Compte rendu publié dans Acta fabula (novembre 2022, vol. 23, n° 9): "S'écrire en bleu" par Martine Sonnet
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Cet ouvrage s’intéresse à l’expérience d’écriture et de publication d’une centaine d’auteurs ouvriers et ouvrières dont les témoignages ont été publiés depuis 1945. Dans Écrire sa vie, devenir auteur, Eliane Le Port explore les manières d’écrire à partir d’expériences du travail et éclaire l’ensemble des processus de production d’un témoignage, depuis l’écriture jusqu’à sa publication. Là où l’histoire sociale a eu tendance à faire de ces auteurs essentiellement des ouvriers et des ouvrières, et plus généralement des ouvriers-militants, l’étude les révèle également écrivains.
Depuis 1945, des ouvriers et des ouvrières en personne ont pris la plume pour se raconter dans des écrits aux formes diverses, pour évoquer la réalité quotidienne du travail, pour décrire les luttes, faisant ainsi perdurer une tradition qui remonte au milieu du XIXe siècle. Les récits ouvriers ne sont pas simplement nourris par les événements qu’ils rapportent, mais aussi par des expériences d’écriture qui dépassent la seule publication d’un ou de plusieurs textes.
Cet ouvrage présente les différents acteurs de l’écriture, interroge les expériences (sociales, professionnelles, militantes, culturelles) qui ont façonné les traits identitaires des auteurs, la diversité de leurs pratiques scripturaires ainsi que les contextes de prise de plume et de production des écrits.
Au-delà de la reconstitution des étapes de production d’un récit, Eliane Le Port s’intéresse à la manière dont les auteurs, à travers les analyses sur leur position de témoin et d’écrivain, prennent part à la réflexion sur la littérature et le témoignage.
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :
"Écrire les vies ouvrières", par Rose-Marie Lagrave (en ligne le 1 décembre 2021)
Depuis La nuit des prolétaires de Jacques Rancière (Fayard, 2012, 1ère éd. 1981) et les publications se réclamant de la littérature prolétarienne, on attendait un éventuel prolongement, tout en pensant à tort que la verve et le filon s’étaient épuisés à mesure de l’effritement de la classe ouvrière. Avec la parution d’Écrire sa vie, devenir auteur. Le témoignage ouvrier depuis 1945, d’Éliane Le Port, reviennent à vif et au tranchant ces plumes acérées aux cris de la souffrance au travail, plongées dans l’énergie suscitée par les luttes collectives, taillées pour témoigner que les ouvriers pensent, écrivent, et, par ce geste de l’écriture, s’émancipent. Ce livre d’une foisonnante richesse documentaire dessine la construction progressive de la figure composite de l’écrivain-ouvrier, assemblage inusité pour qui réserve la qualité d’écrivain à celles et ceux qui ont reçu l’estampille du monde littéraire.