
"Nous allons commencer par la vie d’Aristote : il naquit, travailla et mourut. Passons maintenant à ce qui importe, sa pensée". La célèbre phrase prononcée par Heidegger à l'ouverture d’un cours sur Aristote résume assez bien la position des philosophes sur la question des rapports entre la vie et la pensée. La tradition philosophique est encline à dissocier du versant philosophique de leurs œuvres les Confessions de Rousseau ou les autobiographies de Sartre et Beauvoir. Les sciences sociales, en vertu du matériau empirique sur lequel elles se fondent, auraient-elles plus de facilité à revenir sur le terrain de la vie ? Le volume supervisé par Manuel Cervera-Marzal et Nicolas Poirier sous le titre La pensée et la vie. (Auto)biographie, philosophie et sciences sociales (Le Bord de l'eau) vient poser de manière radicale le problème des rapports entre une œuvre et son auteur : nos objets d’étude n’ont-ils pas toujours un lien avec nos histoires de vie ? Dès lors, que fait-on de ce lien ? Doit-on le traiter comme un objet embarrassant, quitte à le refouler ? Ou essaie-t-on de l’assumer, en exerçant un acte de réflexivité qui nous mette véritablement aux prises avec ce que nous sommes ?
(Illustr. : M.C. Escher, "Mains dessinant" (1948), © Pictor PictureS/Shutterstock)