Félix Guattari est mort fin août 1992, quelques mois après la publication de son dernier ouvrage Chaosmose, dont le dernier chapitre, « Pour une refondation des pratiques sociales » parait en octobre 1992 dans les pages du journal Le Monde diplomatique.
L’ensemble de son œuvre constitue une critique radicale de la manière dont les sciences sociales, et notamment la psychanalyse, rendent impuissant·e·s face aux transformations du monde. Par sa présence amicale et décisive aux côtés de tous les mouvements du moment (indépendance algérienne, mouvement du 22 mars 1968, luttes de libération des femmes, droits des homosexuel·le·s, radios libres, lutte contre le racisme, opéraïsme italien, défense pionnière des personnes immigrées, démocratisation brésilienne, écologie) il a affirmé résolument que de nouvelles voies pourraient être trouvées pour les passions transformatrices.
Il a proposé à l’université et dans toute la société de mobiliser de nouvelles subjectivités collectives et/ou « quelconques », de nouveaux rapports entre mouvements des corps, territoires, esthétique et éthique. Si l’œuvre co-écrite avec Gilles Deleuze connait une reconnaissance universitaire plus importante que celle des écrits de Guattari, ceux-ci n’en font pas moins référence dans le monde entier pour de nombreuses chercheur.e.s et artistes contemporain.es. Trente ans après la parution de Chaosmose, ces travaux prennent une acuité particulière à l’ « ère postmédia », que Guattari envisageait comme l’ouverture d’une nouvelle créativité machinique, dans la mesure où une machine opère comme « point de relance ou point de rupture » et où un individu est à repenser en tant que « collectif de composantes hétérogènes ». Dans la nouvelle « cartographie écosophique » à la fois environnementale, sociale et mentale qu’il propose d’instituer, l’analyse collective et individuelle doit travailler à ouvrir des brèches dans le présent, à partir d’une subjectivité « de la différence », du dissensus, de l’atypie, de l’utopie, pour ne pas basculer, écrivait-il en 1992 « dans les conflits atroces de l’identité ».
L’association Chaosmosemedia, l’Université de Paris 8 (Laboratoires ESTCA, EXPERICE, UMR-LEGS, LLCP et MusiDanse) et le Collège International de philosophie co-organisent cinq demi-journées visant à proposer une rencontre transversale entre champs disciplinaires (philosophie, sciences de l’éducation, genre, musique/danse, cinéma/arts plastiques), et entre praticien·ne·s et clinicien·ne·s de la santé mentale, activistes, enseignant·e·s et étudiant·e·, autour d’investissements de désir que permettent l’œuvre et la pratique sociale de Guattari.
Trente ans après sa mort, dans le sillage paralysant des « années d’hiver » (1980-1985), sur fond d’impuissance de pratiques politiques traditionnelles (partis, élections), comment inventer, inviter, fabriquer « une envie collective de vivre » ? Comment saisir les objets « incorporels » que sont les objets mentaux, dans leur dimension de créativité, d’altération et de rapport au monde ? Comment cartographier une subjectivité qui n’est pas encore là ? Comment articuler de nouveaux rapports de flux, de machines, d’univers incorporels et de territoires, dans le contexte d’une guerre en Europe et sur fond d’événements qui touchent, au-delà de l’Ukraine, tous les pays de l’est européen, en un temps de transformations subjectives de grande ampleur et de résurgence de micro/macro fascismes