Rire des affaires du temps. Écritures comiques et actualité (1560-1653)
Université Paris Nanterre, 4-5 juin 2020
Les intenses troubles sociaux et politiques connus par la France depuis les conflits religieux (dès 1560) jusqu’à la fin de la Fronde (1653) ont fait l’objet de nombreux travaux sur les dynamiques propres aux débats et querelles de l’époque, sur la circulation des idées et des livres, etc. L’histoire et la critique littéraires ont en particulier retenu et analysé les publications qui rendaient compte de la cruauté et de la violence des conflits de manière frontale (théâtre et récits sanglants notamment).
De nombreux écrits racontent et représentent pourtant d’une façon tout autre les « affaires » du temps, c’est-à-dire ce qui occupe « [les] soins, [les] pas, [les] pensées » des contemporains ou ce qui leur « donne beaucoup de peine, d’inquiétude » selon Furetière, avec une tonalité plutôt gaie ou par le biais du rire, de manière parfois plus ou moins grinçante. Il existe une production textuelle ou scénique comique de l’actualité qui inclut par exemple des libelles et écrits polémiques, des narrations de longueurs multiples, des farces, des comédies, des vers burlesques, des satires, des lettres, etc.
Ce que l’on entend par « actualité » est ce qui est en lien avec le temps présent des acteurs de ces publications – auteurs, imprimeurs-libraires, lecteurs. L’idée peut comprendre deux grands ensembles : une actualité circonscrite, de l’ordre de l’immédiat, qui inclut par exemple les crises majeures de l’histoire et les « affaires d’Etat », mais sans doute aussi des événements de moindre importance ; et, ce qui relève, de manière plus diffuse, de l’air du temps de pratiques et de faits récurrents étroitement liées à l’époque, ou de sujets particulièrement prégnants pour la période concernée.
Ce colloque visera à réfléchir aux particularités du traitement comique de ces questions qui sont, elles, souvent graves et polémiques. Il s’agira aussi d’envisager la dimension politique, explicite ou sous-jacente, de ces écritures. Le rire ne sera pas pris comme objet mais comme mode de perception du réel et de figuration du monde.
Différents axes pourront être envisagés pour traiter cette question :
1. Publication des écrits comiques sur l’actualité
- Edition et circulation : la valeur de ces écrits dépend de leur capacité de transmission, celle-ci devant être opératoire pour parler du présent ou des réalités récentes. On pourra dans cette perspective s’intéresser à la matérialité de ces écrits, aux divers supports et aux réseaux de diffusion qu’ils utilisent. Quels modes de publication sont privilégiés ? Dans quelle dynamique de marché s’inscrivent ces textes ? Existe-t-il une économie spécifique à ces écritures comiques sur l’actualité ?
- Écrits comiques, actualité et légitimité : le rôle des écrits comiques traitant d’actualité a parfois pu être minimisé ou dévalué du fait qu’ils soient jugés trop légers ou inconséquents. Ce type de discours peut d’ailleurs être entretenu par les pièces elles-mêmes, leurs paratextes affirmant souvent qu’il s’agit avant tout de se distraire des « affaires de ce temps ». Quels sont les discours de justification mis en place par ces écrits ? Quelles postures adoptent les acteurs de ces publications ?
2. Questions de poétique historique
- Que fait le rire au présent ? Quels sont les effets des écritures comiques sur l’idée d’actualité ? Il s’agit de comprendre comment des pièces comiques participent à une construction de l’actualité qu’elles expriment, décrivent ou mettent en scène en analysant leur dimension pragmatique et en s’interrogeant sur leurs enjeux politiques. Qu’est-ce qui se joue lorsque des auteurs s’emparent du contemporain à travers le rire et pourquoi envisager le monde sur le mode de la raillerie ? Quels effets, conséquences, actions peuvent avoir ces « joyeusetez » sur l’actualité et comment se manifestent-ils ? Quel type d’ « affaires » est particulièrement traité (politique, sociale, religieuse, juridique, économique, etc.) ?
- Poétique d’une actualité comique : certains écrits plaisants usent de nouvelles formes ou de nouvelles manières d’écrire tandis que d’autres privilégient la parodie de textes sérieux déjà existants. Quelles opérations de détournement sont à l’œuvre dans ces écrits abordant des événements proches ? Quelles sont les formes privilégiées pour parler d’actualité de manière joyeuse ? La lecture de cette littérature comique actuelle fait aussi surgir l’usage récurrent de certaines formes ou de certains motifs dont on pourra analyser les enjeux.
3. Représentations comiques du contemporain
- Figurations comiques de l’actualité : que ce soit sur scène, par des textes programmés pour la représentation, ou via des écrits qui n’y sont pas a priori destinés, les ouvrages qui traitent d’actualité de manière facétieuse passent souvent par une mise en spectacle ou par un simulacre d’oralité. Pourquoi ces choix et quelles sont les implications de ces représentations ? On pourra également s’intéresser à des imprimés sur l’actualité où le comique passe aussi, et peut-être parfois d’abord, par l’illustration.
- Quelle contemporanéité ? Parler d’écrits sur l’actualité implique de se poser la question du temps, notamment pour se demander à partir de quand et jusqu’à quand ils sont effectivement dans l’actualité, mais aussi dans quelle mesure ils peuvent être réactualisés, repris pour être mis au goût du jour. Des études comparatives pourront confronter des pièces traitant simultanément du même sujet sur un ton comique et sur un ton sérieux.
- Réceptions : la valeur comique de ces écrits pourra être envisagée dans la durée. Comment lisait-on et comment lit-on aujourd’hui ces écrits devenus d’un autre temps ? Ont-ils perdu leur charge comique en perdant leur actualité ? On pourra aussi réfléchir au fonctionnement de ces productions comiques reposant parfois sur des écritures allusives ou des dispositifs connivents dont certains codes peuvent être perdus ou difficilement déchiffrables.
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Organisation: Flavie Kerautret et Guillaume Peureux
Les propositions (250 mots maximum) sont à adresser à Fl. Kerautret (flavie.kerautret@gmail.com) et G. Peureux (gpeureux@hotmail.com) avant le 1er octobre 2019.
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Comité scientifique
Charlotte Bouteille-Meister, Université Paris Nanterre
Katell Lavéant, Universiteit Utrecht
Claudine Nédélec, Université d’Artois
Bénédicte Louvat-Molozay, Université Toulouse - Jean Jaurès
Hugh Roberts, University of Exeter
Marie-Claire Thomine, Université Charles-de-Gaule Lille 3
Myriam Tsimbidy, Université Bordeaux-Montaigne III