
Les canevas en prose de pièce de théâtre
Journée d’étude à l’Université de Lausanne, automne 2026
Organisation :
Marc Escola (Centre d’Études Théâtrales de l’Université de Lausanne)
Coraline Renaux (École doctorale 19 & Cellf, Sorbonne Université)
Bénédicte Louvat (École doctorale 19 & Cellf, Sorbonne Université)
Évoquant la genèse des pièces de Molière, Georges Forestier affirme que le dramaturge, « comme tous les auteurs de théâtre du xviie siècle, commençait par rédiger un canevas en prose[1] ». Si Lope de Vega recommande en effet au vers 211 de son Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo d’écrire d’abord en prose avant de passer aux vers et que Louis Racine dans ses Mémoires sur la vie et les ouvrages de Jean Racine, affirme que son père, « quand il entreprenait une tragédie, […] disposait chaque acte en prose[2] », les témoignages directs des dramaturges sur cette pratique que l’on suppose majoritaire sont en réalité extrêmement rares. L’absence avant le xixe siècle de brouillons pour les pièces en vers achevées ainsi que l’inachèvement des (très) rares canevas dont nous disposons, tels que le plan en prose du premier acte d’Iphigénie en Tauride de Jean Racine ou celui du premier acte d’une comédie sans titre de Lope de Vega, ne permettent pas de penser véritablement la continuité entre le canevas en prose d’une pièce et sa version versifiée. Ce qui se joue dans le passage d’une forme à l’autre nous échappe en partie, et nous peinons alors à saisir pleinement les enjeux que recouvre l’écriture de plans ou brouillons en prose pour des pièces destinées à être versifiées.
Il s’agit donc de mettre en lumière une pratique qui, bien qu’elle joue un rôle central dans l’élaboration du texte théâtral en vers à l’âge classique et au-delà, n’a jamais fait l’objet d’une réflexion approfondie, faute sans doute d’un échantillon suffisant. Nous nous proposons donc d’étendre la réflexion à toute l’aire culturelle européenne, du Moyen Âge jusqu’au début du xxe siècle, pour favoriser une pleine appréhension d’un phénomène qui ne se limite pas à la France de l’âge classique ou à l’Espagne du Siècle d’or. Un empan chronologique large devrait également permettre d’identifier des évolutions dans le recours au canevas en prose. Le xixe siècle, marqué à la fois par le recul progressif du théâtre en vers et par l’attention beaucoup plus grande portée à la conservation des manuscrits et des brouillons, constitue de ce point de vue un tournant. Les exemples de pièces comme Den Bergtagna de Victoria Benedictsson, The Countess Kathleen O’Shea de W. B. Yeats, ou encore Les Deux Hommes de Stendhal, pour lesquelles nous disposons à la fois des brouillons en prose, parfois nombreux et accompagnés de notes sur le projet, et de leur mise en vers, rendent en effet possibles des analyses précises sur le passage d’une forme à l’autre et jettent un éclairage nouveau sur ce mode de composition.
L’étude de ces canevas en prose peut inviter enfin à mener une réflexion sur la genèse des textes théâtraux et sur leur nature foncièrement ambivalente en les abordant sous un autre angle que celui de « l’élaboration double entre genèse textuelle et genèse du spectacle[3] », qui laisse en grande partie de côté les textes antérieurs à la naissance de la mise en scène moderne.
Il nous semble à ce titre que la notion de « poème dramatique », héritée d’Aristote et très fréquemment employée sous l’Ancien Régime pour désigner une pièce de théâtre, aussi bien en France que dans les autres pays européens[4], pourrait bénéficier grâce à cette approche d’un éclairage nouveau. Une comparaison entre les canevas en prose des poèmes dramatiques et les canevas en prose des poèmes épiques et lyriques en vers permettrait en effet de mieux cerner la spécificité du poème dramatique, et d’apporter de nouveaux éléments à la compréhension d’une notion qui demeure par certains aspects fuyante.
Les propositions sont à adresser avant le 30 septembre 2025 à : renaux.coraline@gmail.com.
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[1] Georges Forestier, « L’aventure éditoriale du Malade imaginaire », Arrêt sur scène / Scene focus [en ligne], no 12, 2023, p. 1 ; URL : http://journals.openedition.org/asf/5359 ; (consulté le 13.11.2024)
[2] Louis Racine, Mémoires sur la vie et les ouvrages de Jean Racine, dans Jean Racine, Œuvres complètes, éd. Georges Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, t. I, p. 1148.
[3] Françoise Simonet-Tenant, « Introduction : génétique et théâtre », Continents manuscrits [en ligne], no 7, 2016, p. 2. URL : http://journals.openedition.org/coma/688 ; (consulté le 13.11.2024)
[4] On parle par exemple de dramatisches Gesdicht en Allemagne et de poema dramático en Espagne. Cette liste pourrait être étendue à d’autres pays.