Yohann Ringuedé,
Une crise du moderne. Science et poésie dans la seconde moitié du XIXe siècle,
Hermann, 12/03/2021,
ISBN : 9791037006899, 540 p., 38 €.
Les relations qui unissent le savoir scientifique et la poésie de la seconde moitié du xixe siècle sont complexes. Longtemps fort minoré par l’histoire littéraire, le dialogue qu’entretiennent ces deux entités oscille entre modernité scientifique et modernités poétiques. Tour à tour conflictuelles ou fraternelles, ces modalités de dialogues multiples et contradictoires se révèlent pourtant symptomatiques d’une époque en crise vis-à-vis à la fois du genre poétique et d’un scientisme en voie d’essoufflement. L’analyse stylistique – systématiquement informée par le contexte de production – et l’épistémocritique permettent de rendre compte d’une histoire parallèle et longtemps éclipsée de la modernité : tandis que le poème moderne se proclame de plus en plus autonome, tandis que la science a tendance à se spécialiser au point de n’être plus transmissible, le dialogue de la science et de la poésie, loin de disparaître, se complexifie. Le poète ne se contente plus d’exposer thématiquement des éléments de savoirs. L’influence de la science se fait plus profonde et plus structurelle : le poème emprunte sa langue savante pour exprimer les angoisses du sujet lyrique, la poétologie entre dans le laboratoire de l’expérimentation. Ce faisant, l’impact de la science sur le travail poétique, quoique souterrain, devient déterminant dans les reformulations innovantes de la poésie de la seconde moitié du xixe siècle. Deux modernités s’observent alors, se détournent parfois l’une de l’autre, s’entrecroisent ailleurs. C’est l’histoire de cette cohabitation difficile qui est ici présentée.
Yohann Ringuedé est agrégé et docteur en littérature française, chercheur associé au laboratoire LISAA (UGE) et membre du Französische Sprach – und Literaturwissenschaft (Bâle). Spécialiste des formes poétiques, il a produit des travaux sur les rapports entre science et poésie, sur le discours de la vulgarisation (Flammarion, Fabre) et sur l’œuvre de Jules Verne.
Table des matières:
Introduction
Science et poésie : des modernités disjointes ?
Perspective historique : la poésie scientifique, un genre frappé de soupçon
Méthode et structure de la réflexion : l’empreinte de la science
Partie I. Réformer le dialogue : un héritage consciemment détourné
I. Des entreprises de minoration
L’influence de la paralittérature : la science comme outil de minoration posturale
Des vers de scientifiques
La réclame en vers de bonimenteurs : une conscience du paralittéraire
Le « souffle court » : minoration posturale du poète (Laforgue et Richepin)
L’influence du discours pathologique : la science comme outil de minoration formelle
Le retour du vers court : le vers et le Bathybius dans « La Gloire de l’eau » (Richepin)
La science dans les formes fixes mineures : le populaire et l’à-peu-près (Paul Fort et Laforgue)
Le Parnasse : forme fossile, poèmes miniatures et distillation scientifique
Le poète en archéologue : poétique parnassienne et méthode scientifique
Le Parnasse contemporain : présence diffuse de la science
La science masquée de Leconte de Lisle
Les Trophées d’Heredia : des sonnets discrètement scientifiques
II. (Le) Rire de la science
Rire des prétentions : dénoncer l’arrogance scientiste
Des scientifiques qui se rêvent démiurges
Des sciences en manque d’ambition
Rire de l’énonciation : singer la voix des scientifiques
Les jeux du lexique scientifique
Rire des formes de la communication scientifique
Le jeu des registres : héroïcomique et sciences du bas corporel
III. Quand la science moderne façonne l’épopée
Rendre poétiquement compte d’un monde en crise
Un siècle d’épopées fragmentaires : la faute à la science ?
La possibilité d’une épopée « très-analytique »
Les réponses poétiques : ressaisir la dispersion pour fonder une nouvelle ère
La découverte d’un temps long et la crise du sujet lyrique
La geste d’Hugo : parvenir à conjuguer science et poésie
Partie II. Refonder le dialogue : les soubassements d’une nouvelle alliance
IV. Révolution tonale, lyrisme scientifique
Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud et Laforgue : les lyrismes analytiques
Baudelaire : science et lyrisme inquiet
Lautréamont : le corps composite d’un sujet lyrique monstrueux
Rimbaud savant ? le Voyant et l’ironiste
Lyrisme et sciences psychologiques : le cas Laforgue
Inquiétude et lyrisme fin-de-siècle
Les lyres angoissées
Science, poésie et anticipation : la fortune d’un lyrisme prospectif
V. Faire de la poésie un objet de science
Pour une défense du vers classique : science et évolution mesurée
Une métrique mathématique
Versification et chimie : une analogie qui se modernise
Le Petit Traité de Banville : une métrique scientifique ?
La fortune de l’approche physiologique
Versification classique et biologie évolutive
Le poète et le pathographe
Métrique et science psychologique : le cas du vers libre
Gustave Kahn : vers libre, physiologie et renouveau lyrique
Les échos de l’approche scientifique dans les théories du vers libre
« Crise de vers » de Mallarmé : une influence discrète des sciences biologiques
Symbolisme et poétique expérimentale
Mallarmé et le poème expérimental : « la corrélation intime de la Poësie avec l’Univers »
La science chez Jarry : laboratoire d’un hermétisme symbolique
René Ghil : poétologie scientifique et « Métaphysique émue »
Conclusion générale