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"Lecture littéraire et archives du personnage" (Séminaire Approches Interdiscciplinaires et Internationales de la Lecture, A2IL, 2024-2025, Reims)

Publié le par Marc Escola (Source : Alain Trouvé)

Séminaire Approches Interdisciplinaires et Internationales de la Lecture 2024-2025

CRIMEL – CIRLEP

Christine Chollier, Anne-Élisabeth Halpern, Audrey Louyer, Alain Trouvé 

Vingtième session

 « Lecture littéraire et archives du personnage »

Nous proposons de poursuivre la réflexion amorcée l’an passé en nous interrogeant sur les points suivants qui touchent à la fois à la genèse du personnage et à l’activité du lecteur.

Le séminaire des trois dernières années portait sur la relation complexe entre personne et personnage, étendue à l’archive en 2023-2024. La création littéraire d’un personnage puise à différentes sources alimentées par l’expérience et la mémoire de l’écrivain-lecteur : personnes côtoyées dans la vie réelle, personnes plus ou moins fictives associées au souvenir d’œuvres littéraires ou artistiques, personnes supposées appartenir à la vie sociale mais appréhendées indirectement, dont la parole ou l’image est relayée par les médias anciens (journaux) ou nouveaux (internet et les réseaux sociaux).

Si la catégorie de la non-fiction est par essence problématique, toute œuvre de langage restant entachée d’imaginaire, le contrat générique opère une différenciation : l’historicité et la véracité de certaines représentations de personnes, apanage du récit historique au sens strict du terme, dominent encore certaines formes littérarisées (autobiographie, essai ou poésie) ; au contraire, les scénarisations romanesques, filmiques ou parfois théâtrales s’en éloignent par l’affichage d’une poly-référentialité qui les affranchit de toute identification univoque à une personne historique. Toutefois, le flot médiatisé des paroles et des visages circulant sur les réseaux complexifie la question, donnant à percevoir, à distance et hors de tout contrôle lié à un contact direct, une forme nouvelle de fiction : le simulacre. Le simulacre est oxymorique : cette émanation prétendue d’une personne réelle pouvant s’avérer un simple leurre. Il exerce ainsi diverses formes d’emprise sur ceux qui le perçoivent.

Dialoguant avec la réflexion engagée par nos collègues canadiens Bertrand Gervais et Sophie Marcotte dans le volume Archiver le présent Imaginaire de l'exhaustivité (Presses de l’Université de Laval, 2023), nous aimerions notamment interroger la relation entre une supposée « raison numérique » et ce qu’on appelle depuis le livre éponyme de Jacques Goody (1979) une « raison graphique », en creusant la contradiction interne que nous percevons en elles. 

L’invention de l’écriture a donné aux civilisations une puissance nouvelle. En permettant notamment de confronter des énoncés au-delà de ce que la mémoire peut conserver, elle ouvre la voie aux opérations intellectuelles de type scientifique. Dans le domaine littéraire, la transposition de la parole en énoncé écrit est le support de la réflexivité et de l’interprétation qui nécessite le temps de l’analyse. Elle est à ce titre un élément clef d’une dimension cognitive de la lecture littéraire. Si la relation littéraire se trouve par essence liée à la finitude de tout énoncé, oral ou écrit, d’ordre verbal, elle est peut-être le garde-fou indispensable seul susceptible de mettre au jour une « déraison numérique » culminant dans le rapport hypnotique aux images qui envahissent la toile. Pour autant, il existe aussi une « déraison graphique » liée au pouvoir déstabilisant de la lettre. Saussure, fondateur de la linguistique moderne, mena lui-même, entre science et rêverie poétique, une méditation sur les anagrammes, redécouverte par Starobinski (1971). Dans Séméiotikè (1969), Kristeva en donna une version élargie sous le nom de paragrammes afin de mettre au jour un des mécanismes de la créativité textuelle appelée par elle génotexte. 

La réflexion sur le rapport entre littérature et archive mérite aussi d’être précisée en interrogeant la pertinence des allégories de l’archiviste et de l’archéologue. 

Marie-France Boireau, dans une communication [AH1] portant sur le livre de Mathieu Lindon, Une archive (2022), avait avancé l’hypothèse d’un lecteur archiviste comme un contrepoint à la prétention de l’auteur à occuper à l’intérieur de son récit toutes les places, celle de la source et celle de l’interprète. Elle rappelait judicieusement, citant Marie-Anne Chabin (Le Management de l’archive, 2000), que « c’est le regard qui fait l’archive »..Qui mieux que le lecteur, tierce personne, pour porter ce regard extérieur sur l’archive que devient à son tour tout livre publié ? Mais contrairement à l’archiviste, qui répertorie et classe des documents pour d’autres, le lecteur joue avec un matériau multiforme dont le texte à lire n’est que le point de départ. Il associe à cette lecture le souvenir d’autres textes et d’expériences archivées par sa mémoire selon un mécanisme mystérieux conjuguant le rationnel et l’aléatoire. La diversité des cas de figure semble retentir jusque dans la gestion par chacun de sa bibliothèque personnelle. Là où certains privilégient la rigueur du classement alphabétique, d’autres s’abandonneront au désordre apparent parfois générateur de trouvailles.

Quoi qu’il en soit, la lecture littéraire va toujours au-delà de la (re)mise en ordre. Elle use des divers classements que l’esprit conçoit pour élaborer une interprétation. Ici c’est l’image de l’archéologue qui s’impose. Dépassant le sens historique de discipline reconstituant à partir de traces le passé de civilisations anciennes, Foucault, dans L’Archéologie du savoir (1969), s’intéresse, au-delà de la visée unifiante du savoir, à l’hétérogénéité des discours fondateurs de vérité. Il arrive ainsi à une réflexion critique sur la notion d’archive dont le « lieu » serait « l’écart de nos propres pratiques discursives » (p. 180). Il est vrai qu’en régime littéraire divers types de discours, historique, psychologique, philosophique, esthétique sont mêlés comme ils interfèrent dans l’esprit de chaque sujet humain. Ainsi conçue, la tentation archéologique pourrait être un des horizons de la lecture littéraire, horizon toujours partiellement dérobé.

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Programme

-         Jeudi 17 octobre : Anne-Elisabeth Halpern : « Bouveresse, lecteur de Musil », BU, Salle 140 

-         Jeudi 21 novembre : Alain Trouvé : « Archéologie de la parole littéraire : de La Défense de l’infini (Aragon) à Paradis (Sollers) », BU, Salle 140

-         Jeudi 19 décembre : Maria Cabral (U. d’Aveiro) : « De la Correspondance aux Mardis de Mallarmé : La communauté comme archive vivante de la pensée littéraire. Sans présumer de l'avenir », BU, Salle 140

-         Jeudi 23 janvier : Audrey Louyer. Sujet à préciser. BU, Salles 139-140

-         Jeudi 13 février : Nathalie Roelens, (U du Luxembourg) : « Le tournant injonctif des dispositifs numériques : l’archive mise à mal (Borges, Eco…) », BU, Salles 139-140

-         Jeudi 20 mars : Marie-France Boireau (Université d’Orléans) : « Hervé Le Tellier, Le nom sur le mur : l’auteur-lecteur archéologue »,  BU, Salles 139-140

-         Jeudi 24 avril : Christine Chollier : Sujet à préciser. BU, Salles 139-140.

 

 
 [AH1]« dans une communication portant sur…