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Appels à contributions
L’aliénation (Revue Alkemie, n° 36)

L’aliénation (Revue Alkemie, n° 36)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurelien Demars)

L’ALIÉNATION

Appel à contribution pour le numéro 36 d’Alkemie

Revue semestrielle de littérature et philosophie

Se sentir autre, étranger au monde et à soi-même, dépossédé de soi, effroyablement perdu… : l’aliénation, au sens fort, est une perte de soi, dont ne subsiste plus rien d’autre que le malaise de ce manque même. À travers l’aliénation, l’obsédante et antique aporie du même et de l’autre hante encore la modernité, mais entre-temps, elle s’est renversée. Ce n’est plus seulement – et plus tant – l’autre qui menace d’aliéner le même, c’est-à-dire de le subvertir (selon Platon, le non-être est l’autre à la place du même) ou de le déposséder (s’accaparer non seulement ses biens et son travail, mais aussi et surtout sa dignité et son être, comme le dénoncent Dans la dèche à Paris et à Londres d’Orwell). Désormais, le même se fuit ailleurs (le nulle part des utopies de More et Campanella, jusqu’à Cabet, Fourier, Owen, Morris…, où chaque habitus utopique critique une aliénation du monde ordinaire). Et, bien plus, le même s’aliène de lui-même : c’est tout le cauchemar de l’uniformisation dépersonnalisante du dressage humain dont s’épouvantent les dystopies depuis Zamiatine en passant par Orwell, Bradbury, Atwood, etc., c'est encore toute la noire introspection de L’Homme du souterrain de Dostoïevski, tout le trouble intime qu’éprouve l’homme parasité par l’auteur dans « Borges et moi », toute l’angoisse de L’Autre comme moi de Saramago, ou encore toute l’inquiétante étrangeté qu’analyse Freud dans la non-coïncidence avec soi, ou pis : c'est toute la terreur, au contraire, de la rencontre de soi avec l’inavouable soi-même, à l’instar de L’Étrange cas du Dr. Jekill et de Mr. Hyde de Stevenson.

À l’inverse, la modernité a aussi exalté la valeur de l’autre comme soi-même, de l’altérité, d’autrui (à l’exemple de Ricœur, de Derrida, de Lévinas notamment) et, de surcroît, elle a cultivé paradoxalement la positivité d’une autre aliénation, d’une part, depuis que Rousseau vante « l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté » dans Du Contrat social à côté d’une souveraineté inaliénable, d’autre part, depuis que Hegel dévoile la dépendance du maître à l’esclave ou, enfin, depuis qu’un Robert Walser magnifie à l’envi la déchéance de soi, en une étrange mystique de sa propre aliénation, dans la passionnelle servitude volontaire du commis, du domestique, de l’homme de bureau, du larbin contemporain.

Notion polémique ou mot-valise, l’aliénation pullule au siècle dernier sous toutes ses formes économiques, sociales, culturelles, psychologiques… au point que Jean-Marie Domenach s’interroge en décembre 1965, dans Esprit, sur la mort de ce concept face à l’inflation pathologique du terme.  

Que masque cette dégénérescence verbale ? Où se cache le véritable et ultime aliéné des temps modernes que l’on ne veut pas voir ? Il ne s’agit plus seulement de l’exclu et du dépossédé que l’on voit justement partout (aliénation de l’extérieur, propre au marginal et au criminel) ou du possédé (aliénation de l’intérieur, propre au fou), dont la porosité s’accuse dans La Société punitive et Les Anormaux de Michel Foucault, aussi bien que dans Les Naufragés de Patrick Declerck. La dernière aliénation réside dans la disparition de soi, c’est le « dokhodiaga », le « crevard », le « détenu réduit à la dernière extrémité » (au bout du monde polaire, au ban de l’humanité, au bout de sa vie, à bout), qui peuple les goulags de la Kolyma (comme en témoigne Varlam Chalamov), ou le « Muselmann » d’Auschwitz, c’est-à-dire le « cadavre ambulant » (Jean Améry), « l’homme-coquille » (Primo Lévi), ce corps sans volonté, sans vitalité, simple pelure d’homme invécue, où, absolument et fantomatiquement, l’on n’est plus à soi-même. Comme l’analyse Agamben « Jamais peut-être, avant Auschwitz, le naufrage de la dignité humaine devant une figure extrême de l’humain et l’inutilité du respect de soi face à l’absolue déchéance ne furent décrite plus fortement » (Auschwitz, l’archive et le témoin). 

Cette à cette exploration pluridisciplinaire de la situation-limite de l’aliénation, sous toutes ses ténébreuses facettes, y compris les plus extrêmes, que s’ouvrira le prochain numéro d’Alkemie.  – Aurélien Demars

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 Date limite : 1er juin 2025.

Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com

Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR

(mihaela_g_enache@yahoo.com)