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Travailleuses de la scène : argent et performance au prisme du genre (Bordeaux)

Travailleuses de la scène : argent et performance au prisme du genre (Bordeaux)

Publié le par Marc Escola (Source : Anna Levy)

Journée d’étude

Travailleuses de la scène : argent et performance au prisme du genre

Mercredi 18 juin 2025 – CAPC de Bordeaux

Cette journée d’étude propose de réfléchir aux coûts – financier et symbolique – des performances pour les « travailleuses de la scène ». La question de la performance sera entendue au sens large (arts vivants, arts plastiques, littérature). Historiquement, la performance s’est développée en opposition à la marchandisation des œuvres d’art[1]. Elle s’est ensuite répandue dans le champ littéraire où elle correspondait à une désapprobation de la fétichisation de l’objet livre. Toutefois, l’extension de la performance dans différents champs artistiques a conduit à la professionnalisation des performeur·euses et pose la question de leur rémunération. Intrinsèquement intermédiale, la performance se situe à la croisée des arts vivants, des arts plastiques et de la littérature. Du fait de l’interdisciplinarité de leurs pratiques, les performeuses risquent d’être exclues des systèmes de rémunération traditionnels, les institutions favorisant les artistes qui s’inscrivent plus ostensiblement dans des champs anciens et légitimes (statut d’intermittent·e dans le monde du spectacle, à-valoir dans l’édition, workshops dans les arts plastiques et visuels, etc.).

Dans le cas de la performance littéraire, lorsque le texte n’a pas d’existence livresque mais que sa publication demeure orale[2], la performance devient le seul élément monétisable. Réciproquement, lorsqu’un livre est publié, la performance peut entrer dans le champ de l’auto-promotion, répondant en cela à la reconfiguration du statut d’écrivain·e[3], qui est désormais soumis·e à une spectacularisation de sa persona et doit lire ses textes en public pour ne pas se condamner à l’inexistence[4]. En juin 2024, artistes-auteur·ices et syndicats s’unissaient autour d’une proposition de loi pour aligner le statut d’artiste-auteur sur celui des intermittent·es du spectacle. La professionnalisation du métier d’écrivain·e[5], son arrivée sur le « terrain[6] » nous oblige donc à poser à nouveau la question de la rémunération en dehors des ventes de livres. Elle est d’ores et déjà abordée par les principaux·ales intéressé·es : dans Argent[7], Christophe Hanna rend compte de quatre années de discussions qu’il a eues avec d’autres poéte·sses autour de leurs sources de revenu, en 2017, Nathalie Quintane et Jean-Pierre Cometti codirigent L’Art et l’argent[8].

Si la question des rémunérations trouve de nombreux échos dans la création contemporaine et dans la recherche, le problème est rarement posé en termes de genre. Or, la présence des femmes et la question de leur rémunération est au cœur de la performance et des arts de la scène. D’abord présentée comme une pratique en rupture avec l’art marchand, la performance féministe des années 1970 est aussi pensée comme un outil d’émancipation, un moyen pour les artistes femmes de se réapproprier leur corps en opérant un passage du corps empêché au corps agissant. Mais rapidement, la performance s’institutionnalise et rejoint d’autres pratiques artistiques (danse, théâtre, littérature), et la question de la rémunération des performeuses, de l’égalité salariale avec les performeurs se pose de la même manière que dans le reste de la société. Dans le secteur culturel, les femmes gagnent en moyenne 20 % de moins que les hommes et dans le spectacle vivant, elles touchent 41 % de moins que les hommes. Si, dans les services publics considérés dans leur ensemble, la parité est atteinte, on ne compte en revanche qu’une femme pour huit hommes à la direction des établissements publics de spectacle vivant. Au théâtre, où les écarts sont les plus importants, les femmes reçoivent deux fois moins d’aides financières que les hommes[9]. En quoi le nouveau paradigme qui enjoint les auteur·ices à monter sur scène vient-il reposer la question de l’accès à la rémunération ? 

Pour les performeuses, monter sur scène et exposer son corps a également un coût symbolique. Rébecca Chaillon revient sur cette ambiguïté : « M’exposer frontalement, fragilement et raconter mon intime à un public majoritairement blanc. Un danger ou une prise de pouvoir[10] ? » La question n’est alors plus seulement « combien ça coûte, une performeuse ? » mais « qu’est-ce que ça coûte à une performeuse ? » Comment l’exposition et la performance du corps parlant en scène viennent-elles rejouer d’autres enjeux pour les artistes minorisées, que ce soit en termes de classe, de race ou de genre ? Paye-t-on tous·tes les artistes de la même façon ? Comment les invitations et rémunérations des artistes sont-elles révélatrices des oppressions qu’elles rejouent ? La question de la rémunération appelle directement celle de l’institution : si l’on veut être rémunérée, il faut être reconnue en tant qu’artiste par l’institution. Quelle est l’influence de ces financements sur les performeuses ? Les invisibilisent-ils voire les censurent-ils indirectement ? Quelles stratégies d’intégration pourraient être mises en place ? Comment concilier professionnalisation des pratiques performatives et ambition de porter un discours féministe en opposition aux inégalités inhérentes à ce cadre institutionnel ?

La journée aura lieu à l’auditorium du CAPC à Bordeaux. Nous souhaitons ouvrir un dialogue entre la communauté universitaire et les travailleur·euses de la performance (performeur·euses, programmateur·ices, curateur·ices, etc.).

Les propositions pourront, sans s’y restreindre, s’inscrire dans les axes suivants :

·      Enjeux pragmatiques et institutionnels : Combien gagnent les performeuses ? À quelles inégalités salariales font-elles face ? Qui finance les performances ? Quelle est la place des femmes et des personnes minorisées (en termes de genre, de classe et de race) à des postes de direction et de programmation ?

·      Enjeux politiques : Comment concilier les scènes ouvertes, non encore institutionnalisées, les pratiques amateures et ouvertes à tous·tes avec les enjeux de professionnalisation et de rémunération ? Le financement est-il toujours émancipateur ? 

·      Intersectionnalité : Comment cette exclusion se manifeste-t-elle pour les femmes à l’intersection de plusieurs dominations (genre et race notamment) ? Comment estimer l’ampleur de ces inégalités en l’absence de statistiques en la matière ?

Les propositions pourront évoquer la rémunération des femmes dans les arts vivants (notamment la performance) et la littérature, sans se restreindre au seul champ de la performance littéraire. Les propositions d’acteur·ices du champ littéraire et artistique (programmateur·ices, performeur·euses) sont les bienvenues.

Les propositions, de 300 mots (maximum) ; accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer à avant le 1er avril 2025 à l’adresse travailleuses.scene[at]gmail.com.

Bibliographie indicative 

-       Bénichou Anne, Lieux et milieux des arts vivants – Performer l’institution, Dijon, Les presses du réel, 2024.

-       Biet Christian et Roques Sylvie (dir.), Performance – Le corps exposé, Communications, n° 92, 2013.

-       Craig Ailsa et Dubois Sébastien, « Between art and money: The social space of public readings in contemporary poetry economies and careers », Poetics, vol. 38, n° 5, 2010.

-       Cukierman Leïla, Dambury Gerty, Vergès Françoise (dir.), Décolonisons les arts !, Montreuil, L’Arche, 2018.

-       Gouyon Marie, « Les femmes dans la création audiovisuelle et de spectacle vivant », Culture chiffres, vol. 4, n° 4, 2014.

-       Huppe Justine, « “Faire cailler l’annexion de la recherche-création à l’économie libérale” : hypothèses théoriques sur les masters universitaires en écriture créative », Relief – Revue Électronique de Littérature Française, vol. 14, n° 2, 2020.

-       Jackson Shanon, « The Varieties of Gendered Performance » in Doyon Raphaëlle et Freixe Guy (dir.), Le Genre et les arts du spectacle, Presses universitaires de Bordeaux, 2018.

-       Christophe Hanna, Argent, Paris, La Découverte, 2018.

-       Kaufmann Vincent, Dernières nouvelles du spectacle. Ce que les médias font à la littérature, Paris, Seuil, 2017.

-       Meizoz Jérôme, Faire l’auteur en régime néo-libéral : rudiments de marketing littéraire, Genève, Slatkine, 2020.

-       Pavis Patrice, Dictionnaire de la performance et du théâtre contemporain, Paris, Armand Colin, 2018. 

-       Pellegrin Julie, (Non) Performance. A daily practice, T&P Publishing, collection « Iconodules », 2024

-       Pencenat Corine, Au milieu du chemin : danse, scène, performance, Presses Universitaires de Strasbourg, 2010.

-       Quintane Nathalie et Cometti Jean-Pierre (dir.), L’Art et l’argent, Paris, Amsterdam, 2017.

-       Rabaté Dominique (dir.), L’Art et la question de la valeur, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007.

-       Roques, Sylvie, « À La Confluence Du Théâtre et de La Performance : Un Entre-Deux à Réexplorer En Temps de Crise », Symbolon, vol. 22, n° 1 (40), 2021.

-       Rosenthal Olivia et Ruffel Lionel, La Littérature exposée. Les Écritures contemporaines hors du livre, Littérature, n° 160, Armand Colin, 2010 et La Littérature exposée 2, Littérature, n° 192, Armand Colin, 2018.

-       Roussigné Mathilde, Terrain et littérature. Nouvelles approches, Presses universitaires de Vincennes, 2023.

-       Roux Céline, Danse(s) Performative(s), Paris, L’Harmattan, 2007.

-       Sapiro Gisèle et Rabot Cécile (dir.), Profession ? Écrivain, Paris, CNRS Éditions, 2017.

-       Towse Ruth, A textbook of cultural economics, Cambridge university press, 2010.

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Journée d’étude organisée avec la participation de Plurielles (UBM), Bordeaux Interdisciplinaire Genre (UBM) et le projet Intermédialité Créative et Inclusive.

Comité scientifique

Madeleine Aktypi, École supérieure des beaux-arts de Bordeaux
Chloé Conand-Ouaked, EHIC, Université de Limoges
Pierre Katuszewski, Artes, Université Bordeaux Montaigne
Hélène Marquié, Université Paris 8
Magali Nachtergael, Plurielles, Université Bordeaux Montaigne.

Comité d’organisation

Heiata Julienne-Ista : ATER à Lyon 3 et doctorant rattaché à Plurielles (UR 24142, Bordeaux Montaigne) et à Marge (EA 3712, Lyon 3)
Anna Levy, doctorante contractuelle, Plurielles (UR 24142), Université Bordeaux Montaigne
Elina Martinez, doctorante contractuelle, Artes (UR 24141), Université Bordeaux Montaigne)
Laure Sauvage, doctorante et ATER, Plurielles (UR 24142), Université Bordeaux Montaigne.

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[1] Roselee Goldberg, Performance Art (3e édition) [1979], Londres, Thames and Hudson, 2011.
[2] Michèle Métail parle de « publication orale » pour désigner ses performances littéraires. Elle a d’ailleurs longtemps refusé la publication écrite de ses textes.
[3] Vincent Kaufmann, Dernières nouvelles du spectacle. Ce que les médias font à la littérature, Paris, Seuil, 2017.
[4] Jan Baetens, À voix haute, poésie et lecture publique, Bruxelles, Impressions nouvelles, 2016.
[5] Gisèle Sapiro et Cécile Rabot (dir.), Profession ? Écrivain, Paris, CNRS Éditions, 2017.
[6] Mathilde Roussigné, Terrain et littérature. Nouvelles approches, Presses universitaires de Vincennes, 2023.
[7] Christophe Hanna, Argent, Paris, La Découverte, 2018.
[8] Nathalie Quintane et Jean-Pierre Cometti (dir.), L’Art et l’argent, Paris, Amsterdam, 2017.
[9] « Question écrite n° 16880 : Persistance des inégalités hommes-femmes dans le monde de la culture », https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-16880QE.htm#:~:text=Les%20%C3%A9carts%20de%20salaires%20restent,41%20%25%20en%20d%C3%A9faveur%20des%20femmes, consulté le 19/12/2024.
[10] Leïla Cukierman, Gerty Dambury, Françoise Vergès (dir.), Décolonisons les arts !, Montreuil, L’Arche, 2018, p. 21.