Poésie, crucifixion, révolution, ce curieux rapprochement est-il indice, chez Chagall, d’un certain désir de réannexer la fabuleuse figure du «crucifié» honni par Nietzsche à quelque chose d’universel avec autant d’actualité que de vitalité ?
En Sardaigne, naguère, j’ai assisté à un débat d’improvisation poétique entre des bergers un peu bandits sur le point de savoir quelle était l’arme la plus efficace d’entre la croix, l’épée et la plume de l’écrivain… Il eût fallu, pensé-je maintenant, ajouter une quatrième arme, le pinceau du peintre Chagall.
Des toits de Vibesk, où il est né, jusqu’aux rives de la Seine, Marc Chagall ériga pendant plus de quatre-vingt ans un art à la hauteur du rêve. Fête enchanteresse constellée de figures truculentes et qui, tout imprégnée de ses relations avec Cendrars, Apollinaire ou Éluard, de ses voyages au Mexique ou en Grèce, opposa l’amour universel aux dogmes et totalitarismes de son époque. Anges, amoureux, saltimbanques et chevaux, entre tragique et religieux, amorcent leur descente des cieux pour célébrer l’existence. La peinture se fait danse. Un bouquet surréaliste, brassant folklore russe et tradition juive, dont l’érudit Mandiargues, de toile en toile, tire au clair toute l’intime symbolique.
Publié en 1974 par Maeght, il n’existe pas plus brillant témoignage du lien unissant poésie et peinture que ce survol élogieux de l’œuvre chagallienne par le verbe féroce d’André Pieyre de Mandiargues.