Compte rendu publié dans Acta Fabula (Janvier 2021, vol. 22, n° 1) : "D’autres vies que la mienne ? Petite réflexion sur l’écriture littéraire de l’histoire à l’ère des smartphones", par Julie Moucheron.
Enzo Traverso
Passés singuliers. Le «je» dans l'écriture de l'histoire
Editions Lux, 2020
232 p. — ISBN 978-2-89596-333-2
L’histoire s’écrit de plus en plus à la première personne. Les historiens ne se contentent plus de reconstituer et interpréter le passé; ils ressentent désormais le besoin de se raconter eux-mêmes. Un nouveau genre hybride a pris forme, exemplifié notamment par les ouvrages d’auteurs comme Ivan Jablonka ou Philippe Artières, qui font le récit de leurs enquêtes et décrivent leurs émotions dans un style très littéraire. Inversement, dans le sillage de Patrick Modiano et W.G. Sebald, certains écrivains tels Javier Cercas, Éric Vuillard ou Laurent Binet font bouger la frontière entre vérité romanesque et vérité historique, en créant des «romans non fictionnels».
Cet essor du moi soulève des questions épistémologiques et d’autres, plus profondes, concernant le monde dans lequel nous vivons, sa nouvelle raison néolibérale et l’individualisme qui la caractérise. Dans cet essai, Enzo Traverso interroge ce tournant subjectiviste dont il souligne les potentialités créatives, les ambigüités politiques et les limites intrinsèques.
Table des matières:
1. Écrire à la troisième personne
2. Les pièges de l’objectivité
3. Ego-histoire
4. Petit inventaire du «je» narratif
5. Discours sur la méthode
6. Modèles: l’histoire entre cinéma et littérature
7. Histoire et fiction
8. Présentisme
Remerciements
Index
*
Voir le livre sur le site de l'éditeur...
*
On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :
"Narcisse historien", par Sam Rachebœuf (en ligne le 30 septembre 2020)
Avec Passés singuliers, l’historien Enzo Traverso offre un essai percutant sur la montée du subjectivisme dans l’œuvre de certains de ses collègues. Sans complaisance ni acrimonie, il en souligne l’intérêt comme les limites dans une réflexion serrée sur la frontière qui sépare et relie aujourd’hui l’histoire et la littérature. Surtout, il redonne aux débats qui l’agitent toute leur épaisseur politique en faisant de ce nouveau narcissisme historien le symptôme d’un diagnostic plus profond : celui d’une perte du sens collectif de l’Histoire.