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La littérature : nos vies en actes !

La littérature : nos vies en actes !

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Guillaume Bridet)

La littérature : nos vies en actes ?

 

Séminaire 2024-2025

 

14h-16h

Salle F007 en Sorbonne

(17 rue de la Sorbonne – 75005 Paris)

Nos sociétés et l’humanité entière sont entrées dans le temps d’une urgence écologique dont les pouvoirs politiques ne semblent pas avoir pris la mesure et dont les effets bouleversent et vont continuer de profondément bouleverser nos vies dans les années et décennies à venir. Qu’attend-on de la littérature face à une situation qui nous requiert de manière de plus en plus pressante et exclusive ? Et qu’attend-on de sa lecture et de son enseignement ? Dans une époque d’excès et de saccage où il est de plus en plus difficile de mener sa vie en cohérence avec soi-même et d’adhérer à ses propres actes, de nouvelles exigences lui sont adressées qui constituent autant d’issues possibles pour un futur à construire. Un nouveau régime littéraire s’esquisse, qui réclame une littérature chevillée aux expériences que nous vivons et inscrite dans des contextes intimes et collectifs ; une littérature qui met en cohérence l’œuvre et la vie, la pensée et la pratique ; une littérature prise au mot, qui se trouve liée à un renouvellement des formes de nos vies ; en un mot, une littérature action.

Nous faisons le pari dans ce séminaire de percevoir ces nouvelles exigences éthiques et politiques comme une porte d’entrée pour relire à nouveaux frais les corpus les plus canoniques ou pour réévaluer certaines œuvres occultées, mais aussi comme une opportunité présente de renouvellement poétique et comme une manière de donner à la littérature une nouvelle consistance.

Certaines pratiques contemporaines en témoignent, et nous les explorerons de manière privilégiée. Qu’en est-il des nouvelles écritures à plusieurs mains fondées sur des expériences de vie collective ou même des aspirations individuelles conduisant à associer changement de vie et choix d’un certain type de créativité ? Ces associations de l’écrire et du faire ont des caractéristiques propres mais elles relaient aussi des expériences plus anciennes d’ici et d’ailleurs conçues elles aussi dans ce qui apparaissait comme des situations d’urgence. Concernés au premier chef par le temps présent qui nous requiert, nous nous tournerons aussi vers le passé et vers l’ailleurs en quête d’expériences littéraires enregistrant elles aussi un bouleversement des frontières entre l’œuvre et la vie. Des phalanstères fouriéristes au Comité invisible en passant par le groupe de l’abbaye ou la société secrète Acéphale sans oublier l’Université bengalie de Visva-Bharati, les prophétismes scripturaires africains ou les samizdats de la dissidence russe, il s’agit toujours d’apporter une réponse à la fois littéraire et pratique, à des contradictions restées jusque-là sans issue.

Il s’agira moins d’envisager les différentes formes qu’a pu prendre l’engagement de la littérature au nom de telle ou telle cause, ou son implication dans un certain état du monde, que de comprendre comment, dans de rares moments d’exacerbation de l’inacceptable, l’acte littéraire se trouve associé à une exigence impérative de changement de vie. À égale distance des écrivains dans leur rôle traditionnel d’intellectuels en surplomb et de ceux qui, à l’inverse, se sont brûlés à leur écriture dans un rapport sacrificiel, nous nous intéresserons à ces écrits à l’unisson de la vie de ceux qui les produisent et qui, associés à une transformation durable des manières de vivre, anticipent sur les temps futurs. 

1. Mardi 10 décembre 2024

Sylvie Decaux (Université Paris Cité/Pléiade) : Dark Mountain Project. Penser la mort de la modernité et ouvrir les imaginaires de l’effondrement 

Né en Angleterre en 2009 avec un manifeste intitulé “Uncivilisation” (Décivilisation), le projet Dark Mountain est un mouvement littéraire, une revue, puis des festivals, des workshops qui marquent la naissance d’un mouvement culturel plus vaste dans le monde anglophone. Prenant à bras le corps la question du collapse, il ne propose ni doctrine, ni plan d’action, mais simplement un espace où peuvent se tenir des conversations, des débats, des visions artistiques où confronter le deuil, la perte, la part obscure de chacun, mais aussi ouvrir les imaginaires à d’autres horizons. Mêlant culture, politique, spiritualité et mythologies, le projet Dark Mountain fait entendre de nouvelles histoires et des voix singulières, toujours situées dans un temps et un lieu, qui nous aident à nous décentrer, à nous décoloniser et à réimaginer notre rapport au non-humain. Le séminaire sera aussi l’occasion de regarder et feuilleter les très beaux numéros de la revue.

 

2. Mardi 4 février 2025

Aurore Turbiau (Université de Lausanne/CIEL) : Ambivalences de l’action littéraire féministe : de la reconnaissance au soin, au risque de l’agression

Au cours des années 1969-1985, en France mais aussi au Québec et dans d’autres pays de la francophonie, le mouvement des femmes, comme la lutte pour les droits des personnes homosexuelles, trouvent dans la littérature un terrain d’exercice singulier. Les pensées et pratiques de l’engagement littéraire d’héritage existentialiste s’y renouvellent, donnant lieu à d’inédites théories politiques de la littérature. Leur trait interpellatif est particulièrement renforcé : les autrices interpellent leurs lectrices et lecteurs pour les pousser à une prise de conscience ou à une révolte ; elles s’adressent les unes aux autres dans une démarche de recherche de reconnaissance littéraire et politique. Cela implique un risque spécifique de l’écriture féministe, à la fois en raison de la nature de ce qu’elle dénonce et en raison du public auquel elle s’adresse : comment, en discutant de l’expérience intime de la violence, s’engager sans risquer d’aller trop loin, et de blesser ? Comment assumer de “dévoiler“ pour dénoncer le patriarcat, si c’est prendre le risque de mettre à nu ses victimes ? Quelles ressources sont mobilisées pour prendre soin du lectorat, lorsque le risque de l’agression est inhérent à la démarche d’écriture elle-même ?

 

3. Mardi 8 avril 2025

Guillaume Bridet, Xavier Garnier et Alain Schaffner (Université Sorbonne Nouvelle/THALIM) : Point d’étape: reprises et relances à trois voix

 

4. Mardi 20 mai 2025

Jean-Baptiste Lanne (Université Paris Cité/CESSMA) : « Conversation avec un moustique ». Expérimenter une « écriture de l’attente » avec les veilleurs de nuit de Nairobi

Entre 2014 et 2018, dans le cadre d’un terrain ethnographique, j’ai participé à la création d’ateliers d’écriture « à quatre mains » avec des gardiens de sécurité privée, en poste aux portes des résidences aisées, dans les quartiers périphériques de Nairobi. Pour ces travailleurs précaires, qui s’estiment souvent en situation d’impasse dans leur vie personnelle, le recours à l’écriture – notamment poétique – permet de redonner du liant à une série d’évènements et d’expériences vécues jusqu’alors de façon absurde, fragmentée et erratique. Dans les textes en train de s’écrire, des figures du proche (le moustique qui harcèle le corps, le buisson obscur qui suscite la crainte) et du lointain (le pays regretté) se répondent selon des modalités jusque-là insoupçonnées. Que faire, ensuite, de ces textes ? Quel est leur devenir ? Et que peut cette littérature lorsqu’on ne se sent ni écouté, ni considéré ? Cette présentation sera notamment l’occasion de revenir sur les conditions matérielles des ateliers, sur ce que signifie « accompagner à l’écriture », mais aussi sur le devenir pratique de ces textes, sitôt projetés dans les vies quotidiennes des veilleurs. 

 

5. Mardi 11 juin 2025

Alain Romestaing (Université Clermont Auvergne/CELIS) : Giono au Contadour : que mes choix demeurent ?

En septembre 1935, Jean Giono emmène une « caravane » d’une cinquantaine de personnes dans la montagne de Lure, à la rencontre des paysans, des bergers et d’un pays sur lesquels il ne cessait d’écrire. Initié par Le Mouvement des Auberges du Nouveau Monde, cette randonnée participait d’une volonté de changer socialement et politiquement le monde : Giono lui ajoutait un souffle poétique et cosmique. Ce n’était pas encore contradictoire pour l’auteur de Que ma joie demeure, arc-bouté en artiste autant qu’en citoyen contre les puissances mortifères de la modernité. Même si cette mobilisation écopoétique avant l’heure se brisera en 1939 sur la mobilisation générale.

 

Contacts :                                                                                                                                                                             

Guillaume Bridet : guillaume.bridet@sorbonne-nouvelle.fr                                                                                                 

Xavier Garnier : xavier.garnier@sorbonne-nouvelle.fr                          

Alain Schaffner : alain.schaffner@sorbonne-nouvelle.fr