis sait faire ressortir les titres les plus marquants et les plus signifiants. Lemercier semble avoir livré des tragédies de toutes sortes : mythologique (Méléagre), biblique (Le Lévite d’Ephraïm, 1796), politique (Agamemnon), antique (Camille, 1811-1826), égyptienne (Ophis, 1797), nationale (Isule et Orovèse, 1800-1803 ; Charlemagne, 1800-1803 ; Clovis ; La Démence de Charles VI, 1820), royale (Louis IX en Egypte, 1821 ; Frédégonde et Brunehaut, 1821 ; Baudouin empereur, 1826) – s’il était vraiment possible de les étiqueter d’un mot. La comédie n’est pas en reste avec Le Corrupteur, comédie de caractère accompagnée en 1822 par une tragicomédie : Dame Censure, ou la Corruptrice. Molière inspire à Lemercier un Tartuffe révolutionnaire dès 1794, avant que Shakespeare ne lui souffle Le Frère et la Sœur jumeaux en 1816. Lemercier propose aussi la « troisième adaptation théâtrale française de Clarissa » (p. 160) sous forme de comédie larmoyante : Lovelace, en 1792. Dans cette même veine, proche du drame bourgeois, il tente une Prude en 1797, qui évoque Les Liaisons dangereuses. Il privilégie cependant la formule de la comédie historique, qu’il inaugure avec Pinto en 1800 et poursuit sous l’Empire avec L’Ostracisme et Richelieu, ou la journée des dupes. À cela s’ajoutent des comédies historico-biographiques : Plaute, ou la Comédie latine en 1807 ; Christophe Colomb en 1809. Drame historique imité de Shakespeare et de Rowe, Richard III et Jane Shore (1824) constitue presque un hapax. Hors-catégorie, l’« imbroglio à grand spectacle » des Voyages de Scarmentale en cinq pays (vers 1790) est qualifié de « monstre littéraire » (p. 159). La parodie-mélodrame de Caïn ou le premier meurtre (1829) n’est pas non plus facile à cerner. C’est un grand mérite de V. De Santis que d’embrasser tout ce corpus alors que « l’histoire du théâtre se souvient uniquement des feux hardis de Pinto et de Christophe Colomb, oubliant totalement le reste de la production de Lemercier, souvent réduite au rabâchage d’un vieil académicien déçu » (p. 331).

8Le choix qu’il effectue de distinguer deux succès antithétiques de Lemercier en les publiant en fin de volume apparaît cependant pertinent. Après nous avoir donné l’envie d’explorer l’œuvre du dramaturge, il est bon de nous permettre de commencer à le faire sans attendre, à travers une édition critique bien documentée, signalant variantes et sources principales. Agamemnon constitue « un des plus grands succès tragiques de la période directoriale dont les reprises continuent jusqu’en 1826 » (p. 19). Outre qu’elle fond les sources et les modèles de façon intéressante, cette « dernière tragédie classique » (p. 11) dégage une force indéniable, à travers des lieux portant la mémoire de crimes terribles, des personnages ambigus, des échanges tendus. Créé en 1800, Pinto constitue « une exception importante dans le panorama dramatique du tournant du siècle » (p. 189), caractérisé « d’un côté par un conservatisme classicisant — marqué, certes, par les modifications introduites au siècle des Lumières — et de l’autre par la prise de conscience de l’inadéquation du dispositif scénique et du système dramatique contemporain » (p. 187). Lemercier s’avère privilégié pour saisir ce moment singulier car il concilie les deux tendances en cherchant à « créer une typologie dramatique entièrement neuve à partir des modèles offerts par la comédie classique et par les sujets propres à la scène de Melpomène » (p. 197). Il en résulte une « protoforme de drame romantique » et « un succès de scandale lors de sa création à la Comédie-Française » (p. 19).

9Le choix des œuvres publiées en annexe — que l’on pourrait souhaiter plus nombreuses si l’on oubliait d’être raisonnable — est donc révélateur d’une œuvre atypique. V. De Santis y insiste en soulignant ce qu’on pourrait appeler le syncrétisme créatif de Lemercier : Méléagre mêle le modèle racinien au goût pour l’affreux et le terrible développé pendant le xviiie siècle. Le Lévite d’Ephraïm est apparu comme une tragédie biblique dégoûtante. Dans Frédégonde et Brunehaut, « Lemercier essaie de concilier l’esthétique gothique et grotesque mise en vogue par ses contemporains, imitateurs du théâtre anglais et allemand, avec la grand tradition du théâtre français » (p. 326-327). Les jeux intertextuels sont souvent décisifs, complexes et inattendus. Clovis confronte ainsi Tartuffe et Mahomet ; des sources médicales (en particulier les travaux de Pinel) s’avèrent décisives pour comprendre La Démence de Charles VI. Shakespeare est également une source majeure, qui incite Lemercier à contaminer les codes épique et dramatique dans Christophe Colomb, où l’unité de lieu est impossible et l’alexandrin classique, malmené. La remise en cause des frontières génériques passe aussi par la tentative de « concilier le contenu du roman anglais avec l’esthétique propre au théâtre français » (p. 161) dans Lovelace où, comme dans La Prude, Lemercier cherche à donner une nouvelle vigueur aux formes dramatiques stagnantes et inadéquates, notamment en n’excluant pas le pathétique dans la comédie. La critique voit toutefois d’un mauvais œil ce défi aux genres, pourtant passionnant pour les études esthétiques transgénériques, et qualifie Charlemagne de « roman invraisemblable   (p. 311).

10La conclusion du volume offre une synthèse claire, très bienvenue, sur la révolution permanente — sans cesse recommencée car jamais achevée — que constitue la création de Lemercier. La transformation des genres théâtraux est plus marquée dans les pièces comiques, quoique le dramaturge entende rajeunir la comédie sans la défigurer. Les « traits novateurs du tragique chez Lemercier [se manifestent] essentiellement au niveau du spectacle et dans la caractérisation du personnage tragique » ; le tragédien reste « dans le sillage de la tradition du siècle des Lumières, par rapport à laquelle il s’avère parfois même plus conservateur » (p. 361). Enfin, si « la production de Lemercier qui suit de près son élection à l’Académie est […] marquée par le retour à une dramaturgie plus traditionnelle se signalant par des choix esthétiques indubitablement moins hardis, surtout en matière de comédie » (p. 331), il n’empêche que « Lemercier a brisé les unités dramatiques et pratiqué le mélange des genres et le rapprochement du sublime et du grotesque, en créant des ouvrages que la critique de l’époque n’arrivait pas à faire entrer dans des genres connus » (p. 360).

Constance de la dissidence

11En ne cessant de présenter ce double visage — « novateur ou réformateur et conservateur voire réactionnaire » (p. 363) —, l’œuvre de Lemercier manifeste finalement sa constance, et même sa cohérence, si l’on considère avec V. De Santis que « [d]epuis le début de sa carrière, Lemercier essaie de renouveler le théâtre français grâce à un retour aux sources mêmes du dramatique — le théâtre antique » (p. 188), qui rejoint « la tragédie élisabéthaine — fondatrice d’une dramaturgie moderne » (p. 365) dans une sorte de « primitivisme » créatif (p. 366).

12Ce perpétuel travail sur les formes théâtrales se cristallise par ailleurs dans la forte dimension réflexive du théâtre de Lemercier, objet d’un développement spécifique que l’on pourrait encore étoffer. V. De Santis montre bien qu’au-delà des cas évidents de Plaute ou de Caïn, « Colomb représente à plusieurs égards un double de l’écrivain et son voyage prend les proportions d’une excursion métapoétique » (p. 283). Mais la lecture de Pinto suggère une réflexivité véritablement envahissante, avec des personnages qui jouent explicitement, élaborent des scenarii, parlent de masques, se déguisent…

13V. De Santis préfère toutefois mettre en avant « l’existence d’une réflexion idéologico-politique unitaire » en la présence d’un esprit révolutionnaire, démocratique, qui constituerait « enfin un élément de cohésion dans ce chaos » (p. 363-364). Le soulagement que laisse deviner cette formulation pourrait laisser craindre une forme de réduction à un principe unique, mais l’analyse est globalement convaincante. Quelques éléments biographiques l’étayent tout d’abord : proche de la royauté mais républicain convaincu, Lemercier renonce à un titre de marquis, avant de se démarquer des excès de la République. Ami de Bonaparte, il refuse le tournant absolutiste de Napoléon dont il refuse la légion d’honneur. Mais Lemercier mène en fait une réflexion critique sur la légitimité du pouvoir tout au long de son œuvre. Agamemnon critique un « crime qui aurait pris le masque de l’idéal » (p. 47). Charlemagne met en scène une« erreur de jugement […] commise par un monarque catholique couronné par le pape » (p. 104). Clovis montre la « bassesse du monarque sanguinaire », procédant à la « diabolisation de l’un des fondateurs de l’État français » (p. 108). L’humanisation finale doit-elle pour autant s’entendre comme une démystification plutôt que comme une réhabilitation ? La même question se pose à propos de Frédégonde et Brunehaut : implique-t-elle forcément une désacralisation ? La censure, il est vrai, ne balançait pas quant à l’irrévérence de Lemercier envers les puissants. L’interdiction de La Démence de Charles VI fut à l’origine d’une véritable affaire politique et ne cessa jamais de sonner comme une attaque virulente du pouvoir en place. Dans Pinto, qui subit la désapprobation de cinq régimes politiques, la volonté de démythifier les hommes de pouvoir est affichée ; Lemercier explique qu’il s’agit de montrer « les grands en déshabillé » (p. 655). V. De Santis a raison de reconnaître « l’esthétique d’un romantisme naissant » (p. 198) dans ce « portrait d’un souverain malgré lui » (p. 191) ; on s’attendrait même à ce qu’il cite les « grands hommes en robe de chambre » de Dumas.

14V. De Santis fournit en revanche des pistes très intéressantes pour voir dans la dissidence politique des œuvres de Lemercier le fruit d’une dissonance esthétique, d’un décalage avec la forme dramatique revisitée. Ainsi, dans Agamemnon, « Lemercier se sert du langage de l’Antiquité, instrument rhétorique du discours révolutionnaire par excellence, pour condamner les excès de violence de la République et de la Terreur » (p. 48). Avec Charlemagne,« pour la première fois, une tragédie, genre roi du théâtre, remet en cause l’infaillibilité du jugement d’un des fondateurs de la monarchie française » (p. 104). Dans Frédégonde et Brunehaut, le roi « parle la langue des héroïnes tendres » du fait d’un « réseau intertextuel tissé à partir des textes canoniques de la tradition française dont [Lemercier] renverse la polarité » (p. 320). Dans La Prude, pour prendre un dernier exemple, « Lemercier joue […] avec les clichés de la comédie (l’agnition de l’enfant ; le mariage final) pour dénoncer les dérives de la société républicaine dont le mariage et la famille constituaient les deux piliers fondamentaux » (p. 166).

15In fine, c’est une remarquable cohérence esthétique et idéologique que dégage V. De Santis :

Détracteur de la violence de la Terreur, adversaire convaincu de Napoléon, dénonciateur du faux appareil de la monarchie restaurée d’abord et constitutionnelle ensuite, Lemercier s’oppose aussi bien aux vaines « chicanes scholastiques » des classiques qu’aux folies barbares des romantiques. (p. 364)

Trouble dans la taxinomie

16V. De Santis ne tranche cependant pas tous les problèmes que soulève l’œuvre de Lemercier, mais on lui sait précisément gré de s’y affronter avec intelligence sans chercher à résoudre une complexité d’une passionnante richesse. Bien qu’il y voie une duplicité possiblement cohérente, il interroge ainsi : « Comment classer les deux versants de [l]a production dramatique [de Lemercier ?] Comment interpréter le rapport entre l’instance néoclassique et l’instance romantique » (p. 363) ? V. De Santis se montre un peu léger quand il évoque incidemment « une double tendance que l’on peut — si l’on veut — appeler classique et romantique » (p. 333) et il surprend quand il parle d’une « tradition que Lemercier n’a jamais su renier » (p. 329), comme se prenant pour une fois au piège rétrospectif de l’évolution. En général, il se méfie à juste titre de la téléologie romantique et ne minimise pas la persistance du classicisme, « code esthétique encore vivant » (p. 365) à l’époque de Lemercier, qu’il replace « dans la continuité bien plus que dans la rupture, […] dans une (r)évolution esthétique qui commence bien avant la publication de la Préface de Cromwell » (p. 228) et dont la bataille d’Hernani est l’aboutissement bien plus que le départ. Le créateur inclassable qu’est Lemercier s’avère alors un révélateur précieux d’une histoire littéraire à revisiter.

17D’autres questions demeurent cependant : « Comment l’auteur de la Panhypocrisiade et de Pinto aurait-il pu écrire un ouvrage antiromantique » (p. 348) avec Caïn, ouvertement parodique des tendances du temps ? L’ouvrage a pourtant fourni des réponses en insistant sur la volonté de Lemercier de s’appuyer sur la tradition littéraire pour la recréer — non la détruire. Mais les positions de Lemercier ne sont pas toujours faciles à accorder. V. De Santis relève que plusieurs éléments de Pinto vont à l’encontre des positions théoriques de l’auteur, en particulier l’intromission du pathétique dans le comique sous forme d’une véritable alternance. De même, les nombreux enjambements de Christophe Colomb contredisent la critique de cette technique dans les Cours de Lemercier. V. De Santis affronte ce problème de méthode avec sagesse, décidant de ne pas « trop se fier au programme de l’auteur [ni de] perdre de vue le décalage entre le projet et sa réalisation, qui représente d’ailleurs une constante dans l’œuvre de Lemercier » (p. 226).

18D’autres décalages viennent encore compliquer le cas Lemercier pour achever d’en faire un objet d’étude stimulant. Le dramaturge occupe en effet la position étonnante d’un pionnier d’abord non reconnu et orgueilleux de sa prééminence tout en méprisant sa postérité ! C’est ce qui ressort de la publication du recueil des Comédies historiques quinze jours après Cromwell : « il est fort possible que Lemercier, jaloux de son "invention", ait décidé d’en hâter la publication pour réaffirmer sa primauté par rapport aux nouvelles formes de théâtre historique dont il était à la fois l’initiateur et l’un des détracteurs les plus acharnés » (p. 343). On lit en effet dans l’avant-propos :

À cette époque on était loin de croire que pour innover et coopérer aux progrès douteux du siècle, il fallût recourir aux emprunts des informes conceptions étrangères, et renverser de fond en comble les lois constitutives de notre admirable scène française, si merveilleusement enrichie par la gloire des maîtres de l’art (p. 655)

19Autant dire que Lemercier entretient des rapports tout aussi complexes avec ses successeurs qu’avec ses prédécesseurs.

20Pourtant, avec la reprise de Pinto en 1834, « l’ennemi juré des romantiques est désormais vu par la presse comme l’un des fondateurs d’un mouvement contre lequel il s’était toujours battu » (p. 352). C’est là un dernier décalage intéressant — entre création et réception — que Lemercier donne d’autant plus l’occasion d’explorer qu’il a accumulé un grand nombre d’ouvrages sous l’Empire pour ne les essayer sur le théâtre qu’après Waterloo. V. De Santis y voit « la cause principale de l’échec de la quasi-totalité des tragédies de Lemercier qui ont vieilli dans ses tiroirs pendant plus de dix ans avant de passer sous les feux de la rampe » (p. 21). C’est peut-être là aussi, outre la difficulté à classer l’œuvre de Lemercier, ce qui a causé son « naufrage » (p. 367) — mot sur lequel Vincenzo De Santis referme son étude de façon déconcertante car son ouvrage a plutôt su inviter à un nouvel envol de cette œuvre expérimentale, volontiers oxymorique, passionnante en elle-même aussi bien que pour les études littéraires et dont on espère désormais d’autres éditions et — pourquoi pas ! — de nouvelles mises en scène.