
Qui s’occupe de la poussière ? Question familière et ménagère qui pourtant ouvre ici une admirable réflexion, profonde, émouvante et drôle, sur nos existences. Depuis le célèbre « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière », épigramme de notre vanité, jusqu’aux instruments, poudres, produits, chiffons, balais avec lesquels nous tentons de traquer cette maudite poussière : « Quark et suie, petits corps subtils, raclures d’atomes en pleine vitesse, poudre à priser ou de perlimpinpin, poudre Legras pour les crises d’asthme. » Marianne Alphant convoque les figures de cet asservissement : valets, femmes de ménage, serviteurs.
Non seulement les valets de littérature, Planchet, Martine, Lépine, Figaro, Cosette, Nanon, Grimaud, mais aussi nos plus grands philosophes sont appelés au secours : « Hegel et sa légendaire obscurité, souvenirs brumeux, anxiogènes, il m’aurait fallu un guide, un homme à tout faire, Sganarelle, Jacques, ou plutôt Scapin, cet homme consolatif, ce sauveur, Ah, mon pauvre Scapin, je suis perdue, viens à mon secours, dénoue cet imbroglio, tire au clair Hegel. Explique-moi aussi Kant, les formes a priori de la sensibilité, l’idéalité transcendantale de l’espace et du temps, la métaphysique des moeurs et ses fondements, la réalité nouménale, les antinomies de la raison pure. »
La vérité, c’est que tout ménage vire au ménage de la pensée (et réciproquement). Théologiens, penseurs, philosophes, tous des obsessionnels. Géniaux mais nerveux, tourmentés, soupçonnant un malin génie : ce qui corrompt, s’infiltre, paralogisme, erreur, poudre et poussière, idées noires, tentations. Pour enfin conduire à cet aveu : « Métaphysique, chère métaphysique, je passe la main sur le bureau, j’écris dans la poussière de toujours, antique et neuve, te revoilà, si douce. »