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Biopolitiques littéraires postcoloniales. Séminaire Général de Francophonie 2025 (CELLF / CIEF – Sorbonne Université, LIS – UPEC)

Biopolitiques littéraires postcoloniales. Séminaire Général de Francophonie 2025 (CELLF / CIEF – Sorbonne Université, LIS – UPEC)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Marion Coste)

Le concept de biopouvoir fonctionne chez Foucault en parallèle à – et par contraste avec – celui de discipline[1]. Tandis que celle-ci s’exerce de manière singulière sur les corps pour en accroître la productivité, la biopolitique « s’adresse à la multiplicité des hommes, mais non pas en tant qu’ils se résument à des corps, mais en tant qu’elle forme, au contraire, une masse globale, affectée de processus d’ensemble qui sont propres à la vie[2] ». De ce point de vue, il s’agit aussi bien de réguler les taux de natalité et mortalité, la propagation de maladie, que d’organiser l’interaction de la communauté humaine avec son environnement. Le pouvoir déborde alors cette communauté humaine pour régir ce qui semble être distinct, irréductible au politique, conçu comme organisation raisonnée, fondée sur le langage.

Selon Giorgio Agamben, la naissance, la « vie nue » devient le fondement de l’advenue au statut de sujet politique[3]. Cependant, cette reconfiguration du rapport au politique, qui s’opère dans le courant du XVIIIe siècle n’est pas sans conséquence. Comme la communauté ne peut concerner tous ceux qui naissent, elle implique l’exclusion d’une partie d’entre eux, qui ne sont pas reconnus comme citoyen·nes. Au sein de la « vie nue » se détache donc ce que Judith Butler appelle « vie précaire[4] », qui ne participe pas de la définition de la citoyenneté.

Pour Agamben, « le fascisme et le nazisme, c’est-à-dire deux mouvements biopolitiques au sens propre du terme, […] font de la vie naturelle le lieu par excellence de la décision souveraine[5] ». Mutatis mutandis, on pourrait également considérer la plantation esclavagiste comme un espace du biopolitique. Plus largement, la situation coloniale vient précariser la vie de celles et ceux qui sont exclu·es de la pleine citoyenneté par l’asymétrie du pouvoir. D’après Achille Mbembe, cette précarité se prolonge après la chute des empires dans la « postcolonie ». C’est le règne de la « vie brute » : « un lieu où vie et mort s’enchevêtrent au point où l’on ne sait plus, ni les distinguer, ni dire ce qui se trouve du côté de l’ombre ou de son envers[6] ». Cette forme postcoloniale du pouvoir ne concerne d’ailleurs pas que les humains, mais également leur rapport à l’environnement, qui repose sur des principes de fracturation et de fissuration[7], qui reconfigurent l’humain et le non-humain en des assemblages instables.

 La littérature permet pour partie de cartographier le biopouvoir, tel qu’il est à l’œuvre dans les sociétés (post)coloniales. La Pierre-Monde de Patrick Chamoiseau constitue par exemple un site d’observation de la complexité de ces phénomènes. La question des féminicides chez Ananda Devi pourrait apparaître comme une autre figuration, déclinée de romans en romans, de ce biopouvoir à l’œuvre dans les relations de genre. La « vie brute » s’expose dans les romans et le théâtre de Sony Labou Tansi, tout comme dans la poésie de Mohammed Khaïr-Eddine.

Cependant, certains travaux de sciences sociales ont tendance à étendre la notion de biopolitique. Elle finit par ne pas désigner uniquement une forme de domination ou d’oppression, mais également une série de réponses, qui se situent sur le même plan. Dans un travail collectif portant sur les « dispositifs biopolitiques » en Afrique de l’Ouest, un groupe de chercheurs constate qu’ils « semblent s’y donner à lire de façon beaucoup plus fluide, instable et polycentrée qu’en Occident, dans un agencement complexe qui laisse une marge aux contre-conduites et à des logiques de résistances, de subversion, de déplacements des mécanismes de pouvoir multi-situés[8] ». Ces propos rejoignent le projet de certain·es chercheur·euses qui tendent à montrer que « des pratiques de résistance dans les arts développent des formes affirmatives d’un engagement biopolitique[9] ». On pourrait alors se demander s’il n’y a pas, dans la poésie d’Amina Saïd, celle d’Andrée Chedid ou celle de Monchoachi, de manières à chaque fois très différentes, un geste biopolitique de résistance à un certain ordre du biopouvoir. Les romans de Kim Thuy, de Makenzy Orcel ou de Bessora ne visent-ils pas, pour partie, à retisser quelque chose par-dessus les fissures et les fractures du brutalisme ? 

Mots clefs : biopouvoir – sociétés postcoloniales – sociologie des pouvoirs – cartographies des pouvoirs – poétiques des corps –– politiques de la littérature – écritures et indisciplines. 

Programme

Samedi 1er février – 10h-12h30, salle Le Verrier : 

·       Romuald Fonkoua (Sorbonne Université) : Introduction 

·       Ridha Boulâabi (Université Paris Nanterre) : « Mise en fiction de la pensée postcoloniale dans la littérature francophone du Maghreb » – Entretien par Mahaut Rabaté (Sorbonne Université)

Samedi 15 mars – 10h-12h30, salle Le Verrier : 

·       Dionys Andriamahakajy (UPEC) : titre à venir

·       Marine Hubert (Sorbonne Université) : « Espace et pouvoir chez Sony Labou Tansi (La vie et demie) et Hemley Boum (Les jours viennent et passent) » 

Samedi 5 avril – 10h-12h30, salle Le Verrier : 

·       Virginie Brinker (Université de Bourgogne) : « Poétiques de résistance au biopouvoir (Marc Alexandre Oho Bambe, Gaël Faye) »

Samedi 17 mai – 10h-12h30, salle Le Verrier : 

·       Marie Bulté (Université de Lille) : « Pouvoir souverain et pouvoirs du récit : l'albinos et la vie nue dans les littératures africaines »

Samedi 14 juin – 10h-12h30, salle Le Verrier : 

·       Marion Coste (Sorbonne Université) : « Résistances biopolitiques des rappeuses francophones »

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Les séances auront lieu sur le site Sorbonne, accès par le 17 rue de la Sorbonne (métro Saint-Michel), dans la salle Le Verrier. 

Pour les personnes extérieures à Sorbonne Université, veuillez vous inscrire en contactant 48 heures avant la séance Florian Alix (florian.alix.13@gmail.com). 

Comité d’organisation : 

·       Yolaine Parisot (UPEC)

·       Romuald Fonkoua (Sorbonne Université)

·       Marion Coste (Sorbonne Université)

·       Florian Alix (Sorbonne Université)

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[1] Paul Patton, « Power and biopower in Foucault », dans Vernon W. Cisney et Nicolae Morar (dir.), Biopower. Foucault and beyond, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 2016, p. 104. 
[2] Michel Foucault, « Il faut défendre la société », Paris, Gallimard / Seuil, coll. « Hautes Études », 1997, p. 216. 
[3] Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, trad. Marilène Raiola, Paris, Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 1997 [1995], p. 139. 
[4] Judith Butler, Vie précaire, trad. Jérôme Rosanvallon et Jérôme Vidal, Paris, Amsterdam, 2005 [2004]. 
[5] Giorgio Agamben, Homo sacer, op. cit., p. 140. 
[6] Achille Mbembe, De la postcolonie, Paris, Karthala, 2005 [2000], p. 251. 
[7] Achille Mbembe, Brutalisme, Paris, La Découverte, 2020. 
[8] « Introduction », Macia Enguerran, Dominique Chevé et Jean-François Havard (dir.), Biopolitiques en Afrique de l’Ouest, Paris, Karthala, 2022, p. 13. 
[9] « Introduction », Peg Rawes, Stephen Loo et Timothy Matthews (dir.), Poetic biopolitics. Practices of relation in architecture and the arts, Londres / New York, I.B. Tauris, 2016, p. 3.