Essai
Nouvelle parution
Chr. Dupouy, André Dhôtel. Histoire d'un fonctionnaire

Chr. Dupouy, André Dhôtel. Histoire d'un fonctionnaire

Publié le par Matthieu Vernet

Christine Dupouy, André Dhôtel. Histoire d'un fonctionnaire, Croissy : Editions Aden, coll. "Le cercle des poètes disparus", 2008.

324 p. 

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Un lecteur de fabula propose un billet à propos de ce livre :


Parce que sa vie n'eut rien d'exceptionnel et qu'il n'avait lui-même ni l'habitude ni le goût de se mettre en avant, on aurait pu croire qu'André Dhôtel ne méritait pas les honneurs d'une biographie. Christine Dupouy nous prouve le contraire dans le livre qu'elle a consacré récemment à cet auteur singulier. Conformément à l'orientation des éditions Aden, il s'agit d'une biographie littéraire, ce qui est particulièrement bienvenu dans le cas d'un écrivain dont la vie et l'oeuvre tendent à se confondre. Ce n'est pas que l'oeuvre ait trouvé sa matière dans la biographie – on en est loin –  mais c'est que l'essentiel de la vie d'André Dhôtel semble avoir été consacré à son travail de romancier, un travail conçu comme une sorte d'artisanat (ou de bricolage) intellectuel.

Le livre de Christine Dupouy ne prétend pas donner des clés pour la lecture de l'oeuvre ; c'est d'ailleurs un choix judicieux car cette oeuvre est certainement l'une des plus insaisissables et déroutantes dans le roman du XXe siècle, et une tentative pour la passer au crible d'une grille biographique eût été fort périlleuse. Il s'agit simplement ici de raconter une carrière d'écrivain et, sans vaine prétention à l'invention personnelle, de retracer les étapes d'un cheminement long et fertile, puisqu'il se poursuit pendant près de soixante années. Ainsi se dessine, au fil des témoignages, des recoupements et des échos, ce qu'André Dhôtel, avec beaucoup de modestie et un brin de coquetterie sans doute, avait toujours voulu laisser dans l'ombre : une vie d'artiste, laquelle se lit avec plaisir et intérêt car, loin de se borner à une collation de sources et de références, l'auteur de cette biographie s'emploie à dessiner véritablement un itinéraire.

Bien sûr, les familiers de l'écrivain seront peut-être étonnés de se trouver si loin des références habituelles : il est peu question des Ardennes, guère plus du Pays où l'on n'arrive jamais et de son prix Fémina, encore moins des champignons et des graines de pissenlit. Christine Dupouy insiste à juste titre sur les origines familiales assez mal connues, sinon par les déclarations, légèrement romancées sans doute, de l'écrivain lui-même ; elle analyse longuement les premières oeuvres, parfois négligées, mais qui donnent une orientation significative à l'ensemble ; elle évite tout ce qui est anecdotique pour se consacrer plutôt au paysage littéraire dans lequel l'oeuvre se construit. Ainsi prend vie un certain univers intellectuel et artistique qui, pour dire les choses schématiquement, gravite autour de la N.R.F. de l'après-guerre. Les contacts privilégiés d'André Dhôtel avec les poètes (Follain, Lubin…), mais aussi avec les peintres (Dubuffet) et les artistes, les revues auxquelles il contribue (84, Les Cahiers des saisons…), les échos qu'il rencontre chez des écrivains comme Jean-Claude Pirotte ou Jean-Pierre Abraham, tout cela nous révèle un romancier qui tourne assez ostensiblement le dos aux tendances dominantes chez la plupart de ses contemporains, romanciers ou essayistes, lui préférant la liberté de la poésie, ce qui justifie sa place dans une collection intitulée Le Cercle des poètes disparus. En ce sens, cette biographie est aussi une intéressante contribution à l'histoire littéraire du XXe siècle.

La tâche n'était pas aisée car les documents sont rares, en dehors de quelques interviews et témoignages d'André Dhôtel, bien connus et relativement tardifs. Christine Dupouy s'appuie donc sur un dépouillement minutieux de la correspondance encore disponible et sur sa connaissance précise du contexte littéraire. Soucieuse d'objectivité, elle procède avec une retenue qui n'est pas si éloignée des biographies qu'André Dhôtel lui-même a consacré à Rimbaud, Rousseau ou Saint Benoît-Joseph Labre ; le ton est neutre, presque détaché, avec une touche d'humour parfois, pour rappeler au lecteur qu'il faut savoir garder bonne distance. Tel est le sens du sous-titre de l'ouvrage, Histoire d'un fonctionnaire, clin d'oeil à l'un des derniers romans de l'écrivain – et non des moindres ; clin d'oeil pour souligner que si la vie d'André Dhôtel peut apparaître dans ses événements comme l'histoire d'un fonctionnaire, l'esprit qui l'animait était d'une tout autre nature.

Philippe Blondeau