On nous voit souvent comme des érudits, tapis dans nos cabinets de travail, sombres de préférence, peu enclins à quitter nos tables et papiers. Nous empruntons pourtant aussi les routes et mers, dans l’idée de gagner ces ailleurs vers lesquels nous attirent les textes que nous lisons, les menus objets qui arrivent jusqu’à nous, les lieux rêvés, nos désirs de retrouver un passé si proche et si lointain à nos yeux.
Le colloque souhaite éclairer les liens entre les voyages d’antiquaires et la mise en forme de connaissances sur le passé antique et médiéval à travers ses vestiges matériels. Il s’agit ainsi d’interroger la pertinence d’une séparation entre « l’homme de cabinet » et « l’homme de terrain » et de réfléchir à l’insertion du voyage dans un horizon matériel, intellectuel, mais aussi imaginaire.
Programme
Mercredi 26 juin, 14h-19h30 – Bibliotheca Hertziana (Via Gregoriana 22)
14h – Ouverture du colloque
Marco Cavalieri, université de Louvain
Claudia D’Alberto, università degli Studi ‘G. d’Annunzio’ Chieti-Pescara et université de Liège
Véronique Krings, université Toulouse – Jean Jaurès
Olivier Latteur, université de Louvain et université de Namur
Haude Morvan, université Bordeaux Montaigne
Renaud Robert, université Bordeaux Montaigne
14h30-16h30 Les grandes figures de l’antiquarisme
Michail Chatzidakis (Humboldt-Universität zu Berlin), “Studiosissimus indagator […] inter antiquos antiquissimus”. Cyriac of Ancona (1391-1455?) on the trail of Greek antiquity
Yves Moreau (Université Jean Moulin Lyon 3), Les apports du voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant de l’antiquaire lyonnais Jacob Spon (1647-1685)
Anne Ritz-Guilbert (École du Louvre), François-Roger de Gaignières (1642-1715) et l’Europe en portefeuilles
Vivien Barrière (CY Cergy Paris Université), Le Grand Tour inversé de Scipione Maffei : les vestiges architecturaux des provinces romaines de Gaule vus par un antiquaire italien
16h45-17h45 Voyage, politique et antiquarisme dans la Sérénissime
Daniele Ferrara, Francesco Trentini (Direzione regionale Musei Veneto), Il Patriarca Marco Grimani e le antichità di Palestina, Dacia ed Egitto: presupposti eruditi e valenze politiche del viaggio antiquario nella Venezia del Rinascimento
Valentina Pugliano (Università Ca’ Foscari), Unexpected antiquarians: Venetian diplomatic doctors in search of the past in the eastern Mediterranean and Levant
18h-19h30 : Conférence d’Alain Schnapp. L’esprit des ruines et le voyage antiquaire des origines aux Lumières
Jeudi 27 juin, 9h-20h – École française de Rome (piazza Navona 62)
9h-10h30 Loin de l’Antiquité classique : faire autrement
William Stenhouse (Yeshiva University, New York), Antiquaries and oral sources
Juan Carlos Mantilla (California State University, Fresno), The Tiahuanaco ruins and the early modern Andean creation of a global Antiquity
Zur Shalev (University of Haifa), Constructing a Carmelite past and present on Mount Carmel: Giambattista di Sant’Alessio and the Compendio Istorico … del Carmelo (1780)
10h45-12h15 Médecins, diplomates, précepteurs… et antiquaires
Delphine Acolat (Université de Bretagne Occidentale), Archives photographiques et constitution de collection d’antiquités en Égypte au XIXe siècle : James Douglas père et fils, un voyage entre conformisme et aventures
Emanuele Giusti (Università di Firenze), Monuments, études orientales, traditions locales : Sir William Ouseley (1767-1842) et le passé de l’Iran
Étienne Wolff (Université Paris Nanterre), Maximilien Misson : voyageur ou antiquaire ?
12h15 -13h15 Enregistrer les vestiges d’un passé stratifié
Olivier Latteur (Université de Namur), Voyage et antiquités à la fin XVIe siècle : les « monuments » antiques et médiévaux dans l’Itinerarium d’Ortelius et Vivianus (1584)
Carlos Jesus Moran Sanchez (Instituto de Arqueología, Mérida), Anticuarios, eruditos, viajeros y tópicos en las percepciones sobre las ruinas de Mérida (s. XVI-XIX)
Déjeuner (buffet)
14h30-15h30 Du cabinet au terrain, et viceversa
Francis Tassaux (Université Bordeaux Montaigne), Cassas et Lavallée, de Pola à Spalato, 1782-1802
Claudia D’Alberto (Università degli Studi ‘G. D’Annunzio’ Chieti-Pescara, Université de Liège), Joseph Marie de Suarès, un arcivescovo antiquario nel Contado Venassino per la Roma barberiniana
15h30-16h30 Biographies d’objets
Odile Cavalier (Conservateur en chef honoraire du Patrimoine), De « l’âpre Délos battue par les flots » au cabinet de « l’Antiquaire de la Ville d’Aix » : les tribulations d’un relief votif grec
Cristina Ruggero (Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften), Elena Vaiani (Zentralinstitut für Kunstgeschichte, Münich), « Kirker’s studie … a deal of curiosities… ». Storie di oggetti ed eruditi in viaggio. Attorno al Museo Kircheriano
17h-18h Moscou, Bucarest : voyageurs d’Europe de l’Est et collections muséales au XIXe siècle
Anastasia Aksenova (Université Lumière Lyon 2), Du voyageur à l’antiquaire ? Mutation du voyageur russe en Égypte au début du XIXe siècle : fonctions et rapports aux antiquités
Linca Kucsinschi (Université Jean Moulin Lyon 3), Des pierres qui parlent et d’autres mirabilia : les missions et voyages de Grigore Tocilescu (1850-1909)
18h30-20h : Conférence de Chantal Grell. L’abbé Barthélemy (1716-1795) en Italie et le jeune Anacharsis en Grèce : du voyage érudit à la fiction antiquaire
Dîner pour les participants au colloque
Vendredi 28 juin, 9h-12h30 – Academia Belgica (via Omero 8)
9h-10h Savoirs antiquaires et création littéraire
Catherine Gaullier-Bougassas (Université de Caen Normandie), Curiosité antiquaire et offrande amoureuse : le Discours du Voyage à Constantinople de Bertrand de La Borderie (1542) et sa mise en mémoire poétique de savoirs sur la Grèce antique
Ginette Vagenheim (Université de Rouen Normandie), Épigraphie et culture classique dans l’Hercules Prodicius (1587) de Stephanus Vinandus Pighius
10h-11h Du terrain au partage des savoirs : le cas des inscriptions grecques
Fabrice Delrieux (Université Savoie Mont Blanc), Les antiquaires voyageurs dans la Carie du XIXe siècle. Le cas des « Athéniens » Gaston Deschamps et Georges Doublet d’après des lettres inédites envoyées à Théophile Homolle
Marcel Piérart (Université de Fribourg), Le rôle des voyageurs dans la naissance des « disciplines auxiliaires » de l’histoire : l’exemple des inscriptions d’Argos
11h30-12h30 Malte, aux marges du voyage antiquaire
Francesca Bonzano, Roberta Ferro (Università Cattolica del Sacro Cuore di Milano), “Ma qui la natura soccorse mirabilmente gli sforzi dell’arte”. Il viaggio a Malta di Carlo Castonedella Torre di Rezzonico (1793)
Reuben Grima (University of Malta), Imaginary geographies on Europe’s periphery: travellers, collectors and patrons in 1630s Malta
Déjeuner (buffet)
16h-18h : Visite du musée du Palazzo Venezia (réservée aux intervenants)
Edith Gabrielli, dirigente generale (Ministero della cultura)
Argumentaire
« Je hais les voyages et les explorateurs. » Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques.
Les récits de voyage suscitent l’intérêt continu d’une large communauté scientifique. Les sources viatiques documentent l’histoire du regard et de la constitution du goût, ainsi que celle des savoirs, des sciences naturelles à l’archéologie, en passant par l’ethnologie et l’histoire des textes. Elles constituent par ailleurs pour l’archéologue, l’historien de l’art et l’historien des témoignages sur des œuvres et des textes perdus, ainsi que des documents précieux sur la constitution des collections.
Le colloque « Antiquaires voyageurs » entend focaliser le regard sur les liens entre les voyages d’antiquaires européens entre la Renaissance et le XIXe siècle, et la mise en forme de connaissances sur le passé antique et médiéval à travers ses vestiges matériels. Il s’agit ainsi d’interroger la pertinence d’une séparation qui est parfois établie entre « l’homme de cabinet » et « l’homme de terrain », et de réfléchir à l’insertion du voyage dans un horizon matériel, intellectuel, mais aussi imaginaire. Les relations entretenues par l’antiquaire avec le voyage sont diverses, qu’il prenne la route lui-même, qu’il fasse venir dans son cabinet des objets ayant voyagé, ou qu’il échange avec des correspondants lointains. La recherche et l’écriture constituent, en définitive, une forme de voyage mental dans le temps et dans l’espace.
Toutes les destinations retiendront l’attention, à l’exclusion des voyages à l’intérieur de la France qui s’inscrivent dans une perspective de naissance des institutions patrimoniales et des sociétés savantes. On interrogera à cet égard les notions de proximité et d’éloignement, voire l’articulation entre l’une et l’autre. En ce sens, les liens que les antiquaires entretiennent avec des correspondants à l’étranger pourront être prises en compte. La valeur attachée aux antiquités locales et lointaines, les méthodes appliquées selon les cas, l’élaboration et les mutations de normes artistiques, les ressemblances et différences entre l’antiquaire et l’amateur d’art retiendront l’attention. Les voyageurs devenus antiquaires, s’ils ne sont pas au cœur du propos, pourront être étudiés en miroir des antiquaires voyageurs.
La célébration en 2024 du tricentenaire de la parution du Supplément au livre de l’Antiquité expliquée et représentée en figures de Bernard de Montfaucon offre une invitation à réfléchir à la place des voyages dans la constitution des savoirs antiquaires. Montfaucon ne fut pas un grand voyageur, mais son séjour en Italie entre 1698 et 1701, motivé par la recherche de manuscrits pour l’édition des Pères grecs, eut un impact décisif sur ses publications ultérieures, et à coup sûr sur sa manière d’appréhender le passé.
Le terme d’« antiquaire » sera au cœur du propos. Comment les voyageurs érudits se définissent-ils eux-mêmes ? Comment conçoivent-ils la complémentarité de l’enquête de terrain et du travail en cabinet ? Quelles « antiquités » recherchent-ils et regardent-ils ?
Les communications pourront proposer un éclairage sur un antiquaire en particulier. Si plusieurs figures ont fait l’objet d’approches monographiques, de nombreuses personnalités restent encore à étudier. Elles pourront également s’intéresser à un groupe d’érudits, par exemple aux études antiquaires développées par certains ordres religieux (mauristes, jésuites…), considérant ainsi les conditions du travail érudit liées pour part à une appartenance. Les communicants sont également incités à s’intéresser à la réception d’un objet ou monument en particulier, au « voyage » d’un objet entre collections et publications, dans la veine des « biographies d’objet ». Si les organisateurs attendent des communications portant sur les voyages en Europe ou en dehors, la question de l’exotisme ne sera pas prise en compte en tant que telle. Le champ chronologique est limité aux XVIe-XIXe siècles, mais les phénomènes de continuité et de rupture entre les époques antérieures et postérieures pourront être abordés afin d’interroger justement la notion de « modernité ». Les organisateurs invitent les participants à réfléchir à trois axes en particulier :
1- Les conditions du voyage antiquaire. Les motivations du voyage, officielles ou non, parmi lesquelles l’érudition n’a pas nécessairement la première place, induisent des destinations, des itinéraires. Les érudits préparent leur voyage, notamment par la lecture de textes anciens ou modernes, parfois accompagnés d’illustrations, qui contribuent à forger leur imaginaire. À travers ces lectures, comment les antiquaires voyageurs s’inscrivent-ils dans les pas de leurs prédécesseurs, de Pausanias jusqu’à leurs contemporains ? Comment leur savoir se nourrit-il des échanges avec des locaux, érudits ou non ? La documentation permet-elle de mettre en lumière les nombreux intermédiaires oubliés (ambassadeurs, interprètes, ouvriers, marchands de bazar, vendeurs, dessinateurs, etc.) ou encore le regard des autochtones sur ces antiquaires voyageurs ? Quels rapports entretiennent-ils avec les différentes échelles de pouvoir ? Dans quelles mesures ces voyages antiquaires sont-ils sources de légitimation et participent d’une forme de représentation, voire d’un soft power ?
2- Le rapport aux objets et aux monuments. Quelles caractéristiques des objets et monuments conditionnent l’intérêt de l’antiquaire ? L’ancienneté ? La beauté ? Le caractère intègre ou l’état de ruines ? L’objet mobile est-il recherché pour sa valeur marchande, pour être emporté, collectionné, exposé dans un cabinet ou un musée ? Objets et monuments sont-ils contextualisés plus largement dans un paysage ? Quels techniques et instruments sont mis en œuvre sur le terrain (estampage pour les inscriptions, levés topographiques, calcul des distances et des mesures, croquis…) ? Comment passe-t-on des notes de terrain à la publication ?
3- Réseaux et carrières. Contrairement à l’image de l’érudit enfermé dans sa « tour d’ivoire », l’antiquaire n’évolue pas seul et doit donc être compris dans ses réseaux, à différentes échelles géographiques. Le terrain d’étude est le lieu de rencontres et de collaborations, mais aussi de rivalités et de concurrences. Il s’agira ainsi d’étudier le rôle des voyages dans les carrières et dans la constitution de réseaux. Comment l’antiquaire voyageur est-il perçu dans son milieu ? Comment est-il représenté (que l’on songe aux portraits, individuels ou de groupe, comme la Society of Dilettanti de Joshua Reynolds) ?
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Comité scientifique et organisation
Marco Cavalieri, université de Louvain
Claudia D’Alberto, università degli Studi ‘G. d’Annunzio’ Chieti-Pescara et université de Liège
Véronique Krings, université Toulouse – Jean Jaurès
Olivier Latteur, université de Louvain et université de Namur
Haude Morvan, université Bordeaux Montaigne
Renaud Robert, université Bordeaux Montaigne