
Colloque "L’explicite", Appel à communications
23 et 24 octobre 2025, Université Paris-Est Créteil
L’explicite semble irrémédiablement inscrit au cœur d’un paradoxe. Ce colloque a pour but de repenser la notion de l'explicite, souvent délaissée au profit de son contraire, l'implicite. En effet, l’explicite est souvent perçu comme l’étape nécessaire à l’avènement de l’implicite. Comme l'observe Dominique Maingueneau : « on peut tirer d’un énoncé des contenus qui ne constituent pas en principe l’objet véritable de l’énonciation mais qui apparaissent à travers les contenus explicites. C’est le domaine de l’implicite » (Les Termes clés de l’analyse du discours, Paris : Points, 1996, 47). Textes, images ou sons sont valorisés à la mesure de leur complexité, l'explicite étant toujours relégué dans une position inférieure. Dire d’une œuvre qu’elle est explicite sous-entend qu’elle est pauvre de sens, qu’elle se donne sans effort (mais aussi sans gratification véritable) au lecteur/auditeur/regardeur.
L’étymologie latine nous renseigne sur le sens premier du participe explicitus, qui signifie « déployé », « exécuté », voire, pour un texte, « arrivé à sa conclusion, à son terme ». Il semblerait donc que l’explicite soit moins le point de départ qui conduit à l’implicite que le résultat du déploiement discursif d’un texte ou celui d’un tissu dont on aurait patiemment démêlé les plis. Pourquoi l’explicite aujourd’hui nous paraît-il si pauvre, malgré la richesse de son sens étymologique ?
En tant que lecteurs, spectateurs, et auditeurs, nous sommes toujours dans une lecture interprétative de médiums par essence polysémiques, et dès l’abord parasités par la question de l’implicite. A priori, l’explicite a moins de valeur que l’implicite, car il sous-entend soit une œuvre dont les signifiés sont épuisables (par superficialité ou utilisation de clichés), soit un lecteur qui ne sait pas aller au-delà de l’explicite et saisir les sens cachés. Pour autant, et paradoxalement, la notion même d’explicite est fuyante : elle semble plus difficile à appréhender que l’implicite. Qu’est-ce que l’explicite ? S'il est ce qui se déploie, où en sont les limites ? Peut-on penser l’explicite sans l’implicite, ou sommes-nous obligés de les mettre en relation ?
La perception de l’explicite est soumise à l’encodage culturel de celui-ci. Ainsi on peut en souligner l'ancrage historique : le public – y compris peu instruit – des pièces de Shakespeare comprenait ses grivoiseries tandis que nous dépendons de notes de bas de page. L’obscénité shakespearienne est d’autant plus obscène qu’elle ne nous est plus immédiatement accessible, disparaissant dans un off scene. Mais jouit-on plus d’une pièce de Shakespeare quand on en a explicité toutes les références ? De même, les scènes scandaleuses de Marriage à la Mode de Hogarth ne nous choquent pas au même degré que ses contemporains. L’implicite ne serait-il pas alors qu’un explicite oublié ?
Cependant, même dans le cas où l’explicite n’est pas perdu, s’agit-il bien d’un véritable explicite ? Toutes les formes d’expression artistique, quel que soit le sentiment d’immédiateté et d’objectivité qu’elles peuvent donner, n’en sont pas moins construites. Ainsi le narrateur d’un roman se réserve aussi le droit de tromper le lecteur et de l’emmener sur de fausses pistes. Même quand celui-ci déclare parler sans détour, on est invité à s’interroger sur l’explicite de sa démarche : ainsi le « Call me Ishmael » qui ouvre le récit de Moby-Dick est une formule qui donne une injonction en même temps qu’elle induit le doute. On pourrait presque le mettre en regard de Ceci n’est pas une pipe de Magritte. On retrouve cette même évidence trompeuse dans les arts visuels : ainsi la perspective des tableaux de la Renaissance prétend proposer la vue la plus réaliste et objective ; au cinéma, le camera eye donne l’illusion de suivre un regard objectif, objectivité qui sera aussi fréquemment prêtée à la photographie, perçue comme une capture « fidèle » du réel. Pourtant, ces vues prétendument objectives n’en sont pas moins biaisées, et cachent, dans la profondeur même de leur évidence, des effets de manipulation propres à toute représentation. Leur objectivité est trompeuse et demande à être dépliée, ou déployée.
Faut-il renoncer à l’explicite ? Avant même de lire, regarder, ou écouter une œuvre, son paratexte en conditionne la réception. Quand Barthes revendique la mort de l’auteur, en observant que « donner un Auteur à un texte, c'est imposer à ce texte un cran d'arrêt, c'est le pourvoir d'un signifié dernier, c'est fermer l'écriture », il semble dire que l’explicite est du côté de la fermeture, et que pour rouvrir le texte, il faut évacuer son paratexte, ou son auteur (Le Bruissement de la langue, Paris : Points, 1984, 68). Comment alors sonder et formuler les complexités de l’explicite ? Le colloque appelle à y réfléchir selon les pistes suivantes, non-exhaustives :
· Univocité et polysémie : l’explicite est-il univoque ?
· Clichés et lieux communs
· Explicite et intentionnalité
· Paratextes
· L’explicite de la langue
· Explicite et genre (genres artistiques, gender)
· Réécriture et intertextualité
· Traductions
· Théâtre et explicite (exposition, apartés, didascalies...)
· Effets de sens au cinéma et dans la musique
· L’obscène
· Humour et explicite
· Matérialité et explicite
· Pédagogie et pratiques de l’analyse et explication/explicitation de texte ?
—
Les propositions de communication (de 300 à 500 mots) devront être envoyées en français ou en anglais accompagnées d'une courte notice biographique d’ici le 15 juin 2025 à l’adresse suivante : explicitecolloque@gmail.com.
—
Comité d’organisation : Camille Adnot, Éric Athenot, Farid Ghadami et Élisabeth Vialle (UPEC)
Laboratoire IMAGER (Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman) - EA 3958
Équipe Ties (Textes, Images et Sons).
Explicitness Conference - Call for Papers
23-24 October 2025, Université Paris-Est Créteil
The notion of explicitness seems irremediably at the heart of a paradox. The aim of the conference is to rethink this notion, often neglected in favour of its opposite, i.e. implicitness. As Dominique Maingueneau observes, explicitness is often approached as the necessary preliminary step to implicitness: “on peut tirer d’un énoncé des contenus qui ne constituent pas en principe l’objet véritable de l’énonciation mais qui apparaissent à travers les contenus explicites. C’est le domaine de l’implicite”[1] (Les Termes clés de l'analyse du discours, Paris: Points, 1996, 47). Texts, images and sounds appear to be valued according to how complex they are, while explicitness is always relegated to an inferior position. To say that a work is explicit implies that it is poor in meaning, that it gives itself effortlessly (but also without real gratification) to the reader/listener/viewer.
Latin etymology informs us that the primary meaning of the participle explicitus was “deployed”, “executed” or, regarding texts, “completed, finished”. It would seem, then, that explicitness is less a starting point leading to implicitness than the end result of a text's discursive deployment, or that of a fabric whose folds have been patiently unfurled. Why does explicitness seem so poor today despite its rich etymological meaning?
As readers, spectators and listeners always engaged in interpretative reading of essentially polysemous media, we are from the outset parasitized by the question of implicitness. On the face of it, explicitness has less value than implicitness since it implies a work whose meanings can be exhausted—due to its alleged superficiality or its use of clichés—or a reader who cannot go beyond what is explicit and is unable to grasp the hidden meanings. And yet, paradoxically, the very notion of explicitness proves elusive and seems harder to grasp than its opposite. What is explicitness? If it is what unfolds, where does it stop? Can we think of what is explicit without what is implicit, or are we obliged to link both these notions?
Perceiving explicitness is subject to cultural encoding. For example, one can think of the historical roots of Shakespeare's plays: their audiences—including their uneducated members—understood their sauciness, while we rely on footnotes. Shakespearean ribaldry is all the more obscene as it is no longer immediately accessible to us and disappears into an off scene. Yet, do we enjoy a Shakespeare play more when all its references have been explained? Similarly, the scandalous scenes in Hogarth's Marriage à la Mode are not as shocking to us as they were to his contemporaries. Is implicitness, then, just a case of forgotten explicitness?
But even when explicitness is not lost, how explicit is it after all? All forms of artistic expression, however immediate and objective they may appear, are ultimately constructions. The narrator of a novel, for example, reserves the right to mislead the reader and lead them down false paths. Even when the narrator declares they are speaking plainly, readers are invited to question such a claim to being explicit; for example, the address to the reader at the start of Moby-Dick—“Call me Ishmael”—is a formula which both issues an injunction and induces doubt. It could almost be compared to Magritte's Ceci n'est pas une pipe. The same deceptive obviousness can be found in the visual arts: the perspective used in Renaissance paintings, for example, claimed to offer the most realistic and objective view of reality; in cinema, the camera eye creates the illusion of following an objective gaze also frequently attributed to photography, perceived as a faithful capture of reality. Yet these supposedly objective views are no less biased, and hide, in the very depths of their obviousness, the manipulative effects inherent in all representation. Their objectivity is deceptive and calls for unfolding or unfurling.
Should we then give up explicitness? Even before we read a book, or watch a film, a play, a painting or a photograph, or listen to a piece of music, their paratexts conditions their reception. When Barthes calls for the death of the author, observing, “donner un Auteur à un texte, c'est imposer à ce texte un cran d'arrêt, c'est le pourvoir d'un signifié dernier, c'est fermer l'écriture,”[2] he seems to be saying that explicitness lies on the side of closure, and that to reopen the text, we need to evacuate its ultimate paratext, i. e. its author (Le Bruissement de la langue, Paris: Points, 1984, 68). How, then, are we to fathom and formulate the complexities of the notion of explicitness? Topics for this conference may include but are not limited to:
· Univocity and polysemy: is explicitness necessarily univocal?
· Clichés and commonplaces
· Explicitness and intentionality
· The role of paratexts
· Speech and explicitness
· Explicitness, genre and gender
· Intertextuality
· Translation practices
· Theatre and explicitness (opening scenes, asides, stage directions...)
· Strategies of meaning in film and music
· Obscenity
· Humour and explicitness
· Materiality and explicitness
· Teaching and analysing texts in the classroom
Abstracts in English or French (300 to 500 words) should be sent with a short bio by 15 June 2025 to explicitecolloque@gmail.com
Organising committee: Camille Adnot, Éric Athenot, Farid Ghadami and Élisabeth Vialle (UPEC)
Laboratoire IMAGER (Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman) - EA 3958
Équipe Ties (Textes, Images et Sons).
-----------------
[1] “It is possible, from an utterance, to derive contents that do not in principle constitute the true object of enunciation but which appear through its explicit contents. This is the domain of implicitness.”
[2] “to give an Author to a text is to impose a stop to that text, it is to provide it with an ultimate signified, it is to close writing.”