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Le "conseil à ma fille" : de Fénelon à Ben Jelloun (Rouen)

Publié le par Marc Escola (Source : Orlane Drux)

Le « conseil à ma fille » : de Fénelon à Ben Jelloun

Les textes de conseils sont des ouvrages didactiques, littéraires ou philosophiques considérés ici comme une forme de discours adressé, déclinée sous diverses variations : lettre ouverte, pensées, dialogue, conte, préfaces adressées à un destinataire identifié. L’ouvrage De l’éducation des filles de Fénelon, publié en 1687, préconise pour la première fois de dispenser des conseils adaptés à l’âge de la jeune fille et de répondre à sa curiosité pour la guider vers sa vie de femme adulte. Il constitue une sorte de manuel composé de conseils pédagogiques et de préceptes moraux destinés à tracer la voie à suivre pour fonder une existence de mère et d’épouse selon la vertu, la volonté de Dieu et un esprit construit.

Depuis cette période, les textes de conseils à destination des filles se sont multipliés et diversifiés, que la fille soit fictive ou non, que le registre soit fictionnel ou non. Ce registre a emprunté à divers genres : il connaît des modifications dans ses formes, les sujets abordés, constituant aussi bien le miroir de pensée du locuteur que le miroir d’une époque. L’observation des textes de conseils permet également de s’intéresser à leur visée esthétique, à leur dimension subjective, voire affective. Si le « conseil » a pour principal objectif de transmettre une idée, voire une idéologie, il doit aussi satisfaire les jeunes lectrices et les engager vers une connaissance et une réflexion sur le monde, selon des stratégies qui changent selon les enjeux sociaux, culturels ou médiatiques de la production de l’écrit. D’ailleurs, est-il dirigé uniquement vers la jeune fille ? Les « Conseils à ma fille » et autres « lettre ouverte à ma fille » d’auteurs célèbres sont lus par des publics et commentés par des critiques qui ne sont pas du tout du domaine de l’éducation des filles – et ne sont pas toujours des filles.

Ces écrits qui se présentent comme personnels, adressés à un destinataire précis et souvent identifié, servent à l’origine un objectif pédagogique situé et déterminé, ou se prétendent comme tels, dans leur pacte de lecture, mais parce qu’ils sont des outils rhétoriques publiés, ouverts à un plus grand nombre, ils sont aussi des moyens de dire autrement, de contourner une censure ou une auto-censure, ou pour un auteur de sortir de son champ d’écriture habituel. Une fois parus, ils peuvent aujourd’hui être utilisés dans un cadre scolaire pour d’autres enfants ; l’auteur peut aussi être invité dans les médias, en parler à un public plus vaste et pas seulement enfantin, entrant souvent dans le champ du débat public. Ces livres peuvent également être traduits, susciter de nouvelles parutions avec des révisions du contenu, voire des réponses.

La journée d’étude se consacrera ainsi aux textes publiés (sur tous les types de support – édition papier, presse) de la période des Lumières à aujourd’hui émanant du registre du « conseil à (mon) enfant », que ce soient des textes de mères ou de pères qui prennent la plume (avis, journaux intimes, mémoires, contes, etc.), de « lettres à ma fille » publiées, ou de textes permettant d’expliquer un sujet à l’enfant, usant du prétexte de son enfant pour s’adresser à un plus large public, se défendre, prendre position dans un débat de société : notices pratiques, ouvrages documentaires, etc. Il sera aussi possible de s’intéresser aux intertextes du conseil, au prologue ou à l’incipit des ouvrages qui orientent la lecture, à l’appareil critique susceptible de l’accompagner lors de la publication, ainsi qu’à son devenir médiatique (conférences, lectures publiques). 

Quelle est l’économie éthique et affective en jeu ?

Dans l’expérience de la diégèse, telle qu’elle est rendue par la pensée pédagogique, se manifeste souvent l'indispensable condition d'une attache affective, symbolisée par l’image filiale de l’auteur ou l’autrice dédiant son temps d’écriture à produire un texte à destination de son enfant ou d’enfants qui lui sont proches. L’analyse des enjeux affectifs, limités parfois par une posture éthique, du locuteur ou la locutrice, qui parle à l’enfant comme à une personne et un être social, ouvre des perspectives de réflexion sur les écrits personnels à destination de la jeune fille : correspondance, mémoires, ainsi que sur l’insertion de textes de conseils dans des fictions romanesques expriment des situations émotionnellement fortes. De façon plus large, cette économie affective renvoie aussi à la question de l’éthique et de la morale parentales, juridiquement encadrées ou non. Elle questionne aussi les codes qui sont en jeu, que ce soit en termes d’obligations juridiques, sociales, culturelles, religieuses, en tenant compte des prescriptions suivies par les auteurs ou les autrices ou des tentatives de s’en écarter. 

Sur quels domaines ces conseils portent-ils ?

Si à l’origine les textes questionnent les sujets autorisés, convenus pour les jeunes lectrices, non sans proposer parfois des sujets moins attendus, le « conseil » peut aussi porter sur un sujet de société (« Lettre à ma fille » de Wadji Mouawad, publiée dans le journal Le Devoir en 2011) que l’enfant n’est pas en mesure d’apprécier au moment où il est écrit. Les Letters From a Father to his Daughter de Nehru à sa fille Indira sont rédigées lorsque la jeune fille a dix ans. L’analyse permettra de définir les thèmes développés dans les écrits destinés aux jeunes filles. Si le texte de conseils établit un bilan critique des paradigmes de son contexte d’écriture, il sera intéressant d’étudier l’axe normatif des sujets valorisés auprès des jeunes filles. Des comparaisons entre des périodes et pays différents seront bienvenues : l’analyse aura aussi pour interrogation de définir la prégnance des sujets qui sont traités dans ces textes à destination des jeunes filles. Il s’agirait ici de s’interroger sur le fonctionnement potentiellement genré des sujets et des thématiques abordées.

À quelle « actualité » sociale ou culturelle sont-ils liés ?

Parce que l’écriture comme pratique sociale est affectée par l’actualité, dans la mesure où la publication reste liée à la place occupée par le sujet dans l’espace public et où le simple fait d’écrire ou de diffuser un écrit peut être intrinsèquement lié aux paradigmes d’une époque (Le racisme expliqué à ma fille de Tahar Ben Jelloun), on s’interrogera sur le choix d’adresser un écrit potentiellement polémique à un enfant. Il s’agira alors d’étudier les sujets abordés, dans quels médias (presse, livre) ou quelle temporalité (après un événement, en réaction à une « actualité » ?). Si cela interroge des enjeux éditoriaux, il sera aussi question de se demander quel est le rôle et quelle est l’intention des auteurs et autrices dans ces « conseils » à une fille.

Organisatrice

Orlane Drux

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Calendrier et conditions de soumission :

Les propositions de communication comprenant un titre, un résumé de 500 mots ainsi qu’une courte biobibliographie sont à envoyer avant 1er mars à l’adresse suivante : orlane.drux1@univ-rouen.fr. Elles seront évaluées par un comité scientifique.

Date d’envoi des propositions : 28 février 2025

Réponse sera donnée à la fin du mois de mars 2025 au plus tard.

La journée d'étude se tiendra le 30 septembre 2025 à l’Université de Rouen.

Pas de prise en charge des frais de transport ; le déjeuner sera offert par l’Université de Rouen.

Bibliographie

AVANZINI, Guy, Histoire de la pédagogie : du XVIIe siècle à nos jours, Toulouse, Privat, coll. Histoire contemporaine des sciences humaines, 1981.

 BEN JELLOUN, Tahar, Le racisme expliqué à ma fille, Paris, Éditions du Seuil, 2018.

 BECCHI, Egle et JULIA, Dominique, Histoire de l’enfance en Occident. 2, Du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Seuil, coll. Points Histoire, 2004.

CAMPE, Joachim Heinrich, Élise, ou Entretiens d’un père avec sa fille, sur la destination des femmes dans la société... traduits de Campe. Deuxième édition, Paris, Cordier, 1820. (2 vol.)

CHARTIER, Roger, JULIA, Dominique et COMPÈRE, Marie-Madeleine, L’Éducation en France du XVIe siècle au XVIIe siècles, Paris, SEDES, 1976.

FENELON, François de, Éducation des filles, Paris, Éditions P. Aubouin, 1687.

GRANDIERE, Marcel, L’Idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire foundation, 1998.

LAMBERT, Anne-Thérèse de, « Avis d’une mère à sa fille », Œuvres, Robert Granderoute (éd.), Paris, Librairie Honoré Champion, 1990.

LAMBERT, Anne-Thérèse de, Avis d’une mère à son fils et à sa fille. Paris, édition Ganeau, 1728.

MOUAWAD, Wajdi, « Aimée, ma petite chérie », Le Devoir, Montréal, Québec, 16 avril 2011.

NEHRU, Jawaharlal, « Letters from a Father to His Daughter », Allahabad Law Journal Press, Inde, 1929.