Alice Rivaz
La machine à tricoter. Écrits sur les femmes et le travail
Édition établie et préfacée par Jacob Lachat
Dès le mois de septembre 1944, Alice Rivaz écrit pour l’hebdomadaire Servir une série d’enquêtes consacrées à des métiers féminins. Elle y décrit les conditions de travail de femmes de ménage et de travailleuses à domicile dont elle rapporte les propos. Le ton de ces articles est résolument empathique : il s’agit, comme le titre de la série l’indique, de se mettre «à l’écoute de celles qui travaillent», autrement dit à l’écoute de celles dont la parole n’est guère entendue ou considérée. L'écrivaine ne se contente pas d’exposer des parcours de vie laborieuse de manière impartiale ; elle s’implique dans le portrait des femmes qu’elle rencontre tout en donnant à voir leurs gestes et leurs savoir-faire. Elle les interroge aussi sur les aspects les plus matériels de leurs tâches (activités, emploi du temps, revenu chiffré, budget familial, etc.) en cherchant à mettre au jour la réalité matérielle de leurs métiers précaires.
Dans ses articles, Alice Rivaz s’essaie à différentes formes d’écriture et se confronte à des enjeux politiques et sociaux qui ne cesseront de faire retour dans la plupart de ses livres : la condition ouvrière, la question sociale, la guerre, le suffrage féminin, ou encore la situation des femmes dans le monde des lettres.
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Philippe Artières a consacré un billet à ce livre sur en-attendant-nadeau :
"À l’heure où la non-fiction est légitimement louée, le travail des éditeurs qui rassemblent et éditent des reportages, publiés dans la presse par des écrivains, est précieux. La publication des articles de l’écrivaine suisse Alice Rivaz (1901-1998) par les éditions Hors Limite s’inscrit dans ce que la littérature a souvent méprisé, ce qu’elle a considéré comme une écriture alimentaire et dont on découvre combien elle peut être au centre d’une œuvre. Dans le cas d’Alice Rivaz, autrice célébrée en Suisse notamment pour deux de ses romans, Nuages dans la main et Comme le sable, mais méconnue en France, la situation est différente. Née en 1901, elle travaille comme sténodactylo au Bureau international du travail (BIT). La Seconde Guerre mondiale mettant en sommeil l’activité de cette institution, Rivaz se lance dans le reportage. Ce n’est donc pas un hasard si elle choisit d’écrire sur le travail, et plus spécifiquement celui des femmes.
Il ne s’agit pas pour l’écrivaine de pratiquer l’undercover ; ce qui l’intéresse est moins le travail qu’effectuent les femmes que leur parole sur leur activité. La puissance des textes de Rivaz provient du fait qu’ils relatent des rencontres. En décidant d’écrire sur les femmes de ménage, l’écrivaine se fait le relais de ces travailleuses méprisées et invisibilisées. Elles confient leur quotidien, elles disent les rapports de pouvoir avec la jeune bourgeoise qui les emploie, elles évoquent les gestes de mépris, les brimades… Dans cette enquête, l’écrivaine-journaliste fait le choix d’aller chez les ouvrières qui vivent et travaillent dans le même espace. Elle y entend un discours souvent tenu aujourd’hui à propos du télétravail : travailler à domicile, c’est toujours travailler plus et gagner moins. Si La machine à tricoter dénonce les pratiques du capitalisme, Rivaz met noir sur blanc, par la simple accumulation des détails donnés par chacune des ouvrières, la condition féminine au travail dans ces années 1940. L’éditeur ne manque pas de publier les réactions que ses articles suscitent chez les lecteurs, montrant, si besoin est, que décrire est un acte politique." — Philippe Artières.