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Disparition de Suzanne Saïd

Disparition de Suzanne Saïd

Publié le par Marc Escola (Source : Sophie Rabau)

À l’époque où certain.e.s découvraient avec Michel Charles la notion de texte possible, de dysfonctionnement et apprenaient à ne pas dissocier lecture des textes et réflexion sur la lecture, d’autres, parfois les mêmes, lisaient l’article d’une helléniste, Suzanne Saïd, où elle revenait sur la notion d’interpolation dans la philologie classique pour montrer qu’il s’agit moins d’un défaut du texte que d’un manque à lire, souvent lié à une crise d’interprétation. Son étude sur l’authenticité du Prométhée enchaîné d’Eschyle, venue après un livre où elle avait redéfini La Faute tragique, s’inscrivait dans le même désir d’étudier autant que le texte les lectures qui l’ont construit, ce dont témoigne aussi un article  co-écrit avec Christian Biet, paru dans le numéro 58 de la revue Poétique, consacré aux notes de traduction de l’Antigone de Sophocle. Plus tard, ce fut la mythologie qu’elle ne sépara pas de ses « lectures anciennes et modernes ».

Comparatiste à ses heures, elle contribua également aux études de genre et féministes en posant dans sa dernière étude que le pouvoir féminin dans les textes grecs n’était représenté que pour être mis à distance, voire confiné dans un monde irréel. 

À ses lecteurs et lectrices, à ses  élèves surtout, Suzanne Saïd  a appris à lire le grec autant qu’à réfléchir sur la lecture du grec ; elle leur a fait l’inestimable cadeau de la liberté intellectuelle, accompagnant chacun.e sans jamais l’abandonner, mais sans jamais s’imposer, dans la voie qu’il ou elle avait choisi de défricher, et c’est ainsi qu’elle a laissé chacun.e tirer de son enseignement des « éclats de littérature grecque » dont la diversité dit son hospitalité intellectuelle et humaine. 

Quand il fut question de lui consacrer, comme le veut l’usage universitaire, un recueil d’articles, elle y mit une seule condition : que le volume, ne contienne  que « les contributions des étudiants qui avaient, de façon plus ou moins étroite, travaillé sous sa direction. »

Suzanne Saïd a quitté ce monde le 1er octobre 2024. On espère qu’elle habite à présent un monde ensoleillé, où elle discute ferme avec Homère et Hérodote, peut-être même avec Hermès. Elle continue à nous apprendre à lire. — S.R.