La Parole intérieure. Qu'est-ce que se parler veut dire?
Stéphanie Smadja
Hermann, 2021
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ISBN : 9791037006714
35 EUR
526 p.
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Chacun d’entre nous se parle à soi-même : en son for intérieur ou à voix haute, sous forme verbale ou sous forme d’images. Pourtant, nous ignorons souvent comment fonctionne ce processus. Il arrive même que nous n’ayons pas conscience de nous parler à nous-mêmes. Mieux comprendre le fonctionnement et les différentes modalités de notre langage intérieur pourrait nous permettre de mieux nous connaître, de mieux nous adapter et de mieux communiquer avec autrui. L’enjeu ici n’est pas d’abord scientifique, mais personnel, interpersonnel et social. En un mot, il est humain.
Cet essai retrace les formes et les fonctions positives de la parole intérieure comme du monologue à voix haute, avant d’aborder dans un dernier chapitre la question de la polyphonie et des voix autres qui traversent ma voix ou mes voix intérieures.
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Table des matières
Introduction
Chapitre un Faits endophasiques et faits linguistiques
1. L’histoire des investigations endophasiques ou la construction d’objets de recherche de nature hétéroclite
1.1. Les représentations théoriques de l’endophasie
1.2. Les enquêtes de terrain
2. Les protocoles Monologuer : langage intérieur et fait linguistique
2.1. Les deux phases et les entretiens semi-directifs
2.2. Des données quantitatives : les questionnaires écrits
2.3. Le carnet endophasique
Chapitre deux États de parole intérieure et modalités endophasiques
1. Modalités et formes du langage intérieur
1.1. Entendre, lire, écrire et prononcer son langage intérieur
1.2. Concevoir sans mots : une pensée abstraite ?
1.3. Monologuer à voix haute
1.4. Synesthésies endophasiques : des sons et des couleurs
2. Des états de langage intérieur : parole active (deliberate inner speech) / rêverie diurne (daydreaming) /vagabondage mental (mind wandering)
2.1. Représentations de la parole intérieure délibérée
2.2. Représentations du vagabondage mental
2.3. Représentations de la rêverie diurne
Chapitre trois Un phénomène mesurable ? Le point de vue neurolinguistique
Les aires du langage
1.1. Les aires principales du langage dans l’hémisphère gauche
1.2. Corps calleux et hémisphère droit
2. Langage intérieur et langage extériorisé
2.1. Rôle spécifique du lobe frontal et réseau cérébral commun aux langages intérieur et extériorisé
2.2. États de parole intérieure et réseaux cérébraux
2.3. Activités musculaires : une articulation minimale ?
Chapitre quatre Sphères langagières de l’intime : les constellations endophasiques
1. L’endophasie : un langage intime, privé, quotidien
1.1. L’invention du quotidien
1.2. L’histoire de la vie privée
1.3. L’intime : un champ de recherche récent ?
2. Constellations endophasiques
2.1. Divergences entre les représentations littéraires et les protocoles Monologuer d’un côté et le modèle de Morin et Uttl de l’autre
2.2. Comparaison entre les carnets et la représentation littéraire
2.3. Les constellations endophasiques comme marque des spécificités individuelles
Chapitre cinq Fonctions positives du langage intérieur et du monologue à voix haute
1. Le rôle de la parole intérieure à travers l’apprentissage et la mise en œuvre de la lecture et de l’écriture
1.1. La lecture
1.2. L’écriture .
2. L’auto-régulation (self-regulation)
2.1. Passage à l’action : l’exemple du choix des vêtements
2.2. Résolution de problèmes
2.3. Planification
3. Le monologue à voix haute entre motivation, concentration et décharge émotionnelle
3.1. Le plaisir de la voix
3.2. L’émotion comme déclencheur ?
3.3. Se parler à voix haute pour se concentrer ou se motiver
Chapitre six Parole intérieure et genres discursifs
1. Deux notions incompatibles ?
1.1. Genres discursifs : quelques définitions
1.2. Le carnet endophasique : un nouveau genre discursif ?
2. La parole intérieure comme matrice et réceptacle des genres discursifs
2.1. Lecture et genres discursifs
2.2. Dialogues fictifs endophasiques
2.3. Écoute et devenir des genres discursifs
3. Des genres discursifs endophasiques ?
3.1. La liste et le mémo : la planification des tâches et du calendrier
3.2. L’infinitif comme marqueur générique ?
Conclusion
Bibliographie
Index des noms d’écrivains
Constellations notionnelles
Liste des illustrations et des schémas
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Extraits de l’introduction :
Si Victor Egger supposait le phénomène continu, plusieurs enquêtes montrent que pour certains il l’est probablement, pour d’autres non. Pour Vygotski, la parole intérieure et le monologue à voix haute ont des fonctions précises, utiles pour notre vie quotidienne, comme la structuration de la pensée ou le soutien au passage à l’action. Chacun d’entre nous est plus ou moins conscient des potentialités de la parole intérieure. Une meilleure connaissance de l’endophasie nous offrirait non seulement un meilleur accès à nous-mêmes mais constituerait aussi un appui dans un certain nombre de situations. Ainsi Georges Saint-Paul suggère-t-il pour les aphasies des thérapies adaptées en fonction du type de langage intérieur et du type d’aphasie.
Les études sur les états et les fonctions de la parole intérieure sont abondantes depuis une quarantaine d’années dans le domaine de la psychologie et des neurosciences anglo-saxonnes, à partir de différents points de départ : le langage intérieur, mais aussi la conscience, la représentation de soi, la capacité de fictionalisation, la mémoire. En théorie, il peut sembler surprenant de se parler : pourquoi donc discuter avec soi en son for intérieur ou à voix haute ? Ne savons-nous pas ce que nous allons nous dire ? Certains participants aux protocoles Monologuer supposent avant de commencer l’expérience qu’ils n’ont pas de parole intérieure. D’autres racontent pendant l’entretien 2 des discussions avec des proches et la surprise de ceux-ci lorsque le phénomène est évoqué. Quel est le rôle de ce langage silencieux, dont nous n’avons pas toujours conscience et qui ne s’articule pas seulement en mots, mais aussi en images, sons, parfums, gestes intérieurs ou concepts abstraits ? Avant d’aborder dans un autre ouvrage des hypothèses linguistiques notamment sur la structuration syntaxique, il convient donc de préciser la nature de l’objet étudié.
Quelles sont les modalités du langage intérieur et quelles en sont les fonctions ? Qu’est-ce que je me dis, lorsque je me parle ? Sous quelle forme ? Bien plus, pourquoi m’adresser à moi-même ? Quelle est la nature de la parole intérieure, quelles sont ses fonctions, négatives ou positives ? Qu’est-ce qu’elle révèle de moi et de mon rapport aux autres, au langage, au monde ? Autant de questions qui sont abordées dans cet essai partiellement issu de mon inédit d’Habilitation à Diriger les Recherches, sous un angle inédit. D’une part, je me suis fondée sur un corpus de restitutions endophasiques et j’ai comparé des échantillons retranscrits par les participants lors des protocoles Monologuer, en cours depuis l’automne 2014 (113 participants ont été pris en compte dans cet essai, dont la rédaction a été finalisée en 2018 et revue en juin 2019 ; nous en sommes aujourd’hui, en août 2020, à 195 participants), et des représentations artistiques. D’autre part, j’allie dans une perspective interdisciplinaire essentiellement les neurosciences et la linguistique, mais aussi la stylistique, l’anthropologie, l’histoire de la langue, la philosophie et la psychologie. […]
Quelles sont les natures et les fonctions de l’endophasie ? Qu’est-ce que chacun se dit en son for intérieur ? Pourquoi se parler ? Je distinguerai dans le cadre de cet essai, le langage intérieur qui peut revêtir des formes non verbales (images, sons), et la parole intérieure, qui est ici au cœur de mon propos et qui se fonde sur les mots. La parole intérieure occupe entre 0 à presque 100% de notre vie psychique chaque jour. Hurlburt en situe la fréquence moyenne à 25% (sur une étude concernant 30 participants), Alain Morin à 50% (sur une étude concernant 500 participants). Dans un premier chapitre, j’expose le protocole 2R (Restitution et Représentations), que j’ai créé en 2014 et j’en interroge les potentialités comme les limites en le comparant à d’autres méthodes. Quel objet permet-il de construire ? Dans un second chapitre, j’envisage les modalités endophasiques, les états de parole intérieure et les représentations du monologue à voix haute. Dans le chapitre trois, j’aborde le point de vue neurolinguistique sur le langage intérieur. Le chapitre quatre est consacré aux constellations endophasiques (de quoi nous parlons-nous ?) et le chapitre cinq aux fonctions positives du langage intérieur et du monologue à voix haute (pourquoi se parler ?). Le chapitre six, plus long que les précédents, est centré sur les genres discursifs en parole intérieure. Il pose également, dans le prolongement du chapitre un, la question du niveau d’analyse linguistique du langage intérieur. Comment chacun se représente-t-il la structuration et le rôle de l’endophasie ? Comment les écrivains les ont-ils évoqués ? Les premiers peuvent-ils éclairer les usages littéraires et inversement la littérature peut-elle nous servir de porte d’entrée dans notre univers intérieur ? La question du niveau d’analyse linguistique pertinent pour le langage intérieur est déployé plus amplement dans mes deux autres ouvrages à travers l’hypothèse d’une grammaire endophasique.
Extrait du Chapitre 1 :
Pour le dire autrement, le langage intérieur est rarement appréhendé comme un fait de discours et, précisément, de langage. Et pourtant, comme l’indiquent les différentes terminologies utilisées pour désigner ce phénomène inhérent à toute vie intérieure humaine, ne s’agit-il pas là d’une caractéristique fondamentale ? Selon Gabriel Bergounioux, l’endophasie est une activité intérieure sans commune mesure :
[…] par sa permanence et sa démultiplication, par son ampleur aussi (des dizaines de milliers de mots, des centaines de milliers de phonèmes chaque jour), l’endophasie est un phénomène unique dans l’ensemble de l’activité intellectuelle. (p. 23)
Seize heures de fonctionnement endophasique (environ soixante mille secondes), à raison de dix phonèmes par seconde, c’est plus d’un demi-million de phonèmes chaque jour. Encore, la parole intérieure, plus vive, plus syncopée, plus elliptique, doit-elle atteindre des valeurs sensiblement plus élevées. […] La portée de tels chiffres, à considérer comme des ordres de grandeur, est demeurée ignorée, comme s’ils pouvaient être sans effet sur l’usage et sur les conduites. Quel autre phénomène psychique atteint des valeurs si prégnantes et si élevées ? (p. 102)
Si les chiffres proposés restent difficiles à vérifier à travers l’expérimentation et les enquêtes de terrain, Gabriel Bergounioux attire ici l’attention sur l’ampleur et l’amplitude potentielles de la parole intérieure. Or, cette dernière a souvent été analysée plutôt comme un « fait psychique » que comme un fait de langage, faute d’élaborer une méthode adéquate mais pas seulement.