« La digression est un objet flou qui se dérobe au discours critique », affirme Aude Déruelle au début de son livre Balzac et la digression. Difficile à classer ou à définir, la digression a été souvent considérée comme un défaut, une déviation superflue, un symptôme de désordre et d'excès, un « vice d'éloquence, où l'on tombe lorsqu'un Orateur sort de son principal sujet pour en traiter un autre », ayant, selon Aristote, une dangereuse capacité à manipuler les passions de l'auditoire. En outre, c'est un phénomène de l'hétérogénéité et de la déconstruction qui porte atteinte à la continuité et à la cohérence du texte.
Or des études consacrées à des auteurs comme Montaigne, Diderot, Balzac, Proust, Sterne, suggèrent, comme le note Randa Sabry, une problématique de la digression, mais qui n'a pas fait l'objet d'une analyse approfondie.
Derrière la feinte du détour involontaire, à travers le trajet sinueux, au-delà des fragments textuels hétéroclites se dissimulent une technique narrative ou argumentative et une stratégie discursive. L'autonomie de la digression et sa gratuité ne sont qu'apparentes. Ce débrayage énonciatif déstabilise le processus narratif ou discursif pour leur imposer une autre dynamique. Cette forme de « détour » est, comme le dit R. Sabry, une mise en scène, un simulacre, un autre trajet possible pour aboutir à la même destination : « Ce qui est improvisation prolixe, heureux hasards, fil perdu, dans l'expérience banale de la digressivité se retourne chez l'auteur digressionniste en effets de hasard et de disparate, en simulacres de dérive ou de caprice, en jeux d'une écriture suffisamment maîtresse d'elle-même pour se montrer par instants en train de perdre la maîtrise de ce qu'elle écrit » Indice de modernité, la digression présuppose une conception de la littérature privilégiant le désordre, la déliaison, la fragmentation.
Table des matières
Mustapha Trabelsi (Université de Sfax)
Avant-propos
La digression : aspects théoriques
Jacques Philippe SAINT GERAND (Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand)
Qui dit digression dit addiction
La digression et la narration
Radouane BRIKI (Université de Kairouan)
La Digression dans Jacques le fataliste de Diderot
Stavroula KEFALLONITIS (Université Jean Monnet, Saint-Etienne)
Digression et thématique de l'historien chez Hérodote, Thucydide et Denys d'Halicarnasse
Sameh BELAKHAL (Université de Sfax)
Marivaux ou la vocation de la digression
Francis LACOSTE (Université de Bordeaux III)
La digression dans Bel-Ami
La digression et le discours critique
Arselène BEN FARHAT (Université de Sfax)
Les parenthèses digressives dans les lettres de Gustave Flaubert (1846-1854)
Francesca MANZARI (Université d'Aix-en-Provence, Marseille)
Écriture derridienne : l'exemple de la digression dans une stratégie scripturaire antilogocentrique.
Edward R. TILSON (Université du Missouri, Kansas City)
« Mais suyvons » : digression, séduction et le style libertin des Essais
La digression et la rhétorique
Romain VAISSERMANN (Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand)
Implications génériques de l'emploi des mots digression et excursus en divers lieux paratextuels
Stéphane CHAUDIER (Université Jean Monnet, Saint-Etienne)
Digression, régression, dépression : l'art de Christian Gailly
Mustapha TRABELSI (Université de Sfax)
Les anecdotes de Clamence. Stylistique de la digression dans La Chute d'Albert Camus
La digression et l'esthétique
Jean-Paul PILORGET (Université de Paris III)
La dérive de Noé – Fonction métapoétique de la digression dans Noé de Jean Giono
Ariane LÜTHI (Université de Zurich)
La prose digressive de Jacques Roubaud
Salah OUESLATI (Université de Tunis)
La digression chez Mallarmé : une véritable enclave
Allan DIET (Université de Paris III)
Le rêve de Sophocle. La parole superflue comme affirmation de l'être théâtral